IBIZA : Aloe vera ou ecstas…
La PGO 356 Porschette Réplica n’en mène pas large sur la route de terre vallonnée qui conduit à la villa où se tient l’after-party, dans les environs de San Josep…, car la pluie, qui tombe par averses éparses en ce début d’après-midi de la mi-août, est chose trop exceptionnelle sous ces latitudes pour que l’on sache comment s’en accommoder lorsque par surprise elle survient… mais, pour inviter à la prudence au volant, il y a surtout ce climat de cocagne sans fin qui règne sur le sud de l’île d’Ibiza à toute heure du jour : nul ne saurait jamais deviner si le conducteur d’en face, dont à cet instant la voiture flirte aventureusement avec le bas-côté raviné de la route, sort de son lit ou d’un dancing…, la nuit a manifestement été courte, si tant est qu’elle ait jamais eu lieu, aussi Paty ne fait-elle pas vraiment la fière dans les lacets du parcours, d’autant qu’elle n’est sans doute pas vraiment la propriétaire de cette voiture.
A travers un vaste jardin, une cuisine bondée, et un salon ouvert sur un patio mué en dancefloor, on suit dans son inventaire des lieux une habituée de ce genre de festivités, tandis qu’elle jauge les prestations d’un œil comptable : “Il y a traiteur, machine à hot-dogs, champagne… C’est pas toujours comme ça”, apprécie-t-elle à travers un sourire d’une blancheur phosphorescente… et aussi une sono de compète, un bar à cocktails, un bar à massage, un bar à cigarettes, le tout prodigué gracieusement et en abondance, en attendant le soleil, qui ne reparaîtra que plus tard…, mais surtout, aux platines, il y a pour exhausser tout cela les six mains expertes d’Apollonia… l’accrochage évité et patte blanche (en fait un bracelet fluo) montrée à la sentinelle en K-way de la sécu, on atteint enfin une jolie bâtisse aux murs clairs, une résidence privée déjà cernée par les dizaines de véhicules de ceux qui musardent autour de la piscine en tenues très légères et que le crachin baléarique n’a pour la plupart pas suffi à convaincre de se rhabiller.
“Je suis très exigeant, mais ces types sont incroyables, c’est comme bosser avec une Formule 1”, s’emballe le maître des lieux, Mitch, vieux beau anglais de Wolverhampton, fou de clubbing, et l’un de ces mecs friqués dont on nous expliquera plus tard qu’avant, ils faisaient péter des bouteilles en boîtes, alors que maintenant, ils paient leur after en villa… et l’on ne nous enlèvera pas de l’idée qu’il y a là comme une forme de surenchère : “Ce que je fais dans la vie ? Disons que personne en Angleterre n’a autant d’apparts à louer que moi”, poursuit Mitch : “Donc je ne travaille pas vraiment. Enfin si, je fais ça : ça prend du temps et des connexions de réunir dans un endroit pareil la meilleure sécurité, le meilleur système son et des artistes de la trempe d’Apollonia”… composée des dénommés Dan Ghenacia, Dyed Soundorom et Shonky, trois amis et agitateurs house de longue date, la formation s’avère en outre l’une des seules entités gauloises à figurer au dernier classement annuel des 100 meilleurs DJ aux monde, le panthéon très convoité établi par Resident Advisor (RA), site de référence consacré à la dance music… et l’exploit apparaît d’autant moins mince que, nouveaux entrants, ils se sont aussitôt vu décerner la 16e place, au milieu d’autres sommités électroniques de l’île blanche, qui y orchestrent toutes leur propre soirée hebdomadaire : Ricardo Villalobos, Richie Hawtin, Jamie Jones, Marco Carola, Sven Väth…
Le trio de DJ français, qui paraît sur l’île comme en son jardin et y entretient ses vieilles habitudes chaque saison (un calendrier très réglé du clubbing de mai à octobre, avec ouverture et clôture officielles en guise d’apothéoses dans le n’importe quoi festif), a vu sa cote flamber depuis un an, au point d’enquiller les dates à une cadence insensée, avant de regagner leur base-arrière d’Ibiza la veille de l’after auquel on se trouve convié, ils auront joué au festival Sonus, raout maousse en Croatie, à Mykonos, à Amamet, dans les Pouilles, à Budapest et à Tel-Aviv, le tout en six jours, presque sans râler… d’un côté “la commerciale” et ses pénibles turbines EDM, celle donc des Guetta, Calvin Harris, Avicii et autres Armin van Buuren…, de l’autre “l’underground”, étiquette bizarrement accolée sans distinction à tous ceux qui entretiennent un semblant d’exigence musicale, fussent-ils des superstars du calibre d’un Seth Troxler, numéro un du fameux top 100 de RA il y a deux ans et aujourd’hui relégué à sa 3e place… mais, croisé quelques heures plus tôt, tout sourire et aux prises avec un opulent thon plancha dans une gargote sur les rochers de Talamanca, il n’avait pas l’air plus amer que cela… pas trace dans la liste, en revanche, du suzerain-bouffon d’Ibiza, David Guetta, accosté sur ces rivages sur la pointe des pieds voilà quinze ans pour n’y occuper d’abord qu’une niche, mais vite passé sur l’autre versant de cette scène musicale aux catégorisations très binaires, embarrassées d’aucune nuance intermédiaire.
