Tant par son ampleur que par sa signification, l’offensive de Ford aux 24 Heures du Mans dans les années soixante a laissé des traces profondes dans notre inconscient collectif.
Ce fut avant tout l’histoire d’un duel mémorable opposant un “géant” de l’industrie automobile à un “petit” constructeur spécialisé. De cet affrontement très médiatisé est née l’une des voitures de compétition les plus légendaires de notre après-guerre : la Ford GT 40. Quatre décennies plus tard, ses formes idéales évoquent toujours quelques-unes des plus belles pages de l’histoire des “24 Heures“. Lors du Salon de Detroit 2002, le groupe Ford en mal de nouveautés fracassantes a exhumé ce “mythe inoxydable” en lui offrant une descendance chargée de symboles. Un “revival” qui démontre par l’absurde que les constructeurs américains ont surtout un passé à faire valoir, à défaut de nous proposer un présent aussi motivant… Le comble de cette affaire est que Ford n’a pu nommer cette voiture “revival” du nom de GT-40 qui avait entre temps était déposé pour une réplique… Ford a du alors nommer sa “revival” du nom de “Ford GT” !
Il avait les moyens de ses ambitions, il lui restait à trouver les hommes capables de faire gagner Ford en compétition… La GT 40 procède d’un grand caprice, celui d’ Henry Ford II, l’ héritier du Groupe Ford qui rêvait de gloire et de grandeur. Petit-fils d’ Henry Ford, Henry Ford II est toujours apparu aux yeux de ses collaborateurs les plus proches comme un homme impulsif et versatile. Au demeurant, ce “dynasteur” imprévisible a toujours su choisir “ses” hommes à défaut d’avoir su les garder…, et c’est bien son état-major qui a contribué à faire du groupe Ford (le deuxième du genre à l’échelle américaine) une entreprise aussi performante que rentable dans les années d’après-guerre en partant d’un “empire” en déclin laissé quasiment en faillite par son fondateur.
Pour autant, Henry Ford II rêvera toujours de prendre la place du “Numéro 1“, à savoir la toute-puissante General Motors.
Au début des années soixante, le contexte paraissait tout à fait propice à ce genre de défi. Dans cette perspective, une nouvelle stratégie commerciale fondée sur une “image” rajeunie du groupe et de ses produits allait s’échafauder progressivement d’une réunion à l’autre.
Une image que l’état-major de Ford envisagera de façonner en s’appuyant principalement sur l’impact médiatique de la compétition. Un programme ambitieux que Charles H. Patterson, l’un des bras droits d’ Henry Ford II, a ainsi résumé à l’époque : ” Notre nouvel engagement dans la course est en fait un prudent investissement financier. La participation de Ford à la compétition vise à démontrer à un large public quelles performances nous sommes capables de donner aux voitures que nous construisons ainsi que notre confiance en nous-mêmes. A nos yeux, rien ne suscite plus rapidement l’enthousiasme que les victoires en course. On peut le constater : la compétition améliore “l’espèce”. Celle des voitures mais aussi celle des ingénieurs et des stylistes qui sont chargés d’adapter les enseignements de la course à l’automobile que l’on peut utiliser tous les jours…”
Mais Henry Ford II entend aller plus loin, notamment en inscrivant son patronyme au palmarès des 24 Heures du Mans, course mythique par excellence, qui connaît alors son apogée en termes de notoriété, de part et d’autre de l’Atlantique. En l’espace de quelques saisons, Ford va s’impliquer de plus en plus dans une multitude de disciplines sportives, du rallye (avec les Ford Cortina Lotus et Falcon Sprint) au challenge Nascar (championnat américain disputé sur circuit et réservé aux voitures de tourisme) en passant par les 500 Miles d’Indianapolis et les épreuves de Formule 3 et Formule 2, ce déploiement de force étant symbolisé par le nouveau slogan du groupe : “Total Performance“.
Depuis 1960, cette grande épreuve d’endurance est devenue la “chasse gardée” de Ferrari qui n’a plus aucun adversaire à sa mesure sur la piste mancelle et collectionne donc les victoires année après année.
A l’époque, le constructeur italien jouit déjà d’une immense popularité à l’échelle internationale grâce à ses multiples succès en course.
