Hot-Rod #2…
Un Hot-Rod (bielle chaude), est une appellation venant des États-Unis désignant une voiture ancienne (jusque 1949 inclus), largement modifiée, tant au niveau du moteur que de l’aspect extérieur.
Le custom, dont la définition est “personnalisation de masse” et qui correspond à un ensemble commercial de diffusion d’objets et de figures servant à rehausser l’aspect des véhicules (l’idée s’étendra jusqu’aux baskets), est issu du Hot-Rodding, qui n’est pas qu’un sport d’accélération ou un hobby, c’est une culture avec ses styles, ses vêtements, ses langages.
Henri Ford a commercialisé un véhicule bon marché, la Ford T… et en a vendu des millions jusque dans les campagnes…, ces modèles, s’ils étaient faciles à réparer et à manipuler avaient le désavantage de prendre trop vite la rouille…, on trouvera donc peu à peu nombre de ces véhicules vendus à des prix dérisoires ou abandonnés.
C’est là qu’on trouve les racines de ce qui sera plus tard appelé le Hot-Rodding, dans la dépression de ’29, dont l’archétype est le Hot-Rod Modèle “T”…
Déportés, suite à leur mise en faillite par les propriétaires, les métayers, petits agriculteurs et éleveurs du nord et de l’est des USA, se sont vu contraints de prendre la route vers l’ouest, en famille, histoire de louer leurs bras aux récoltes de saisons…, les véhicules que certains métayers possédaient étaient la plupart du temps des pick-up utilitaires, mais basiquement, la pauvreté obligeait la majorité à utiliser des voitures abandonnées, accidentées ou en pièces, carcasses, parties de châssis et moteurs récupérables étaient récupérées et assemblées pour refaire des véhicules.
Certaines pièces manquantes étaient refaites en fonte à partir de pièces de cuisinières fondues dans le sable… et il était nécessaire de tenter d’augmenter la puissance du moteur pour pouvoir tenir les surcharges et la longue route…,ces modifications en entraînant d’autres.
Parallèlement à la crise qui suivit le crash boursier et qui devait durer a peu près 4 ans, les wobblies (Les affiliés au syndicat I.W.W., Industrial Workers of the World), prirent une importance considérable et avec eux, la conscience sociale que ces déportés n’étaient pas que les spectateurs de leur descente aux enfers !
Tout un langage utilisé dans ce monde des Wobblies est devenu celui de l’univers des Hot-Rods et Customs, une re-fabrication des années’60 qui fut fantasmé dans les années’80 et’90…, qui trouve là ses racines, dans cette migration intérieure, sur les routes jonchées d’exclus survivant au plus profond de la misère, dans la noirceur et la désolation d’un monde bâti sur le massacre des Amérindiens et l’accaparement de toutes les richesses possibles par les moyens les plus vils…, repoussant les plus faibles vers des utopies, vers l’Ouest, sur des routes qu’ils savaient ne même pas mener à quelque promesse réelle d’un monde meilleur.
There is a house in New Orleans
They call the Rising Sun
And it’s been the ruin of many a poor boy
And God I know I’m one
My mother was a tailor
Sewed my new blue jeans
My father was a gamblin’ man Down in New Orleans
Now the only thing a gambler needs
Is a suitcase and trunk
And the only time he’s satisfied
Is when he’s on a drunk
Oh mother, tell your children
Not to do what I have done
Spend your lives in sin and misery
In the House of the Rising Sun
Well, I got one foot on the platform
The other foot on the train
I’m goin’ back to New Orleans
To wear that ball and chain
Well, there is a house in New Orleans
They call the Rising Sun
And it’s been the ruin of many a poor boy
And God I know I’m one
The house of the rising sun, cette chanson folk rendue célèbre par les Animals dont on ne connaît pas bien l’origine et dont le plus vieil enregistrement connu est celui de Tom Clarence Ashley et Gwen Foster, réalisé en 1934, au crépuscule de la dépression, parle de ça, de cette misère qui n’en amène que d’autres, de la poussière, des voyages contraints par la faim, destination le bordel général…, la route passant par le lac salé, étape indispensable.
Toute cette tension rendait la population amère, mais ces gens devenus des loques humaines vont se battre pour survivre et créer “autre chose”…, une partie de cette génération va devenir spontanément des garagistes/bricoleurs, retapant, bricolant, plusieurs fois défaisant et refaisant leurs épaves et celles d’autres sur ce trajet maudit qui deviendra mythique, utilisant des vieilles planches, des tôles ondulées volées sur les toits des masures et torchis d’encore plus pauvres qu’eux, même les barbelés étaient utilisés… et tout ce monde d’éclopés, voleurs par nécessité, assassins aussi, s’arrêtaient sur ce lac sec, y organisant des camps de passages, pas vraiment pour l’entraide, mais pour vendre services et sévices aux moins capables.
Là, sur un principe basique de survie : le vainqueur d’une course brève sur 1/4 de miles (400 mètres pour le public de gens simples et stupides puissent tout voir) gagne la voiture perdante, source de pièces de rechange et donc de profits… des courses d’accélération ont commencé à s’organiser générant également des paris.
Née dans une crise économique si profonde qu’elle va affecter l’ensemble du monde, cette culture de gens qui portent les bras de chemises troussés jusqu’aux épaules, dust bawl refugee, une génération de bidouilleurs folkloriques (dont Woodie Guthrie est devenu le héros : héraut’Country, des okies miséreux et traine-la-patte)… a commencé à se créer une forme individuée, autonome et sculpturale de leurs véhicules.