Avec ses trois vastes espaces et sa jauge (riquiqui, selon les standards locaux) à 1.500 clubbeurs, son prix raisonnable à la porte quand la plupart des autres maisons réputées (l’Amnesia, le Space, le Pacha ou le mastodonte Ushuaïa, ouvert il y a quatre ans) facturent l’entrée une cinquantaine d’euros, son épais historique de démêlés avec les autorités (quelques années de fermeture à la clé) et une programmation de haut vol, le club n’a rien perdu de sa stature de creuset de nuits d’exception au fil des années où s’écrivait sa légende débraillée…, tout juste a-t-il dû bûcher un peu sur les normes d’hygiène et de sécurité… la veille de l’after, comme en chaque lundi de la saison, Apollonia partageait justement avec Troxler et quelques autres pointures (Kerri Chandler, Black Coffee, Mathias Tanzmann, The Martinez Brothers…) l’affiche d’une des institutions de l’underground ibicenco, la Circo Loco, soirée où ils tiennent résidence, sise au mythique DC10…, un club installé en 1999 dans un hangar au bout des pistes de décollage de l’aéroport, d’où son survol constant à basse altitude par les avions, indéniable attraction au crépuscule.
Avant même de fédérer autour de lui ses camarades Dyed et Shonky au sein d’Apollonia, Dan Ghenacia y était résident depuis une dizaine d’années, il me dit en riant : “J’ai vu le club se réinventer de force, en sachant toujours rester en adéquation avec l’endroit et l’idéal underground. Je suis venu pour la première fois en 2000, une claque. J’y ai démarré tout en bas de l’échelle, comme tout le monde d’ailleurs, car personne, pas même la plus grosse star, n’arrive à Ibiza en terrain conquis. A l’époque, c’était un des clubs les plus trash au monde, il n’y avait pas de sécu et c’était les Hell’s Angels, qui aimaient bien l’endroit, qui faisaient le service d’ordre”. “Il n’y avait pas de porte, pas de toit, de la poussière, les disques fondaient au soleil et il n’y avait presque que des filles : c’était Mad Max!”, confirme Sofia, sa femme, qui gère d’une main de maître à la fois l’agence de booking en charge d’Apollonia et un étonnant capital santé après vingt ans d’occupations nocturnes…
Mais désormais elle veille à manger bio et boire peu : “Ils nous paient des clopinettes, mais on est toujours là, et on sait pourquoi”, poursuit-elle : “alors qu’un cachet à l’Amnesia peut être vingt-cinq fois plus important, ici, ça a toujours su rester à taille humaine, la première fois que Puff Daddy est venu c’était à l’américaine, avec quinze gardes du corps et il a senti que les gens kiffaient vraiment pas. L’année suivante, il est passé avec deux potes, ça s’est beaucoup mieux passé”…
Ainsi un barbu à lunettes et d’un âge très respectable paraît attifé capillairement parlant comme le personnage secondaire le plus louche de More, de Barbet Schroeder, film tourné à Ibiza en 1969 et peinture d’un rêve hippie tourné au cauchemar toxique… aux toilettes, un grand chevelu décoloré que l’on jure n’avoir jamais croisé de la vie nous tombe dans les bras comme si l’on avait cultivé le chanvre ensemble, avec un enthousiasme tel qu’on n’ose pas le démentir… ce soir-là, le club est plus que plein, saturé d’énergie, on croise quelques looks tout cuir clouté, toute étole intégrale, tout collagène, mais globalement surtout beaucoup de tout coton et polyester à fleurs, on discerne toutefois dans la foule quelques évocations de la riche histoire de l’île, envisagée en bulle d’hédonisme par toutes les invasions plus ou moins barbares qui s’y succédèrent, des Carthaginois aux Guetta.