En industriel pragmatique, Henry Ford II songera tout simplement à faire l’acquisition de Ferrari pour brûler les étapes. En utilisant à bon escient le savoir-faire et l’expérience de ce constructeur surdoué, Ford pouvait ainsi reprendre à son compte ses futures victoires et se forger un palmarès incomparable. Contrairement à certaines rumeurs infondées, Enzo Ferrari n’aurait pas éconduit, d’emblée, les premiers négociateurs dépêchés à Maranello par Henry Ford II au début de l’année 1963. Son patriotisme revendiqué lui servira surtout à faire monter inconsidérément les enchères en faisant pression sur le groupe Fiat qui lui apportait déjà un soutien non négligeable sans pour autant s’être porté acquéreur. Mais surtout, au delà de l’épaisseur de l’enveloppe, Ferrari entendait garder la haute main sur son département compétition, une exigence qui lui aurait certainement valu de croiser le fer avec ses futurs “tuteurs” plus ou moins conciliants. Après une succession de propositions infructueuses, les pourparlers seront finalement suspendus, Enzo Ferrari ayant, dans l’intervalle, obtenu l’assurance que le groupe Fiat lui apporterait une aide plus significative que par le passé (prélude à une entrée directe dans son capital) tout en lui laissant une complète autonomie de décision en compétition. Réagissant rapidement à cet “insolent” camouflet, Henry Ford II changera aussitôt de stratégie en décidant d’affronter Ferrari sur son terrain faute d’avoir pu l’absorber…
Dans un premier temps, l’étude d’un premier prototype de compétition sera confié à Roy Lunn (alors directeur du Vehicle Concept Department) un ingénieur anglais anciennement rattaché à Ford Angleterre et qui s’était fait remarquer de la direction en dévoilant son concept-car “Mustang 1” à moteur central en 1962. Ce projet de voiture de sport compacte et légère servira, un temps, de base de développement mais, après quelques semaines de tâtonnements infructueux, Henry Ford II reviendra à son plan initial en confiant la direction du projet à un “spécialiste” extérieur, à savoir Eric Broadley, jeune concepteur-constructeur des monoplaces Lola qui s’était fait remarquer du grand public en accédant à la Formule 1 six ans seulement après ses modestes débuts en Formule Junior.
Sa monoplace de Grand Prix, dévoilée en 1962, était en outre la plus légère et la plus petite du plateau et son V8 Coventry-Climax lui conférait des performances très satisfaisantes. L’année suivante, Eric Broadley devra cependant renoncer à persévérer en Formule 1, faute de moyens mais il saura opportunément se reconvertir en présentant un très intéressant prototype à moteur central (un V8 Ford 4, 2 l, en l’occurrence), la Lola GT, dont la conception audacieuse (sa structure était formée d’un caisson central autoportant et de deux bâtis auxiliaires faisant office de berceau accueillant l’ensemble motopropulseur et les organes de suspension) laissait augurer bien des perspectives de développement. Par l’entremise des dirigeants de Ford Angleterre, Eric Broadley sera approché au début de l’été 1963 par l’état-major du groupe qui lui proposera de reprendre à zéro la conception du prototype Ford en respectant un délai particulièrement réduit : la voiture devait en effet être prête pour les 24 Heures du Mans 1964. Ce qui sous-entendait qu’elle participerait aux essais préliminaires d’avril. En contrepartie, Ford s’engageait à mettre à disposition d’Eric Broadley sa formidable logistique, à commencer par une batterie d’ordinateurs sophistiqués programmés pour simuler des centaines d’heures d’essais et calculer la résistance d’une multitude de pièces fabriquées sur mesure pour la voiture (ce sera le premier exemple concret d’une conception assistée par ordinateur adaptée à un modèle de compétition).
Mais Eric Broadley pourra aussi et surtout compter sur le précieux renfort de John Wyer (l’ancien patron d’écurie d’Aston Martin), de Roy Lunn (déjà cité) et du jeune pilote Bruce Mac Laren, promu pilote-essayeur chez Ford.
Constituée en août 1963, cette “dream-team” allait immédiatement se mettre au travail en s’installant à Slough, en Angleterre…, et c’est dans la plus extrême urgence que sera achevé le premier exemplaire de la Ford GT 40 le 1er avril 1964.
Un véritable tour de force compte tenu du “cahier des charges” imposé… Sa cellule monocoque associée à deux berceaux porteurs sera notamment conservée, de même que les deux “caissons” latéraux servant aux réservoirs d’essence. Comme prévu, la Lola GT allait servir de base de développement à la nouvelle équipe. Les “bâtis” tubulaires avant et arrière seront toutefois simplifiés dans leur dessin. Les suspensions à double triangulation à l’avant et à doubles jambes de force longitudinales à l’arrière feront quant à elle l’objet de nombreux tests de résistance calculés directement par ordinateur. Cette structure faite de tôle d’acier ultra-mince allait recevoir une carrosserie profilée particulièrement basse (ses 40 pouces de hauteur allaient incidemment inspirer sa désignation officielle : “GT 40“), constituée de panneaux de fibre de verre laminée. Plus effilée que celle de la Lola GT, cette caisse se distinguera tout particulièrement par ses capots avant et arrière englobant les ailes et basculant d’un seul tenant pour faciliter l’accès des mécaniciens à tous les organes essentiels.
