Hispano-Suiza K6 Saoutchik 1934
J’ai toujours rêvé de rouler en Hispano-Suiza, le symbole d’une époque qui s’effondre dans le Gin, le charleston, la nuit de l’âme, la décadence magnifique à la Scott Fitzgerald… Simplement je ne m’attendais pas à cela, à ce bruit de moteur comme une machine à coudre qui fait “ratatatatatatatat”, j’ai l’impression de voyager à rebours entre ciel et terre et qu’au fil du voyage je croiserai Clark Gable et Carol Lombard à bord d’une Duesenberg JN de 1935. Qui sait ?
A part les pédales, tout semble étranger. Le volant est garni en son centre de manettes dont l’usage paraît obscur. Rien n’est automatique. Depuis le volant, je dois ajuster le carburateur et le point d’allumage en fonction de la température, de l’altitude, de la vitesse, afin d’obtenir les meilleures performances. Ce n’est que lorsque l’Hispano-Suiza commence à prendre de la vitesse, à frôler les 140 km/h que j’ai une pensée bienveillante envers ce fameux Marc Birkigt, son ingéniosité, son sens de la précision typiquement helvétique, et surtout son système révolutionnaire de servofrein.
L’Homme de cette Hispano, son illustre propriétaire, est Alain Rouaut qui m’a dit que son prédécesseur aurait été un temps : Scott Fitzgérald, l’auteur de Gatsby le magnifique ! L’Homme des Hispano, c’est Marc Birkigt, né en 1878 à Genève (préciser que c’est en Suisse est assez idiot, quoique vu le niveau scolaire actuel des “d’jeunes” qui s’illusionnent sur les réseaux asociaux, je pense que ce n’est pas superflu de l’indiquer). Fils d’un Maître-tailleur (mon Papa l’était aussi) de la rue Rousseau à Paris, sa mère meurt lorsqu’il a 2 ans et son père lorsqu’il en a 12. Il est élevé par sa grand-mère, et sans entrer dans des détails sans fin, il faut que vous sachiez que Marc Birkigt entre à l’École de mécanique de Genève à 17 ans d’où il sort ingénieur à 20 ans puis travaille dans une entreprise de fabrication de machines et outillages pour l’horlogerie puis effectue son service militaire en tant qu’armurier.
Âgé de 21 ans lorsqu’il en a terminé avec l’armée, il rejoint Carlos Vellino (ami d’école d’ingénieur) en 1899 à Barcelone (capitale industrielle de la Catalogne) et travaille sans succès sur un prototype d’omnibus électrique destiné à parcourir les rues de Barcelone pour la société “La Cuadra”. Il conçoit et fabrique ensuite deux modèles de voiturette à moteur à explosion : une monocylindrique de 4,5cv (dont j’ai oublié le nom) et la “Cuadra Centauroune” bicylindre de 7,5cv, qui parcourt en 1901 1.000 km sans incident. Il dépose ses premiers brevets en mécanique convaincu qu’il va révolutionner le monde, mais la société qui l’emploie fait faillite. (parenthèse privée : Marc Birkigt épouse Eugénie Brachet à Genève le 23 novembre 1901. De leur union naitront Louis en 1903 et Yvonne en 1905).
Marc Birkigt fonde avec le financier Juan Castro de La Cuadra en novembre 1902 la “Juan Castro s.en.c Fabrica Hispano-Suiza de Automoviles” à Barcelone. Ils fabriquent des moteurs “à explosion”, et des châssis roulant, un 10cv bicylindre de 1.873 cm3 et un 4 cylindres 14CV de 2 535 cm3. Au début de l’année 1904, la production est à nouveau suspendue par manque d’argent. Les hommes d’affaires espagnols Damian Mateù et Francisco Seix financent alors le 14 juin 1904 la nouvelle société “Hispano-Suiza Fabrica de Automoviles SA” à Barcelone. Le Roi Alphonse XIII d’Espagne commande un châssis 20/24cv Hispano-Suiza et assure à la société son appui total. Il est tellement heureux de son achat qu’il décerne à Marc Birkigt le titre de Chevalier d’Isabelle la Catholique en 1908.
Grâce aux aides financières du Roi Alphonse XIII une nouvelle usine est construite à Sagrera et des bureaux de vente sont créés à Genève et Paris puis dans le reste de l’Europe.