Et alors même que les deux faces d’Ibiza ont pour habitude de se toiser à distance sans jamais se croiser, ça parle même de partir un jour en détox dans la moitié nord de l’île, celle, préservée, qui carbure à l’aloe verra plutôt qu’aux ecstas : “Cette supposée guerre que rejouent tous les gouvernements locaux entre le nord et le sud, l’industrie du bien-être et celle de la fête, ce qu’il reste des hippies et les vacances familiales d’un côté, et les clubbeurs dépravés de l’autre, c’est un leurre, les deux s’entretiennent et se maintiennent à flot. Car, après tout, il faut bien aller se retaper au nord après toutes ces parties au sud”, tempère Shauna, une Irlandaise à la rousseur survoltée qui manage les Martinez Brothers… en marge de dancefloors chauffés à blanc, dans un backstage très select (300 personnes, tout au plus) se bousculent artistes, vrais et faux invités, qui pour certains ont soudoyé leur droit d’entrée pour une centaine d’euros, tous potes de soirée… en anglais, en italien, en français, en allemand, voire carrément en espagnol, ça se bise, s’enlace, se selfise, ça essaie de se vendre des apparts avec vue (mais vue sur quoi ? Pas de réponse).
Deux heures et demie à tricoter patiemment leurs basses chaleureuses sans donner l’air de forcer leur talent ni de viser jamais le coup de force suffiront ce soir-là à retourner la plus grande salle du club, ivre d’amour pour ses habitués…, Paris Hilton, qui mène sa nouvelle et discutable carrière de DJ en résidente d’une autre enseigne de l’île, passe faire coucou et témoigner ses hommages en cabine, avant de tweeter la bonne parole à ses quelque 13 millions de followers… quand Dan affiche une légère gêne à l’idée de se trouver associé à pareille fan dans un journal vaguement respectable, un type qui se présente comme Steve et son ami de vingt-cinq ans explose : “Je suis désolé, tu peux pas mettre ça de côté comme ça, si elle vient a ta soirée, ça veut dire que même elle, elle aime Apollonia. Regarde Christian Audigier, les gens parlaient mal sur lui, aujourd’hui il n’appartient plus à ce monde, et pourtant c’était un gentil garçon”…
Dans la cabine des DJ prise d’assaut par une foule de proches et lointaines connaissances en quête de hauteur sur la piste, Apollonia reconduit l’immuable routine qui charpente et signe ses prestations : chacun des trois DJ nourrit le mix d’un disque à son tour, selon un ordre jamais ébranlé (Dan, Shonky puis Dyed) : “C’est une manière d’écriture complètement démocratique”, explique Dan : “Un système où l’on se fait confiance et s’abandonne au feeling des autres. On n’a pas tous la même façon de mixer, mais on est assez complémentaires pour prendre des risques sans craindre que l’autre se plante derrière. Surtout, le fait qu’il y ait toujours le même temps entre chaque disque pour sentir le prochain, ça créé une discipline, quelque chose d’hypnotique où il n’y a plus de hasard. Mais ça fonctionne surtout parce que ça fait des années qu’on joue ensemble, notamment dans des sets très longs en after, où ça pouvait devenir n’importe quoi. C’est ces prestations-là qu’on aime par-dessus tout, quand on perd la notion du temps pour faire corps avec la musique. Je crois que notre record, c’est un set de plus de treize heures au Panorama Bar, à Berlin”..