Côté mécanique, c’est le V8 4,2 l Ford issu de la série Fairlane mais profondément remanié pour les 500 Miles d’ Indianapolis qui sera retenu.
Réalisé entièrement en aluminium (le moteur de série étant en fonte), ce “small block” relativement compact trouvera à se “glisser” dans le très étroit compartiment moteur installé entre la cloison pare-feu protégeant l’habitacle et la transmission. Gavé par quatre carburateurs Weber double corps, il fournira 350 chevaux à 7200 t/mn (au lieu de 260 sur la première Shelby-Cobra et la Lola GT), un niveau de puissance tout à fait comparable à celui des V12 Ferrari équipant les 330 P alignées en compétition à la même époque. Ainsi dotée, la première GT 40 pouvait en théorie franchir le seuil des 320 km/h dans la ligne droite des Hunaudières, condition sine qua non pour lui permettre de tirer son épingle du jeu pendant la course. A ce groupe motopropulseur conçu pour délivrer une puissance “suffisante” (tout en garantissant une bonne robustesse d’ensemble) sera associée un ensemble boîte-pont (à 4 rapports) fourni par le spécialiste italien Colotti. Deux voitures seront terminées pour les essais préliminaires des 16 et 17 avril 1964. Jo Schlesser et Roy Salvadori les piloteront pour l’occasion. Pas très longtemps : le Français détruira en effet sa voiture lors d’une violente sortie de route et la seconde sera elle aussi endommagée à la suite d’un accrochage. Diagnostic commun : au dessus de 150 km/h, la voiture devenait quasiment inconduisible… Malgré de nombreux tests positifs effectués en soufflerie, le dessin de la carrosserie était bien en cause, notamment la forme très effilée de la proue qui engendrait un soulèvement de l’avant à grande vitesse. L’absence de béquet à l’arrière provoquait également d’inquiétantes pertes d’adhérence du train moteur. Faute de temps, l’équipe en charge du projet devra s’accommoder de quelques retouches empiriques avant l’épreuve. Un déflecteur inférieur sera ajouté au capot avant et un bequet viendra opportunément modifier la portance sur le train arrière.
Cette nouvelle épure de carrosserie pourra être testée “in vivo” lors des 1000 kilomètres du Nürburgring, disputés en mai. L’une des deux voitures accidentées au Mans sera réparée à temps et confiée à Phil Hill et Bruce Mac Laren. Après s’être maintenue longtemps en 2ème position derrière une ferrari 275 P, la Ford bleue et blanche sera cependant retirée de la course suite à une rupture d’un support de suspension. Trois GT 40 seront finalement préparées pour les 24 Heures du Mans, disputées en juin.
Face à elles, huit Ferrari (trois 330 P et cinq 275 LM) pouvaient prétendre à la victoire. Les gens de Ford, conscients de cette infériorité numérique étaient restés modestes quant à leurs chances réelles. Cette première participation avait surtout valeur de test. Les trois équipages sélectionnés par Ford étaient constitués de Phil Hill-Bruce Mac Laren, Richie Ginther-Masten Gregory et Jo Schlesser-Richard Attwood. Malgré la relative impréparation de l’écurie américaine, les trois GT 40 avaient fait forte impression lors des essais officiels et dès le départ, Richie Ginther se placera dans le peloton de tête derrière trois Ferrari qu’il ne tardera pas à sauter pour prendre le commandement de l’épreuve. La GT 40 d’Attwood-Schlesser pointera en dixième position tandis que la troisième connaîtra très tôt de multiples ennuis mécaniques. Vedette incontestée du début de la course, la Ford de Ginther et Gregory se maintiendra résolument en tête, soumettant les Ferrari concurrentes à une cadence effrénée, mais un problème de boîte la contraindra bientôt à abandonner la partie. A la cinquième heure, c’est la GT 40 d’Attwood-Schlesser qui disparaîtra elle aussi, suite à un incendie provoqué par une rupture de canalisation d’essence. La troisième restera en course jusqu’aux premières heures de la mâtinée du dimanche. Pointée en troisième position, elle établira même un nouveau record du tour avant d’être arrêtée définitivement au stand sur ennui de boîte. Fin du premier acte…
