VolksRod 1956 : Eloge paradoxal de la laideur…
L’hominidé, ce soi-disant prodige de la création, est le seul animal à s’abaisser devant une machine. Il va même, suprême ironie du “progrès”, jusqu’à s’assujettir aux esclaves mécaniques qu’il a crée pour le servir. Lorsqu’il n’est point en quête de nourriture ou de femelles, il s’adonne au fétichisme de la bagnole au lieu de roupiller à l’ombre comme le ferait n’importe quel mammifère supérieur. Et pour sa bagnole, il est capable à tous les abaissements : bouffer du cambouis des heures durant à la recherche d’une improbable fuite, perdre le sommeil à trop penser à son faisceau électrique, brimer femme et enfant pour une nouvelle ligne d’échappement, aller au bout du monde dégoter une paire de jantes sans fêlure. Son auto, pourtant, s’en fout comme de ses premières plaquettes. Pas sa femme.
Parmi les tenants de cette étrange pathologie figure en bonne place les férus de VW’s. En temps normal, l’essai d’une Cox précipiterait le péquin à peu près censé au volant de la première Smart encore existante, auto infiniment meilleure, et pas seulement pour une qualité d’acier sans commune mesure avec la dentelle de fer italienne. Mais le masochisme de l’authentique VW n’a d’égal que sa mauvaise foi. Non content de subir les caprices d’une bête à chagrin réunissant à peu près tout ce qui peut rouiller, fuir, rompre, de préférence prématurément, il clame une passion à toute épreuve. La seconde craque ? Normal, c’est une marque de fabrique maison ! Le tableau de bord tombe en ruine ? Et alors, au volant, je ne regarde que la route ! Qu’importe, tant le chant du Flat-Four subjugue ! Une fois encore, nous touchons le cœur de la pathologie qui agit comme le chant des sirènes sur Ulysse.
“Mais qu’elle est laide c’te bagnole !” est le cri que poussent la majorité du public y confronté… C’est certes basique, primal, le cri qu’on pousse à la vue d’une horreur… Je me devais donc d’analyser cette “VolksRod” d’un point de vue “Filousophique”... À partir de l’analyse d’un discours académique du philosophe Antonio Rocco faisant l’éloge paradoxal de la laideur (“Ca date de 1630” m’objecteront les plus érudits d’entrevous qui me lisent), on peut en extrapoler l’essence dans l’automobile (sic !) en distinguant plusieurs types de mise (à jour) en forme de la laideur, qui entretiennent une relation de contestation ou de perversion, selon les cas, avec le modèle platonisant du pétrarquisme : “Les louanges marinistes de la beauté défectueuse et l’éloge burlesque”… (Faites l’effort de continuer à lire, cela améliorera vos connaissances)…
Dans tous ces cas, la laideur considérée est “silénique” (une laide apparence recouvrant une belle âme). Je vous avoue et concède que j’extrapole le “Della Brutezza”, d’Antonio Rocco qui est le titre d’un discours prononcé à l’académie vénitienne des Incogniti (Inconnus)… Moine franciscain très hétérodoxe, professeur de philosophie à Venise, Antonio Rocco n’est hélas pas du tout connu dans le milieu des Hot-Rodders, encore moins dans celui des “VolksRodders” mais presque uniquement connu des chercheurs académiques pour avoir défendu la physique d’Aristote contre Galilée… Ils ne sont pas nombreux sur GatsbyOnline, certes, mais il n’empèche qu’Antonio Rocco est aussi l’auteur d’un ouvrage mis à l’index où il se fait fort de démontrer que l’âme rationnelle immortelle se propage par la semence, de sorte que l’on se demande bien comment elle peut être malgré tout immortelle.
Surtout, on lui doit un sommet de la littérature libertine et pornographique du xviie siècle : “Alcibiade fanciullo a scola”, (dont je vous recommande la lecture) qui décrit l’entreprise de séduction philosophique (et sexuelle) du jeune Alcibiade… Son éloge académique de la laideur, qui se présente apparemment comme un pur divertissement académique, s’inscrit dans la tradition consolidée de l’éloge paradoxal, dont l’Italie a donné le goût à toute l’Europe maniériste et baroque, ce qui a assurément fortement influencé Enzo Ferrari et Pininfarina… Rocco n’était pas, du reste, certes pas, comme vous le lirez avidement, le premier à prendre la laideur comme sujet d’éloge. Non ! Ce qui le distingue c’est la portée philosophique de son discours mais aussi la qualité rhétorique, indissociable d’une intention affichée de performativité de la laideur, la recherche d’un style et d’un mode d’argumentation adéquats à son sujet.
