Hot-Rod T Mania…
Vingt-quatre heures de la vie d’un homme, vingt-quatre heures dans la vie d’Anders qui tente de reconstruire quelque chose, un amas solide, compact, un socle, une existence plus sereine après la débauche, les nombreux abîmes et les fièvres ardentes qui l’ont vu se démolir…
Un challenge éprouvant que j’ai mené dans l’Amérique profonde, afin de réaliser ce reportage poignant, épique, unique, inique, pathétique et déjanté…
Le bled perdu au fin fond de rien, ce qui n’est pas grand chose, dans lequel je me suis retrouvé, dégageait des senteurs de fin d’été, quand la lumière est plus basse un peu plus tôt.
De ces flâneries dans les rues, sur les boulevards, par-delà les décombres de sa jeunesse démantibulée, brûlée trop vite, déchirée par l’alcool… et les soirées… et les drogues… et les filles, Anders cherchait des réponses : la vibration d’un pardon, d’un rachat…, qu’une force lui octroierait.
Il a construit un Hot-Rod simple, humble, lumineux et sans pathos, sans effets et sans fureur, d’une justesse désarmante, d’une simplicité bouleversante.
A force de le regarder…, on ploie, les larmes affleurent, l’émotion déflagre carrément.
Il a en effet façonné, sculpté une œuvre, minutieusement, à un rythme vagabond, dans un état de grâce mélancolique et tragique de journées ordinaires, magnifiées par une foi prodigieuse !
Ce bonhomme buriné, au regard sec et triste dans les mêmes iris (et nostalgique aussi), d’un amour perdu et de javas défoncées… où toute la vulnérabilité, toute la honte régurgitée de sa “condition” de bouseux ordinaire se lit en grands élans, à réussi à se transcender….
Et de cette “condition”, de celle-là seule, Anders voulait s’en délier, s’en extraire, ressurgir tel un Phénix dans une autre vie, quand pourtant elle ne lui renvoyait à la figure que les doutes, que les déceptions d’une vie.
L’avenir paraissait pourtant vouloir saper tous ses espoirs, ses besoins ténus…
Mais, un revers intime, déchirant, plus cruel que tous les rivages en partance…, à presque mis-à-mal sa résurrection ; un ami marié avec deux enfants apprenant qu’ils étaient d’Anders…, une sœur qui ne voulait plus le voir prétextant qu’il l’avait violée…, une ex négligeant ses suppliques de lui rendre ses jouets d’enfant…, une autre amie qui vieillissait et qui avait peur d’être enceinte de quadruplés malformés…
Vieillir c’est pourrir, soi-même et parfois les autres…, des anonymes indécis, seuls, perdus, avec trop d’envies, trop de soif, trop de rêves, envolés et impossibles.
Soudain, le vide….
Et Anders s’est transcendé en créant son Hot-Rod…
Pathétique affaire qui a la texture délicate d’un voile qui s’est sali, d’un sombre linceul au vent.
J’aurais pu vous amener loin, vous soulever les sens au gré régulier de scènes magnifiques :
– Celle de mélopées énergiques et sensuelles dans le garage quasi effondré d’un quartier malfamé où Anders tout en travaillant à son Hot-Rod, percevait les conversations, les rires des gens, les trajectoires des passants, les attentes.
– Et celle d’une balade, à l’aube, dans les quelques volutes blanches d’un extincteur tentant d’éteindre l’incendie du dit garage lorsqu’après avoir mis son Hot-Rod en marche, les flammes de l’échappement ont bouté le feu aux détritus jonchant le sol…
Moments éphémères et sublimes, suspendus dans l’air du temps, quasi magiques, tels des moments vagues et lointains qu’Anders n’a pu saisir, s’écroulant comme s’écroulent son garage, deux immeubles contigus… et son château en Espagne.
Au lever de soleil, ce fut l’heure des bilans et des décisions, du plongeon financier dans le néant des riens infinis.
Puis dans le bel éclat doré de ce mois d’août qui allait s’achever (la même couleur dont il avait peint son oeuvre)…, dans un dernier sourire, son sourire désolé, sans vigueur et qui faisait mal (à lui, à nous), alors qu’on entendait des notes de piano gauches dans une maison qui se vidait, laissée à des objets sans plus d’importance, meubles, tableaux, livres, des rideaux tirés…, Anders est monté dans son Hot-Rod et est parti vers l’horizon.., sûrement pour replonger dans ses failles, retourner à l’oubli, vers les effroyables remparts du monde, à rebours…
J’aurais voulu vous montrer les lieux qu’Anders a visités, ceux où il a été, où il s’est assis, où il s’est allongé, ces lieux maintenant vidés de lui, un café, un garage détruit, un banc, sa chambre…
Mais il n’y a plus rien…, que le noir, enfin, terrassant.
Et une certitude : de là où il est, Anders me hantera pour très longtemps….
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