Hot Rod City…
Le paysage est saturé de routes, d’avenues, de voies, de chemins… et des multitudes de Hot Rod’s y circulent sans arrêt, sans embouteillages, sur des routes parfaitement rationalisées, créées pour le flux rapide des Hot Rods de tous styles. Waouhhhh ! Les Hot Rodder’s y cherchent l’abîme, à la fois véhiculaire et corporel, dominé par la technique et une façon d’aménager rationnellement la vie, d’instaurer la perfection ou, du moins, se la procurer. Ils agissent comme des métaphores d’un monde qui crée ses propres lois et besoins, ou tout n’est que circulation véhiculaire et fascination pour les extravagances hallucinées.
C’est une façon panoptique de contrôler l’homogénéité des Hot Rod’s et le nouvel ordre social… Le métal, le feu, s’imposent par leur nature mobile, les Hot-Rod’s sont les monuments mobiles de ce qui est “évanescent”, ils investissent les cités qui relèguent leur tangibilité architecturale pour devenir le final d’une autoroute sans corps. Le mouvement continu des Hot Rod’s annule le support, cache le béton, neutralise sa solidité. Le monde s’est réduit aux autoroutes, aux boulevards, aux avenues, aux chemins, aux parkings, aux garages… Amené à son extrême, le Hot-Rodding est devenu un style de vie et même de survie.
Et ce, dans une stylisation évanescente des valeurs et l’érotisation des moteurs. Les routes sont devenues métaphoriques d’un ordre régulé où “les choses” ne peuvent qu’exister sans saturation des mémoires. Les Hot Rodder’s ont franchi l’abîme et l’ont dépassé en rencontrant la technique, produisant des formes hybrides, érotisées de corps-machines, sources de plaisirs de pénétrations et d’érections de corps traînant du métal, des vis, des boulons, des tubes, et de nouvelles esthétiques qui ne pleurent ni ne souffrent de leur nature, bien au contraire, qui la défie pour en retirer du plaisir…Bienvenue en enfer, restez-y…
L’érotisme mécanique s’y harmonise avec les mystères de la technologie. La perfection des tubes et des incrustations engendrent une sensibilité aux formes nouvelles modifiant les perceptions et organisant des rapports mécanico-humains dans le monde entier. La simple exactitude des formes géométriques, introduites dans l’ambiance des vies quotidiennes, donne aux personnes la jouissance d’un état mental permettant d’asseoir l’appartenance à ce monde rationalisé qui exige des individus libérés des mièvres fixations. Il n’y a aucun ailleurs, ni spatial ni temporaire ni physique… Il n’y a rien que vous, dupliqués…
Le surcroît de l’intimité contemporaine se doit au fait que c’est dans le couple aimant/aimé que les gens cherchent l’approbation et la confirmation sociale de leur identité individuelle. Il émerge toutefois, au fil du temps dans ce que l’on pourrait appeler “un stade différent”, le moment où l’univers n’est plus explicite. La concurrence ne se fait pas entre des individus mais contre eux pour leurs machines. L’utopie s’est effondrée et il n’y a rien d’autre. La seule identité qui est toutefois fragile, est faite de la nostalgie des vieux héros des anciens films d’automobiles. Le passé ne renvoie que l’image de héros tel James Dean…
Ce jeune rebelle, est aimé par une génération dont les voix de rébellion ont été exploitées commercialement sur des grands écrans. Héros venant de la poubelle culturelle, fils d’une société de la consommation dans une époque qui a choisi l’érotisation de la machine et le vertige qui en est retiré de la technique qui expulse sans rémission les errants d’une patrie intérieure, le résultat est de devoir vivre la culture d’une forme intensément troublée ouvrant le chemin au sexe… Dans un Hot Rod, c’est la possibilité de se réconcilier avec la vie, expression limite d’un corps saturé d’expériences techniques.
