Les aventures de Dick Kraft
Mi des années’80, pour créer un sujet Hot Rodding pour mon TopWheels américain et alimenter Chromes&Flammes pour les éditions européennes en attente de lancer GatsbyOnline, quel autre meilleur endroit pouvait être mieux choisi pour rencontrer Krafty Dick Kraft, alors âgé de 64 ans, que dans l’incroyable quartier général des courses de dragsters de John Force à Yorba Linda, en Californie ?
J’avais donc visité les installations de haute technologie de John Force dans le cadre d’un petit groupe comprenant, entre autres, Ed Iskenderian et Dick Kraft. Quand John Force est arrivé pour nous faire visiter, il a repéré Dick et Isky; les rôles ont été inversés et John est devenu le fan d’un changement. Il est logique qu’il se sentait ainsi lorsque Dick Kraft présentait dans la presse son nouveau travail ultramoderne au Santa Ana Dragstrip.
Dick est décédé dans sa 88ième année, le 16 janvier 2009, soit 1.825 jours et nuits après la réalisation de ce reportage. Il était né dans la communauté agricole endormie d’Anaheim en Californie en 1921, là où l’odeur des plantations d’agrumes (et non les gaz d’échappement) imprégnait l’air : “Un imbécile m’a donné un roadster quand j’avais 14 ans et a ruiné toute ma vie de cueilleur de coton”, m’a direct commenté Dick Kraft…
Il a de suite ajouté : “Ensuite, j’ai acheté un modèle A’29 équipé de pièces Kelsey’s et Winfield’s que j’ai payé en travaillant dans les ranchs. Je n’allais nulle part avec le Four-banger alors j’ai acheté un roadster B’32 pré-équipé Hot Rod avec des jantes de 18 pouces, pour 200 $. Au lycée, nous avions un club automobile appelé les Plutocrats. Tous les samedis soirs, nous faisions des courses de rue pour conserver notre statut de numéro un”…
Intarissable Dick, il a ajouté sur le ton de la confidence : “Tu sais, Patrice, tous les gars du club détiendront plus tard des records. J’ai couru avec mon’32 et j’atteignais 98 mph. C’était une super époque. Tu as bien du courage d’éditer des mag’s de Hot-rods en France, j’ai souvent rêver me rendre aux 24h du Mans. Les courses, font partie de l’histoire du Hot Rodding. Leurs légendes ne sont pas devenues des héros en collectionnant des timbres, ils étaient des vrais Hot Rodders”…
Dick s’est laissé aller à ses souvenirs : “Avant d’avoir 18 ans et je vivais à Orange-County, si on recevait des contraventions, on devait aller à l’école de circulation le samedi toute la journée à Santa Ana. Ce fut mon cas entre mes 16 et 18 ans. Rod and Custom Mag’ a publié une photo me montrant circulant à grande vitesse. Les Cops sont venus me chercher alors que j’étais à la plage. Il n’y avait pas meilleur endroit pour flirter avec des filles. Quelle époque ! “…
Volubile, il a ajouté : “Mais le véritable attrait pour des endroits comme Newport Road, c’est entre Santa Ana et Costa Mesa, était de participer aux courses de rue. Quand il n’y avait personne pour courir, nous nous ennuyions et nous nous battions dans la rue pour impressionner les filles, flirter sur la plage et en emmener une en Hot Rod pour flirter et plus si affinités. Tout les clichés allaient de pair, et, après quelques bières, c’était le paradis”…
Dick m’a avoué attribuer à son professeur de l’avoir encouragé à suivre des cours du soir pour apprendre un métier dans la mécanique automobile et se calmer. Le jeune Dick a ainsi appris à travailler avec des machines-outils et de l’équipement au Fullerton Junior College. Lorsqu’en 1941 la guerre éclate, Dick décide de rejoindre la marine. Il était plutôt entreprenant quand il s’agissait de ramasser quelques dollars tout en servant l’Amérique.
