1927 Ford-T “Double-Trouble” by Gordon Tronson
T’es gâté-pourri mon Popu, après toute une série d’articles/reportages de Hot-Rods de plus en plus dingues, le précédent étant un V12 de 27.000cc, nous en sommes ici à un double V8 sur-équipé de 4 compresseurs… Je précise ! En première version : deux V8 cote-à-cote et deux compresseurs… Pas assez fun, manque de “punch”… En seconde version : les deux mêmes V8 mais quatre compresseurs ! Là c’est mieux, c’est fun et “ça envoie la sauce plein-pot”...
Quoique, oui, quoique, ne nous précipitons pas dans le puits sans fond de la connerie sans pousser un grand cri. Tout étant relatif, excepté l’infini, le résultat, s’il est spectaculaire, est laid, moche, pas vraiment affreux ni hideux, quoique (encore !) c’est dépendant de l’angle de vision. Latéralement c’est OK, de partout ailleurs bien moins. C’est alors que l’œil exercé du Maître-critique entre en scène pour détailler le bestiau et ça n’arrange pas la saveur du plat…
C’est pire à l’intérieur, aucun confort, on est assis trop haut “en grenouille”, coincé de partout, la vision surplombe les compresseurs, mais en pure perte pour ce qui est d’un quelconque confort de conduite. La solution “classique” de tout vrai Hot-Rodder (pareil pour les braves voulant piloter une Shelby Cobra) c’est d’enlever le siège conducteur et de rouler le cul au plancher le dos contre la cloison arrière. Dingue !
Voyez et notez par vous même que si un fou-furieux veut faire pareil pour piloter ce “Double-Trouble” la vue est totalement dans le cul des compresseurs, pilotage sans visibilité ou conduite ridicule. Aucune alternative. J’ai pourtant cherché, vraiment ! Je n’ai pas trouvé, d’où mes lamentations et mon dépit (énorme). Sauvé toutefois par le fait que je pouvais attendre de publier sur cette “chose”, car Gordon voulait y placer 4 compresseurs au lieu de 2 !
Gordon Tronson était surement allongé dans son lit en admirant le plafond de sa chambrette lorsque l’idée de construire un Hot- Rod Double-Trouble (un Ford’T Roadster 1927 bimoteur bleu vif) lui est venue. Tronson est un bricoleur inventif qui écumait de longue date et méthodiquement, les Dragstrips de Nouvelle-Zélande (sa contrée de vie, à quelques jets de pierre de l’Australie). Il créait sans trop réfléchir et sans faire de plans. Tout sortait de sa tête…
Tout était directement façonné de ses mains… Il a déboulé “plein-pot” en Californie, abandonnant la Nouvelle-Zélande aux “locaux” et s’est procuré dans cet Etat d’Amérique, une carrosserie plastique type Hot-Rod T-Bucket. Six mois après réception de son colis, le Hot-Rod était terminé. Pis qu’enragé, quelques mois plus tard, l’exposant sous invitation au “Motorhead” attenant au Sema, il recevait la médaille d’or, une validation ultime pour son Roadster !
Faut savoir, pour comprendre, qu’il y a été présenté avec la gamme Ford Motor Co à la “Specialty Equipment Market Association”, un salon privé qui se tient chaque année au “Las Vegas Convention Center”. Sur les 69 demi-finalistes, 20 véhicules Ford, tous uniques, dont le Roadster Double-Trouble (la version N°1 avec “seulement” 2 Blowers), avaient été choisis/sélectionnés pour être exposés par et aux frais du constructeur automobile américain.
Pas trop volubile, tout ce que la presse à pu publier venant de lui, fut la seule phrase qu’il a prononcé en recevant tous les honneurs : “C’est le plus grand bonheur qu’une personne comme moi puisse obtenir”… Toujours plus dubitatif qu’admiratif devant les illuminés, les créatifs-inventeurs de génie aux délires aussi extravagants que leur imagination, j’ai approché ce Grand-Maître aussi sympa et souriant qu’un Saint-Bernard bavant tout son saoul !
Je l’ai apostrophé direct dans les dents, dans une tirade bien couillue :
-“Gordon, je suis admiratif devant les illuminés et les inventeurs géniaux aux délires aussi extravagants que leur imagination. Quand je vois le temps et la masse de dollars qu’a du couter à VW le développement de leur Bugatti Veyron et son W16 quadriturbo de 1001 chevaux, en comparaison, même avec 1300 chevaux ton Hot-Rod c’est loin du compte”…
Il m’a direct répondu assez évasivement ce qui a entrainé une conversation épique :
– “Je sais, Patrice, c’est artisanal. Je suis un créatif absurde. Mais je suis heureux comme ça”…
– “Gordon, que tu œuvres 100% artisanal, Ok, mais les gars comme toi qui se la jouent du genre Docteur Frankenstein dans leur garage, c’est quelque part angoissant. Du moins, c’est mon avis. Un commentaire ? Non ?”…
– “Oui ça sert à rien, OK ! Pas grave”…
– “En plus ça doit être dangereux et aussi efficace qu’un caddie de supermarché”…
– “Oui ça grince de partout ! Ok ! Pas grave”…
– “Et ça doit se tordre à la première contrainte ! Mais le comble, c’est que tu sembles y croire ! Je ne sais pas quelle est cette croyance, mais tu y crois et tu l’as fait ! Pour ma part, je ne serais pas aventuré là-dedans. Jai eu l’expérience il y a 30 ans avec mon Trike-V12, avec mon Olds’48, et avec ma Citroën Hi-Boy… Tout cela m’avait couté un pont d’or pour assurer la promo de mes magazines Chromes&Flalmmes”
– “Ok, rien que ça, ça mérite le respect… Non ? Pout toi et moi ! On est a égalité !”…
– “Ok… Respect accordé ! Mais quand même, mis à part l’aspect vaniteux de collectionner les trophées et d’attendre d’être salué sur les routes désertes, c’est quasi gratuit, donc question retour sur investissement c’est nul !”…
– “100% vrai. Reviens l’année prochaine, on en rediscutera devant mes autres projets”…
– “Gordon Tronson, Docteur Frankenstein dans son box planté dans une décharge d’automobiles des seventies. Ce Hot-Rod, franchement, ça ne sert à rien d’autre qu’à glaner des coupes et glander sur des routes désertes, c’est dangereux et aussi efficace qu’un caddie de supermarché, ça grince de partout et ça se tord à la première contrainte. OK ! J’ai noté Mais tu as l’air d’y croire et tu l’a fait. Respect, mec ! Cool”…
– “Je ne vais pas m’arrêter, je vais monter 4 Blowers (compresseurs) en place des deux. L’évolution de mon “Double-Trouble” sera au minimum de 1.400 chevaux toujours avec les deux V8 Ford de 4,6 litres en aluminium, équipés chacun de double arbres à cames en tête et de 32 soupapes. Au total, 9.600cc. Le châssis tubulaire de 1,5 pouce construit sur mesure et la suspension avant indépendante faite “maison” restera inchangée.
