Hot-Rod B’32
Dans la vie, on fait parfois des rencontres et on se lie d’amitié avec des gens dont on aurait pas soupçonné la profession. C’est le cas avec Lens, le propriétaire et constructeur de ce Hot-Rod’B’32, dont j’apprécie la discussion, autant que son levé de coude et son amour des belles choses (dans tous les sens du terme). Non content de cela, Lens a deux particularités supplémentaires: – l’une ancienne, il a été croque-mort… – l’autre récente, c’est un auteur de scénarii pour films d’horreur Hollywoodiens mais il écrit des “nouvelles” (toutes vécues) dans le magazine satirique “The Hollywood Psykopath”... Moi, perso, je suis mort de rire à chaque fois que j’en lis une… Aaaahh ! Monde cruel!
Les différents rôles dans le milieu funéraire sont définis selon l’expérience et le physique de chaque employé, étant donné qu’une cérémonie se déroule comme suit : Les porteurs et le maître de cérémonie (également chauffeur) arrivent sur les lieux, habituellement un funérarium ou un hôpital. Ils organisent les diverses paperasses ; quand elle n’a pas été faite, ils effectuent ce que l’on appelle la mise en bière. Après avoir présenté à la famille son défunt, ils viennent à la fin du recueillement procéder à la fermeture du cercueil. Puis ils conduisent le défunt et sa famille au lieu de culte, s’il en a été défini un ; dans le cas contraire, ils se rendent directement au cimetière. Là, un dernier adieu est proposé à la famille autour de la sépulture, avant que l’équipe d’agents funéraires ne pratique l’inhumation. C’est seulement après cela que les marbriers scellent la dalle, ou rebouchent le trou. Pendant ce temps là, le maitre de cérémonie annonce la fin des obsèques, remet le registre de condoléances ainsi que tous les papiers nécessaires au représentant de la famille. Finalement, tout le monde regagne ses pénates, le cœur gros ou léger.
– “En tant que croque-mort, plusieurs habilitations sont proposées, bien que nous puissions cumuler les postes suivants. Premièrement, celui de porteur de cercueil, qui pratique la mise en bière, porte le cercueil, inhume, et assiste le maitre de cérémonie. Deuxièmement, celui de maître de cérémonie. Il est le lien entre la famille, les porteurs, et les marbriers. Il est le porte parole de sa maison de pompes funèbres, et prend en note les recommandations des familles, ainsi que celles de son équipe. Il prend la parole devant toute l’assistance pour donner à toute la famille, et aux amis de celle-ci, les diverses marches à suivre. Troisièmement, les marbriers s’occupent de la maintenance des monuments funéraires. Ils creusent la terre, ou descellent une plaque de marbre afin que les agents funéraires puissent pratiquer l’inhumation. Quoi qu’il en soit, les réquisitions peuvent être exécutées par n’importe qui, du moment qu’il ait le cœur bien accroché… Mon premier jour commença par une réquisition. Drôle de nom, car avant ce jour, cela n’existait pour moi qu’au cinéma. J’imaginais un inspecteur new-yorkais, ou autre, se pointant un jour devant ma voiture en hurlant : POLICE! JE REQUISITIONNE CE VEHICULE ! Eh bien non, pas du tout !
Les réquisitions ne se limitent pas à ça. Elles peuvent tout aussi bien consister à aller sur des lieux d’accidents dans le but de récupérer le cadavre de quelqu’un, mort loin de tout hôpital, ou maison de retraite. Puis prendre le corps tel quel ou le rassembler s’il est en plusieurs morceaux dans le cas d’un assassinat sadique, cela dépend des cas. Ensuite l’emmener à l’institut médico-légal du coin, pour autopsie et autres examens d’identifications. Le plus délicat dans ce genre de cas est justement de ne pas être trop sensible, surtout si c’est le premier jour. Lorsque je pénétrai avec le légiste dans les lieux de ma toute première réquisition, une légère odeur de noisette me vint aux narines. Une femme désespérée, entourée de policiers, pleurait toutes les larmes de son corps. Et là, sur le tapis persan du salon, gisait mon premier client. J’eus du mal à m’en approcher. Mais, après un court moment d’observation, et quelques réserves de courage distillées dans ma lâcheté, je m’avançai vers le corps, tentant de reconstituer instinctivement les faits. Comment un homme d’une quarantaine d’années avait-il bien pu s’électrocuter avec un interrupteur ? Il reposait sur le ventre, la tête tournée sur le côté, dans un angle qui aurait fait rougir des mathématiciens. En m’approchant, je m’aperçus que ce que je prenais pour de la purée de choux-fleurs était en réalité la cervelle du client.
