GT-40 #1075..
280 Km/h…, devant mes yeux, ce n’est pas l’autoroute que je scrute, mais la piste…, rêve ou réalité…, je ne sais…
Réalité…, je rêve, je ne suis pas sur la piste des 24h du Mans mais sur l’autoroute qui me ramène chez-moi…, la GT-40 qui m’a doublé sur la droite dans un vacarme d’apocalypse me laisse définitivement sur place…La GT-40 s’en va au loin…, il faut que je sorte du flou des choses et m’en revienne aux réalités.
Ou vais-je ? Ou suis-je ? Réalité ou rêve ?
Forte d’un palmarès exceptionnel, la “1075”, c’est la plus glorieuse des GT 40…., sous les couleurs Gulf, elle s’est en effet imposé à Brands Hatch, Spa, Watkins Glen en 1968, à Sebring en 1969… et elle a réussi l’exploit de triompher au Mans deux années consécutives !
Construite à partir du châssis Mirage M1-003, elle débute avec sa soeur jumelle aux 24 heures de Daytona en février 1968 et s’en distingue par son museau orange.
Régulièrement confiée à Jacky Ickx et Brian Redman, l’équipage qui vient de remporter les 9 heures de Kyalami sur la Mirage, elle sera considérée comme la voiture de pointe de l’équipe Wyer.
Dès la première épreuve de la saison, Ickx affirme déjà son autorité en s’emparant de la pole position à Daytona, battant au passage le record officieux établi par Dan Gurney sur une Ford 7 litres…, prenant la tête dès le 2e tour, le pilote belge s’assure un net avantage sur les Porsche 907, mais au 58e tour l’exhibition tourne court (boîte de vitesses cassée).
A Sebring, la prestation de la 1075 sera aussi brève que discrète, qualifiée avec le deuxième temps, elle prend un départ prudent, remonte à la 3e place mais doit renoncer dès le 36e tour (embrayage cassé).
Après deux échecs face aux Porsche, la GT 40 prend une belle revanche à Brands Hatch, un circuit dont le tracé ne lui est pourtant pas des plus favorables…, pouvant compter sur une plus grande autonomie en carburant et profitant des ennuis de freins des Porsche, la Ford prend le commandement dès la mi-course.
Ickx, très bien secondé par Redman, résiste au retour de la Porsche de Scarfiotti revenue à 23 petites secondes au baisser du drapeau.
Mis en confiance par ce succès, Ickx sera l’homme fort de Monza, signant la pole à plus de 205 km/h de moyenne, il relègue la nouvelle Porsche 908 à moteur 3 litres de Siffert à plus de deux secondes et améliore encore cette performance de 2/10 en course.
Décrochant bientôt tous ses rivaux et assurée d’une confortable avance, la Ford doit toutefois renoncer après deux heures de course (échappement cassé).
Une médaille de bronze pour la GT 40 au Nürbugring assortie d’une nouvelle victoire en catégorie Sport, permet à Ford de rester au contact de Porsche au Championnat.
A Spa, sur ses terres noyées par les averses, Ickx va une nouvelle fois se montrer intraitable, prenant un départ foudroyant, il surprend tous ses adversaires et à la fin du premier tour, il possède déjà 30 secondes d’avance sur la Porsche 907 de Mitter – Schlesser.
23 tours plus tard, lorsqu’il passe le relais à Redman, la Porsche compte elle-aussi un tour de retard et comme le Britannique tourne à une cadence aussi élevée, la cause est entendue.
A Watkins Glen, Ickx est épaulé par Lucien Bianchi (qui remplace Redman, blessé au GP de Belgique) au volant de la 1075 qui dispose du nouveau moteur 4.9 litres récemment homologué.
Aux essais, Porsche annonce la couleur grâce à Siffert qui signe la pole, mais en course les 908, manquant toujours de fiabilité, cassent les unes après les autres.
Ickx – Bianchi en tête dès le 12e tour doivent changer un pneu à la mi-course et cèdent le commandement à l’autre Ford, mais Ickx s’empresse de reprendre la tête, signe le record du tour, mais Hawkins maintient sa pression sur le leader malgré les consignes de son stand.
Pendant une centaine de tours, les deux GT 40 Gulf se livrent un duel fratricide et ce n’est qu’avec 11 secondes d’avance que les Belges passent la ligne d’arrivée en vainqueur.
L’accident de Jacky Ickx aux essais du GP du Canada est un nouveau coup dur pour John Wyer après celui de Redman… se souvenant de sa bonne prestation de Brands Hatch l’année précédente avec la Mirage, il fait appel à Pedro Rodriguez pour Le Mans.
Associé à Lucien Bianchi sur la 1075, le Mexicain va totalement justifier la confiance de Wyer, tempérant sa fougue…,le temps d’un week-end…, une extrême prudence même, en prenant un départ d’une prudence inhabituelle qui lui vaut de ne pointer qu’en 9e position à la fin du premier tour.
Sous un ciel qui alterne éclaircies et averses, l’équipage adopte un rythme régulier, sans jamais dépasser les 6000 t/mn, impérieusement prescrits par le “Patron”.
A la 7e heure, la Ford prend définitivement le commandement, effectuant une course uniquement ponctuée par les ravitaillements et des changements de pneumatiques, elle augmente régulièrement son avance sur l’héroïque Matra sous les averses nocturnes.
