Deuce Hotster Blower 572ci 1.000cv
Avec un V8 Hemi de 572ci et un Blower il n’y a rien de “petit” dans ce coupé Deuce, ni de simple ni de résistant. Les choses sont devenues incontrôlables lorsque Chris Thomas, le propriétaire Australien de cette balistique Deuce’32 à trois fenêtres, s’est lancé dans une virée shopping. Au moment où il a terminé, son chariot de caisse comprenait un bloc V8 en alliage Indy Maxx, des têtes Indy Legend, un villebrequin Callies, des bielles Ross, des arbres à cames à rouleaux Howards, un allumage MSD, une pompe Hampton 8/71 et ce qu’on nomme “une pelle de fusil de chasse” Hilborn convertie en EFI. Pour tout gâcher, Chris voulait qu’un spécialiste s’occupe de remonter le bloc moteur, alors il a frappé à la porte de Maurice Fabietti.
Entre la construction de blocs V8 Top Alcohol et Doorslammer les plus rapides d’Australie, Fabietti Race Engines a retravaillé le bloc V8 en alliage de 572ci et l’a rempli avec toutes les pièces que Chris Thomas avait minutieusement collectées. Une fois le moteur réglé (et 110 % du budget de construction initial explosé), le prochain défi était d’insérer l’éléphant dans le Hot Rod Ford’32. Comment ont-ils fait ? Ils ont utilisé un gros chausse-pied ? Le coupé a été étiré du capot, en avant de la cloison pare-feu, une technique courante pour donner à un’32 de meilleures proportions. Une fois les modifications de carrosserie finalisées (y compris l’ajout d’un réservoir de carburant encastré), Shane s’est mis à modifier la carrosserie pour la remettre en forme avant de la peindre.
Le petit tonneau monté à l’avant du radiateur et de la calandre n’est pas seulement pour le spectacle, il sert en fait de réservoir de trop-plein du radiateur. Compte tenu de la soif du Hemi, le réservoir de carburant de 70 litres monté dans le coffre donne au coupé une autonomie limitée à 150km soit 50L aux 100kms… Avec plus de 1000 chevaux à gérer, la transmission devait être aussi costaude que possible. À cette fin, un Neal Racing Powerglide avec un convertisseur de décrochage TCE de 10 pouces à 3800 tr/min est relié à un Currie à 35 cannelures de neuf pouces par un arbre de queue de quatre pouces avec des étriers en billette à chaque extrémité. La largeur du V8 Hemi a fait de la fabrication un cauchemar.
Le freinage est plus ou moins assuré par des disques ventilés et des étriers Wilwood à quatre pistons actionnés par un combo maître-cylindre/booster Wilwood qui est caché sous le tableau de bord. Minimaliste et élégant sont des termes qui décrivent l’intérieur spartiate : baquets de course fixes, harnais à quatre points, colonne pliable, simple gamme de compteurs, manivelles de fenêtre et poignées de porte de la série Lokar Lakester, interrupteurs à tout faire pour parler de tout cela… C’est à peu près tout. Simple et hygiénique. Notez le traitement “perforé” le long du haut des portes et les accessoires intérieurs noirs. Les instruments de la série Auto Meter Carbon Fiber aident à garder un œil sur les signes vitaux.
À l’aide de coutures lisses, de dizaines d’œillets noirs ronds et de plusieurs peaux de vache teintes au sang de bœuf, Mick Carter de Mick’s Custom Interiors a réalisé l’élégant intérieur. Les sièges de course RCI moulés par injection sont normalement équipés de supports coulissants, mais le haut de la caboche de Chris (le propriétaire du Hot Rod) touchait le toit et ont été boulonnés directement au plancher en fonction de la taille/gabarit du propriétaire (L’arceau de sécurité est tout sauf de la décoration). le Big Bloc Hémi produisant suffisamment de couple pour tordre le châssis comme un bretzel., l’installation d’une cage renforcée nécessitait une réflexion pour que tout se boulonne à l’aide de coupleurs de tubes à emboîtement conformes aux spécifications NHRA.
La cage s’étend de la cloison pare-feu, jusque dans le coffre. Typiquement, les Hot Rod’s avec de supers gros et monstrueux pneus arrière se conduisent comme un cochon vers l’abattoir. “Normalement, les pneus dandinent, les fesses commencent à bouger, et la passagère devient moite car cela la fait jouir” m’a expliqué Chris… Partir en voyage avec un tel monstre est une aventure palpitante… Les pannes fréquentes ponctuent l’avancée cahotante sur les routes. Ce sont de nouveaux engrenages qui se mettent en mouvement dans la perception nouvelle des distances et des reliefs. La bête permet la liberté mais détermine, comme une manière nouvelle de rentrer en contact avec les populations rencontrées.