– “Quoi d’autre ?…
– “Il y aura, un double allumage Pro-Com, un radiateur double capacité personnalisé/réalisé par par “Griffin Thermal Products” et la transmission automatique Ford C5 à trois vitesses restera la même”…
L’année suivante je suis revenu à Henderson, NV. Pas loin de Las-Vegas et Gordon Tronson m’a reçu comme un Pape du Custom… Il s’est laissé aller à m’en raconter plus de sa vie, qu’il n’était ni ingénieur ni concepteur, simplement un gars de télécommunications qui a grandi en Nouvelle-Zélande. Une conversation à nouveau illuminée et déjantée !
Il était membre d’honneur du “Marineland Street Rod” et du “Kustom-Klub” lorsqu’il vivait en Nouvelle-Zélande. Gordon a tout construit là-bas, des vélos, des motos, des Hot-Rods et des dragsters. Egalement des choppers des bateaux à réaction, un maître en la matière. Il m’a dit que l’idée du “Double-Trouble” lui est venue après un voyage du style “Viva Las Vegas”, une convention de Hot-Rods :
– “Je voulais créer quelque chose de différent, quelque chose que personne d’autre n’a eu. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée de construire une voiture avec deux moteurs. Toutefois une voiture dans cette configuration n’était pas nouvelle. Dans les années ’50 et ’60, il en existait beaucoup. J’ai donc estimé que si les Américains pouvaient le faire, un Néo-Zélandais pouvait mieux faire encore.
– “Certains ont créés des bimoteurs en ligne, mais à mon sens cela rendait l’empattement trop long, la voiture n’est pas dans les bonnes proportions. De plus conduire des Hot-Rods à long empattement, ce n’est pas génial”…
– “Je sais que mon Hot-Rod a aussi ses défauts, j’avoue. Mettre le pied au plancher nécessite une très longue ligne droite, une piste ou un lac salé, là c’est on mouille son t’shirt et son slip mais c’est cool !”…
– “Quel est votre prix de vente ?”…
– “Oh, si vous voulez l’acheter, Patrice, vous allez devoir débourser un gros paquet de dollars d’argent. Mais en fait, je n’ai pas l’intention de vendre mon Hot-Rod. Je ne suis pas du genre à me reposer, j’ai réalisé une Harley-Davidson à quatre moteurs et une camionnette Ford Econoline de 1967 avec également quatre moteurs et, bien sûr, quatre blowers !
– “Que les américains aient la bonne habitude de coller un V8 à tout ce qui a des roues, ce n’est pas un scoop. Mais plus chtarbé que vous, Gordon Tronson, c’est pas facile à trouver, vous êtes un authentique fou furieux !
– “Je viens de réaliser une GT SSC, la Gordon Tronson Super Super Car… comme pour mon Hot-Rod, avec deux V8 pour 1.400 chevaux ! Vous aller adorer !
La folie est donc bien pire que ce que je pensais. Mais elle est aussi plus grave ! L’engin est délirant mais manifestement Gordon est plus inspiré par la technique que par le design, car le look de sa création est totalement mal dessiné ! Mais peu importe, elle est impressionnante et délirante !
Le projet de construire cette “chose” date de 2001 alors que Gordon passait son temps perdu en découpant une Corvette C5. Il a récupéré les trains roulants et l’habitacle avant de se demander quoi en faire. L’idée de la SSC… est donc une sorte d’hallucination qu’il a réalisé, enfermé dans son atelier en laissant divaguer son imagination, son talent, mais surtout sa disqueuse et son poste à souder !
Gordon avait en tête de créer une Supercar capable de damer le pion de Bugatti, Lamborghini, McLaren et autres, en fait son “machin” est dans l’esprit Hot-Rod, un Coupe-Rod carrossé. Toutefois, l’innovation est que les deux blocs longitudinaux ont été disposés en position centrale arrière !!!
Je vous passe les détails pour synchroniser ! Compliqué, mais ça fonctionne. Le look général est du style “Pas-bô”, c’est caricatural, loufoque, déjanté, pas pratique et inutilisable… La carrosserie est en polyester sur base de la Corvette C5. L’avant est quelconque, limite grotesque, relativement d’esprit Japonais.
A l’arrière, comme disent quelques grands esprits comiques : “C’est la fête du slip” ! Pensez bien que sous le capot en fibre de plastique, il y a de la calorie à revendre. Voilà, le reportage se termine dans la choucroute façon Californienne, avec de la sauce tomate en place de la moutarde…