FUCK-Presse… Auto-Kulte !
Biographie officieuse non-autorisée d’Antoine Kusta…
C’était une nuit glaciale de 1982, Antoine Kusta était en train de pousser un chariot rempli de rames de feuilles Din-A4…, il marchait en direction d’une boîte d’édition pourrie parisienne, là où il vendait ses articles une fois par mois…, c’était le seul job d’Antoine Kusta… et il était bien trop fauché pour se payer un taxi.
Toute sa vie résidait dans ce caddie et dans cette marche de deux kilomètres entre sa chambre de bonne et le sous-sol de la rédaction d’Auto-Kulte…, Antoine Kusta était une légende parmi les journaleux…, il était même considéré par certains comme le roi des articles-crétins, surtout aidé par son allure d’épouvantail, avec ses cheveux hirsutes et ses rangers…, un vieux rocker pété qui se fringuait à l’Armée du salut.
“Antoine kusta est un pur produit du journalisme-pompier des années 1980. Quand tu regardes une émission TV-automobile comme Top-Gear ou que tu lis GatsbyOnline.com aujourd’hui, c’est impossible d’imaginer à quoi ça ressemblait, la presse d’avant, et à quel point c’était taré”… a osé écrire dernièrement son meilleur ami dans un site-web dédié aux automobiles des années ’80…, ajoutant, comme avec un sanglot entre les lignes: “Aujourd’hui, le monde d’Antoine Kusta a disparu”…
Perdre son job au sein de la rédaction d’Auto-Kulte (en 1990) n’a constitué qu’un échec parmi d’autres pour Antoine Kusta…, son chien, Fido, venait de mourir cramé grââââââve, sa petite amie et son amant l’avaient tous deux viré…, son loyer arrivait à son terme…, il n’avait plus de royaume…, il a quitté Montparnasse pour le refuge des desperados et des weirdos : Barbès.
En février 1992, un de ses ex-amis l’a invité à une fête dans un minuscule club’goth…, pendant que Gainsbarre résonnait dans les enceintes, une série d’images cinglées étaient projetées sur un mur : des femmes obèses en train de déchirer leurs fringues, une déesse hindoue qui caressait un homme couvert de brûlures, etc…, aucun scénario, pas de production, simplement un montage d’images hardcore et hypnotiques.
Les mois qui ont suivi, Antoine Kusta a passé des heures à réfléchir au sens de la vie, assis dans un énorme fauteuil gothique, l’air renfrogné sous ses cheveux décolorés et son teint pâle de punk-rocker…, il demeurait drôle et discret, mais dès qu’on abordait le succès commercial, l’irritation prenait le dessus : la presse parisienne était pour lui remplie de gens qui voulaient faire le plus d’argent possible…, de vieux amis à lui étaient devenus célèbres grâce à leur sens des affaires ou leurs rencontres avec les bonnes personnes…, il aurait bien aimé avoir plus de succès commercial, même si ses articles auraient dû, pour cela, être moins expérimentaux.
Antoine Kusta a délibérément passé toute sa carrière en marge, créant des articles et réalisant des photos floutées (filoutées) que seules quelques personnes pouvaient tolérer…, son amertume de n’avoir jamais gagné d’argent le rendait comme fou…, sa retraite à Barbès marquait-elle son rejet ultime de la “yuppification”, ou simplement une échappatoire à la pauvreté ?
Et la transgression n’a pas mis longtemps à pointer son nez à la surface de cet environnement morose…, le père d’Antoine Kusta travaillait dans un centre de tri postal… et des gens lui envoyaient souvent des listes de publications qu’ils souhaitaient interdire en raison de leur nature subversive : des articles ou apparaissaient des pin-ups Sado-Maso ou d’autres trucs bizarres mêlant des Hot-Rod’s, des Kustom-Cars, des femmes et des manches à balai….
Le père d’Antoine Kusta conservait ce matériel subversif et rejetait les demandes de censure…, Antoine Kusta a découvert ce trésor érotique juste après la mort de son père, en le déterrant de la cave de ses parents…, en cette suite, il eut une illumination : “Le truc, c’est de créer une réponse aux magazines français cool et sans scénario des années 1980″…, il a donc publié un article de 438 mots intitulé : “Le manifeste de la presse automobile de la transgression” : dont le préambule était limpide : “Je propose d’empêcher les magazines classiques d’être publiés. Il y aura du sang, de la honte et de la souffrance, plus que personne ne l’a encore imaginé”...
Les dix années qui ont suivi ont été ses plus noires, mais en 2000, il a rencontré la femme qui allait devenir sa plus fidèle collaboratrice : Claudine Tampon, autoproclamée sex-symbol des aliénés et fondatrice du mouvement des transsexuelles de Barbès-Pigalle…, elle avait vingt-cinq ans de moins qu’Antoine Kusta, mais comme lui, elle avait grandi dans un taudis et avait un goût prononcé pour les séries télé cheap des années 1970.
