Hot Roadster HiBoy’32 462ci /89.000$
Le corps poisseux d’amour, je me suis éveillé un matin, le bigorneau encore englué dans les muqueuses entrebâillées d’une soupirante indolente… En m’extrayant péniblement du gastéropode humain où je bandais mou, j’ai tenté de reprendre une quelconque consistance, soudain alarmé par la montre coulante de mes obligations professionnelles. J’avais rendez-vous avec Bill Jarry, un génie autoproclamé, désireux de me vendre son Hot Rod blanc…
J’ai enfilé mes frusques négligemment abandonnées sur le parquet flottant et dégusté sans conviction une panade de temps à parapluie, puis je me suis fondu au dehors, tombant là sur une vieille limace dont la poignée de main, sans plus de teneur qu’à l’ordinaire, semblait me couler entre les doigts. Le pas ralenti par mes semelles gélatineuses trop adhérentes sur le trottoir humide, je suis arrivé en nage devant ce Hot Rod blanc…
Les lignes fuyantes m’évoquaient une baleine échouée à même le pavé. Sur les caractéristiques et les manifestes des mouvements avant-garde, devoir surpasser la machine pour survivre dans un monde technologique est la norme. Bill Jarry son propriétaire était un des premiers à reconnaître et à accepter la valeur purement esthétique et artistique de tout Hot Rod en ce compris le sien.
C’est parce qu’il admire la vitesse et le dynamisme des machines qu’il se rapproche de l’esthétique des futuristes. Comme eux, il intègre la technique dans la littérature et place la machine au centre de l’esthétique. Chez lui, machine et technique remplacent les thèmes traditionnels comme la ‘femme’, ‘l’amour’ et ‘la baise’... car ‘seule la vitesse compte, bien au delà du soi-disant dynamisme de la société’...
Ce n’est pas tout. Il a écrit il y a longtemps un roman visionnaire dans lequel il formulait ‘le nouveau mythe du surhomme Hot Rodder’ qui devait légitimer l’avènement de la société industrielle. Le roman étant constitué par la théogonie d’une créature mécanique, un être ‘métahumain’ s’envolant dans l’espace pour détrôner le soleil comme maître du cosmos, en quittant toute dimension humaine…
C’est-à-dire qu’en en se libérant des faiblesses de la chair et de la mort, grâce à sa propre assimilation à la machine, l’homme pourrait réaliser son rêve prométhéen et devenir ‘métahumain’ s’assimilant à une machine, en l’occurrence, un Hot Rod blanc. Il avait donc formulé l’idée d’un surhomme s’assimilant à un Hot Rod blanc nommé ‘Machine’, un hybride qui serait ‘le premier de l’avenir’… Pourtant, l’échec planait, oppressant…
Le fait que ses idées étaient exprimées dans le vague, désorientait, car en croyant avoir vu ‘l’Impossible’, il reconnaissait les limites et le ridicule de pareilles idées qui continuaient pourtant à lui apparaitre comme un véritable idéal pour l’avenir. L’aspect politique, très présent, amenant simultanément dans sa tête une rupture avec le passé et le présent, mêlés… et c’est l’exaltation du futur, qui lui apparaissait cruciale…
Il continuait dès-lors à proposer invariablement son programme esthétique mais politiquement totalitaire pour la société future dans laquelle ‘la machine’ restait centrale, alors que cette dimension idéologique manquait de profondeur… Certes, machine, dynamisme, vitesse, sensualité, ces aspects se retrouvaient, mais il ne proposait pas une doctrine politique, sociale ou artistique qui corrigeait les erreurs de base.
Au contraire, chez lui toutes sortes de doctrines passaient en revue par rapport ‘à la machine’… Mais elles étaient toutes remises sans cesse en questions sans réponses, d’une façon ou d’une autre avec le rejet, non seulement du passé, mais aussi d’un futur hypothétique, comprenant le rejet radical de tout système, interférant avec l’usage constant des paradoxes. Sa philosophie pataphysique n’était qu’une résurgence d’un Dadaïsme ne proposant que de l’imaginaires…
Pis, cela rejetait tout système et toute codification possible en ne prenant comme seule vérité que l’exception… Les dadaïstes transforment eux-aussi des objets quotidiens tirés de leur contexte et parfois un petit peu présentés comme étant des œuvres d’art. Les ‘ready-mades’, comme la ‘roue de la bicyclette’ de Duchamp, ressemblent ‘aux machines’ de Bill Jarry, dont la fameuse ‘Machine à inspirer l’amour’ ne peut être vue comme rien d’autre qu’un grand ‘collage’ …
Celui des des différents éléments hétérogènes qui ensemble forment un objet tout à fait imaginaire. Les dadaïstes étaient très conscients des codes qui régissaient tous les domaines de la vie des individus, y compris l’art, et ils essayaient de chercher une liberté absolue pour l’individu qui devait redéfinir et rétablir son rapport avec le monde, en cherchant avant tout un rapport ludique entre l’individu et le monde qui l’entoure… Vaste domaine…
L’attitude de Bill Jarry envers ‘la machine’ se qualifie aussi comme ludique… Je lui ai donc ainsi parlé de ‘la machine textuelle’ ou narrative car elle me tourne en tête, établissant un lien entre la fréquence du thème de cette ‘machine’ et l’innovation narrative d’époques révolues. ‘La machine’ se trouve en effet chez lui sur un niveau tellement excentrique, bizarre et original que toute interprétation idéologique devient impossible… On tombe dans le surréalisme…
Ce que les mouvements avant-gardistes ont en commun, c’est qu’ils voient dans les développements techniques et dans ‘la machine’ de Bill Jarry, une source de matériel artistique, là ou les futuristes voient dans le dynamisme des ‘machines’ un exemple pour un art également dynamique, alors que les dadaïstes utilisent des objets techniques, des ‘ready-mades’ comme objets d’art, et cela continue chez les surréalistes qui ont leurs ‘objets trouvés’.
