Gibbs Aquada…
Ni voiture flottante, ni bateau roulant, l’Aquada de Gibbs Technologies visait, début des années 2000, le créneau exclusif de la voiture amphibie parfaitement réaliste.
Bien que les obstacles techniques à surmonter pour concevoir un véhicule amphibie efficace étaient fabuleux, le véritable défi que s’était donné la société britannique Gibbs Technologies était de définir un marché pour une voiture qui dépasse les 160 km/h sur la route et 50 km/h sur l’eau.
Les services de contre-espionnage semblaient des clients logiques et les gens riches encore actifs auraient du être ravis de s’exhiber l’été dans un tel joujou, mais, est-ce que la population beaucoup plus nombreuse de travailleurs excédés par les embouteillages et les amateurs de plein air à petit budget pouvaient être intéressés par la machine comme le suggérait l’entrepreneur Alan Gibbs ?
On pouvait en douter si l’on se fie à l’échec commercial de la Gibbs Aquada en Europe depuis son lancement en 2003, mais ce serait passer à côté de l’impact majeur du mariage entre les techniques de propulsion terrestre et aquatique de Gibbs Technologies.
Avec ses formes trapues, l’Amphicar était assez populaire en Amérique du Nord, dans les années ’60, pour être considérée comme une curiosité “normale” lorsqu’on en croisait une sur la route.
Avec sa voiture amphibie Aquada, son Humdinga presque militaire et son tout petit Quadski, Gibbs voulait vendre des licences pour sa technologie amphibie de haute vitesse à quiconque pouvait la mettre à profit.
Bien entendu, les voitures amphibies existent depuis longtemps, la meilleure et la plus connue étant l’Amphicar, mais comme toutes les voitures “qui nagent”, elle était désespérément lente dans l’eau et son utilité relevait davantage de la curiosité, comme embarcation ou comme voiture.
Plutôt que d’en faire une voiture qui se contentait de flotter, Gibbs cherchait à intégrer les technologies marines et terrestres pour délimiter une catégorie unique pour de véritables amphibies…, ce qui rendait donc les véhicules de Gibbs intéressants était leur approche d’intégration des systèmes,
Gibbs a englouti plus de 100 millions de dollars US dans ce projet, déposant plus de 60 brevets, dans presque tous les aspects de la conception de ses véhicules…, Gibbs établissant même de nouvelles normes dans de multiples aspects de la conception d’un véhicule amphibie.
La forme de la carrosserie était à la fois aéro et hydrodynamique, la traînée avait été énormément réduite avec la rétractation des roues et en combinant efficacement la puissance du moteur à combustion avec la propulsion à turbine ainsi qu’à une coque de type planeur, l’Aquada était ainsi passée de la lenteur d’un voilier, à la vitesse d’une vedette, soit plus de 50 km/h.
Certaines de ces percées techniques avaient toutefois dû affronter des contraintes contradictoires, telles celles absorbées par un bateau et une voiture qui sont à l’opposé les unes des autres, celles d’un bateau étant réparties de manière relativement égale à travers la coque, tandis que celles d’une voiture sont concentrées aux points de jonction entre la suspension et le châssis.
Par dessus tout, une machine à ‘double-usage’ est inévitablement plus lourde et moins efficace que les deux machines dont elle essaie de combiner les attraits…, sur un bateau, le soulèvement de la proue (l’avant) est nécessaire pour éviter que l’embarcation ne plonge, mais sur une voiture, ce comportement est éminemment indésirable à haute vitesse.
Il a donc fallu attendre que des pièces en composites modernes, légères mais solides, soient disponibles.
Il a également fallu accorder la plus stricte attention à l’efficacité du groupe motopropulseur pour obtenir un véhicule amphibie véritablement fonctionnel.
Conceptuellement, c’était la même chose que d’intégrer le cadre de protection d’une voiture de série NASCAR dans une structure autoporteuse comme celle d’une auto conventionnelle.
Pour atteindre ses objectifs ambitieux de vitesse, l’Aquada utilisait une carrosserie/coque soigneusement formée, soutenue de l’intérieur par un cadre de châssis en treillis.
Sur la route, le cadre intérieur en acier de l’Aquada distribuait ses contraintes dans la coque extérieure en composite ; l’inverse se produisait lorsqu’il était dans l’eau.
Aucun des deux éléments de la structure n’était suffisamment solide pour pouvoir faire le travail seul, mais ensemble ils l’étaient !
La caractéristique la plus intrigante était sans doute la suspension rétractable, basée sur une jambe de force MacPherson, la suspension de l’Aquada utilisait une seule jambe avec le ressort et l’amortissement conventionnels, mais elle utilisait également un système hydraulique à 17 valves, des articulations et une goupille de sûreté pour éviter une rétractation involontaire : lors de la mise à l’eau, il suffisait d’un interrupteur pour remonter la suspension, les freins et les roues en moins de 12 secondes.
Les documents de presse remis par Gibbs prenaient soin de ne pas spécifier de quel moteur il s’agissait mais nous présumions qu’un quatre cylindres turbocompressé devait avoir la combinaison de puissance et de poids répondant aux besoins de l’Aquada (un V6 de 175 chevaux était utilisé sur la version européenne).
Une prise de force sur la transmission permettait d’alimenter une turbine soigneusement conçue pour la propulsion nautique : selon Gibbs, la turbine compacte produisait près d’une tonne métrique de poussée à la moitié du volume et au quart du poids auxquels on s’attendrait.
