Street HotRoadster’33 Posies 5L7 V8
Jamais la complicité entre fin du modernisme-vintage, dépréciation du futur et stade tardif du capitalisme, n’aura paru plus flagrante qu’en ce moment, alors qu’éclatent au grand jour les conséquences de la recherche du profit immédiat et des taux de rendement intenables, déclinaisons dans la sphère économique du penchant général suicidaire qui conduit à la contraction de l’investissement temporel sur un présent dramatiquement réduit. Cela venant en sus d’une guerre nucléaire mondiale qui risque de tout détruire car nous n’en sommes plus aux atomisations américaines unilarérales d’Hiroshima et Nagasaki.
Elles sont “riquiqui” lorsqu’on compare ce qu’il en serait en 2024/2025… Je vais donc ici m’efforcer de rester dans le domaine de la création automobile se situant actuellement dans la fin du modernisme et des moteurs “à explosions” qui se traduisent par une crise de l’historicité à laquelle s’est substitué un historicisme inconséquent, agrégat de références indiscriminées et immotivées à des formes et à des moments du passé qui s’équivalaient et témoignaient d’une incapacité infantile à articuler la différence historique non seulement du futur mais aussi du passé…
L’écœurement devant cette situation a atteint de tels niveaux que l’on est heureux d’observer la façon dont certains artistes/designers donnent aujourd’hui une forme déguisée à cette historicité véritable pour construire, contre le temps anomique du postmodernisme, un cannibalisme aveugle et insatiable incluant l’insupportable relativisme de nos politiques, dans une nouvelle relation d’interpolation avec certains moments matriciels dans leur rapport génératif à notre présent et à notre imaginaire… À ceci près que ce modernisme formaliste oublie qu’a aussi existé un modernisme de contenu.
Il s’est défini dans son rapport avec les questions soulevées par les progrès de la civilisation technico-scientifique et la poussée d’un esprit nouveau. Puisque la modernité a désormais une histoire, puisque la projection “aveniriste” d’un modernisme électrique futur se rêve doté d’une épaisseur temporelle, le design conséquent avec lui-même développe une dimension réflexive portant sur cette histoire et sur la relation que nous pouvons entretenir avec elle. C’est évidement cousu de fils-blancs… La réflexivité moderniste n’existe aujourd’hui sous sa forme la plus vivante qu’en intégrant du modernisme de contenu…
L’utilisation des célèbres véhicules Ford T et B des usines Ford, produit à quinze millions d’exemplaires entre 1908 et 1934 pour en fabriquer des Hot Rod’s, contribue à renforcer un évident archaïsme avant-gardiste.. On a pu comparer la Ford T à une sorte de fiacre à moteur de ce qui a été une icône des débuts de la modernité technico-industrielle, mais nombre d’autres Hot Rods tous aussi exemplaires, ont fait leur réapparition marquant l’existence d’une lignée qui compte des centaines de milliers d’adeptes, tous ayant regardé vers d’autres moments du développement des moyens de locomotion.
Cela pour inventer leurs propres incarnations d’un passé qui rêvait son futur comme le triomphe de la mobilité politiquement-incorrecte… C’était une partie de la consécration du rêve américain qui fêtait l’annexion psychologique et financière de l’Europe exsangue et aussi de ses colonies… Paradoxalement, c’est donc à travers cette simplicité apparente de construire une Amérique presque mondiale, que quelques années plus tard va se trouver réactivé le souvenir des plus beaux fleurons d’une technologie rétro-futuriste que beaucoup imaginaient passer à la trappe en conséquence des chocs pétroliers et des guerres.