Vite, les deux se sont mis à sortir ensemble et à collaborer sur des idées d’articles automatiques illustrés de photos retouchées et détournées…, leur plus grand projet fut néanmoins une parodie grotesque de la photo-culte de la place Tian’anmen…, ce qui a généré un véritable culte dans leur immeuble…, puis ils se sont disputés…, il la suspectait d’écrire des scènes de torture uniquement pour satisfaire ses instincts sadomasochistes… et, après une série de plusieurs breaks, ils se sont définitivement quitté en 2006.
Antoine Kusta allait plutôt mâle que bien, son style de vie de journaleux-mendiant n’avait pas beaucoup évolué depuis Auto-Kulte…, pour payer ses factures, il occupait de nombreux boulots alimentaires : Employé dans une boutique porno gay…, Mâle-Box…, Chauffeur-livreur chez DHL, Taximen, DJ dans des cabarets burlesques, Gérant d’un magasin Video-K7.
Son seul job régulier fut celui de DJ dans un bar bulgare, mais la soirée qu’il animait est peu à peu devenue un cauchemar : sa paye est passée de 100 à 50 euros la semaine et tout le monde en avait assez qu’il passe les mêmes morceaux de pop virile d’Europe de l’Est nuit après nuit : il fut viré le 20 décembre 2009.
Le lendemain du licenciement d’Antoine Kusta, sa mère est morte…, le coup a été encore plus dur que lorsqu’il avait perdu son père quelques années plus tôt…, il avait épargné la plupart de ses bêtises à ses parents, quoique ces derniers l’aient toujours soutenu.
Il y avait un grand vide dans la vie d’Antoine Kusta, mais il était désormais trop vieux pour se remettre à draguer des filles dans des bars…, jusqu’à ce qu’il rencontre Monique Ducoin, une artiste lesbienne unijambiste et manchote…
Les deux ont commencé à se voir, puis de plus en plus souvent…, pour la première fois de sa vie, Monique et sa compagne donnaient à Antoine Kusta l’impression de vivre au sein d’une vraie famille…
Le même hiver, en février, il a attrapé une bronchite et une grippe sévères…, on lui a diagnostiqué une défaillance au niveau de la valve cardiaque…, le pire pour Antoine Kusta , c’est que pendant tout ce temps Paris s’était transformée en une ville qu’il n’arrivait plus à reconnaître…, pour lui, le changement s’était amorcé avec l’augmentation des loyers durant l’ère Chirac, il croyait que l’art de l’écriture le plus authentique était condamné à rester underground, à la marge, en dehors des forces du marché qui contrôlent les esprits…
Puis, il a compris que le cycle de renouveau perpétuel touchait à sa fin…, selon lui, il était le dernier à lutter pour continuer à produire des écrits-sains et des photos-cons au sein d’une Kontre-Kulture en voie de disparition…
Quelques années plus tard, coup de théatre, Antoine Kusta revit sous forme d’un article publié dans un magazine Gay : “La F.U.C.K. (Fédération Universelle Cybernétique kustafkaïenne) vient tout juste d’automatiser ses trois premiers articles à destination des éditeurs : l’un, réservé à la presse automobile, se ridiculise avec l’essai d’une Ford Focus…, le second commandé par un des magazines leader de la mode, se fourvoie dans une larmoyante mise en valeur du plus important fabricant de cosmétique…, le troisième ose la justification de l’avilissement moral des journalistes non affiliés à la F.U.C.K.”…
Dans la même mouvance, l’Associated Press, une agence de presse américaine, avouait utiliser des logiciels pour écrire automatiquement certains articles portant sur l’économie et la politique : “Il est temps d’avouer que les algorithmes et les humains travaillent main dans la main dans les rédactions depuis longtemps”…
Nous sommes ainsi entrés dans l’ère de l’utilisation de tout ce qui traîne dans le big data et qui forcera (ou permettra, ça dépend comment vous voyez les choses) chaque lecteur lambda à chercher l’information par lui-même…, jusqu’ici, la transition vers l’automatisation se faisait plutôt naturellement, les journalistes utilisant depuis longtemps des logiciels qui les aident à écrire leurs articles (mon correcteur orthographique s’est d’ailleurs avéré très utile pour écrire ces lignes)…
Mais il apparaissait de plus en plus que les rédactions utilisaient des logiciels pour faire des articles à la place des journalistes…, le Los Angeles Times utilisant un robot, devenu tristement célèbre pour avoir annoncé un tremblement de terre (il a depuis annoncé d’autres catastrophes naturelles et homicides dans la région)….