La propulsion, utilisée par les dix prototypes d’Aquada en cours d’essai au Michigan, était confiée à un moteur de 2,5 litres développant 160 chevaux, cette puissance avait été suffisante pour que l’Aquada batte le record du monde de vitesse des amphibies à 52,8 km/h (32,8 mi/h) et sa fiabilité était suffisante pour que Sir Richard Branson, le fondateur visionnaire et grand dirigeant de l’empire Virgin, s’amuse à battre le précédent record de vitesse de traversée amphibie de la Manche avec près de quatre heures.
Sur terre, l’Aquada avait une tenue de route plus qu’acceptable et des performances dans la moyenne étant donné sa puissance et son poids modeste de 1463 kg… mais dans l’eau, les dimensions compactes de l’Aquada, son fond relativement plat au design basé exclusivement sur le planage et l’obligation de rester assis, promettaient une promenade agitée à la moindre vague.. sa section arrière relativement plate compromettait un peu sa stabilité et sa tenue de cap, mais sa turbine puissante et vive permettait largement de compenser.
Conçu pour les loisirs relax, l’Aquada offrait une combinaison divertissante de possibilités par beau temps et sur des eaux calmes, il était clair que les trois sièges avec le pilote au centre et la capote souple avaient des implications pratiques, ou du moins déliaient les langues.
Si l’Aquada prétendait servir des fonctions récréatives et fonctionnelles, les deux autres modèles de Gibbs, le Quadski et le Humdinga, visaient des applications militaires.
Avec le même type de propulsion, de structure et de suspension rétractable, mais pas nécessairement les mêmes pièces mécaniques, le Quadski, le véhicule tout-terrain (VTT) ultime, pouvait atteindre une vitesse de 80 km/h sur terre ou dans l’eau, tandis que le Humdinga pouvait transporter cinq passagers sur terre et atteindre 65 km/h sur l’eau.
Avec une accélération de zéro à 96,5 km/h (0-60 mi/h) en 9,2 secondes sur terre, ses dimensions et sa capacité de charge, le Humdinga promettait une fonctionnalité très supérieure dans l’eau, sans parler des 10 secondes que mettait sa coque à se soulever et planer, ou de sa vitesse de pointe aquatique de 65 km/h.
Les équipes de sauvetage étaient visées pour utiliser le Quadski d’intervention rapide dans des applications spécialisées, tandis que le Humdinga, avec une puissance et une capacité de transport bien supérieures, semblait avoir un plus grand potentiel utilitaire.
Parmi les caractéristiques principales du Humdinga, Gibbs annonçait un moteur à essence de 350 chevaux…selon Gibbs, le gros Humdinga montrait que cette technologie était adaptable aux besoins, que ce soit pour un petit véhicule comme le Quadski ou pour un autobus de passagers.
Les véhicules amphibies, tout comme les sous-marins de poche – par exemple, le Platypus (ornithorynque) australien – sont généralement le fruit de petits préparateurs spécialisés, cependant, la technologie proposée par Gibbs semblait véritablement capable d’injecter une dose de fonctionnalité dans l’équation.
Selon Alan Gibbs, la congestion urbaine pouvait être partiellement soulagée par l’Aquada et ses fonctions amphibies ; c’était encore une vue de son esprit dans la configuration de sa voiture, mais il faut parfois rêver aux limites de l’extrême pour aboutir à de nouvelles technologies.
Sans les économies d’échelle de la production en série et les compromis inévitables pour un véhicule multifonction, faire de l’Aquada autre chose qu’un jouet de playboy était une tâche formidable.
Une question restée sans réponse concernait les coûts, en fait, le coût initial de l’Aquada en 2003 était prévu à 285.000 $ US et pas même Sir Richard Branson n’avait mordu à ce prix-là… il avait été miraculeusement abaissé à 142.000 $ US par la suite… et n’avait toujours pas suscité de ruée dans le monde.
Cependant, les technologies de Gibbs semblaient viables pour des rôles commerciaux et militaires, mais en fait, General Dynamics avait déjà un prototype déjà avancé, son véhicule d’expédition de combat EFV (pour Expeditionary Fighting Vehicle) pour la marine américaine était en développement depuis 1996.
L’entraînement par chenilles et la turbine à eau de l’EFV avaient un cahier de charge impressionnant, par exemple transporter un équipage de trois personnes et 17 Marines en tenue de combat sur 25 milles nautiques à plus de 20 nœuds, puis rouler sur terre jusqu’à une vitesse de 75 km/h… tout cela dans un véhicule de transport avec touret et canon ressemblant à un char d’assaut.
Son moteur turbodiesel à deux phases développait plus de 2.000 chevaux et il pouvait planer sur l’eau grâce à une plaque d’acier orientable qui lui servait également de blindage, l’approche de Gibbs semblait mieux convenir pour des missions plus paisibles, comme la foresterie, les secours et le transport de passagers.
En 2003, la date prévue par Gibbs pour la mise en place d’une société et d’usines de production pour la commercialisation en Amérique du Nord de l’Aquada et du Quadski était prévue pour 2009…. en 2020 on n’a toujours rien vu venir !
Au plan militaire, Gibbs faisait équipe avec Lockheed Martin sur plusieurs prototypes, sa société voyait grand, cela ne faisait aucun doute : “Nos plans pour l’Amérique du Nord sont ambitieux, agressifs et atteignables, déclarait Gibbs. L’Aquada pourrait générer un volume de vente de 100 000 unités ou plus dans cinq ans. Vous devriez préparer vos gants et vos skis nautiques tout de suite”…