Le légiste, qui m’attendait penché sur la victime, me murmura qu’il était cuit à point !. Relevant la tête, je captai la conversation qui se tenait dans la cuisine adjacente, et je reconstituai la scène malgré moi. Le client qui s’appelait Joe Séguran avait voulu démonter l’interrupteur, qui fonctionnait mal. S’abstenant de couper le disjoncteur car il était soucieux de suivre le match en cours à la télévision, il s’était efforcé de dévisser ledit interrupteur avec un tournevis. C’est par une infortune caractérisée qu’il s’est envoyé 220 volts de l’index au cerveau pendant près d’une demi-heure. L’entendant pousser d’effroyables hurlements, sa tendre épouse, en proie à la panique, chercha le disjoncteur dans toute la maison. Quand elle le trouva enfin dans une penderie, derrière un ramassis de manteaux et de vestes élimées, elle coupa immédiatement le courant. N’étant plus prisonnier de la fée électricité, Joe Séguran tomba en arrière, se retournant dans sa chute, et heurtant à la volée une chaise, qui lui pulvérisa la fontanelle, répandant toutes les idées qu’il aurait pu avoir sur le tapis du salon. Ma première tâche fut de recueillir la matière grise de Joe Séguran, répandue en une coulée poisseuse sur le tapis. Et, bien que l’infernale odeur de noisette rance ne quittait pas mes narines, je raclai et ramassai ses neurones en me disant qu’après ça, je serais rôdé.
Ce fut au moment de mon premier haut-le-cœur que Madame Séguran, accompagnée de deux policiers, s’invita au dessus de la dépouille de son époux m’intimant l’ordre formel de nettoyer son tapis correctement parce qu’il avait pour elle une valeur sentimentale, son époux y étant décédé. De plus elle ne désirait pas que le dernier souvenir de son mari laisse une tache douteuse sur son tapis persan… Elle ne pleurait plus en disant cela ! Tant bien que mal, je m’exécutai en me serinant que c’était mon premier jour, que je ne devais pas la ramener, qu’il serait malvenu de rembarrer une néo-veuve de deux heures. Je m’empêchai de vomir en frottant, alors que Joe Séguran partait sur une civière dans une ambulance silencieuse. Je m’acharnais avec férocité sur la tache, quand mon légiste vint me délivrer, me soufflant comme une vérité universelle : Tu veux faire carrière dans le pressing ? Laisse ça, ils se débrouilleront. On nous attend… J’ai su quelques mois plus tard que Joe Séguran avait bel et bien coupé le courant avant de s’adonner au bricolage et que Madame avait rebranché le disjoncteur, pendant que son mari réparait l’interrupteur. Après l’avoir littéralement laissé cuire, elle avait joué la scène de la femme éplorée et stupide, qui ne trouve pas le disjoncteur, en courant partout et hurlant pour donner le change à ses voisins. La police avait découvert qu’il n’y avait pas de match programmé à l’heure du prétendu accident. Elle a été condamnée à 20 ans de prison!”…
-Vous contez bien, mais ce n’est pas assez long pour en faire un film. Vous deviez me causer du Hot-Rod puisque c’est le fond de mes titres Web : GatsbyOnline + ChromesFlammes. Une histoire trash si possible !
-Il y a peu, je me baladais avec mon Rod dans LA et j’ai découvert un lieu où la pègre établit ses règles, un endroit à cent lieues des clubs de strip-tease et autres casinos : un funérarium où le trafic va bon train ! Ce jour là, j’étais venu travailler en qualité de porteur de cercueil. J’étais alors loin d’imaginer que j’allais lever le voile sur un mystère qui aurait éveillé la curiosité inhérente à tout homme féru de polars, et ce sans même le vouloir. Le matin était froid, et ce refroidissement s’infiltrait entre les fibres de mon costume, tel un millier de piranhas se jetant sur un veau tombé à l’eau, me mordant de ses petites dents, sans que je ne puisse rien y faire. Les murs en brique donnaient à ce funérarium une allure d’entrepôt, ou d’antique caserne de pompiers. En m’approchant de l’entrée, j’aperçus un légiste en blouse, qui m’observait. Je me suis dirigé vers lui, alors qu’il finissait sa cigarette. Il m’invita à entrer, me faisant passer devant les salons de présentation. Il m’ouvrit la porte réservée au personnel, me présentant là le cliché type d’un film de maffieux : quatre gaillards en train de taper le carton autour d’une table d’autopsie.