Une licence de vente est accordée à la société suisse SAG (Société d’automobiles à Genève) de Lucien Pictet et Paul Piccard. Ces derniers commercialisent sous ce nom les modèles Hispano-Suiza jusqu’en 1908. Marc Birkigt présente deux nouveaux châssis-motorisés au salon 1907 : un muni d’un 4 cylindres de 40/45cv et un autre muni d’un imposant 6 cylindres de 60/75cv de 11 litres de cylindrée orné de l’emblème de la marque : deux ailes (symbole de vitesse), avec au centre une croix blanche (symbole helvétique) au dessus des couleurs espagnoles. En janvier 1911, Marc Birkigt s’installe à Paris et fait construire une nouvelle usine à Levallois puis une seconde située à Bois-Colombes en 1914. Il ne s’arrête pas là, il crée des agences de vente dans le monde entier. Le Roi Alfonse XIII étant l’un des principaux actionnaires (et pourvoyeur de fonds financiers) de la marque.
En 1914 lorsque la Première Guerre mondiale éclate, les usines sont placées sous le contrôle de la société “Gnome et Rhône”. Marc Birkigt développe alors un moteur léger d’avion pour le gouvernement espagnol. Le moteur Hispano-Suiza 8 cylindres en V à 90° de 150cv introduit le concept novateur des bloc-cylindres en alliage léger. À partir de 1915 l’aviation française s’équipe avec succès de 40.000 de ces moteurs qui permettent de lutter à armes égales avec leurs homologues allemands. Cet engin meut l’avion SPAD S.VII de l’as de l’Escadrille des Cigognes : Georges Guynemer… et c’est ainsi que la cigogne est désormais associée à Hispano-Suiza. À la fin de la guerre 14/18 Marc Birkigt revient s’installer à Paris et s’y consacre aux automobiles de luxe telle l’Hispano-Suiza H6, pour profiter des nouvelles fortunes faites durant la guerre.
En 1923, la filiale française acquiert son indépendance et est simplement baptisée “Hispano-Suiza”. Marc Birkigt s’associe à Michelin dans les années 1930 pour créer un autorail : la célèbre Micheline. Après avoir construit plus de 2.500 châssis, Marc Birkigt est immensément riche et il s’installe en 1930 avec femme et enfants à Versoix (en Suisse) dans une somptueuse demeure-château “Rive-bleu” située au bord du lac Léman, face au massif du Mont-Blanc. L’usine et la marque Hispano Suiza sont nationalisés par l’État français en 1936 ! Marc Birkigt arrête la fabrication d’automobiles s’installe à Versoix et se consacre à l’élaboration de moteurs d’avion et d’armes pour la défense nationale française. Il crée le moteur Hispano-Suiza V 12, l’un des premiers moteurs de la classe des 1.000cv (750 kW) en version 12Y produite sous licence et développée en Tchécoslovaquie, en Espagne, en Suisse et en URSS.
Le canon pour avion Hispano-Suiza HS-404 est aussi conçu à Versoix et largement adopté par les forces armées britanniques et américaines durant la Seconde guerre mondiale. Ce qui décuple la fortune de Marc Birkigt. On ne cause pas des années de guerre, parait-il que ce serait inconvenant, car il vit à Versoix sous la totale neutralité Suisse. À la fin de la Seconde Guerre mondiale les usines (qui avaient été nationalisées Françaises) de Bois-Colombes et Tarbes sont en ruines et pillées. Marc rachète le tout “pour rien”, et se relance alors dans la fabrication de réacteurs d’avions (pour Rolls-Royce), d’accessoires d’aviation (des inverseurs de poussée, des turbines à gaz, des trains d’atterrissage et aussi des moteurs diesels) Il disparaît des écrans-radars (il décède) le 15 mars 1953 à l’âge de 75 ans, après avoir déposé plus de 150 brevets et est inhumé à Versoix.
Il a reçu diverses décorations qui méritent un petit listing !