La Ford GT 40 s’était en effet montrée très compétitive en course, au point d’épuiser les Ferrari qui avaient durablement souffert de la cadence imposée. Si la déception était grande dans le camp américain, cette première sortie n’avait cependant pas tourné au désastre. La victoire revenait tout de même à la 275 P de Guichet-Vaccarella (suivie de deux autres Ferrari) mais les rangs de l’écurie rouge s’étaient singulièrement clairsemés pendant l’épreuve. Consolation symbolique, la Cobra-Ford de Gurney et Bondurant remportait tout de même la catégorie Grand Tourisme devant plusieurs Ferrari GTO. Trois GT 40 participeront encore aux 12 Heures de Reims, une semaine après Le Mans (sans résultat probant) mais dès la fin des “24 Heures“, l’équipe travaillera déjà à préparer la saison 1965. Une deuxième année décisive pour Ford qui était attendu au tournant de son histoire. Dans son ensemble, la presse (majoritairement favorable à Ferrari) ne s’était d’ailleurs pas privée d’ironiser sur la défaite de ce “Goliath” terrassé par “David” (alias le Commandatore) en combat singulier. Le géant américain avait donc été renvoyé dans ses filets. Il lui restait à apporter la preuve que “les dollars pouvaient remplacer l’expérience” (autre cliché abondamment repris dans la presse de l’époque)… Dans l’intervalle, la GT 40 avait pourtant profité d’une sérieuse “remise à niveau” en troquant son 4,2 litres initial contre un 4,7 l (celui des Cobra 289) plus puissant (385 chevaux annoncés) et plus coupleux. La transmission d’origine avait elle aussi été profondément revue de même que l’embrayage, les arbres de roue et les montes pneumatiques. En parallèle, Kar Kraft (dirigé par Roy Lunn) s’était consacré à développer un autre projet plus ambitieux encore et consistant à installer le volumineux V8 7 litres (monté sur les Ford Galaxie préparées pour les courses Nascar) dans la caisse de la GT 40, rebaptisée “MK II” dans cette configuration. Délivrant plus de 475 chevaux à 6200 t/mn avec un couple “introuvable” de 76 mkg à 4000 tours seulement, ce groupe pouvait devenir l’arme absolue face aux Ferrari, mais le reste de la voiture méritait d’être revu en conséquence. L’erreur funeste des hommes de Ford consistera à précipiter la mise au point de la nouvelle MK II au risque de contrecarrer le développement nécessaire qu’exigeait encore la GT 40 4,7 l. Durant toute la saison, ce double enjeu allait finalement multiplier par deux les problèmes à résoudre.
Le début de l’année allait toutefois se révéler prometteur grâce aux GT 40 préparées par l’équipe de Carroll Shelby. L’une d’elle s’était ainsi adjugée une première victoire lors des 24 Heures de Daytona (épreuve marquée toutefois par l’absence officielle de Ferrari) suivie d’une honorable seconde place aux 12 Heures de Sebring (derrière l’étonnante Chaparral de Jim Hall). Par la suite, les Ford connaîtront plusieurs échecs significatifs à Monza, à la Targa Florio et au Nürburgring. Mais l’enjeu principal restait toujours l’épreuve-phare du calendrier, à savoir les 24 Heures du Mans. Six Ford figuraient au départ : deux MK II 7 litres préparées par Shelby American et quatre GT 40 4,7 l confiées respectivement à Ford Advanced Vehicles (l’équipe dirigée par John Wyer), Ford France, la Scuderia Filipinetti et l’écurie de Rob Walker. Face à elles, pas moins de dix Ferrari (dont trois d’usine) pouvaient prétendre monopoliser les places sur le podium : trois 330 P2, deux 365 P, et cinq 275 LM (sans compter deux 275 GTB inscrites en GT). Comme prévu, c’est la Ford MK II qui domina les essais officiels (grâce à Phil Hill) en signant un temps record de 3’33”, à 5 secondes devant la Ferrari 330 P2 de John Surtees. Durant les premières heures de l’épreuve, les MK II seront également les plus rapides, celle de Mac Laren-Miles pointant en tête avec 22 secondes d’avance sur sa poursuivante immédiate, la Ferrari de Surtees-Scarfiotti. Cette fois, Ford était venu pour triompher et sa participation massive en témoignait.