Les Hot Rod’s Ford T et B’32 et 33 et 34 sous couvert de loisirs créant une nouvelle économie, ont ainsi reconstruit l’automobile de loisir d’une manière faussement artisanale, comme étant des prototypes créatifs qui contiendraient les résultats de leurs propres histoires. L’association d’idées est en tout cas concordante avec l’imaginaire du haut modernisme qui prêtait au chemin de fer et aux moyens de transport mécaniques le statut de machines de vision transformant le paysage en panorama ou en spectacle de lanterne magique qui en réalité détruisaient tout…
Les Hot Ro’s engagent en effet une visualité impure en ce que l’on s’y abandonne plus volontiers au rêve et à la fascination plutôt qu’ils n’y développent une conscience réflexive. Ces déclencheurs permettent de faire reposer l’abstraction sur une autre instance qu’elle-même, de lui donner une raison physique ou narrative. Il apparaît cependant que celles-ci sont artificiellement habitées d’une dimension historique et culturelle destinée à rassurer le culte de la Grande Amérique. La conscience étant ce qui permet à l’humanité de se projeter dans son propre futur, l’Amérique a donc créé sa super-conscience américaine.
Et ce dans la même ligne que le salut au drapeau matinal quotidien, la foi en dieu et au dollar, qu’il est obligatoire d’accepter sous peine d’exclusion… Bien que tous les projets se réalisent rarement dans leur forme originelle, il en reste l’idée d’un scénario conçu comme modèle et qui continue à fournir une motivation significative au désir que l’Amérique spot Maître du monde. De quelle utopie l’uchronie rétrocipative est-elle aujourd’hui le temps ? Comme la science-fiction, la rétrocipation est bien souvent un moyen de reparler du futur en mettant à nouveau en circulation des objets, en ce cas automobiles.
Mais aussi des représentations apparues autrefois dans un contexte aveniriste, en gardant avec les illusions béates ou même néfastes de la pulsion utopique une distance salutaire : celle que permet de maintenir l’hiatus temporel… Un hiatus, cependant, parfois réinvesti, habité de nouveau, mais sur un mode qui, à l’extrapolation futuriste, préfère l’interpolation du futur et du passé dans notre présent, sous forme de futur antérieur. Ce qui est alors en jeu, n’est pas tant le futur ni le passé en eux-mêmes que leur fonction dans la constitution du sentiment d’habiter sa propre contemporanéité.
On peut supposer qu’aucun Américain ne déclarerait vivre sa situation comme la ressentait son homologue de l’avant-garde à la haute époque du modernisme. Mais tous ont intuitivement compris que l’on ne peut penser la contemporanéité qu’à condition de la scinder en plusieurs temps, et qu’est contemporain celui qui, par la division et l’interpolation du temps, est en mesure de le transformer et de le mettre en relation avec d’autres temporalités. Le système est conçu pour ne même pas pouvoir entrevoir la sortie hors de l’anomie temporelle du postmodernisme qui est un diktat américain.
Me restait à vous présenter un exemple de cette évolution du Hot Rodding par le biais de ce Hot Rod 33 rouge construit par “Posies Rods and Customs” sur base d’une carrosserie “Rat’s Glass Speedstar”… Ce Ford Roadster Street Rod’33 est propulsé par un V8 GM LS1 5L7 OHV équipé d’une transmission automatique quatre vitesses GM 4L60. Ses points forts comprennent un capot en aluminium personnalisé, une suspension arrière indépendante, des jantes de 17po et 20 po et un intérieur en cuir beige cousu main. Il n’y a que 364 miles au compteur de cette voiture qui a coûté plus de 250.000 $ à son proprio.
Mais il s’en est fatigué dès les premiers tours de roues et a décidé de le vendre 500.000 $… Personne ne s’est manifesté pour ce prix gargantuesque, et donc le faisceau de câbles Howell et l’ECM utilisés avec le groupe motopropulseur, le capot en aluminium en trois parties personnalisé, la peinture rouge PPG Posies, le tableau de bord personnalisé et la sellerie en cuir beige cousue par Paul Atkins ainsi que les suspensions indépendantes avant et arrière polies, avec à l’arrière un système Kugel IRS, n’ont intéressés personne… même informé que la bête disposait d’une carrosserie Speedstar de rechange.