Il m’en ajoute en riant : “Je n’avais jamais fumé une cigarette de ma vie, mais ils m’ont alloué trois cartouches par semaine et j’avais un casier plein. Je les vendais ou les échangerais contre des armes à feu. Je pensais à la fin de la guerre et à l’argent que je gagnerais en vendant mon savoir faire mécanique à des gars qui n’avaient pas les moyens de réparer chez les concessionnaires officiels. Lorsque c’est arrivé, ce fut grâce à mon ami et futur grand coureur d’Indy Jack McGrath”….
Dick m’a avoué n’avoir que deux choses en tête pendant la guerre : rester en vie et courir en bagnoles. Dick n’a pas perdu de temps pour se rendre à Anaheim où Jack McGrath l’attendait avec son Ford B’32 : “Il n’y avait pas de démarreur, plus de dents sur le volant d’inertie, pas de générateur, et deux phares de moto. C’était une poussée à deux qui servait de démarreur. Après les courses, nous avons tracté le B’32 jusqu’au Piccadilly Drive-In. J’ai battu tous les gars là-bas ce soir-là”...
Il a même battu Jack McGrath et Manuel Ayulo qui avaient tous les deux des Roadsters Ford B’32 mais sa voiture était beaucoup plus légère : “Yeaaah ! Ma seule lumière commençait à s’éteindre, alors nous l’avons remorquée à la maison et l’avons rangée. Le dimanche matin, j’ai remporté la coupe. Sentir la poussière des lacs asséchés sur mon visage était plus subliminale que les embruns d’eau salée de mon temps en guerre. C’était le paradis de mettre les pieds, sur les lacs en 1946”...
Il s’est ensuite rappelé comment, avec quelques jours de congé, lui, McGrath et quelques amis ont construit ce qui ressemblait à un croisement entre un kayak et une Soap Box Derby… “J’avais le moteur de McGrath et j’ai construit le châssis en tubes. Tout ce que j’avais, c’était un soudeur à gaz, alors j’ai tout soudé avec ça. Je n’avais pas de ressorts, alors j’ai soudé l’avant et l’arrière aux essieux. J’ai envoyé quelqu’un voler une pancarte Coca-Cola en alu pour en fabriquer la carrosserie”…
Hilare, Dick a continué sa narration : “Je n’avais pas de rivets, alors j’ai vissé les panneaux sur le châssis avec des boulons de poêle. Samedi, c’était terminé et j’ai emmené le Hot Rod à El Mirage dimanche et j’ai couru… et j’ai gagné… Après avoir vu les gars sur les lacs et vécu l’ambiance, j’ai décidé que j’en savais assez et je me suis lancé dans les Hot Rods de course de rue”. C’était en 1947, il n’a pas perdu de temps pour devenir un challenger. Dick était un pur passionné de course de rue,
Mais dès que C.J. Pappy Hart et Creighton Hunter ont commencé à organiser des courses de dragsters légales sur une piste d’aviation rarement utilisée, Dick est devenu un concurrent régulier : “On pouvait courir légalement sur une piste avec des flics qui regardaient l’action plutôt que de nous poursuivre. Avec ce sport naissant est venu un autre type de voiture de course, car courir pour la vitesse maximale sur les lacs était une chose qu’on avait des kilomètres pour le faire”.