On pourrait bien sûr estimer que cette esthétique de la laideur est un pur jeu d’esprit, car Rocco écrit bien et son style ne manque pas de beauté… et surtout que la dimension philosophique de son discours est purement parodique. Cependant, il prend lui-même la peine de rappeler la dimension joco-sérieuse des plaisanteries et bagatelles académiques, dans une autre pièce d’éloquence consacrée à défendre une thèse paradoxale, fort proche de l’éloge de la laideur, qui s’intitule “Amore è un puro interesse” (L’amour n’est qu’un pur intérêt)… La portée philosophique y est est proportionnelle à la tradition de pensée à laquelle il s’oppose, marquée par le platonisme et son mouvement ascensionnel, qui conduit, de la vision du beau à la contemplation du beau et du bien, mais il se caractérise aussi par l’élection de la distinction du beau et du laid comme critère d’appréhension dans tous les domaines du réel !
Son argumentation est une prouesse de funambulisme rhétorique visant à montrer que la laideur, dans toutes ses dimensions, est plus utile, plus honnête et plus agréable que la beauté. Mais Rocco se livre ainsi d’abord à un véritable jeu de massacre où se trouve réduite à néant la conception platonicienne et plus largement idéaliste de la beauté, à partir de son assomption et d’ailleurs de sa réduction pétrarquiste ; la beauté considérée avant toute chose comme pas utile, car elle appauvrit ceux qui en sont épris (selon le topos, évidemment, de la beauté vénale), elle n’est pas plaisante, car elle est une source inépuisable de tourments et elle est enfin “objet de choses déshonnêtes !”... Ce faisant, le bénédictin se réfère explicitement à la grande vogue de la lyrique baroque consacrée à l’attraction paradoxale pour le difforme.
Il s’agit encore d’une forme d’éloge paradoxal, mais qui joue moins sur le renversement du modèle pétrarquiste que sur sa perversion sur le thème de la beauté défectueuse. Ces louanges de la beauté défectueuse ont largement essaimé dans la lyrique européenne, en Espagne, en France, en Angleterre, une érotisation de l’altérité, considérée comme altération et dégradation du modèle esthétique : une beauté enlaidie ou une laideur embellie, excitantes de ce fait même, une exaltation de l’altérité où la laideur suscite l’amour et en fait d’abord le désir tout comme les fruits acerbes sont les meilleurs à confire, l’alchimie sucrée de la confiserie, qui n’ôte pas la laideur, mais la rend exquise ! Oui ! Il fallait oser ce parallèle concernant cette extraordinairement laide VW catégorisée “VolksRod” pour des raisons nébuleuses tirant leur origine d’une volontaire réappropriation… D’où l’interview de son propriétaire…
– Comment le style Volksrod s’est-il développé ?
– La récupération d’épaves Cox pour leur châssis et moteur existe depuis un certain temps. Cela a du commencer dans les années ’60 avec des récupérations de kits assez sommaires réalisés par des fauchés pour rhabiller le châssis plate-forme des Cox’s et le fameux et fumeux Flat-Four VW. Lorsque cela à généré les fameux Buggy qui ont été immortalisés par Steve MCQueen dans le film “L’affaire Thomas Crown”, mais les normes européennes en matière de circulation soi-disant pour la protection des consommateurs ont tué les Kit-Cars sont les Buggy’s. Aux USA, après 30 ans de dérives ubuesques Fred Hadilgo a construit le premier “VolksRod”, c’était à la fin des années ’90 et ce style a vraiment décollé à partir de là.
– Que signifie ce surnom ?
– Les initiales KdF forment une appellation, un nom qui est celui qui originalement est celui de la VW Cox/Beetle/Kafer. En fait, c’était “KdF Wagen”. Il signifiait “Kraft Durch Freude” c’est à dire “La force par la joie” en allemand. C’était le slogan nazi des camps de la mort concentrationaire. La VW était l’enfant de Ferdinand Porsche et d’Adolf Hitler. C’était vraiment l’emblème automobile du Nazisme. De plus, Ferdinand Porsche avait volé le concept à Tatra qui ne pouvait réclamer quoique ce soit alors que tout était devenu Nazi…
– La VW est une sorte d’escroquerie Porsche !