C’est ça qui va devenir un style : d’un détournement nécessaire de choses récupérées, histoire d’avancer, avec le folklore que cela génère… et au travers de formes qui s’inventent dans la course, créant une sorte d’expression populaire par la négative, le bolide “home-made”… et cette façon d’instrumentaliser l’automobile va rapidement intégrer le sens de la liberté débridée, de la vitesse, du souffle et de l’image… le Hot-Rodding !
Toute l’ambiguïté du truc va se révéler dans une des formes traditionnelles du Hot-Rod, qui va reprendre, mieux, qui va capitaliser… sur cet héritage…, qu’on appelle depuis 10 ans d’ici le Rat-Rod, dont on reconnaît la particularité aux parties de carrosserie rouillée…, alors qu’aux débuts de l’aventure les Hot-Rods étaient tous des Rat-Rods…
Le Hot-Rod, après la seconde guerre mondiale, va devenir un véritable genre qui ne cessera d’évoluer pour devenir un courant important de la contre culture des années’60 jusque dans les années’80 ou il va devenir une industrie consumériste n’ayant strictement plus rien en commun avec les origines…, les boutiquiers et journaleux inventant le mythe des Hot-Rodder’s créés par les d’jeunes revenant en ’45 d’avoir servi de chairs à canons…, alors que ce n’était que la continuation d’avant guerre, des jeunes fauchés qui n’ont pas les moyens d’acheter de vraies automobiles sportives et qui se fabriquent les mêmes autos que leurs parents dans les années’30…, ce mythe commercial a finalement supplanté toutes les vérités historiques par la commercialisation industrielle du Hot-Rodding, puis du Custom…, le Tuning apparaissant plus tard, toujours dans la mouvance capitaliste de la récupération des motivations premières…
Vous…, nous…, avons tous été manœuvrés pour consommer, même du marginal… et la presse “Hot-Rod et Custom” spécialisée dans ce style, visant à engranger un max de pubs venant de sociétés vendant le rêve préfabriqué… vous ont servi un mythe inventé arrosé de zizique Country de Cow-Boy avec vestes à franges et santiag’s, tout simplement pour vous faire consommer un max…
Le point d’orgue de cette saga fut le moment ou Boydd Coddington a proposé des Hot-Rods hyper fignolés, aussi léchés que des Rolls-Royce, impayables pour la masse…un peu ce que fait actuellement VW-Bugatti et autres en proposant des bricoles à plusieurs millions d’euros, consommables exclusivement par une faune de milliardaires plus malfaisants qu’utiles.
La réaction du “système” voulant récupérer plus dans la masse, fut le Prowler, un Hot-Rod de consommation, pareil qu’une “vraie” voiture de sport avec le look…, mais les purs et durs n’en ont pas voulu, ce fut un FLOP… mais le Prowler reste, en Europe le seul Hot-Rod récent “légal”…
La réaction des “vrais” Hot-Rodders basiques, fut d’en revenir aux sources, aux authentiques Hot-Rods des débuts d’une époque quasi révolue… on les nomme “Rat-Rods” mais en fait, ce sont les seuls véritables Hot-Rods qui perpétuent l’esprit d’une époque… et qui sont un moyen basique de se faire plaisir…, sauf que c’est maintenant tellement hors-la-Loi que c’est véritablement “Outlaw-style”... ce qui a été décrété “œuvre-d’art” et donc là-aussi récupéré…, on construit maintenant à neuf des “Rat-Rods” qui sont vendus à des prix astronomiques, parfois plus qu’une Rolls…et ce malgré quelques réfractaires qui persistent dans un mélange pathétique d’élégance et de brutalité à vouloir encore fabriquer leurs engins avec le moins d’argent possible.
Parer son corps c’est faire parler le monde et ce que dit le monde enseigne les corps… et il y a un ordre commun aux astres et à la société, et toute cette migration des années’30 aux USA portait avec elle l’invention d’un espace qui ne se décrivait pas en cartes mais en comportements, ou le paysage transpirait dans l’homme et dans les machines, ou le récit se faisait dans le bricolage, la récupération, le déplacement et la transformation.
L’aspect extrêmement sculptural des engins modifiés, qui pouvait bien s’apparenter aux formes bricolées des abris des métayers faits de toiles cirées, de planches trouvées et de panneaux de récupération… et avant que cela ne devienne le commerce de la frime, même si celui-ci ne manque pas d’intérêt, doit être compris comme une histoire intérieure, comme une géographie qui est aussi un espace mental, une conscience du monde, du cosmos (Comme le rappelle Augustin Berque, le sens premier du mot Kosmos est “ordre” et les deux termes romain de “mundus” et grec de “kosmos” ont les 3 sens d’ordre, monde et parure.
C’est devenu un commerce, d’une abstraction légère qui a fait basculer les masses dans une manipulation désorganisée, les véhicules des fantômes incarnant dans un mélange d’ambiguïtés volontaires et subies, la désolation et le mépris des okies (extension d’un terme dont l’origine est “habitant de l’Oklahoma” dont 20% a dû migrer durant la dépression, et qui s’est ensuite généralisé à l’ensemble des migrants), reflet autant que figure d’un paysage géographique et social, incarnation d’une cartographie sociale et psychologique…
Bien sûr, tout le truc a été vite assimilé…, ces bidules roulant, c’est devenu une scène, une image, l’équivalent d’une religion qu’on nommerait la “Christ Burger Mania”.., une sorte de migration intérieure vers un devenir flou…, je le sais j’y étais et j’ai importé tout ce bazar sans même bien le comprendre avec mes Chromes&Flammes, la bible du Hot-Rodding et du Custom, une histoire tout aussi pathétique et déjantée que celle du Hot-Rodding…, ca devait être une forme de perversité…