Cependant, contrairement au Dadaïsme, le surréalisme ne propose pas une révolution artistique totale, valorisant surtout l’aspect esthétique des ‘machines’ qui ne sont que des Hot Rods de loisirs interprétés comme des oeuvres d’art… Chez Bill Jarry on retrouve cette même valorisation esthétique qui tend à l’idée d’une survalorisation à but lucratif au nom ‘de l’art’… en les tirant hors de leur environnement quotidien pour en faire de l’art..
Dans cette mouvance, les ‘objets trouvés’ surréalistes transmettent quelque chose à l’artiste : des souvenirs, des rêves, des fantasmes, et ainsi de suite. Ce sont des machiavélismes ayant pour but de survaloriser des objets de même manière que les objets techniques figurant dans les peintures de Dalí qui représentent les fantasmes de l’inconscient. ‘La machine’ n’est qu’une métaphore pour le procédé et le mécanisme de l’art.
C’est comme ‘la machine à peindre’, métaphore pour le caractère éternel et, sous une certaine lumière du moins, répétitif et mécanique du travail artistique. Contrairement aux Dadaïstes, qui prennent un objet technique comme un objet d’art pour se révolter contre l’Art en général, et qui n’acceptent aucun sens ni interprétation, les surréalistes, ainsi que Bill Jarry, se servent de la machine pour symboliser des obsessions personnelles et en tirer profit.
Dans ‘la machine’ se rassemblent le rêve et la réalité, et elle en reçoit une signification personnelle et individuelle… Vient donc le temps du bilan… ‘La machine’ de Bill Jarry n’est qu’un Hot Rod qui n’a pas été conçu comme étant une œuvre d’art, elle ne fait pas partie d’un programme ou d’un manifeste, elle se trouve sur un plan original, excentrique et personnel, libre de l’ambivalence créée par Bill Jarry qui cherchait un moyen de décupler la valeur d’un objet…
Mais c’est pour se moquer et subvertir. La logique ‘pataphysique’ de Bill Jarry ne propose, comme seule valeur absolue : l’absurdité. L’approche ludique et excentrique de Bill Jarry par rapport à sa ‘machine’ s’articule sur le dualisme de ses contemporains. Bill Jarry se distancie toutefois en finale, par une pirouette, de l’exploitation dichotomique du thème d’une façon innovatrice et humoriste.
Cette approche le place entre deux tendances, l’une qui condamne ‘la machine’ au nom du passé et ceux qui exaltent ‘la machine’ au nom du futur. Bill Jarry a tenté de créer un sur-profit en prétendant avoir réalisé une œuvre d’art alors que ce n’est qu’un Hot Rod blanc fort soigné et très artistique, le genre qui peut d’exposer dans le salon de sa maison plutôt qu’au garage…Voilà enfin la clôture de cette affaire sur l’accord d’achat à… Quel montant estimez-vous ?
Ce Hot Roadster Ford’32 dispose d’une carrosserie en fibre de verre de Kaenen Composites de Melbourne, en Floride, et dispose d’une cabine étirée de 4 pouces ainsi que de modifications de la cloison pare-feu pour augmenter l’espace pour les jambes. Le moteur est un V8 Chevrolet 462ci, la transmission automatique est une TH350. Le tout repose sur un châssis Roadster Shop en acier tubulaire avec un essieu avant abaissé et des suspensions Pete & Jake.
L’habitacle comprend un volant Billet Specialties, des compteurs Classic Instruments et des sièges baquets en cuir rouge. Parmi les points forts de la construction, le toit Hard-Top rigide amovible en fibre de verre est une rareté. Le capot est en acier Rootlieb, les jantes sont des 15po en acier venant de chez Supreme Wheels, chaussés de pneus Firestone à flancs blancs de 5,60 po avant et de Radir Dragster de 12,00po arrière.
La puissance est envoyée aux roues arrière par une transmission automatique à trois vitesses TH350, un convertisseur de couple à décrochage de 2 000 tr/min, un arbre de transmission en aluminium et un différentiel arrière à glissement limité Currie 9″ avec engrenage 3,50:1 et essieux moteurs à 31 cannelures. Un jeu supplémentaire de roues et de pneus est inclus dans la vente ainsi qu’un deuxième ensemble de collecteurs d’échappement. Voilà…