– Oui, c’est vrai, mais je ne suis pas concerné, je suis né bien après la fin de la guerre 40/45. Donc, je suis devenu VW parce que ce n’était pas cher et que c’était très disponible partout en pièces. Quand jeme suis mis à modifier la VW héritée de ma Grand-Mère, j’aurais voulu réaliser un Hot-Rod mais je n’en avais pas les moyens financiers, donc j’ai adhéré à un nouveau forum nommé VolksRod et j’avais besoin de me retrouver épaulé. Alors j’ai pensé que puisque je coupais une VW, pourquoi pas un VolksRod, j’avais beaucoup d’idées nouvelles que je rassemblais dans mon cerveau depuis quelques années.
– Quels étaient vos plans et vos objectifs pour la construction?
– Je voulais juste construire une voiture folle un peu comme Ed Roth construisait. Je ne voulais pas y mettre beaucoup d’argent. Tout ce que j’ai acheté neuf, ce sont les pneus, les compteurs, la batterie, les fusibles, etc. Je voulais juste que ce soit “exagéré” avec toutes les idées que j’avais, ainsi que toutes les compétences de travail des métaux que j’avais apprises jusqu’à présent et tout cela ensemble pour faire du Ed Roth façon Porsche Speedster. Mais aussi bon que cela puisse paraître, un roadster comme celui-ci était censé être ouvert sur le monde !
– Cela fut un total ratage d’après ce que j’en sais !
– Pourtant j’avais tout avait été soigneusement aménagé dans les détails, comme la façon dont il y a une fine bande noire semblable à l’extérieur dans les portes, et il y a une bande de course argentée et noire cool qui passe non seulement sur le siège du conducteur, mais aussi sur le volant, l’arceau de sécurité et le siège arrière. Il s’agit absolument d’une machine perso avec des sièges baquets avant bien renforcés. Ma voiture a également de caractéristiques prêtes pour la course telles que les harnais à quatre points et une cage de sécurité complète qui renforce la Coccinelle. Il y a aussi un volant sport sur une colonne inclinable Ididit, un démarrage à bouton-poussoir et un tableau de bord personnalisé rempli de jauges AutoMeter Pro-Comp… Quel gâchis de pognon j’ai fait alors que ma femme pleurait pour avoir une belle salle de bain.
– Parlez-moi de la construction elle-même et du processus que vous avez suivi pour construire ce VolksRod ? Combien de temps avez-vous travaillé dessus ?
– Il a fallu 12 mois pour le construire. La plupart des gens ne peuvent pas le croire, mais c’est vrai. J’avais juste beaucoup d’idées et j’y pensais depuis longtemps. La première chose que j’ai faite a été de découper la rouille du fond du châssis-plateau. Ensuite, j’ai coupé la voiture. Puis, une fois la carrosserie coupée, j’ai simulé le VolksRod avec du bois sur le sol de l’atelier. Ensuite, j’ai simulé les jantes et les pneus. Une fois que je les avais là où je les voulais, j’ai sorti le ruban à mesurer pour savoir où placer les essieux.
– Vous avez tout réalisé dans votre box-garage ?
– Oui ! J’ai tracé tout cela dans l’atelier. J’ai ensuite commencé à découper du métal pour le châssis. Une fois le châssis soudé, j’ai construit la carrosserie. J’ai eu beaucoup de critiques pour le look qu’on me disait grotesque. C’était effectivement très mauvais. J’ai donc décidé de continuer pour que les gens continuent à la détester. Surtout les vrais Hot-Rodder.our eux une VolksRod c’est un non sens ! Ils n’ont pas tort ! J’avais besoin d’un réservoir de carburant et j’étais à un salon local de tracteurs anciens et j’ai vu un réservoir de carburant. J’ai pensé que c’était très approprié pour la forme du capot.
– Quand le moteur Corvair est-il entré en jeu?
-J’avais simulé un moteur VW mais je ne l’aimais pas. Il avait l’air trop petit. J’ai commencé à regarder autour de moi et j’avais vu un moteur Corvair dans un Buggy. Je pensais qu’il avait l’air grand et charnu. J’ai regardé autour de moi pour trouver un moteur Corvair. J’en ai trouvé un qui avait été construit pour une Porsche dans les années ’70 pour la course sur route. Le gars qui l’avait construit n’était pas satisfait de la puissance, alors il est retourné à la puissance Porsche. Le moteur faisait 220 ch, pas assez pour lui et l’a ensuite mis sur une étagère.Je me sens très chanceux d’avoir trouvé et acheté ce moteur. Il a été reconstruit avec des Pistons Salih, des cames inversées, une admission Leco, un carter d’huile Offenhauser, un adaptateur de couronne, un allumage Mallory.
