Eric Clapton Ford Coupe’32 by Brizio
J’attendais depuis longtemps. Je suis allé le voir. Il a une propriété en face de chez moi, à Sainte-Maxime, c’est toutefois de l’autre coté du Golf de St-Tropez… Il a dépassé mes attentes. A peine a-t-il commencé à jouer, j’ai pleuré… L’émotion… Parce que le temps qui passe m’a fichu le blues ! Ou tout simplement l’émotion absolue ? C’est ça, en effet… Ce que j’ai vécu, avec… avec… avec… tout, lui, son Hot Rod, ses objets et ses ombres, c’est inracontable. Pas plus que mes larmes soudaines, mes yeux brillants, gavés de l’essence des plus intenses pleurs de la terre et des étoiles, la nuit, lorsque les corps se meuvent. Merci de m’avoir défini la musique, de m’avoir conté la vie qui s’écoule… Et si votre humilité vous empêche encore de vous l’avouer, c’est pas grave ni important.
Quoique les vagues sont comme les foules, sournoises, omniprésentes, dont il faut calmer les excès, à tout prix sous peine de voir les valeurs séculaires de la civilisation occidentale balayées soudainement… Flou et ubiquité, deux qualités essentielles pour obtenir un ennemi qui catalyse toutes les peurs et les violences de populations avides d’exutoires. Malgré la puissance potentielle de ce qui ébranle le globe, les masses qui l’habitent semblant donc n’en tirer aucune conclusion particulière, aucune ébauche de contestation des forces qui l’ont provoquée, aucune interrogation quelconque. À quelques nuances et quelques exceptions près, le monde, et plus spécifiquement l’Occident qui le domine encore à tous les niveaux, s’engourdissent paisiblement.
Mais à mesure que les vies s’enfoncent dans le passé. Ceux qui malgré tout ne s’accommodent pas d’une réalité inchangée, parcourue d’idéologies identiques à celles qui conduisent aux l’affrontements apocalyptiques se heurtent à des obstacles proportionnellement redoutables. L’entrain artificiel d’un monde prétendument neuf ne fait pas systématiquement recette, et une certaine frange de la population semble y être plus spécialement insensible, à savoir celle dont la jeunesse a été longuement immergée dans la guerre. Nés chacun à une extrémité des années’20, Jack Kerouac et Nicolas Bouvier sont dans ce cas : La vraie guerre, atroce, imbécile, insoutenable leur est tombée dessus à un moment d’innocence relative dans leur existence.
Sans qu’elle les ait forcément touchés de très près, Kerouac y a quand même perdu son meilleur ami de l’époque, ils étaient alors peut-être plus à même d’en percevoir l’aspect fondamentalement insensé et détestable, moins concernés aussi par les raisons ou les excuses qu’on pouvait lui trouver. Conjectures, bien sûr, mais il n’en demeure pas moins que tous deux s’insèrent dans une certaine génération, au sens large, qui a pour dénominateur commun une volonté plus ou moins explicite, plus ou moins affirmée, de s’extraire des modèles étouffants qu’on leur assigne. Cette tendance à l’émancipation a toujours et partout existé, ce n’est rien de très neuf ; mais elle est renforcée par ce contexte singulier qui fait vaciller brièvement les certitudes ancrées.
Elle en autorise aussi une remise en question plus complète. Les valeurs sur lesquelles reposent les sociétés européennes ou américaines paraissent donc bien affaiblies et insuffisantes pour justifier les mille variantes de mises à morts toujours recommencées qui se sont jouées sous les yeux des jeunes gens. Le mal est fait, en quelque sorte : on n’y croit plus, le sens d’une vie au sein d’un système capable de produire de telles boucheries ne s’impose plus, il faut donc chercher ailleurs de quoi soutenir son existence. Ailleurs mental ou ailleurs physique, peu importe : mais il faut s’engouffrer dans cette brèche avant qu’elle ne se referme, sous peine de vivre dans le prolongement direct de la violence inouïe et sans objet, dont on a été le témoin.