La route fait d’eux des nomades d’un genre outillé : car cette relation utilise également le Hot Rod comme une clef dans la mécanique des voyages. C’est une machine, infernale sans aucun doute, mais quel instrument d’analyse qui fait découvrir le vrai visage de la terre. Les routes, en effet, durant des siècles, nous ont trompés. Ainsi, chemine t’on le long des routes sinueuses. Elles évitent les terres stériles, les rocs, les sables, elles épousent les besoins de l’homme. Elles conduisent de villages à d’autres village et si (on est en Australie) on s’aventure à franchir un désert, on doit faire vingt détours pour se réjouir des oasis. Saint-Exupéry faisait l’éloge de l’avion, dans “Terre des hommes” mais je devrais en faire de même concernant les Hot Rod’s…
Beaucoup a été écrit sur l’art de voyager. L’expression est empruntée à Baudelaire : “Le Voyage”... Un Hot Rod impose le dénuement par son exiguïté et la patience par sa consommation due aux performances qui paraissent illimitées, mais obligent à refaire le plein tous les 150kms, ce qui en Australie est un casse tête car on ne sait pas emporter de réserve d’essence, sinon se faire escorter par une camionnette destinée à transporter 500 litres et un outillage compet ainsi qu’un mécanicien compétent. Toutes choses qui coutent un max d’argent… Conçu pour dépasser 300 km à l’heure, la réalité oblige a rouler à 120km/h pour réussir a avoir une autonomie en fonction des 50L aux 100kms, ce qui rend les déplacements épuisants, physiquement et moralement.
Sauf à devoir transporter le Hot Rod sur une remorque ce qui est poussif dans les montées, quoiqu’en Australie tout est désespérément plat… Mieux est donc de rouler à 100 km/h et flâner, ce qui permet paradoxalement le luxe conjugué de l’aventure et de la lenteur pour que s’ordonnent des idées éparses, pour que de vagues tendances se cristallisent en un plan évasif façon “Routes et déroutes”... Le programme est de la sorte fort vague, mais dans de pareilles affaires, l’essentiel est de revenir en vie… Par la vitesse obligée finalement très réduite, le voyage relève nécessairement d’une musardise sur les routes et détermine un certain regard : “C’est le voyage qui vous fait, et vous défait, ou plutôt vous démonte et vous remonte comme les pièces d’un Meccano géant” .
En outre l’usage d’un Hot Rod, dans un voyage, contredit en fait toutes les qualités supposées d’un tel engin, au profit d’une obligation viatique toute autre cheminant à toute petite allure visant à donner l’impression d’une impulsion initiale donnée incidemment à un projet impromptu que la fatigue assombrit… Comme l’écrivait un poète “les projets des hommes parfois n’aboutissent pas si ce n’est a parcourir une voie cruelle”... Un Hot Rod n’est pas d’une fiabilité idéale pour ce genre d’expédition issu d’une illusion cuite et recuite depuis longtemps, consistant à passer des journées et nuitées à travailler avec un mécanicien qui connait la mécanique du Hot Rod jusqu’au dernier boulon, ses bruits et borborygmes, ses faiblesses et ses besoins.
De sorte que la vie passe par cette sollicitude jusqu’à l’attention inquiète aux bruits du moteur… Il est alors possible de vivre cette “promenade en Australie” comme le récit d’une suite de pannes et de réparations dont le Hot Rod a été l’objet ; protagoniste à part entière, son bon fonctionnement ou ses défaillances lui assignant le rôle essentiel d’adjuvant ou d’opposant… Un entretien “normal” relève déjà de la mécanique. Impossible de savoir d’où viennent les ahuris, les donneurs de conseils, les aimables, les vieillards en pantoufles qui fouillent leurs poches et nous tendent un canif ou un bout de toile d’émeri pour aider à notre travail de réparations et de “refueling”... Malgré ces soins, les pannes sont fréquentes.
