Quand les Beach Boys faisaient vrombir les Hot-Rods…
Il n’y a pas que le surf dans les chansons des beaux Californiens. Mais aussi les belles américaines. Entre les voitures et le rock, la relation a toujours été torride. A partir de la fin des années 1950, la musique, comme l’automobile, change radicalement. L’une et l’autre ont en commun de faire beaucoup plus de bruit qu’auparavant, mais aussi de s’imposer comme un terrain d’expression et d’indépendance pour la génération du baby-boom. La voiture n’est pas seulement au centre de la consommation de masse ; produit de la technologie et vecteur de l’affirmation de l’individu, elle ne tarde pas à entrer en résonance avec la culture rock’n’roll. On la retrouve dans les chansons mais aussi au cœur du folklore des groupes et artistes qui vont faire la légende du rock.
Les Beach Boys ne chantent pas seulement les Californiennes blondes et bronzées qui font du surf. Les belles américaines de General Motors, Dodge ou Ford les inspirent aussi. En fait, jamais un groupe n’a inclus dans son répertoire autant de bagnoles nommément citées. Un vrai catalogue de la production US, surtout les modèles qu’utilisent certains jeunes afin de concevoir des Hot-Rods surpuissants au volant desquels ils se livrent à des courses de rues. Le paradoxe de cet intense name-dropping, c’est que Brian Wilson et consorts ne sont pas vraiment versés dans l’automobile. Au contraire de certains paroliers mis à contribution. Faire ainsi la part belle à la culture automobile du début des sixties permet au groupe d’entretenir un lien de proximité avec la jeunesse américaine qui baigne dans une société de consommation en pleine éclosion où la voiture occupe une place de choix.
Little Deuce Coupe / https://youtu.be/piKfnqIxggE
Ce nom est celui d’un vieux modèle, une Ford Roadster de 1932 (d’où le terme de «deuce» qui désigne le 2 et le deux-places à la fois) reconditionnée pour les fameuses courses de rues qui, au début des années 1960, voient s’affronter des «hot rods». En Californie, tout ce petit monde se mesure lors de courses effrénées sur la voie publique dans des conditions de sécurité plus qu’approximatives. Cette Ford Roadster qui fait sensation par ses performances – ce fut la voiture préférée de Bonnie Parker et Clyde Barrow – est équipée d’un énorme V8. Trente ans après sa sortie, elle peut toujours tenir la dragée haute aux modèles plus récents sur une courte distance; notamment grâce à son poids beaucoup plus léger. Le Little Deuce Coupe de la chanson éponyme des Beach Boys (on prononce «coupe» à l’américaine et non pas «coupé»), dont on peut retrouver un modèle dans le film de George Lucas American Graffiti (1973), fait l’objet d’une description technique assez pointue. Les paroles détaillent son «flat head mill» (son «moulin» dont le cylindre est aplati dans sa partie supérieure), son «embrayage de compétition» ou encore ses sorties d’échappement chromées.
4-0-9 / https://youtu.be/8_q37B8iPBY
La chanson «409» célèbre non pas un modèle mais un moteur, 4-0-9 désignant la cylindrée (409 «cubic inches» soit 6,7 litres, ce qui n’est pas rien!) du moteur de la Chevrolet Bel Air Sport Coupé. Introduit en 1961, ce V8 également appelé «turbo-fire» délivre 360 ch mais les sorciers des courses de rues en tirent une cinquantaine de plus pour abattre le 0 à 100 km/h en 4 secondes. Dans cette chanson émaillée du grognement émis par une vigoureuse montée en régime du sacro-saint 4-0-9, la «Hot-Rod-Mania» s’exprime à travers un modèle qui parvient toujours «à tourner en réalisant le meilleur temps». Coauteur de la chanson, le parolier Gary Usher était lui-même un fan de ces courses et propriétaire d’une Chevrolet qu’un 4-0-9 faisait rugir.
Ford Thunderbird / Fun, Fun, Fun / https://youtu.be/lC3-N0nfO1k
La référence la plus connue à la célèbre Ford Thunderbird dite «T-Bird» (1955) est la chanson «Fun, Fun, Fun». Elle raconte les frasques d’une jeune fille qui a emprunté la T-Bird de papa en lui laissant croire qu’elle doit se rendre à la bibliothèque alors qu’elle participe en fait à des courses qui ont fait d’elle un as du volant. «And she’ll have fun, fun, fun till her daddy takes the t-bird away» («Elle va bien s’amuser jusqu’à ce que son papa lui reprenne sa T-Bird»), se moquent les Beach Boys. Ce qui, évidemment, finit par se produire. Curieux, quand même, ce Daddy qui roule en T-Bird, une sportive destinée à une clientèle de jeunes – certes pas autant que la Mustang et point du tout destinée à la clientèle des papas…
Chevrolet Corvette Stingray / Shut Down / https://youtu.be/9Dcu_kWzWQE
La chanson «Shut Down» consacre l’éternelle rivale de la Ford T-Bird: la Chevrolet Corvette (1953). Et plus précisément un modèle Stingray de 1963, ainsi dénommé pour sa partie arrière allongée dont le dessin évoque la queue d’une raie. Ce modèle, qui a toujours été considéré comme une icône par les esthètes, est ici pourvu d’un moteur à injection, vraie nouveauté pour une époque où l’on s’en remet généralement à de gros carburateurs gavés d’essence. Shut Down a ouvert des débats sans fin entre collectionneurs car on y assiste à une victoire autoritaire de la «fuel injected Stingray» du héros sur une Dodge «413 Super Stock». Un modèle qui, pourtant, ne manque pas de répondant. Mais il est vrai que, dans le cinéma américain, la Dodge est souvent une voiture de méchant.
Little Honda / https://youtu.be/80jfGb4N81Q
Car Crazy Cutie / https://youtu.be/tjXFfgoarPQ
Cherry Cherry Coupe / https://youtu.be/RB7j2P-BLHI
I Get Around / https://youtu.be/BchXkabxn4A
Custom Machine / https://youtu.be/BpcGEOEeBb0
This Car Of Mine / https://youtu.be/94Lj-i1Qoz8
Bien d’autres chansons des Beach Boys célèbrent, avec des titres évocateurs, l’automobile de la drague et des courses sauvages de têtes brûlées («Cherry Cherry Coupe», «Car Crazy Cutie», «I Get Around», «Custom Machine», «This Car Of Mine»…). Il en est une qui célèbre une moto. «Little Honda» rend un hommage plus qu’appuyé aux petites cylindrées de la marque japonaise («je passe la troisième, accroche-toi») qui, à l’époque, firent sensation. Cette marque de respect adressée à une géniale petite moto (groovy little motorbike) adresse aussi, en creux, une critique à Harley-Davidson, alors incapable de proposer autre chose que des machines pansues et techniquement datées.
Ardents promoteurs de la voiture américaine, les Beach Boys ne furent sans doute pas surpris – et, financièrement, pas mécontents non plus – de voir une quantité semi-industrielle de leurs refrains transformés en musique de spots publicitaires pour nouveautés automobiles.