Les Dragsters ? “Yeahhhh Pat ! Les courses de dragsters ne comportaient qu’un quart de mile. La vitesse de pointe était importante, mais l’accélération importait davantage. En conséquence, le poids du véhicule est devenu un facteur important. Je me suis présenté à Santa Ana en 1950 avec un engin composé de quatre roues, d’un moteur et d’un siège. Le seul morceau de tôle sur la voiture était le capot. J’ai donné un nom à mon travail : “The Bug”, un Hot Rod Roadster monoplace”…
Etait-ce si nouveau ? : “Ben oui, Patrice, il a été immatriculé et c’était le premier dragster au monde. A ses débuts dans les courses de dragsters avec mon “The B ug”, j’ai dû gagner ma vie dans l’orangeraie de mes parents en tant que chargé de pulvériser les mauvaises herbes. Courir aux drags est devenu une partie de ma routine, partageant mon temps avec le surf. J’apparaissait sur la ligne de départ à Santa Ana avec mon masque et mon maillot de bain humide”…
Cocasse. Mais pas de tuba et de palmes : “Tu pousses là, Patrice… Je faisais du body-surf à Newport, puis je sautais dans mon Rod et allait participer à des courses de dragsters. C’était une époque formidable. J’ai aussi travaillé pour George Barris. Ma spécialité était le travail sur les châssis et les moteurs. On m’a en cette suite surnommé “Krafty” car j’avais le don de faire tourner la concurrence, cependant, ainsi que de tirer le meilleur parti de mes Hot Rods”…,
Le bruit courait que vous sembliez avoir un nombre illimité de voitures ? : “En réalité je changeais les carrosseries sur le même châssis. Il y avait une autre raison pour laquelle les concurrents m’appelaient “Krafty”, c’était mon paradoxe car je mélange le brut avec le gracieux. Juste au moment où les autres coureurs pensaient l’avoir compris, je tirais le gros lot. Il était difficile de croire que celui qui avait créé “The Bug” construit des Hot-Rods de shows”...
La légende qui tourne autour de vous prétend qu’une de vos voitures de show a été honorée au Oakland Roadster Show en 1950 après avoir été exposée à la poussière et à la saleté envahissantes d’El Mirage, en courant à 122 mph ! : “Yeahhh ! Exact Patrice. Ma Kraft Special rouge a été exposée au salon 1951 d’Oakland. Ce Hot Rod Kraft Special a ensuite été lettré professionnellement, alors qu’il était dégoulinant de chrome brillant et coûteux comme une montre suisse”...
Les courses de voitures de sport ont commencé à attirer les Hot Rodders, et votre ami et employeur à temps partiel, George Barris, était l’un d’entre eux ? “L’atelier de Barris attirait une part croissante de l’ensemble des voitures de sport, à 100 miles à la ronde de son entreprise. Le Palm Springs des années ’50 était une communauté tranquille du désert qui avait un aéroport peu utilisé. Il était facile de fermer les pistes et d’organiser des courses de dragsters amateurs le week-end”...
Barris vous aurait lançé un défi, est-ce vrai ? : “Oui, tu es bien documenté Patrice, tu as préparé l’interview, c’est cool. Barris m’a dit exactement : Sortons de nos T-shirt Levis et enfilons une chemise blanche et une cravate, et rejoignons le Sports Car Club of America…. Ma voiture à jantes-fils Rudge de 15 pouces est alors apparue sur la couverture du numéro d’octobre 54 du magazine Hot Rod. J’avais fabriqué le châssis, l’avant, l’arrière, la transmission et le moteur”…
Et Art Ingles avait fait la carrosserie, c’est bien ça ? : “Oui, Patrice, j’ai mentionné la réalisation du châssis faisant référence à un châssis chrome-moly tubulaire sophistiqué que seule une personne douée en ingénierie pouvait concevoir et construire. Lui, il le faisait sans peine et savait rivaliser brillamment avec tout ce qui sortait d’Italie, les Ferrari et Maserati qui de fait, mettaient en valeur le genre de talent que j’avais tout comme Georges Barris, nous étions les rois”....
Votre vie, Dick, se lit comme du folklore. Vous avez tout fait et refait jusqu’au bout : “Je faisais toujours tout jusqu’au bout, aussi, même jusqu’à ressusciter “The Bug” deux fois. Comme tant de vieux Hot Rods, “The Bug” aurait pu être dispersé dans l’oubli, sans une enquête de Don Garlits. “Quand Don Garlits a ouvert son musée, il m’a écrit et m’a dit, qu’il savait que j’avais diverses parties de “The Bug” qui traînaient dans le ranch de mon frère. Il a donc demandé de tout réassembler pour lui”.