Toute une soirée, l’équipe a travaillé avec deux chauffeurs de camion bénévoles à réparer l’allumage qui ne donnait plus. À minuit, c’était fait et la voiture tirait comme un tracteur, loin de tout, sans possibilité de trouver des pièces de rechange. Lorsqu’un camionneur appelé en consultation a relevé la tête et a murmuré quelque chose en dialecte aborigène, cela ne signifiait pas nécessairement que le moteur était “out” mais cela voulait assurément dire que, quelque part dans la voiture, dans un recoin inaccessible, dans un bobinage invisible, un fil s’était dégarni de son isolant, ou qu’un petit contact avait fondu au cœur d’un appareil bien fermé, tel qu’on n’en ouvre jamais et que tous les projets étaient remis, notre itinéraire différé… et pour combien de temps ?
Cela voulait dire : défaire tout, sortir la batterie, travailler sous un soleil terrible puisqu’il n’y a ici aucun moyen de se mettre à l’ombre, chercher des courts-circuits dissimulés, manier dans un éblouissement total des vis grosses comme des rognures d’ongle, qui vous échappent, qui tombent dans le sable brûlant et qu’on cherche interminablement à quatre pattes parce qu’on n’en trouve de pareilles qu’en Californie de l’autre coté de l’Océan pacifique. Bref, les mécaniques sophistiquées, le progrès : Pfffffffff ! Mais on mesure mal la dépendance, et quand elle vous lâche, on est moins bien partagé que ceux qui croyaient à utiliser une Jeep voire une Land Rover Australienne…
Les pannes et les ennuis automobiles sont le pendant exact des maladies qui frappent régulièrement les humains. Mais dans certains, l’anatomie morcelée compose un tableau où la confusion est entretenue entre hommes et le Hot Rod. Puis le jour se lève et le temps ralentit, on a faim, on mâche sans l’avaler un morceau de pain retrouvé dans les outils. Vers midi les freins, les crânes, le moteur chauffent… Le Hot Rod devient une sorte de centaure bicéphale. La voiture continue d’avancer toute seule… Le tableau ne manque pas de cocasserie… D’une manière générale, la progression est lente, comme si les routes Australiennes elles-mêmes n’étaient pas conçues pour des Hot Rod’s. Il y a bel et bien des routes en Australie.
Mais il faut convenir qu’elles pourraient être meilleures, le passage des camions tractant jusqu’à 8 remorques les transforment en chemins creux. Deux ornières profondes et, au milieu, un remblai de moellons… En désespoir de cause, la voiture devient même une espèce de tortue poétique à moteur mise en abyme par la traversée d’un vaste territoire. Le pont arrière a finalement pété. Remorqué jusqu’au garage ou il avait été fabriqué ont commencé les réparations. Un acheteur est venu pour l’acheter (sic !) au tiers du prix que le Hot Rod avait couté. Ça s’est fait en une matinée. Il se trouve, que deux mois plus tard, dans des dispositions dépressives qui se doublent manifestement de regrets que l’acquéreur regrettait déjà et proposait une annulation…
La mentalité des Hot Rodder’s se manifeste dans la considération des travaux de mécanique, nécessitant de l’astuce, de l’inventivité, de solides qualités qui montrent la différence avec la prétention où l’on use les machines jusqu’à la ruine sans souci de les revendre, toutefois les garagistes ignorent ce répertoire de mimiques consternées ou méprisantes qui font honte au propriétaire d’un “clou” et l’obligent à acheter du neuf. Les vrais Hot Rodder’s sont des artisans, pas des vendeurs. Une culasse éclatée, un arbre à cames en miettes, un carter rempli d’une sorte de farine d’acier ; il en faut plus pour les troubler. Les parties saines : phares, portes qui ferment, châssis solide, les impressionnent davantage ; quant aux autres, eh bien, précisément ils sont là pour les réparer.
Les tacots les plus rebutants, ils les démontent, les renforcent avec des pièces arrachées aux camions, les transforment. C’est un travail d’improvisation admirable, jamais pareil. Parfois, ils signent à coups de tournevis un rapiéçage particulièrement réussi. On ne s’ennuie pas, on gagne bien ; en soudant, en ajustant. Cela vous fait des gens éclairés et portés sur le rire. Impossible de travailler avec eux sans s’en faire des amis. Nombre des hommes qu’ils rencontrent sont également des Hot Rodder’s. Aussi se trouvent-ils d’emblée en pays de connaissance par cette commune connaissance, qui ne nécessite pas de parler la même langue pour communiquer. C’est aussi ce qui explique que chez les sédentaires, la mécanique puisse prendre des allures de réception.