Et ce, sans avoir le désir profond de trouver quelque chose de valable au sein du monde tout juste convalescent. Pour risquer un chiasme facile, on pourrait avancer que le pourquoi de la quête, c’est la quête du pourquoi : le pourquoi vivre, la quête d’un sens réel, non idéologique, non matérialiste, non soumis aux exigences mortelles, littéralement ou métaphoriquement, du système capitaliste, d’un sens qui justifierait intrinsèquement, immédiatement, le simple fait de respirer. Les voyageurs, les Hot Rodders aussi, partent donc, cherchant toujours et trouvant parfois, quelque chose d’impalpable le long d’une route alternativement exaltante et désespérante… Puis le temps du récit arrive.
Sans entrer dans les détails de l’usage du monde, quelques remarques générales peuvent donner un aperçu des influences qui les travaillent, ainsi que de la façon dont chaque voyageur revêt les atours de l’écrivain pour raconter ses aventures, certaines références communes importantes en matière d’écriture, en plus d’autres plus personnelles, plus spécifiques à leur environnement culturel. Il faut citer en premier lieu Louis-Ferdinand Céline, dont l’ombre ne cesse d’envahir chaque texte. L’écrivain de l’entre-deux guerres n’est pas devenu cette figure récurrente par hasard. Il existe en effet, d’une génération à l’autre, une forme de filiation qu’on peut aisément rapporter à deux situations historiques similaires.
Céline est le personnage d’un entre deux guerres, le produit involontaire d’un conflit dont “Voyage au bout de la nuit”, son chef-d’oeuvre absolu, met la barbarie en exergue. On trouve dans ce roman la description d’un affrontement traumatisant comme point de départ d’une remise en question globale des conditions qui l’ont permis, une problématisation de l’apparition de la quête existentielle qui tente de remplir le vide béant laissé par la décrédibilisation des idéologies, la confrontation de l’être humain avec une mort implacable dont le caractère aussi injustifié que définitif ne peut manquer de susciter le doute et la révolte. D’une manière plus explicite, qui tient probablement à l’expérience plus directe de la guerre par le narrateur, le même processus s’enclenche…
Ensuite, le désir de fuite devient irrépressible. Ce n’est donc pas un hasard si je suis si sensible a ses écrits et aux figures qu’il y emploie. Céline n’est bien entendu pas l’unique référence. Les autres figures déterminantes au niveau de l’expression comme au niveau de la réflexion sont nombreuses : Proust, Rimbaud, Lautréamont sont notamment dévorés. Mais Céline est aussi doté d’un héritage littéraire proprement américain, au panthéon duquel se trouvent Whitman, Thoreau, Steinbeck, Thomas Wolfe… Le vaste territoire des États-Unis génère en effet une mythologie bien particulière de la nature, de l’espace à conquérir et des frontières qu’on repousse pour lire Henri Michaux, Charles-Albert Cingria, Ella Maillart, Albert Cohen, Joseph Arthur de Gobineau…
Ils instillent un désir d’ailleurs, qu’on croirait de nulle part, sans exclure toutefois les œuvres d’auteurs plus exotiques, et notamment américains, comme James Curwood, Fenimore Cooper, Ralph Waldo Emerson ou Henry Miller. L’Usage du monde en est traversé de part en part. Au final, le tableau succinct des références paraît bien hétéroclite et incomplet, mais il n’en compose pas moins une fresque articulée autour d’éléments significatifs. La prédilection pour des écrivains à la dérive, eux-mêmes volontairement ou involontairement déracinés, pétris de diversité et, en fin de compte, possédés d’une soif de véracité, d’authenticité ou d’affranchissement semblable. Tout cela pénètre et conditionne chaque écrivain.
Savoir ce qui intervient en premier lieu, la lecture qui suscite la réflexion ou vice-versa, est impossible ; toujours est-il qu’au moment d’écrire, et parfois lors du voyage lui-même, les références enfouies refont surface, mêlant inextricablement leur souffle propre à celui de l’auteur. C’est un cas clair de cause à effet… La musique jouée par les artistes américains de rhythm and blues a trouvé son chemin vers l’Angleterre, puis le R&B est revenu aux États-Unis sous la forme d’un tout nouveau style de rock and roll. Pour tous ceux qui ont grandi aux États-Unis pendant l’invasion britannique du milieu des années’60, les influences que les musiciens de rock and roll américains ont adoptées des Anglais sont assez faciles à entendre dans leur musique.