Après un tête à queue sans conséquence dans la Chicane Ford pendant la nuit, Lucien Bianchi connaît une plus forte émotion lorsqu’à trois heures de l’arrivée, il découvre l’Alpine de son frère Mauro, en flammes à l’entrée du Tertre Rouge.
Rassuré par son équipe qui lui passe un panneau “Mauro : OK”, il poursuit sa ronde et prendra même l’ultime relais pour franchir en vainqueur la ligne d’arrivée.
Victorieuse au Mans et pratiquement championne du monde à elle seule, la 1075, n’est toutefois pas encore destinée au musée ou aux exhibitions publicitaires et elle repart pour une nouvelle campagne en 1969.
Confiée à David Hobbs et à Mike Hailwood, le multiple Champion du monde deux roues qui remplace Hawkins, la 1075 réapparaît dès les 24 heures de Daytona en février 1969.
Profitant des ennuis des Porsche 908, la Ford prend le commandement après 8 heures de course, mais connaît bientôt des problèmes de surchauffe moteur.
Peu après la mi-course, la culasse ne résiste pas et la voiture est contrainte à l’abandon.
A Sebring, la 1075 qui retrouve Jacky Ickx, reçoit un moteur doté d’une nouvelle culasse Gurney – Weslake délivrant 50 ch supplémentaires.
En dépit d’une puissance de 470 ch, son ascendant sur la “classique” GT 40 de l’équipe ne se chiffre qu’en dizièmes de secondes aux essais.
Après un départ prudent, la voiture amorce une spectaculaire remontée pendant la nuit, où Oliver tourne aussi vite que de jour.
Malgré la perte d’un phare lors d’une touchette avec un attardé, la Ford double la Ferrari 312 P à deux heures de l’arrivée et signe une nouvelle victoire.
Toujours équipée de sa nouvelle culasse, mais affichant une puissance limitée à 435 ch, la 1075 ne réapparaît seulement qu’aux 24 Heures du Mans.
Auteur du 13e temps aux essais, Ickx concède près de 15 secondes à la meilleure des Porsche 917, mais cette dernière n’a pas encore fait la preuve de son endurance.
Comptant sur la robustesse et la qualité de préparation de sa mécanique, il attend sagement son heure…, il prend même le temps de traverser la piste d’un pas tranquille au moment du départ, d’attacher soigneusement son harnais de sécurité et de s’élancer bon dernier…, ne connaissant pas d’autres soucis que des changements de plaquette de freins, la GT 40 pointe à la 4e place à la mi-course.
Les rangs des Porsche se sont sérieusement clairsemés, mais la 917 rescapée d’Elford – Attwood maintient une cadence presque irréelle et semble intouchable.
A 10 h 53, elle reste immobilisée dans son stand (boîte cassée) et comme un malheur ne vient jamais seul, la 908 de Lins – Kauhsen, alors en seconde position agonise sur le circuit (embrayage grillé)…, ainsi, à trois heures de l’arrivée (le départ a été donné à 14 h pour cause d’élections), la Ford de Ickx – Oliver qui naviguait à la 3e place devant la Porsche 908 de Herrmann – Larrousse se retrouve en tête de la course.
La GT 40 ne possède pas plus de trois minutes d’avance et Larrousse au volant de la 908 entame une folle course poursuite…, lorsque la Ford ravitaille à 12 h 34, le Français est presque revenu dans son sillage…, l’arrêt est bref, mais la Porsche est désormais en tête et possède 55 secondes d’avance.
A 12 h 42, elle doit ravitailler à son tour et Herrmann qui reprend la piste juste devant la Ford se fait déborder par celle-ci à l’amorce de la Courbe Dunlop.
La dernière heure de course sera d’une exceptionnelle intensité dramatique et le final à couper le souffle.
L’écart entre les deux voitures ne sera jamais supérieur à 2”5 et elles ne cessent de se doubler.
Oubliant son rigoureux tableau de marche, Ickx pousse le V8 à 7000 t/mn sur les intermédiaires, bat d’une seconde pleine son temps des essais, mais il ne peut se débarrasser de Herrmann qui connaît pourtant quelques soucis avec ses freins.
A l’amorce du dernier tour, Ickx repasse en tête, puis ralentit au début des Hunaudières. Herrmann perd patience et passe, mais Ickx prend l’aspiration.
Idéalement placé dans le sillage de la Porsche et pouvant compter sur des plaquettes de freins neuves, Ickx déborde Herrmann au freinage de Mulsanne.
Le pilote allemand peu sûr de ses freins ne va pas tenter l’impossible et c’est avec 120 mètres d’avance que la Ford franchit la ligne d’arrivée devant une foule en délire qui ne tarde pas à envahir la piste.
Pour la première fois dans l’histoire des 24 heures, une voiture portant le même numéro de châssis triomphait à deux reprises !
Caractéristiques techniques
Ford GT 40 John Wyer (1968/69)
Châssis : semi-monocoque en tôles d’acier # 1075
Carrosserie : fibre de verre renforcée de filaments de carbone
Moteur : 8 cylindres en V, à culasse Gurney-Weslake
Cylindrée : 4736 cm3 et 4942 cm3 à partir de Watkins Glen 1968
Alimentation : 4 carburateurs Weber double corps
Puissance : 410 ch et 470 ch
Boîte de vitesses : ZF à 5 rapports
Freins : 4 disques ventilés
Pneumatiques : Firestone
Empattement : 241,3 cm
Voies AV : 146 cm ; voies AR : 148,6 cm
Poids : 960 kg (à vide)
Vitesse maxi : 320 km/h