D’où la caresse du volant d’un Hot Rod et l’excitation que produit sa mécanique, pareil que la caresse de seins et que le plaisir d’embrasser les zones métalliques, ce qui n’est que mélancolie face à un objet qui n’est que de l’inerte. Le même plaisir de vide s’installe alors que prétendant trouver dans les corps des autres et dans le sexe un sens et une identité qu’on ne trouve plus dans le monde, c’est un nouveau stupéfiant à l’ennui produit par le manque d’expériences, c’est l’expression d’une société qui jouit du gaspillage, qui lutte contre les deux forces promotrices de la construction technologique…
Le goût de la vitesse donne comme résultat l’érotisation de la machine Hot-Rod… L’humain sans âme (que ce soit de façon permanente, ou momentanée) peut sans doute se représenter comme une machine… On dit spontanément qu’un humain qui ne pense pas à ce qu’il fait agit mécaniquement… La question est de savoir si le Hot Rod constitue le seul modèle pour cette absence ? Un tunnel s’ouvre avec ChromesFlammes et GatsbyOnline, sous l’Atlantique à travers des dizaines de milliers d’images. Au fond du labyrinthe excavé à même la masse des icônes de l’histoire de l’humanité, j’invite à m’y suivre…
Entre moirages et psychédélismes, engloutis dans les graffitis entre lesquels dérivent des engins mythiques avalés dans l’inconscience des peuples, s’agitent des vagues de soubresauts. C’est l’amorce d’un mouvement, opiniâtre, les têtes qui opinent et toujours les gestes qui se reprennent, se décuplent, exultent dans les folies, pourtant réduites à de simples tétralogies d’images syncopées, occupant tout le champ des perceptions dans un espace ahurissant de bruits, dans les replis terrassés des yeux, substance sonore dans l’ossature même du public. Il ne se passe rien que l’expectative d’un mouvement fini…
Rien que la montée lente du désir et de la souffrance, ressemble à une ombre de Platon. Jeu de clair-obscur que le corps distribue en fond ou en trame, projetée en direct dans un ordinateur boulimique qui tente de trafiquer le destin illuminé de lumières et de giga-octets. Les corps, contenus dans ce par quoi ils croyaient se polymorphoser, soudain, deviennent évanescents dans le cyberespace de la frénésie… Interactivité, hypertexte, mouvements continus autogénérés, machines images et voyages virtuels, transferts dans des représentations inouïes sur des surfaces translucides, dans l’espace même.
Les mécaniques peuvent-elles être subjuguées par l’ordinateur qui pousse à des constructions mémorielles de plus en plus puissantes ? L’ordinateur a conquis un espace qui n’existait pas. Tous les ingénieurs et les mathématiciens, tous les généticiens de la machine et du courant électrique ont dû forcer le réel à s’insérer dans le binaire, fût-il à huit, seize ou trente-deux bits. L’analyse et l’encodage binaires du monde déterminent maintenant nos mouvements, nos réflexes, jusqu’à nos concepts philosophiques. C’est que ces puissants générateurs d’informations trafiquent rapidement toute la matière du monde…
C’est celle qu’ils nous projettent violemment dans la vitesse, comprimant la complexité du monde en puces-mémoires… et ils inventent aussi une véritable machine de guerre d’un genre jamais vu. Tout se passe comme si les questions non résolues pouvaient enfin trouver leur exutoire ultime dans la négation du social. Les relations et interactions entre humains s’évanouissent à travers un filtre résolument machiniste. Les avantages en sont si évidents que même l’art s’y engouffre tout entier. En effet, les machines traitent toutes les données, les analysant, les implantant, les modifiant, en générant de nouvelles…
Elles opèrent instantanément des chassé-croisé dans des masses qui sont, selon leurs capacités limitées à comprendre qu’elles sont toutes identiques… Elles ingurgitent tout sous forme de langage machine et les régurgitent en assemblages incompréhensibles pour elles, mais essentiel pour nous : les mots, les sons, les images. Et elles ajoutent la simultanéité, partout la vitesse et le foisonnement. Et puis surtout, étrangement, il y a l’absence d’interrogation morale et éthique sur la valeur de ces outils. Tous s’amusent, inventent des discours, racontent leurs prouesses techniques, affichent leur foi en la binarité et puis rien.