Mais quelqu’un a-t-il jamais remarqué les effets de la musique rock and roll américaine sur les musiciens anglais pendant cette période ? Deux événements historiques se sont produits en octobre 1963, les Beach Boys ont sorti “Little Deuce Coupe” et Eric Clapton a rejoint les Yardbirds… En 1965, l’invasion britannique battait son plein, et le 25 mars 1965, le même jour où les Yardbirds sortaient “For Your Love”, Eric Clapton quittait le groupe de rock et rejoignait rapidement les BluesBreakers de John Mayall. Un fait peu connu ; en même temps qu’Eric Clapton rejoignait John Mayall pour aider à déclencher le boom du blues britannique de la fin des années’60 : Crawdaddy Bob’s Electric Accordion Apocalypse, un groupe de blues cajun, a coupé “Goose Le Deuce”…
C’était un album rempli de chansons de voitures à plein régime optimistes qui n’ont pas bénéficié de beaucoup de temps d’antenne aux États-Unis, mais qui, étrangement, ont été facilement découverts sur les étagères du magasin de disques phare HMV (His Master’s Voice) sur Oxford Street à Londres… Je n’ai pas plus interviewé Eric Clapton… Je ne peux donc pas parler de ce qui a influencé son affection pour le coupé Deuce, ou les Hot Rods en général, mais j’ai discuté avec Roy Brizio de sa construction la plus récente dans une série de voitures qu’il a construites pour Eric Clapton. En commençant par le châssis arrivé d’American Stamping à Olive Branch, dans le Mississippi, via un centre d’expédition de Memphis, dans le Tennessee.
Tous ont atteint Roy Brizio Street Rods dans le sud de San Francisco, prêts pour les étapes sur mesure. Pour ce qui est du ’32 noir ici illustré d’Eric Clapton, à l’avant de la traverse centrale tubulaire Brizio fabriquée sur mesure, la suspension avant est l’IFS de Kugel Komponents avec une barre antiroulis Kugel. Les caractéristiques modernes de direction rapide sont obtenues grâce à une direction à crémaillère guidée par un volant à jante en bois Nardi au sommet d’une colonne inclinable iddit. Les pédales de Pete & Jake poussent un maître-cylindre Wilwood à travers des lignes en acier inoxydable poli. Les freins à disque avant sont des Wilwood. La configuration Kugel IRS avec freins à disque intérieurs dispose d’un différentiel Strange de 9 pouces en 3,70 et glissement limité.
Pour les pneus et les jantes boulonnées à l’avant 15×6 E-T Sebring à lèvre polie avec un espace arrière de 3 pouces, sont chaussées de radiaux Firestone P195/65R15. Les galets arrière sont des jantes boulonnées 17×7 E-T Sebring avec un espace arrière de 3 pouces insérés dans une paire de gros radiaux Firestone P235/70/R17. La carrosserie à trois fenêtres en acier du coupé Deuce d’Eric Clapton est une Brookville avec une “côtelette” de 3 1/2 pouces tranchée par les artisans de Brizio : Jack Stratton et Andrik Albor. Après le Top-Chop supérieur, une feuille d’acier a été façonnée pour se conformer et soudée pour remplir le toit. Le capot en alu de Jack Hagemann est doté d’une coque de radiateur Brookville insérée dans une grille en inox Dan Fink.
Dans la lignée de ce que doit être un 1932, la seule année où Ford a utilisé les longerons de châssis extérieurs comme élément de conception, le réservoir d’essence de 14 gallons de style original reproduit par Tanks Inc. poursuit le thème des pièces exposées d’Henry Ford à l’arrière. Une fois le coupé d’Eric Clapton entièrement assemblé en métal nu, le Hot Rod a été envoyé à Dan Laughlin Customs à Anderson, en Californie, pour la finition finale du métal, les écarts et la préparation de la peinture. Ensuite, Eric Sanderson, le peintre de Dan Laughlin Customs, a peint le Hot Rod Deuce avec de la peinture BASF Glasurit. Joe chez Joe Compani Color à Hayward, en Californie, a peint le châssis, le moteur et toutes les pièces auxiliaires en utilisant la même peinture.