Plus tard, le même individu très physionomiste soutiendra avoir aperçu Louis Malle en personne… avant de se reprendre, confronté à notre air interdit et à l’implacable information du décès du cinéaste il y a tout de même vingt ans : “Non, en fait je veux dire le comédien français, grand, brun. J’aime tout ce qu’il fait. C’est ça, Louis Garrel”…, contacté, l’acteur n’a vraiment pas compris ce qu’on lui voulait… pendant ce temps, un autre camarade du trio entend visiblement se convaincre à toute force que la soirée est infestée de people… plusieurs jeunes femmes passeront l’heure suivante à traquer dans la foule l’ombre supposée de Vincent Cassel, avant de reparaître, penaudes : “Vraiment, vous l’avez pas vu ? Il y a une deuxième sortie ou pas ? Est-ce qu’il y a une sortie inconnue ?”…
Alors que Dan et Sofia viennent de rendre leur appartement parisien pour caresser l’idée de s’installer à Ibiza à l’année, Shonky, comme Dyed, est aujourd’hui installé à Berlin, où Apollonia a conçu son premier album il y a deux ans (Tour à tour, sorti sur leur propre label) : “Les choses bougent enfin à Paris, à l’évidence, mais avec combien d’années de retard ? A Ibiza, il n’y a pas beaucoup de classe, mais une vraie culture clubbing, comme je n’en ai retrouvé, à la rigueur, qu’à Berlin”…
Après leur set, on ne trouve toujours pas grand-monde backstage pour parler musique, sinon les trois garçons d’Apollonia et Sofia… Dan et cette dernière se remémorent de concert la façon dont le prisme musical et la faune de l’île ont mué depuis quinze ans, pour atteindre une grande confusion des genres, où la loi hégémonique d’usines à dancefloor qui font leur chiffre en facturant des tables VIP à 12.000 euros écrase l’hypothèse même d’enclaves pointues, à quelques marginales exceptions près… sans pour autant empêcher “l’underground” de s’infiltrer partout et d’y faire son nid : “On vit un moment assez bizarre, très éclectique et indéfinissable, avec à la fois une population qui n’a jamais été aussi dingue de bonne musique et une nouvelle catégorie très friquée qui vient désormais ici plutôt qu’à Saint-Tropez. Alors que l’underground n’avait droit de cité quasiment qu’au DC10 en 2000, aujourd’hui, la commerciale de l’époque paraît désormais pointue à côté de l’actuelle. Il n’y a qu’un Carl Cox qui a su traverser toutes les époques sans trop perdre des plumes. Mais dans le même temps les superclubs ont ouvert leurs portes à des gens comme nous, ils veulent de l’underground sans savoir ce que c’est, et sans vraiment faire de distinctions. On se retrouve face à des foules qui marchent à l’applaudimètre, et si tu portes une musique de fête un peu puissante, elle peut toujours prendre l’avantage à un moment, aussi radicale soit-elle. On a toujours essayé d’être libres musicalement, de ne faire aucun compromis, et ça paie. Mais ça a pris du temps, il a fallu construire à notre rythme, un peu comme nos sets”…
De fait, la sono de la moindre épicerie du sud de l’île jouit d’un caisson de basse que leur envieraient bon nombre de clubs parisiens (on a les noms)… les restos ont souvent leur dancefloor, la zone d’embarquement de l’aéroport aussi, il n’y a guère que les pharmacies qui, aux dernières nouvelles, ne fassent pas aussi club… tout cela n’est pas forcément propice au repos de l’esprit… et Shonky garde un souvenir contrasté de sa première virée sur l’île : “Il y a quinze ans, je faisais des études de maths assez poussées, j’étais promis à un boulot dans la banque. Mes parents n’ont pas compris. Ils m’ont dit : Mais qu’est-ce que tu veux aller faire chez les beaufs ? Et c’est vrai que j’ai trouvé ça atroce, la première fois, même s’il y avait aussi déjà ce truc hors norme qui fait je n’ai jamais raté une saison depuis. A l’époque, on fermait encore nos oreilles, c’était trop commercial, on n’entendait presque que de la house filtrée, mais on profitait de la vie. Depuis ça a bougé, grâce notamment à des soirées comme Cocoon. Quand Villalobos a débarqué, vers 2005, ça a été une révolution, et la minimale et la techno ont tout balayé. Ensuite, il y a eu d’autre vagues. Nous, on a traversé tous ces chambardements sans vraiment varier dans la musique qu’on défend”…
Dan acquiesce : “On n’aurait jamais cru il y a dix ans que cette musique pouvait marcher à ce point, alors que le fond de sauce est le même. Les ravers n’ont plus les moyens de venir, mais il y a de plus en plus de gens qui aiment des choses qu’avant ils trouvaient trop plates, sans thème, sans paroles, qui se construisent sur la durée. Il y a une dizaine d’années, on éduquait les gens, mais c’est un peu fini. Le bon son est à la portée de tout le monde et comme de plus en plus de gens viennent en club pour nous voir, ça ouvre une fenêtre pour donner le meilleur de ce que l’on sait faire et de ce qu’on aime de pointu”…
La première fois, il s’agit d’une panne de générateur, qu’il faut remplacer à la hâte, tandis que l’on trouve toujours quelques personnes pour continuer de danser dans la piscine, comme si l’interruption ne les avait pas découragés, ou pas effleurés… et l’on songe alors soudain à ces gens qui, la veille à l’aube, se roulaient devant l’aéroport une pelle plus que fougueuse, avec trop d’impudeur pour être complètement à jeun… toutes les foules et toutes les occasions de prêcher sa profession de foi house ne se valent toutefois pas pour Apollonia, dont les sets haute couture n’exercent jamais mieux leurs prodiges alchimiques qu’au long cours, comme par affinage et lente décantation, entretissant incunables vintage qui sonnent comme des nouveautés, et nouveautés qui paraissent presque des classiques… ainsi le trio délivre-t-il une prestation d’une intensité incomparable le lendemain de la soirée au DC10, à l’after-party dans la villa : ils tiennent les platines du début d’après-midi au soir sans donner le sentiment de transiger avec rien, sinon quelques erratiques coupures de son.