Au demeurant, les responsabilités avaient été trop diluées entre les équipes anglaises et américaines et, dans les stands régnait une grande confusion qui allait se révéler fatale. Trois heures à peine après le début de la course, une première GT 40 abandonna (joint de culasse claqué) puis une deuxième, arrêtée sur problème de boîte…, et ainsi de suite jusqu’à la 7ème heure qui marqua le retrait de la dernière Ford encore en course, à savoir la MK II de Hill-Amon qui avait progressivement ralenti l’allure à cause d’une boîte défaillante. En face, la situation n’était pas beaucoup plus brillante : les Ferrari de tête avaient elles aussi abandonné heure après heure, victimes du rythme que leur avaient imposé les Ford MK II en début de course. Au final, c’est une ancienne 275 LM qui sauvera l’honneur de Maranello, en l’espèce celle de l’équipe américaine du “NART” confiée aux pilotes Grégory et Rindt. Pour Ford, c’était là un échec cuisant. Une défaite complète alors même que le constructeur américain disposait en théorie des meilleurs atouts. La leçon était claire pour tous : une trop grande dispersion des responsabilités avait fini par engendrer un climat de concurrence interne préjudiciable à tous. La GT 40 aurait dû être parfaitement au point pour sa deuxième saison, elle en était loin.
Quant à la MK II, bien des “détails” restaient à parfaire pour lui garantir une endurance en rapport avec ses performances exceptionnelles…
Pour la saison 1966, la FIA élabora un nouveau règlement permettant l’homologation en Groupe 4 (Sport) à partir d’une production de 50 exemplaires au moins d’un même modèle, les Sport-Prototypes (aucun nombre minimum d’exemplaires) étant quant à eux classés en Groupe 6.
La Ferrari 275 LM pouvant désormais être homologuée en Groupe 4, Ford décida de lancer en réponse une petite série de GT 40 4,7 l pour contrer son rival dans ce même groupe, la version MK II figurant quant à elle en Groupe 6. C’est à Slough que cette production très spéciale allait être concentrée et commercialisée, au choix de la clientèle, en version “civile” ou “racing“, le prix catalogue de base étant fixé à quelque 7000 Livres (taxes incluses), à comparer aux 9500 Livres que Ferrari exigeait de l’acheteur d’une 275 LM. En échange de ce prix élevé (équivalant à celui d’une Maserati Mistral), l’acquéreur d’une GT 40 “street version” disposait d’un V8 4,7 l de 335 chevaux, d’une boîte ZF à 5 rapports et d’un équipement intérieur complet (avec cendrier et allume-cigare), la voiture construite quasiment “à la carte” pouvant, aux dires du constructeur, dépasser les 260 km/h et accélérer de 0 à 100 en moins de 6 secondes, ce qui la situait parmi les plus brillantes machines de Grand Tourisme du moment. En définitive, une petite trentaine de GT 40 “civiles” seront ainsi commercialisées, le solde (soit plus de 80 versions “racing” produites entre 1964 et 1968) étant destiné à la compétition et réparti entre différentes écuries privées.
Dès l’année 1965, les responsables du programme GT 40 avaient constaté que la voiture était largement surclassée par la MK II 7 litres. Pour 1966, tous les efforts seront donc concentrés sur cette dernière, la GT 40 se voyant confier la mission de défendre les couleurs de Ford en Groupe 4 à défaut de pouvoir briguer la victoire absolue. Durant toute la deuxième partie de l’année 1965, la MK II avait été sérieusement revue en vue de tenir la distance mais ni sa transmission ni son moteur ne présentaient de défauts majeurs. L’essentiel des modifications apportées allait surtout porter sur le profilage de la carrosserie, le refroidissement et le système de freinage. En parallèle, Kar Kraft commença à travailler sur un troisième projet plus ambitieux encore qui donnera naissance au prototype “J” (ainsi désigné par référence à l’annexe J du règlement de la CSI), conçu pour recevoir le 7 litres de la MK II mais dont la structure (un chassis-coque en aluminium alvéolé) et le dessin de la carrosserie révélaient une approche radicalement différente. S’il fut terminé au printemps 1966 juste à temps pour participer aux essais d’avril, le prototype “J” manquait encore de mise au point et l’état-major en tira la conclusion qu’il valait mieux miser sur la MK II pour remporter les 24 Heures, les erreurs tactiques de l’année passée ayant au moins servi de leçon. La première partie de la saison ne pouvait d’ailleurs que conforter ce choix : à Daytona et à Sebring, les Ford MK II s’étaient brillamment comportées même si elles n’avaient pas rencontré d’adversaire à leur mesure.