Une amitié brève mais empathique permet de surmonter toutes les différences, autour d’un Hot Rod, la mécanique devenant une autre manière de faire de l’ethnographie et de créer des liens, tricoter des réseaux de connaissances inattendues qui maillent l’altérité et permettent de constituer ainsi un véritable réseau mécanique qui met à l’abri de bien des pépins. Le Hot Rod devient le truchement qui facilite la prise de contact, corollaire du constat culturel que les personnes croisées au-delà des frontières sont des hommes. Ces rencontres sont aussi liées au fait qu’un Hot Rod n’est absolument pas un objet ordinaire et qu’il suscite curiosité et envie. Pour écrire cela, il faut avoir vu beaucoup d’hommes et de choses, il faut connaître les bêtes et bien entendu des Hot Rod’s.
Il faut pouvoir se remémorer des routes dans des contrées inconnues, des rencontres inattendues et les adieux aux beautés sexuelles de passage de nuits de voyage qui vous emportent dans les cieux et se dissipent parmi les étoiles. Cette belle invitation à l’écriture n’est cependant pas calligraphiée à la mesure des espérances, transformant parfois l’élan poétique en exhibition d’un goût douteux, et le voyageur/écrivain en homme-sandwich. À mon retour, il s’est trouvé beaucoup de gens qui n’étaient pas partis, pour me dire qu’avec un peu de fantaisie et de concentration ils voyageaient tout aussi bien sans lever le cul de leur chaise en me lisant… Je les crois volontiers. Ce sont des forts. Pas moi. J’ai trop besoin de cet appoint concret qu’est le déplacement dans l’espace….
J’ajoute qu’heureusement d’ailleurs que le monde s’étend pour les faibles et les supporte… Comment rester serein dans un monde incertain, où nous sommes voués à divers malheurs ? C’est très simple. Il suffit de distinguer ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Nous avons un certain pouvoir sur nos pensées, nos désirs, notre imagination. Nous pouvons nous raisonner, nous calmer, nous forcer à ne pas viser l’impossible. Mais face à des événements extérieurs, comme la mort d’un proche ou un tremblement de terre, nous ne pouvons rien. Alors contrôlons notre esprit pour ne pas être débordés par nos passions. Et ne nous affligeons pas des événements sur lesquels nous n’avons pas de contrôle. En plus d’avoir tout compris, nous serons heureux.
2 commentaires
Mon très cher Maître,
Entre deux combats juridiques et immobiliers, j’ai pris grand plaisir à lire cet article. Il m’a permis d’imaginer un moment de recueillement, seul au volant de ce hot rod, parcourant une route déserte en Australie, jusqu’à ce qu’une panne ne survienne, qui serait alors résolue par la solidarité et l’entraide, justifiées par une passion automobile commune. Hélas, certains idéaux sont souvent mis à mal par la réalité.
Je tâcherai d’être davantage présent à l’avenir, car il est indéniablement plus gratifiant de vous écrire que de me perdre dans les futilités juridiques qui ont justifié mon absence ces dernières semaines. Cela dit, vos écrits m’inspirent ténacité et indépendance d’esprit.
Avec mes sincères remerciements,
A peine publié ce matin du vendredi 11 octobre 2024, que vous y répondez, merci et bravos ininterrompus d’une minute en reconnaissance. Inutile d’aller si loin pour une balade en Hot Rod dans le Bush Australien en compagnie de kangourous boxeurs et de bestioles dangereuses qui n’existent que sur ce continent. Entre soucis familiaux (divorce ?) prédateurs immobiliers, notaire falsificateur, raréfaction des clients (meurent-ils tant ou déménagent-ils ?) et batailles d’impositions, vous me paraissez mal en point et il m’incombe de vous ausculter psychiquement et psychologiquement afin de vous regonfler le moral, vos capacités sexuelles et vos actifs tous mis à mal, et vous éviter de sombrer dans la dépression… Je vous prescrit une demi-douzaine de doses de lecture des chroniques de GatsbyOnline/ChromesFlammes/SecretsInterdits chaque soirée an place des fake-news abrutissantes de LCI et BFMTivi. Je vous déconseille de tomber à nouveau en amoures pour éviter une rechute et une nouvelle perte financière. Ceci faisant suite à votre diagnostictictic, je vous avoue être moi-même toujours en prise avec les affres judiaires concernant le vol de ma LéaFrancis…