Jaguar F-Type V6… Et si c’était la Type E du 21e siècle ?
Par Marcel PIROTTE
Il y a un peu plus de cinquante ans, naissait l’une des voitures les plus désirables de son époque, la Jaguar Type E…, un look de diva et un capot aussi long que celui d’un porte-avions abritant un superbe six cylindres de 3L8 de 265 chevaux, capable d’emmener cette superbe voiture de sport déclinée en roadster ou coupé à plus de 240 km/h, tout en procurant les sensations les plus extrêmes à son conducteur…, le tout moyennant un prix tout à fait honnête pour une réalisation aussi sophistiquée nettement moins chère que la concurrence.
Jusqu’en 1975 à travers trois carrosseries (cabriolet, coupé et 2 +2), trois séries différentes et deux éditions limitées, un peu plus de 70.000 type E vont être fabriquées, toutes des œuvres d’art qui aujourd’hui font la joie des collectionneurs malgré le fait qu’elles exigent une attention soutenue et surtout un entretien sérieux et régulier, onéreux aussi , cela va de soi…, mais quand on aime, on ne compte pas …
Une XJ-S bien lourde mais rentable…
Après sa disparition en 1975, la type E laisse la place à la XJ-S, plus du tout dans le même esprit, nettement moins sportive mais plus facile à construire, elle empruntait en effet la plate forme de la berline XJ.
En revanche, ce coupé 2+2 était lourd, très lourd, pas seulement au niveau du poids, près de 1.800 kg mais surtout en ce qui concerne ce design jugé trop américain et surtout une présentation intérieure qui ne correspondait pas du tout aux standards de Jaguar, la firme de Coventry étant entretemps passée dans le giron de la tentaculaire British Leyland !
Ce n’était donc pas une référence en matière de gestion, d’autant que ce coupé faisait appel au V12 de 5L3 de la défunte type E de la dernière série, un bloc très imposant livrant 285 chevaux, capable d’emmener ce coupé assez rapide à 220 km/h en pointe (de 0 à 100 km/h en moins de 9 secondes), sur de très longues distances dans un confort souverain très british !
Mais il n’avait ni l’âme ni le tempérament d’une type E…
Malgré tous les efforts entamés par la suite afin d’offrir un V12 H.E encore plus performant et moins gourmand (ça c’était pour le show), porté à 6L0 et 318 chevaux dans la XJR-S de 1989 ainsi qu’un nouveau six cylindres proposé en deux cylindrées : 3L6 et 4L0, particulièrement bien approprié aux versions cabriolets, sans oublier de multiples succès en compétition, la XJ-S ne pourra jamais prendre la succession de la type E.
Elle se retire sur la pointe des pieds en 1996 après une production un rien supérieure à 113.000 exemplaires, des chiffres plutôt surprenants, pour une version soi-disant mal aimée…
XK8 : the cat is back…
Fin des années 80, Jaguar change à nouveau de propriétaire, le géant américain Ford veille désormais aux destinées de la célèbre firme anglaise qui doit regagner de sa superbe.
Un tout nouveau coupé/cabriolet s’impose d’autant que maintenant Jaguar n’a plus droit à l’erreur, la fiabilité doit être au rendez-vous.
Les ingénieurs et designers se mettent donc à l’ouvrage, à la fin de l’année 1993, le projet X100 est approuvé, il doit donner naissance au coupé 2+2 XK8 dès 1996, le cabriolet suivra un an plus tard.
Ce nouveau modèle de 4m76, plutôt agréable au regard, élégant et très bien fini semble vouloir renouer avec la tradition…, “the cat is back”, entonnent en cœur les Anglais.
C’est partiellement vrai, mais n’oublions pas que cette XK8 partage de nombreux éléments avec sa cousine Aston Martin DB7 et que son nouveau moteur V8, une belle pièce d’horlogerie, l’AJ-V8 de 4L0, délivre en effet pas loin de 300 chevaux pour près de 400 nm de couple, une boîte auto ZF 5 rapports se chargeant de transmettre toutes ces valeurs aux roues postérieures, le coupé revendiquant 1.650 kg (100 kg en plus pour le cabrio, lui aussi du genre 2+2).
Avec 250 km/h en pointe, de 0 à 100 km/h en moins de 7 secondes, l’engin a de la ressource. La Jaguar XK8 a du tempérament, c’est sûr… et si elle ne déclenche pas cette passion que provoqua l’arrivée de sa grand-mère, la type E, elle est au moins fiable, sérieuse dans sa construction et pas trop gourmande, tout en étant très agréable à piloter au long cours.
Ce n’est pas une sportive à 100 % mais une GT très envoutante.
Aujourd’hui, elle reste l’une des voitures anglaises les plus désirables sur le marché de l’occasion où elle se négocie à des prix très abordables.
La XK va lui succéder, faisant l’objet de modifications importantes malgré une conception inchangée.