Tous me jetèrent un regard glacial. Mon hôte les calma aussitôt, me présentant comme un gars du métier ; ce qu’il avait, selon lui, instantanément lu sur mon visage. Flatté, je me présentai rapidement. Mon hôte légiste m’informa que j’avais bien une heure et demi d’avance. Ce à quoi je rétorquai que je devais faire face à des problèmes et que j’étais obligé de venir d’un peu plus loin que d’habitude. Que j’avais mal calculé mon coup pour être à l’heure.
Le légiste m’écouta attentivement, puis me dit, très tranquillement : “Si tu as un souci quelconque avec quelqu’un, nous formons une sorte de petit syndicat, ici… On aime se rendre service, de la main à la main. Pour pas grand chose, nous pouvons t’enlever une grosse épine du pied. Pour mille dollars, quelqu’un peut disparaître sans trace, sans que l’on ne retrouve jamais le corps… On a aussi un crématorium ici, tu sais… ?”... Je ne savais plus trop quoi dire et je n’en menais pas large. Mon légiste si sympathique venait de me proposer de réduire en cendres mon emmerdeur pour la modique somme de mille euros. Tout ça en se servant sereinement une tasse de café, et sans que ses collègues ne répliquent quoi que se soit. Je me dois d’avouer que l’idée d’incinérer mon emmerdeur me séduisit. L’idée de meurtre, le film de mon crime, tout se mit en branle dans ma tête…
Je l’inviterais pour une peccadille du même ordre. Je l’installerais confortablement, lui offrant un café. Je prétexterais un besoin pressant et filerais dans la salle de bains, où je me saisirais d’une seringue, que je remplirais du premier produit d’entretien à portée de main. Je tirerais la chasse, m’emparerais d’une ceinture assez longue. En ressortant, je passerais derrière lui, injectant directement dans les veines de son cou de l’eau de javel, ou du shampooing. Je passerais la ceinture autour de lui, et serrerais jusqu’à ce qu’il arrête de se débattre. Puis je l’emmènerais dans sa voiture, le portant sur l’épaule. Prétextant aux badauds lambdas qu’il avait trop bu, ce bon vieux tonton, je le conduirais directement au funérarium de mes nouveaux amis, et je leur laisserais en prime, 500 dollars supplémentaires pour le dérangement… Tandis que j’imaginais de multiples scénarios, et réglais certains détails de mon forfait, mon légiste me demanda si je voudrais garder un morceau en souvenir de ma victime. Je sursautai : “Est ce possible ?”…
– “Bien sûr ! Beaucoup de nos habitués ont besoin de garder une relique de leurs victimes, une preuve… Par exemple, le cœur ou une main. Bien souvent, c’est un muscle… car quelques uns préfèrent déguster un morceau choisi de leur victime, le reste étant réduit en cendres. La viande est un peu chère, mais c’est assez vite rentabilisé”.
– Rentabilisé ? Dois-je comprendre que vous complétez les horaires diurnes des boucheries du quartier ? S’il me faut un filet mignon, je peux passer par vous ?
– Précisément ! Vous n’êtes pas sans savoir qu’il existe à LA un microcosme de cercles cannibales”…
Je restais abasourdi. L’idée était séduisante.. Ce gros tas de saindoux serait probablement impropre à la consommation. Le légiste m’enjoignit de le suivre, et me fis découvrir la salle des tiroirs, où était entreposée la matière première de son macabre commerce. Il me donna quelques conseils sur la question du choix du morceau, le temps de cuisson ; ainsi que le nom de quelques épices qui se marient très bien avec du mollet, ou de la paume de main. Il m’assura que la traçabilité était respectée, et que le choix du corps était fait judicieusement. Qu’il aurait toujours de la viande fraîche sous la main ; ce qui me parut logique, étant donné l’absence évidente de stocks permanents dans les frigos. Je promis à mon Légiste-boucher, non sans une légère sensation de vertige, que j’allais y réfléchir, mais qu’en attendant mon équipe, je boirais bien un café en tapant le carton. Je repasse souvent dans ce funérarium – pour des raisons professionnelles, bien entendu.
-Oui, bien entendu… Mais le Hot-Rod ?