Une Anglaise titubante déboule permis de conduire à la main : “Il y a toujours quelqu’un dont l’anniversaire tombe le jour de l’after, et ça, ça peut passer. Si tu montres ta date de naissance sur ton passeport, tu peux sauver la fête“, explique-t-on… le bruit circule que le voisin serait le putain de meilleur pote de la police… et que la contravention pourrait se chiffrer à 4.000 euros… la seconde coupure intervient alors que l’on croise, changée de la tête aux pieds… et pour la troisième fois de la soirée, la même créature blonde au port altier (à moins que ce ne soit sa sœur, ou une cliente du même chirurgien plastique monomaniaque)… cette fois, c’est la police, qui n’en veut pas tant au volume sonore qu’aux dizaines de voitures garées en pagaille autour et qui bloquent l’accès aux villas voisines. Tandis que Dan, Mitch et un habitué de l’île qui a ses relations parlementent avec les forces de l’ordre, le chef de la sécurité essaie de juguler les initiatives individuelles et désordonnés de négociation : “Parfois il suffit de payer un coup et de glisser un petit billet. Parfois ils vous coffrent pour ça. Il faut toujours avoir un bon contact”…
Quand la fête reprend une demi-heure plus tard, les lourds nuages du début d’après-midi sont loin, le dancefloor déborde dans la piscine, le volume sonore paraît avoir doublé et l’exultation des DJ transpire le soulagement… il fait une chaleur impossible dans la pièce d’où ils mixent, aussi enserre-t-on les platines d’une ceinture de ventilateurs… les bars sont ravitaillés à intervalles réguliers de bouteilles prodiguées par des marques qui en retour ont disposé leurs logos autour de la piscine, prêts à inonder Instagram… les verres se renversent sur les jambes, les têtes, les téléphones, les assauts du son sur les quelque 200 convives s’affermissent, dérivant en une demi-heure d’un style à l’autre avec ce qu’il faut de construction intraitable et de chaos à la fois… certains fuient l’objectif des appareils photos avançant un spectre de motivations assez vaste : “Je suis censé être ailleurs, je suis indien” ou encore : “Je suis mannequin”… un type musculeux au cheveu débraillé veut lancer une quête parmi les convives pour régler l’amende… il s’avère que c’est Greg le Millionnaire… il porte le même marcel que la veille au DC10… alors que quelques rares râleurs s’échauffent (c’est comme au foot, s’il y a des arrêts, faudra faire les prolongations), Dan revient, l’air serein : “Tu sens que la mayonnaise monte”, s’amuse-t-il : “Y a toujours un truc à gérer, faut faire avec. On en a vu tellement d’autres… La musique est bonne, le soleil est enfin là, il y a de la boisson à foison, ils vont rester”…
Shonky, au micro, lance un appel urgent au propriétaire de la Porschette PGO 356…, puis suggère à tout le monde de pousuivre au Km Cinco, un restaurant-club-boutique de souvenirs historique non loin… un after à l’after s’improvise entre personnes choisies à l’étage, tandis que le lieu se vide lentement, par petits groupes…, certain(e)s débattent de l’étape suivante, énumérant les line up des gros clubs, d’autres passeront sans doute la nuit sur place, faute de véhicule, même s’ils ne le savent pas encore…
Alors que, vers 21 heures décline la lumière, devenue sublime, la musique s’interrompt une nouvelle fois : “Les flics ont eu raison de nous”, souffle Mitch : “Et en même temps, là, c’est parfait“, s’émerveille Dan.