De nouveaux moteurs encore plus puissants vont s’ajouter à la gamme, le V8 est porté à 4L2, délivrant plus de 400 chevaux… et même à 5L0 de cylindrée, alors qu’un nouveau V8 5L0 suralimenté par un compresseur Eaton permet de franchir la barre des 500 chevaux et même 550 chevaux pour la dernière XKR-S, 680 nm à transmettre via une boîte auto 6 rapports, un véritable épouvantail pour les autres “super GT” de la planète, mais pas la plus chère…
Tata à la rescousse…
Mais on attend toujours celle qui doit véritablement succéder à cette icône qu’est la type E…
En 2008, Ford à court de liquidités se débarrasse de Jaguar et de Land Rover qu’il revend au géant indien Tata pour 2,3 milliards de dollars !
Une bien mauvaise opération, la firme à l’ovale bleu doit certainement le regretter amèrement. Tata, c’est la plus grande compagnie indienne active dans la fabrication de voitures et d’utilitaires mais également un fameux conglomérat touche à tout.
A l’époque, on pouvait logiquement se poser la question de savoir si ce rachat était une bonne affaire pour Jaguar et Land Rover !
La réponse est positive, les ventes des produits anglais se portent comme un charme, près de 100.000 unités pour le premier semestre de cette année, et ça n’arrête pas de bonifier, Tata (qui fabrique aussi en Inde la Nano, une mini citadine à très bas prix, qui ne récolte pas le succès escompté), ayant compris qu’il fallait investir dans de nouveaux produits innovants mais aussi porteurs d’image.
Et comme à l’époque le patron de Tata : Ratan Tata (remplacé depuis fin 2012 par Cyrus Mistry) est un homme d’affaires avisé, visionnaire mais également passionné de belles mécaniques, il comprend que Jaguar est un diamant à polir !
C’est lui qui va donner le feu vert pour la fabrication de la F-Type, un roadster sportif présenté au salon de Paris il y a tout juste un an et commercialisé ces dernières semaines.
L’occasion de prendre cette voiture en mes mains, bien différentes de celles de “Quelqu’un” qui n’avait pas du tout été enthousiasmé par la F-Type…
La nouvelle Tataguar F-Type 2013… : http://www.gatsbyonline.com/main.aspx?page=text&id=1094&cat=auto
2013 Tataguar Type-F Project-7 à Goodwood… : http://www.gatsbyonline.com/main.aspx?page=text&id=1247&cat=auto
Mais l’un n’est pas l’autre, comme vous allez pouvoir me lire…
Pas une Tataguar, mais bien une vraie Jaguar…
N’en déplaise à mon excellent ami de toujours : “Quelqu’un”, ce roadster n’est, selon moi, pas du tout une Tataguar, mais bien une véritable Jaguar dans tous les sens du terme.
Mais il a fallu que ce soit un Indien qui donne l’impulsion, rendez-vous compte, un “local” qui a connu la domination anglaise sur ce pays, qui bientôt sera le plus peuplé du monde.
Une situation qui doit laisser un goût très amer dans la bouche de certains Anglais qui pendant trop longtemps se sont conduits comme les rois du monde…
Quoi qu’il en soit, la F-Type représente bel et bien comment doit être conçu un roadster deux places (pas une de plus) à toit souple et propulsion, la seule fausse note étant cette contenance vraiment ridicule de ce mini coffre de 200 litres, une grande boîte à gants, impossible de même y loger un sac de golf…, shocking messieurs les anglais !
On ne respecte vraiment plus rien !
C’est d’autant regrettable que ce roadster invite à la balade et à parcourir de très longues étapes en belle compagnie, prière dès lors d’envoyer les bagages par le train ou l’avion.
Franchement, ce roadster méritait mieux.
Avec une roue de secours temporaire, il n’y a plus de coffre du tout, tout au plus peut-on y loger deux trousses de toilette…
Ca me fait vraiment râler car j’aurais voulu la commander (à condition toutefois de toucher l’Euromillion, j’y crois…) mais ce détail m’horripile !
En revanche, je trouve le look agréable, certains y voient une partie arrière s’inspirant de celle de la grand-mère type E, oui, c’est vrai !
Le design (à part le coffre) est une véritable réussite, larges épaules à l’arrière, double sortie centrale d’échappement, il suffit d’ailleurs de constater l’intérêt des badauds et autres automobilistes pour comprendre que le styliste en chef Ian Callum a tapé dans le mille ( je lui retire cependant 100 points pour le coffre, oui, je lui en veux), la F-Type est véritablement une sorte de ramasse poulettes mais moderne dans sa conception !
Avec sa structure ainsi que sa carrosserie en aluminium, une direction précise, des liaisons au sol de belle facture mais également de nouveaux moteurs et une boîte automatique 8 rapports, c’est sans doute l’une des meilleures sur le marché,
A la base, deux V6 3L0 à compresseur, 340 ou 380 chevaux, le haut de gamme étant occupé par le V8 5L0 de 495 chevaux.
J’ai porté mon dévolu sur la version de base, 340 chevaux, 450 nm de couple, un peu moins de 1.600 kg, moins de 4m5 de long, ça me va !