1908 : Chevalier de l’ordre d’Isabelle la Catholique
1930 : Commandeur puis Grand officier (en 1939) de la Légion d’honneur
1923 et 1949 : Lauréat de l’Aéro-Club de France
1950 : Docteur honoris causa de l’École polytechnique fédérale de Zurich
Jacques Saoutchik (né Iacov Savtchuk, avant francisation de son nom) (1880-1954) est “LE” carrossier designer ébéniste automobile français de renom, d’origine biélorusse, en activité de 1900 à 1955 à Neuilly-sur-Seine. Iakov Savtchuk naît en 1880 à Minsk en Biélorussie dans une famille juive ukrainienne de l’Empire russe où il suit une formation d’ébéniste. Sa famille émigre à Paris en 1899 pour fuir le régime répressif antisémite du Tsar Nicolas II de Russie (pogroms antisémites en Russie). Il débute comme associé dans une entreprise d’ébénisterie, puis se marie, avant de créer rapidement sa propre entreprise de carrosserie au 46 rue Jacques-Dulud à Neuilly-sur-Seine en 1906 sous son nom francisé de Jacques Saoutchik.
Durant ses premières années d’activité, il travaille avec l’agent général de Daimler-Motoren-Gesellschaft (ancêtre de Mercedes-Benz) Charley Lehman, associé aux hommes d’affaires Léon Desjoyeaux et Emil Jellinek, pour la réalisation de carrosseries de Mercedes marquées comme “C.L. Charley, 70 Champs Elysées, Sole Agent”. La première carrosserie construite par la nouvelle entreprise est réalisée sur un châssis Isotta Fraschini, ce qui représente une prouesse. D’autres modifications sont réalisées sur la base de châssis torpédo. Surnommé le “Viollet-le-Duc” de l’automobile, il est très attiré par le travail des formes et exprime sa vision magique en n’hésitant pas à embellir avec du chrome ou même du plaqué or ses créations pour en souligner les lignes dominantes de la carrosserie. Il se spécialise rapidement avec succès à Paris, puis avec une notoriété internationale, dans les créations et réalisations de carrosserie et intérieur sur mesure d’automobile de luxe en plein essor, avec le travail du bois, de l’acier, et de matériaux précieux.
Voici quelques-uns de ses clients les plus prestigieux et richissimes du monde :
1925 : Le Roi Haakon VII de Norvège ;
1926 : Le Prince Prajadhipok puis le Roi Rama VII de Siam pour chacun une Hotchkiss AM28 ;
1929 : L’Empereur Haïlé Sélassié Ier d’Éthiopie pour une Delage GL ;
1939 : Le Chah Mohammad Reza Pahlavi d’Iran pour une Bugatti 57C cabrio 2 places en duo avec la carrosserie Vanvooren ;
1948 : Son Excellence Salah Bey Orabi et La Princesse Nevine Abbas Halim d’Égypte pour une Talbot-Lago T26 ;
1950 : Le Bey de Tunis pour une Talbot-Lago T26 Limousine ;
1950 : Le Président de la République française Vincent Auriol pour une Talbot-Lago Record décapotable ;
1951 : Le Roi Ibn Saud d’Arabie saoudite pour une Talbot-Lago T26 ;
1951 : Le Roi Ahmed ben Yahya du Yémen pour une Talbot-Lago T26 ;
1951 : L’évêque brésilien Carlos Gouveia pour une Talbot-Lago T26 Grand Sport ;
1953 : Le Roi Ibn Saud d’Arabie saoudite pour une Cadillac Convertible.
Jacques Saoutchik a également œuvré sur des bases de châssis-moteurs parmi les marques les plus prestigieuses de l’époque, dont Isotta Fraschini, Avions Voisin, Delage, Delahaye, Talbot-Lago, Bugatti, Bucciali, Hispano-Suiza, Mercedes-Benz, Jaguar, Rolls-Royce. Sa production, marquée par un design aérodynamique d’inspiration Art déco, par un haut niveau de qualité et de finitions et par des technologies innovantes (design avant-gardiste, portes à effacement, toit escamotable…) connaît son apogée au milieu des années 1930. Il réalise entre autres en 1932 sa voiture à moteur d’avion berline surbaissée Bucciali TAV 8-32 “Flêche d’or” à moteur V12 Avions Voisin, ainsi que l’Hispano-Suiza H6C Xenia de 1937. Il invente entre autres les portières à ouverture parallèle en 1939. Ses modèles les plus exubérants lui valent un vif succès et une importante notoriété dans les concours d’élégance automobiles alors très en vogue de l’époque.