Il n’a pas fallu longtemps avant que le mot ne sorte… : “Oui, Patrice, c’était dans toute la presse en gros titres : Dick Kraft est en train de reconstituer “The Bug”. Puis Steve Gibbs, vice-président/directeur du NHRA Motorsports Museum, m’a demandé pourquoi je n’en avais pas recréé un pour son musée ! J’avais le châssis d’origine et quelques autres pièces, j’ai donc assemblé un exemplaire pour le musée de Pomona, un autre pour Don Garlits plus trois autres ‘Au cas ou“….
Chacun est composé de pièces originales, disiez-vous ? “Je me suis retiré au Mexique avec ma nouvelle épouse, Margarita, qui a donc été à mes côtés pour m’aider à construire les versions complémentaires commandées et celles ‘Au cas où’…Bien que n’étant plus tout jeune, je n’ai pas cédé ma place à d’autres, je saute encore à la corde tous les jours, me lève à l’aube pour rejoindre mes copains pour le petit-déjeuner et essaye généralement aussi de les sortir du pétrin”….
Le Hot Rod Roadster ‘Special’ 1929 qui illustre cet article est le dernier de la série de 5 fabriqués, c’est le plus luxueux avec sa carrosserie en bois façon canot de course de luxe. Il a d’ailleurs été vendu 50.000$ des années 1990 et en vaut maintenant dix fois plus, ce qui intrique les “non-connaisseurs” de l’histoire du Hot Rodding… Mais, ce dernier exemplaire est motorisé par un 4 cylindres Riley… Pas vraiment le style Hot Rod actuel qui privilégie les Big-Blocs …
Ce N°5 avait initialement une carrosserie de Roadster Ford en métal nu de 1929. et avait ainsi été présentée en couverture de Rod and Custom Magazine en août 2002 avec : Dessous en fibre de verre pour la résistance et le support. Sièges Porsche Speedster 356. Colonne de direction Ididit. Tachymètre Moon Eyes. Jauges Classic Instruments. Pare-brise et pare-feu sur mesure. Extrémité frontale en fibre de verre et coque “gril Speedway” modifiée.
Les pare-chocs sont en aluminium et les ailes formées à la main. Les jantes à fils Vintique de 5,5 x 15 po AV et 7,5 x 16 po AR sont enveloppées de Pneus Firestone. Le coût total de construction malgré le moteur Riley, étant de plus de 50.000 $, est-ce vraiment l’occasion d’acheter une construction personnalisée unique, ayant amené à des réflexions inspirantes et souvenirs de la meilleure époque du Hot Rodding aux USA ? Théoriquement… Quoique…
2 commentaires
Maître, Superbe article, une fois de plus ! Puisque vous évoquez vos années 80, comment trouviez-vous les sujets à l’époque ? Cela supposait-il la participation régulière des journalistes à des shows, ou bien les clubs et annonceurs étaient-ils prêts à tout pour avoir leur nom dans vos magazines, et envoyaient régulièrement des hôtesses pour vous présenter des sujets qui pourraient vous intéresser ?
Les sujets dans les années ’80 étaient plus complexes à écrire car pas beaucoup d’autres articles existaient permettant d’y glaner des infos. Effectivement il fallait participer à des shows et subir les chiants, les chieurs et les cancans et cancaniers Lorsque le bruit courait dans les stands que “De Bruyne” était là avec son appareil photo et son carnet de notes, soit les gens faisaient semblant d’être très occupés, soit me disaient “Sers-toi un verre de champ’ et fait comme si tu ne m’avais pas vu”… Personne ne faisait quoique ce soit pour que je cause d’eux car invariablement je racontais les dessous des choses… Les hôtesses venaient flirter et plus si affinités car voulant connaître le gars dont tout le monde avait crainte de ses articles… Le plus “top” était la femme Cougar venant draguer le beau vieux avec ses voitures chères… Généralement dans l’art et l’automobile, une vente est à 50% de plus que le cout d’achat, parfois 100% et plus, donc c’est de l’argent facile et les putes aiment l’argent facile… Sur ce point c’est toujours d’application, j’en cause dans un des derniers articles sur la Jaguar type D avec un chapô sur les mœurs à St-Trop’… Jouissif !
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