Le prix de base pas vraiment : 75.300 €uros !
Et Jaguar n’y va pas avec le dos d’une cuillère à thé pour les options qui font grimper le prix de la voiture vers des sommets indécents !
On vous réclame 210 € pour un pare-vent plutôt inefficace, 560 € pour le Bluetooth (c’est presque de série dans une Dacia à 10.000 €), 70 € pour un pare-soleil à miroir (vrai de vrai) , 200 € pour des ceintures de sécurité beiges ou rouges, 310 € pour des seuils de portes éclairés, 2.000 € pour un échappement sport (à prendre absolument même si c’est un scandale de le proposer à ce prix) et j’en passe : 3.000 € pour la navigation (ce système tout aussi efficace chez Renault et Dacia y dépasse à peine 400 €)…et je n’ai pas cité les nombreux “packs”…
Conclusion, une F-type 6 cylindres correctement équipée, c’est au minimum 90.000 €uros !
Plus ou moins le même prix qu’une Porsche Boxter full optionnée de 315 chevaux…
Parfois (même souvent), on se demande si les constructeurs ne prennent pas les acheteurs pour des pigeons qu’il suffit de plumer…
Mais si les candidats-acheteurs sont disposés à payer, à qui jeter la pierre ?
Certainement pas à Jaguar ou Porsche, les autres : Ferrari, Lamborghini, Audi…, font encore bien pire.
Ayant dès lors jeté ma calculette aux orties, j’ai voulu profiter de ce roadster assez bas (on ne monte pas dans une Jaguar, on y descend) et surtout bien large.
Ambiance plutôt cosy, mais, à bord, nette séparation entre le conducteur et sa passagère, la console centrale n’autorise aucun flirt, mais a capote souple s’ouvre électriquement (le contraire eut été étonnant) en 12 secondes seulement.
L’équipement de série pêche par quelques détails de finition, de plus il n’y a pas beaucoup d’espaces de rangement et ils ne sont pas généreux.
Prière de voyager léger…
Contact…
Cas de doute, ce V6 a été dopé aux anabolisants, son compresseur entre en action très rapidement avec en prime un bruit qui ne laisse personne indifférent, une sonorité très envoutante, surtout lors des décélérations en mode manuel…, on n’arrête pas d’en redemander, rien que pour le fun, on s’amuse à changer de rapports, de préférence dans un tunnel ou sous les arbres… et hop une portion supplémentaire d’adrénaline !
Pour une version dite de base, ça déménage, le constructeur annonce 260 km/h en pointe, je n’ai pas essayé d’atteindre ce chiffre mais sur certains portions d‘autoroute bien dégagées, le tachymètre indiquait sans problème un bon 200 km/h, dans une facilité déconcertante, faut-il le souligner !
Mais comme j’ai envie de conserver mon permis de conduire, pas question d’aller faire joujou avec des vitesses qui dépassent d’ailleurs l’entendement et qui ne sont plus de notre époque, surtout sur nos routes trop encombrées.
N’empêche que conduire une F-type, c’est profiter de chaque kilomètre, de la moindre accélération (de 0 à 100 km/h en moins de 6 secondes), de jongler avec les palettes au volant de cette boîte automatique à 8 rapports…, tout cela afin de d’encore mieux et plus vite relancer la cavalerie qui ne demande d’ailleurs que ça.
Dépasser : un jeu d’enfant…, effacées les chicanes mobiles, le kilomètre départ arrêté s’effectue en moins de 25 secondes, la Jaguar n’est pas avare de sensations alors qu’à la pompe, elle se contente en moyenne de moins de 11 L aux 100 km, pas loin de 15 L en titillant la mécanique…, on peut voir venir avec un réservoir de 72 L!
En plus d’un moteur brillant et racé ( le V6 S de 380 chevaux et 460 Nm, soit 10 de plus, ne se justifie pas tellement, mais le V8, c’est une toute autre dimension avec notamment 495 chevaux et 625 Nm de couple), ce roadster se comporte également comme une véritable voiture de sport : fidèle, agile, dynamique lors des enchaînements de virages, possédant une excellente tenue de cap, les changements de trajectoire étant facilités par une direction fort précise, pas trop démultipliée alors que le freinage confié à quatre disques ventilés n’a jamais montré le moindre signe de fatigue ou d’échauffement même lors de décélérations très appuyées.
Certes, les puristes vous diront qu’ils regrettent l’absence d’un différentiel autobloquant mais à moins d’évoluer sur circuit, il n’est pas nécessaire, du moins pour circuler tous les jours, le confort des suspensions n’étant pas trop sacrifié…, bref, un roadster comme je les aime… et de plus, parfaitement utilisable au quotidien …
Il a sans doute fallu attendre pas mal d’années pour avoir un digne successeur de la fameuse type E !
C’est maintenant chose faite, la F-Type bientôt décliné en coupé est prête à assurer la relève, mais prière de prévoir cette fois un vrai coffre, nettement plus spacieux !
Marcel Pirotte, pour www.GatsbyOnline.com