Par la suite, Ford s’était prudemment retiré du jeu pour mieux préparer Le Mans, laissant à la nouvelle Ferrari P3 (une évolution sophistiquée de la précédente P2 dotée d’une alimentation par injection, de freins à disque ventilés et d’une toute nouvelle carrosserie remarquablement dessinée) le soin de s’imposer à Monza (sur son terrain) et à Spa. Mais le constructeur de Maranello avait lui aussi ménagé ses efforts en vue des 24 Heures du Mans. Et pour cause : le Commendatore savait que Ford serait prêt, cette fois.Sur la grille de départ, le “géant” américain était représenté par une “irrésistible armada” de huit MK II épaulées par cinq GT 40, toutes alignées par des écuries “officiellement” indépendantes. A cette implacable force de frappe, Ferrari opposait néanmoins trois nouvelles P3, quatre 365 P2, une 275 LM et trois Dino venues disputer la classe 2 litres aux Porsche et aux Matra-BRM. Moins bien armée en théorie, la marque italienne pouvait néanmoins compter sur le haut niveau de performances de sa nouvelle P3 (qui s’était fort bien comportée en début de saison), sans oublier le renfort possible des anciennes 365 P2 qui étaient à peine moins rapides. Cette année-là, c’est la raison du plus fort qui l’a emporté. L’arithmétique jouait en faveur de Ford et Ford méritait, cette fois, de triompher, compte tenu de la supériorité manifeste qu’avait révélé la MK II aux essais. Au demeurant, l’épreuve ne se résuma pas à une simple démonstration de force de bout en bout. Sur treize voitures inscrites, seules trois figurèrent à l’arrivée, certes aux trois premières places mais l’hécatombe faillit bien être fatale au camp Ford après avoir décimé toutes les Ferrari (sauf deux 275 GTB inscrites en GT).
Ce “triplé gagnant” (ajouté à une moyenne record de 201 km/h pour le vainqueur) constitua tout de même un véritable triomphe pour Henry Ford II qui s’était déplacé dans la Sarthe, cette année-là, convaincu que ce “serait la bonne“. Les trois “rescapées” étaient toutes des MK II, les GT 40 ayant abandonné l’une après l’autre, faute d’avoir pu résister au rythme des voitures de tête. Certains journalistes en conclurent hâtivement que la GT 40 avait fait son temps. Jugement infondé.
Si l’année 1966 fut bien celle de la MK II qui “survola” le championnat international des Sport-Prototypes, la GT 40 n’en rapporta pas moins à Ford quatre victoires en Groupe 4 à Sebring, Monza, Spa et au Nürburgring. Au début de l’année 1967, le département Ford Advanced Vehicles allait cèder à John Wyer tous les moyens de production de la GT 40, à charge pour lui d’en poursuivre la fabrication en fonction de la demande. De fait, c’est cette année-là que seront livrées la plus grande partie des GT 40 “street” et “compétition-client” destinées aux écuries privées ou aux particuliers. Malgré son âge “vénérable” (en compétition, chaque saison équivaut au moins à trois ans de carrière pour une voiture de tourisme), la Ford offrait encore bien des arguments dans sa catégorie. Désormais fiable et encore assez performante (son V8 sortait désormais plus de 380 chevaux) pour tenir son rang dans son Groupe, la GT 40 devait d’ailleurs démontrer, cette année-là, qu’elle avait toujours ses chances, à condition d’être bien préparée. Sept nouvelles victoires en Sport témoignent de ce potentiel intact. La même année, Ford mit également sur le marché une version évoluée de la GT 40 “street” désignée MK III et agrémentée de nombreux aménagements de confort (à commencer par un coffre à bagages digne de ce nom…) sans oublier une garde au sol rehaussée, des suspensions assouplies, un échappement moins sonore et un moteur plus souple et moins puissant.
Dotée d’un carrosserie partiellement redessinée, cette GT 40 “édulcorée” vendue 18500 $ sur le marché américain n’intéressera en tout et pour tout que 7 acquéreurs.
Aujourd ‘hui encore, les rares MK III mises en vente n’attirent guère les collectionneurs qui préfèrent, de loin, acquérir une GT 40 “street“, quitte à la payer beaucoup plus cher… Cette année-là, Ford choisit de redescendre dans l’arène pour confirmer son éclatante réussite de la saison passée. Ferrari accepta de relever le gant, le grand rendez-vous restant toujours les 24 Heures du Mans. Cette fois, le combat s’avéra plus inégal encore, Ford opposant à la sublime Ferrari P4 (un peu limitée en puissance) sa nouvelle MK IV (descendant en droite ligne du prototype “J”) qui offrait la fiabilité mécanique de la MK II tout en se révélant capable de dépasser les 340 km/h dans les Hunaudières avec sa carrosserie beaucoup mieux profilée. En arrière-plan, on retrouva l’habituel bataillon de MK II et GT 40 ainsi que la nouvelle (et éphémère) “Mirage“, une évolution de cette dernière conçue par l’équipe de John Wyer et inscrite en Sport-Prototypes. Pendant toute l’épreuve, la Ford MK IV rouge et blanche d’A.J Foyt et Dan Gurney conserva la tête avec une confortable avance sur les Ferrari P4 poursuivantes. Une suprématie consacrée par une extraordinaire moyenne générale de plus de 218 km/h.