Elles éliminent ainsi la confrontation… La masse glorieuse des inventeurs, des ingénieurs, des fabricants et des docteurs es bits avance résolument sur l’autoroute des octets. Toute visibilité, toute création, tout champ d’exploration, toute question désormais passe par l’ordinateur et ses extensions sensorielles. L’incontournable présence du réseau planétaire finement tissé dans l’épaisseur des fibres optiques et des ondes relayées par satellites considère l’ensemble des données comme étant d’égale valeur. La science et la technique, sont comme des systèmes de mesures exactes…
Leurs applications dans le quotidien, imposent au réel une poussée “libérante” qui nous désengage de la philosophie. Cependant, elles avalent ce faisant le barbare et l’instable bête humaine. Les corps deviennent des accessoires, des matériaux, de la matière à traiter, à manipuler. Ils s’abolissent dans des projections virtuelles et optent pour la transparence, ils se dispersent dans une image furtive, se soumettant aux contraintes que leur imposent les puces sensorielles, s’attachant à des fils, à des fibres optiques, à des mécaniques perverses. L’humain se décompose même dans des gouffres binaires…
Ceux-ci lui révèlent des motifs internes jamais envisagés, des structures fabuleuses, des comportements empreints de mystères. Les conflits se résorbent dans une zone sans tensions où toutes les cohabitations sont simultanément possibles. En abolissant l’objet même de nos désirs et de nos haines, en absorbant les territoires conflictuels où se déroule la survie, l’ordinateur ignore prodigieusement le biologique. Alors nous assistons, l’œil globuleux et irrémédiablement seuls avec l’écran fébrile, au pseudo-jeu de l’interactivité qui projette l’intervenant dans une illusion de pouvoir.
C’est que l’informatique, dans ces applications multiples, isole et morcelle. Nous assistons à l’extrusion du corps social tel qu’on pouvait le concevoir jusqu’au début de cette décennie. Il n’y a plus de consensus par débat public par partage d’une expérience commune, il n’y a plus cette définition identitaire basée sur la présence des corps. Les arts électroniques amènent les individus dans un territoire étrange qui fonctionne très bien sans nous. Alors, dans ce nouvel isolement qui surgit dans tous les recoins du petit village Terre, la question du pouvoir se pose de manière renouvelée et aiguë.
Les lieux du pouvoir sont complètement déplacés, les institutions traditionnelles, qui jusqu’ici veillaient à la santé de la démocratie, sont caduques. Qui domine les médias et les outils de communication, domine en quelque sorte le monde. Ce sont ceux-là qui dirigent le monde et imposent leur vision du bonheur, sans avoir jamais à se soumettre au vote populaire. Les diktats des nouveaux conquérants prédateurs sont émis par des sociétés opaques se présentant comme artistes maîtrisant les outils informatiques et télématiques… C’est la grande farce et surtout la grande fin…
Les artistes peuvent bien sûr continuer à créer/travailler avec leurs moyens traditionnels, mais s’ils ne sont pas présents sur Internet, ils n’existent pas. Ce n’est plus l’art qui importe, ou la politique, voire le social, mais seulement la circulation, seulement le spectacle, seulement la binarisation de l’univers. La conquête du monde si on laisse faire, va passer par sa négation. Et dans cette saga d’une techno-nature en devenir… la chair est bien triste, d’où que l’on a évacué tous les sucs, jusqu’à la cyprine… Tentez ce mot sur les réseaux asociaux et vous êtes bannis dans la minute du monde des robots…