Les éléments extérieurs essentiels à la légalité de la route comprennent les phares et les rétroviseurs de SO-CAL, les feux de frein/arrière de Johnson’s Rod Shop et les pare-chocs de Bob Drake Reproductions de Grants Pass, Oregon. Tous les chromes de qualité spectacle du coupé ont été plaqués par Sherm’s Custom Plating à Sacramento, en Californie. Voilà, vous en connaissez maintenant autant que moi concernant la carrosserie… Je passe au moteur… La puissance nécessaire pour pousser le coupé à trois fenêtres provient d’un moteur Ford de 402ci construit par Roush Performance de Livonia, Michigan. Le V8 Ford est conçu comme un moilin performant disposant d’un carburateur Edelbrock de 650 cfm sur un collecteur d’admission Edelbrock-Roush.
L’étincelle provient de l’allumage MSD transmis par des fils Taylor aux bougies. Pour l’échappement, les collecteurs Sanderson de 1 1/2 pouce de diamètre se déversent dans un système d’échappement personnalisé de 2 1/4 pouces réalisé par Jack Stratton de Brizio. Pour faire taire la note d’échappement du 402ci, une paire de silencieux Turbo Tone Stainless Steel Specialties font le job…. Le système d’échappement complet a reçu un revêtement en céramique chez Sanderson. Une came à rouleaux hydrauliques Roush synchronisée avec un villebrequin en acier forgé et des pistons forgés. La puissance est évaluée à 375 chevaux. Les vrais Hot Rods ont trois pédales car n’utilisent qu’une boite manuelle… et le coupé d’Eric Clapton ne fait pas exception.
De plus un arbre de transmission venant de San Leandro, en Californie, relie une transmission à cinq vitesses Tremec TKO 600 équipée d’un levier de vitesses Lokar avec une surmultiplication de 0,64 à la cinquième vitesse. Le système de refroidissement se compose d’un radiateur Walker en laiton et à ailettes en cuivre avec une pompe à eau Ford d’origine assistée d’un ventilateur électrique Cooling Components. Un alternateur Powermaster à ampérage élevé achemine le jus de 12 V à travers un faisceau de câbles personnalisé de Jim Vickery pour répondre à toutes les demandes électriques. En regardant à travers un pare-brise et une vitre homologués DOT de Bob’s Classic Auto Glass de Blachly, dans l’Oregon, on découvre l’aménagement intérieur.
L’hydrographie en loupe de noyer sur le tableau de bord et les garnitures de fenêtre de Juliano’s ajoute la qualité distinctive des voitures de luxe anglaises. Situé à Santa Clara, en Californie, Sid Chavers a construit la banquette et tapissé le coupé à l’aide de peaux de cuir pleine fleur Ferrari Beige Tradizione provenant directement de Ferrari, grâce aux liens étroits d’Eric Clapton avec l’usine. La moquette reliée en Tradizione beige est en laine fine à poils coupés Wilton avec insonorisation Dynamat en dessous. Moal Hide-a-Vents dirige la climatisation glacée Vintage Air sans “disponsicabilité”…
Et un sextuor de Classic Instruments fournit une instrumentation complète, tandis que le plateau d’emballage recouvert de cuir abrite l’unité principale Kenwood installée par Sid Chavers Company de concert avec des haut-parleurs Pioneer dissimulés et un amplificateur Soundstream ; Remarque : il n’y a aucun panneaux de protection perforés. Le coupé Ford ’32 d’Eric Clapton construit par Brizio a fait ses débuts au Grand National Roadster Show 2016 à Pomona, en Californie, et n’a cessé de rouler et de culbuter depuis… J’en ai terminé… Vous connaissez maintenant tout ce qui était nécessaire, quoique je suis quasi certain que vous n’en ferez pas grand chose sinon rien, pas même re-écouter Eric Clapton… Pffffffffffffffff !