Cette nouvelle victoire de Ford fut cependant moins mémorable que la précédente. Peut-être parce que la course avait un peu manqué de piment (malgré un lot d’abandons en court d’épreuve qui ébranla, un temps, le moral du constructeur américain…) et que l’écart entre les Ford et les Ferrari paraissait trop important. Ferrari avait été battu au Mans mais les P4 n’avaient pas démérité. Elles eurent d’ailleurs l’occasion de s’illustrer brillamment durant cette même saison à Daytona Beach, aux 1000 km de Monza et à Spa.
GT 40 4,7 L : Palmarès
1966
-12 Heures de Sebring : Revson-Scott 3èmes (1er en Sport)
-1000 km de Monza : Gregory-Whitmore 2èmes (1er en Sport)
-1000 km de Spa : Scott-Revson 3èmes (1er en Sport)
-1000 km du Nürburgring : Schlesser-Ligier (1er en Sport)
Ford MK II : victoire absolue à Daytona Beach, à Sebring et aux 24 Heures du Mans.
1967
-24 Heures de Daytona : Thomson-Ickx 1ers en Sport
-12 Heures de Sebring : Maglioli-Vaccarella 1ers en Sport
-1000 km de Monza : Schlesser-Ligier 1ers en Sport
-1000 km de Spa : Salmon-Olivier 1ers en Sport
-Targa Florio : Greder-Giorgi 1ers en Sport
-Grand Prix d’Autriche : Hawkins 1er en Sport
Ford MK IV : victoire absolue aux 12 Heures de Sebring et aux 24 Heures du Mans
A titre officiel, Ford annonça son intention de se retirer de la compétition à la fin de l’année 1967. Un retrait “virtuel” au niveau du Groupe mais, à la faveur de la nouvelle règlementation internationale mise en application dès la saison suivante, la GT 40 allait toutefois reprendre du service en 1968, profitant incidemment de cette “année de transition” un peu creuse pour dominer la plupart des épreuves du Championnat International, qu’il s’agisse des 500 Miles de Brands Hatch aux 1000 km du Nürburgring en passant par les 1000 km de Spa.Une succession de victoires certes “faciles” compte tenu de la faiblesse des plateaux, cette année-là, mais le sort des GT 40 était, cette fois, l’affaire exclusive des écuries indépendantes, le groupe Ford ne leur apportant plus (officiellement) aucun soutien financier. Ce “détail” a son importance : désormais, la GT 40 allait être jugée en fonction de ses capacités propres et non par rapport à une logistique économique et industrielle. Et, cette année-là fut surtout celle de John Wyer, en charge de l’écurie Gulf qui aligna les modèles les mieux préparés et les plus performants (le V8 de la GT 40, doté de nouvelles culasses Gurney-Eagle, était passé, dans l’intervalle, à 4942 cm3, la puissance atteignant désormais 410 chevaux). D’une remarquable efficacité, ce team constitué l’année précédente, allait également s’imposer au Mans en faisant triompher la GT 40 bleue et orange de Lucien Bianchi et Pedro Rodriguez.