C’est un tout nouveau type de journalisme, d’après Antoine Kusta, qui a d’abord travaillé l’année précédente au sein de l’équipe dédiée aux reportages d’enquête du Wall Street Journal avant de créer F.U.C.K…, d’après lui, le but n’est pas de rédiger des articles faussement informatifs ou de créer du contenu photographique viral (ce qui est sûrement la raison pour laquelle nombres d’entreprises de presse se sont associées à F.U.C.K. sous le nom de Fuck-Presse), mais de proposer des articles de fond (et des photos détournées) en vrac que les lecteurs “avaleront” comme “Evangiles”…
C’est ce qu’il a fait pour sa première expérience, à savoir une dizaine de faux essais automobiles, tous positifs, comportant des faux-témoignages dithyrambiques de conducteurs inexistants : “Il n’y a aucun sarcasme…, ça prendrait un temps fou aux journalistes de passer toutes ces voitures au crible, alors que grâce à Fuck-Presse en quelques clicks chaque rédaction peut choisir entre des centaines d’articles personnalisables, mais pour un ordinateur, c’est un jeu d’enfant ! J’ai voulu écrire un algorithme pour voir si on pouvait faire un rendu amusant. Je pense que les gens aiment avoir accès à ce genre d’articles primaires et aiment lire rapidement ces histoires débiles à l’état brut… Je voulais faire ce genre d’article en utilisant le moins possible l’intervention humaine. En bref, il s’agit de vrac”.
La différence entre ce qui existe et le travail qu’il a fourni pour ses innombrables photos détournées et articles mielleux invariablement positifs, c’est justement cet état brut…, le journalisme qui s’aide des données extérieures existe depuis toujours, mais ces données n’étaient avant qu’un point de départ pour les journalistes qui devaient alors utiliser leurs propres mots pour décrire les faits…, maintenant, au lieu d’avoir un point de vue abscons, c’est Fuck-Presse qui fournit les articles eux-mêmes, tous interchangeables.
De la même façon, l’AP (Associated Press) a annoncé que ses robots remplaceraient la quasi-totalité de ses reporters par des robots analysant des tonnes de “communiqués de presse”…, l’AP expliquant qu’elle pourra multiplier ses articles sur tous les secteurs : “Ils passeront de 300 écrits manuellement à près de 4400 écrits automatiquement chaque mois”.
Antoine Kusta tient un discours similaire à celui de l’AP quand il dit que son équipe pourra se concentrer sur le fait de raconter des histoires générées par des ordinateurs : “Je pense qu’il s’agit moins de produire du contenu en quantité que de produire différents types d’articles, en effet, je vois que les gens apprécient les imbécilités. Si on avait fait du tri, ça n’aurait pas été complètement stupide, mais on dirait que les gens s’en contentent très bien… Les lecteurs préfèrent vraiment une grande quantité de petits contenus misérabilistes plutôt que des informations soigneusement sélectionnées” !
Dans le cas de l’Associated Press, il sera précisé dans tous les articles écrits automatiquement que l’auteur est un robot…, dans le cas de Fuck-Presse, il n’est pas indiqué que l’article a été écrit automatiquement…, je ne sais pas si les robots seront un jour capables d’écrire comme moi dans GatsbyOnline.com, mais F.U.C.K. et l’Associated Press ont cette même démarche de vouloir poster plus de contenu robotisé grâce aux algorithmes, cherchant à remplacer les humains…
Antoine Kusta adore ce slogan de Marcel Duchamp : “Le grand artiste de demain sera clandestin”…, durant nos entretiens, il me l’a répété tellement de fois que je me suis souvent demandé s’il essayait de s’en convaincre lui-même.
En 2010, Monique Ducoin a emmené Antoine Kusta à Neuilly, qui représentait selon-elle : “Un endroit ou il peut se payer tout le confort nécessaire grâce à mes indemnités d’handicapée suite à mon accident avec un Bus de la RATP…, tout en restant dans cette espèce de clandestinité duchampienne…, quoiqu’il soit toujours aussi fauché”.
La libération est arrivée via une Agence de presse, qui se constituait alors une “Collection d’articles des années 1970-1990″…, divers journaleux avaient déjà vendu leurs articles non-publiés…, Antoine Kusta avait pour sa part laissé traîner tout un tas d’articles au fil des appartements qu’il avait occupés…, l’Agence de presse lui offrait plus d’argent pour sa collection qu’il n’en avait jamais perçu…
Il a accepté et grâce à cet apport, il a acheté un algorithme permettant la rédaction automatique d’articles de presse permettant aux éditeurs de se passer des sévices de 85% des journaleux et pigistes.
En avril 2014, Antoine Kusta et Monica Ducoin ont déménagé à Palavas-les-Flots…, affirmant qu’après avoir expérimenté la laideur et les loyers impayés, cette nouvelle ère devrait leur permettre d’entrer dans une phase de vie : “Où il est difficile de ne pas être heureux”…
Début juillet 2017 Monique Ducoin est partie à Saint-Tropez avec tout l’argent disponible, de même que les brevets de l’algorithme… et Antoine Kusta passe aujourd’hui tout son temps à peindre et faire des lessives…, selon lui, sa carrière semblerait être en train de ressusciter, il m’a dit qu’il réunissait des fonds pour un nouveau projet destiné à payer son loyer : “Je vais donner des cours de journalisme aux attardés mentaux”…., je crains que ses étudiants ne s’ennuient avec lui ou qu’ils lui deviennent carrément hostiles…, ça ne m’étonnerai pas plus que ça !