– Que s’est-il passé car le moteur actuel est un VW ?
– Il a explosé. J’ai donc replacé un quatre cylindres à plat basé VW que j’ai amélioré à 2443cc avec un double jeu de carburateurs à double canon, d’un vilebrequin Bergman 86 mm, de pistons Cima 94 mm, de bagues Total Seal, d’arbre à cames FK10, de têtes Bergman D-port et d’un allumage MSD 6AL. Les collecteurs revêtus de céramique permettent une bonne expiration avec une puissance supplémentaire et une excellente mélodie du double échappement personnalisé. L’ensemble complet produit 200 chevaux, cela permet une accélération et un plaisir impressionnants.
– Et vous avez un contrôle total sur ce puissant moteur ?
– Oui, grâce à la transmission manuelle à quatre vitesses. Je dispose également d’une suspension entièrement indépendante, de coilovers réglables, d’un boîtier de direction Mustang II, de pneus ZR adhérents et de freins à disque aux quatre roues. Je voulais que la voiture ait un look de voiture de course. J’ai toujours aimé la couverture des catalogues SoCal speed shops avec Axel dans le coupé 34 Ford de l’époque. Les sièges de ma voiture ressemblent à de vieux sièges bomber, mais ils viennent de berlines Chevrolet 1939. Je leur ai juste enlevé toutes les housses de siège.
– Comment s’est passé le voyage à Bonneville pour vous ? Qu’est-ce que les gens traditionnels du Hot Rodding de Bonneville pensaient ?
– Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de haine, les Hot-Rodders traditionnels le détestent vraiment. Au début il devait se vendre 30.000$ ! Puis ‘est tombé à 24.000$.. et maintenant à 8.990$ toujours personne n’en veut. J’ai essayé chez Barrett Jackson, Mecum, Gooding, puis chez Streetside, enfin chez Dyler… Zéro !
– Normal, une VW n’est pas un Hot-Rod même si on la nomme VolksRod ! Vous devriez essayer en France, là il y a encore des amateurs de VW… Mais ils sont fauchés ! Vous considérez-vous comme un Hot-Rodder? Ou êtes-vous plus aligné sur la scène VW ?
– Je suis plus un Hot-Rodder par définition, je ne suis vraiment plus qu’un fuck-off soudeur de merde. J’ai parfois honte du résultat. De plus c’est presque invendable. J’y ai perdu une fortune. Ma femme qui rêvait d’une nouvelle cuisine m’a quitté… Ma vie est devenue un enfer… J’ai perdu mon job… J’ai heureusement été embauché dans un atelier consacré à la restauration des VW.
– Quelle est la prochaine étape?
– Je construirai bientôt une Renault Dauphine électrique Hot-Rod pour faire chier tout le monde…
– Il y a des situations où je confesse un total manque de tact, particulièrement lorsqu’on verse un Bordeaux dans un gobelet en plastique sous mes yeux déconfits, lorsqu’une pseudo-élégante ose m’aborder en bottes SANS talon ou qu’un blaireau se hasarde à me vanter sa merveilleuse VW Cox !
– Nul besoin d’enfiler une mouche, depuis ce jour béni où la symphonie enchanteresse du 4 cylindres VW m’a mis en émoi, j’ai voué une condescendance quasi aristocratique à la fatalité de ce quatre cylindres obligatoires pour tous. Doux, rageurs, stridents, métalliques, le Flat-Four a décliné en moi sa très expressive musicalité sur toute la plage du compte-tour pour mieux faire de l’usage automobile une fête des sens renouvelée à chaque démarrage.
– En somme, pour vous ce Flat-Four ça chante, quand pour moi ça ne fait que du bruit ?
– Absolument, c’est viscéral. Alors, forcément, cela devait arriver, c’était messianique en l’écoutant c’était comme entendre des délices auditifs ! Quantités de V8 selon moi pourraient lui envier sa simplicité quoique je reconnais l’exécrable commande de boîte.
– Quel moteur ? Désolé, au risque de choquer, il me fait l’effet d’une aimable promenade dominicale en tracteur, et c’est un vacarme sans grande magnificence qui casse les oreilles plus qu’il ne les flatte. A l’évidence, il manque 4 cylindres à même de transfigurer cette VW recarrossée.
– La différence de carrure entre vous et moi-même, m’incite à redécouvrir les vertus de la diplomatie…