Une course sans grande opposition mais une belle victoire, tout de même, que Ford reprit bien entendu à son compte sans avoir cette fois investi plusieurs millions de dollars dans l’aventure…A ce stade, la GT 40 aurait pu quitter la scène en pleine gloire mais celle que l’on surnommait déjà la “grand’mère” n’avait cependant pas fini d’allonger son respectable palmarès. L’année 1969 s’annonçait riche en événements, la règlementation ayant encore évolué, la catégorie Sport était désormais ouverte aux voitures de 5 litres de cylindrée fabriquées au minimum à 25 exemplaires (au lieu de 50 en 1968), les Sport-Prototypes étant, comme l’année précédente limitées à 3 litres. Cette “évolution“, censée permettre (entre autres) l’homologation de la Lola T70 en Sport allait en fait servir les ambitions de Porsche qui surprit tous les media en dévoilant au Salon de Genève sa surpuissante 917 dont le moteur 12 cylindres 4,5 l affichait 520 ch DIN et qui allait être produite à 25 exemplaires pour être homologuée en Sport. Mais la firme allemande conservait parallèlement toutes ses chances en Sport-Prototypes avec sa 908 3 litres qui était désormais aussi performante qu’endurante. Dans la même catégorie étaient encore inscrites la nouvelle Ferrari 312 P, la Mirage-Brm, l’étonnante Ford 3 litres d’Alan Mann (soutenue par Ford Angleterre) et l’Alfa Romeo 33 3 litres. Les plateaux promettaient donc d’être copieusement remplis, cette année-là. L’écurie Gulf-Wyer était de retour, elle aussi, avec les mêmes voitures que l’année précédente. Contre toute attente, les “vénérables” GT 40 aux couleurs du célèbre pétrolier tireront encore une fois leur épingle du jeu en s’imposant en catégorie Sport dans plusieurs épreuves de premier plan (outre une très belle victoire absolue à Sebring). Mais ce que l’histoire a surtout retenu de cette saison n’est autre que la très imprévisible (et improbable) victoire de Jacky Ickx et Jackie Oliver aux 24 Heures du Mans. Une victoire obtenue à l’arraché à l’issue d’un duel homérique entre la GT 40 N° 6 et la Porsche 908 N° 64 de Gérard Larrousse et Hans Hermann. Plusieurs heures durant, les deux voitures se suivirent à moins de deux secondes d’intervalle jusqu’au sprint du dernier tour. L’une et l’autre avaient adopté un tableau de marche prudent en laissant les Porsche 917 de tête épuiser leurs poursuivantes avant de s’épuiser elles-mêmes. Cette victoire inespérée fut non seulement celle d’une voiture (construite en 1967 sous le N° 1075, la GT 40 confiée à Ickx et Oliver était celle-là même qui avait triomphé l’année passée au Mans…) mais aussi celle d’un tandem émérite et d’une écurie parfaitement rôdée (qui allait ensuite faire triompher la Porsche 917 en recourant aux mêmes méthodes).Cette ultime victoire absolue de la GT 40 demeure sans conteste sa plus éclatante. Et celle qui a le plus contribué à asseoir sa légende en lui donnant l’image d’une gagnante “sympathique” symbolisant à son tour David face au nouveau Goliath germanique. Un singulier changement de rôle résultant d’un incroyable destin…
Un événement en soi qui figure en bonne place dans le livre d’or des “24 Heures” et fait de cette année 1969 un très grand millésime dans l’histoire de la compétition automobile. Aujourd’hui encore, la “dernière” victoire de la GT 40 au Mans est dans tous les esprits.
La GT 40 continue de s’illustrer dans les grandes épreuves du championnat VHC comme dans les ventes aux enchères internationales (où les exemplaires justifiant d’un palmarès suscitent toutes les convoitises des collectionneurs les plus fortunés). Et, à l’ombre des “versions originales“, de très nombreuses répliques fabriquées en Europe ou aux Etats-Unis témoignent de la notoriété que revendique toujours cette série légendaire. Une notoriété que le groupe Ford a entrepris de remettre en scène en lançant la fabrication en petite série de sa propre réplique de la GT 40. Un modèle d’image surtout destiné à “faire parler” et créer l’événement. Plus volumineuse que l’originale, cette version “contemporaine” révélée au Salon de Detroit 2002 reste cependant fidèle en tous points à son style si caractéristique (même si aucune pièce n’est interchangeable). Equipée d’un ambitieux V8 5,4 l de 500 chevaux, cette GT 40 du troisième millénaire décoiffe davantage qu’une Ferrari Modena tout en étant affichée à un prix comparable. Si la nostalgie “n’est plus ce qu’elle était” (dixit Simone Signoret…), si elle est trop souvent utilisée aujourd’hui dans l’industrie automobile pour compenser un manque flagrant d’inspiration ou de renouvellement, le moins qu’on puisse dire est que cette renaissance mérite un coup de chapeau. Même s’il convient de rappeler aux actuels dirigeants de Ford que l’histoire n’est pas seulement la mémoire du passé et qu’elle s’écrit aussi au présent… Une GT 40 originale, se négocie généralement bien audelà du million d’euros, plus encore s’il s’agit d’une GT 40 “historique” avec un palmares de course. Une Ford GT 40 “revival” de négocie actuellement aux alentours de 220/250.000 euros Une GT 40 “continuation” ou “réplique” vaut entre 70.000 et 150.000 euros si elle est équipée d’un V-8 américain.
Les autres GT 40 fabriquées par des amateurs avec motorisation V6, voire VW cox Flat-four, ne méritent pas d’exister, leur valeur se situe aux environ des 35.000 euros.