Après la Seconde Guerre mondiale, Saoutchik reprend la fabrication de carrosseries baroques extravagantes de grand luxe, notamment avec sa Delahaye Type 175 Saoutchik. Il conçoit en 1950 la voiture présidentielle Talbot-Lago Record décapotable du président de la République française Vincent Auriol et remporte le grand prix du salon de l’automobile de Paris avec la présentation de la Talbot-Lago Record. En 1952 son fils héritier Pierre Saoutchik lui succède. Jacques Saoutchik meurt en 1954 à l’âge de 74 ans. Il est inhumé au cimetière nouveau de Neuilly-sur-Seine. Ses ateliers font faillite et ferment un an plus tard, en 1956, à la suite de la ruine nationale et de l’effondrement du marché du luxe d’Après-guerre. Symboles d’une époque, avec pour principaux concurrents Figoni&Falaschi, Henri Chapron, Jean Henri-Labourdette, les automobiles Saoutchik sont actuellement, malgré Covid, Vax, anti-Vax et confinements, très recherchées par les collectionneurs les plus élitistes et richissimes, à des cotes de records mondiaux de prix de vente.
Cette voiture d’après les années folles, ces années d’entre-deux, de fuite des horreurs de la guerre 14/18 dans le jazz et la vitesse, années qui tant fascinèrent les écrivains pour l’angoisse désordonnée qu’on y lisait, reflète la jouissance fébrile qui s’y gâchait avec divers surréalistes indécis, désabusés, qui se noyaient dans les bulles de champagnes ayant la saveur du luxe qui se jetait, et du talent qui se gâchait ! C’est l’histoire d’une génération perdue qui se faisait progressivement jour, dans une inéluctable chute de désespérés abrutis par le cauchemar de la grande guerre, et contre laquelle il n’avait rien été donné en remède sinon l’imminence de la jouissance, la politesse de l’ironie, et l’élégance du désespoir d’un romantisme mélancolique, d’un dandysme fitzgéraldien ! Un mélange d’épicurisme fiévreux et d’élégance polie, contre une blessure que l’on pressentait d’avance inguérissable, une faillite que l’on savait imminente.
Ces personnages n’avaient de commun qu’un idéalisme profond, que la guerre, sans doute, le temps qui passe, la vie simplement, allaient peu à peu, mais consciencieusement détruire, au point que, derrière le costume parfaitement taillé des héros ne subsistait généralement que la fuite en avant, mondaine, d’âmes dont la grandeur n’avait pu se défaire de ses illusions, de son passé, et de son idéal. C’est dans le détail, social le plus souvent, que Scott Fitzgerald capturait la faille de son héros : Gatsby, qui, dit-on était également la sienne propre, ce qui en fait tout son intérêt littéraire, et son charme : “Et nous luttons ainsi, barques à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé”. (Gatsby le magnifique)
Cette métaphysique de l’élégance contre l’impuissance d’un destin qui ne se contrôle plus trouve une étrange résonance dans ces paroles de Jacques Brel, tirées de son dernier album, Les marquises, rédigées quelques mois avant la mort du chanteur d’un cancer du poumon:
“N’avoir plus grand-chose à rêver
Mais écouter son cœur qui danse
Être désespéré
Mais avec élégance”
“Avec élégance”, Les marquises, 1977
Cette imminence de la mort chez Jacques Brel, cette évidence de la désillusion, cet écrasement du vide, qui se saisit de tout, sinon de l’immaculé du costume trois pièces de Gatsby, nommons-la “l’élégance du désespoir”.
Véhicule de Monsieur Alain Rouaut – Photos Christian Martin – Studio Virage – Tous droits réservés
2 commentaires
Bel article, propre, clinique… la liste des décorations obtenues impressionne… en un mot : ELEGANT !
Mon coté “chic” ressort avec une perversité jouissive… La belle est sournoise si prise à contresens des bonnes-manières, elle gémit alors et craque de partouze, point qu’elle refuse un dérapage, mais au contraire elle s’y love sans pouvoir le contrer, ce qui génère des palpitations aux cœurs trop tendres. Elle doit se conduire à la hussarde, à-la-Russe dont elle à quelques origines. Repus d’émotions, finalement elle exaspère et lasse. De plus, cette catin coute cher à entretenir !
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