Jaguar, presque 100 ans… et même un peu plus…
Par Marcel PIROTTE
Jaguar, fabricant de voitures anglaises de grande classe et de sport, a débuté ses activités en 1922 avec la société Swallow Sidecar Company (SSC), mais c’est en 1935, sur les conseils du responsable de la publicité que l’on adopta le nom de Jaguar, synonyme d’élégance et de performances de ce superbe félin.
L’histoire de Jaguar n’a pourtant été un très long fleuve tranquille, son histoire est émaillée de victoires mais également de nombreux échecs sans oublier que cette société a bel et bien été ballotée à des fins politiques tout en ayant fait partie du groupe British Leyland avant d’être rachetée par Ford qui l’a revendue à un groupe indien de grand envergure, la famille Tata… et c’est probablement la meilleure chose qui soit arrivée à ce constructeur dont les destinées sont désormais intimement liées à celles de Land Rover. Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire l’injure de vous retracer l’historique de Jaguar, je voudrais cependant revenir sur certains faits mais également quelques réalisations qui ne manquent pas de “piquant” alors que d’autres ne méritaient pas de porter ce nom ô combien prestigieux.
Jaguar ou plutôt SSC, c’est avant tout l’histoire de deux hommes passionnés, Williams Lyons qui venait de fêter ses 21 ans et son ami William Walmsley.
Ils se mettent en tête dès 1922 de fabriquer à Blackpool des sidecars pour motos tout en utilisant des matériaux légers et en soignant le design.
Elégance et légèreté sont les maitres mots, mais bien vite William Lyons pense déjà à la fabrication de carrosseries spéciales pour voitures, une activité bien en vogue pour l’époque (et pas nécessairement pour des voitures très chères), la crise économique des années 1925-1930 va lui donner raison.
La SS Cars Ltd voit le jour, la compagnie s’établit à Coventry, désormais William Lyons est seul aux commandes et d’emblée crèe un centre de recherches et de développement confié à William Heynes qui va mettre au point la première berline SS 2 ½ litres équipée d’un six cylindres de la marque Standard qui aurait pu s’appeler Sunbeam, tombée en faillite. Mais il fut battu sur le fil par les frères Rootes, Hillman, Humber, Singer…
Qu’à cela ne tienne, elle va dès 1935 porter le nom de Jaguar, cette berline étant très vite rejointe par un roadster deux places de 104 chevaux, la Jaguar SS100, ce chiffre signifiant la vitesse de pointe : 100 mph / 160 km/h. Durant la seconde guerre mondiale, la production automobile est mise en veilleuse, l’usine produit des munitions tout en réparant des bombardiers et autres chasseurs de la RAF. Mais il faut penser à l’après guerre, plus question non plus pour des raisons évidentes de porter le nom de SS, la compagnie est rebaptisée Jaguar Ltd, c’est aussi l’époque où le fameux moteur XK à double arbre à cames en tête de 3L4 est mis au point, il va équiper le superbe roadster XK 120 qui se paiera le luxe de pointer officiellement à 212 km/h sur la nouvelle autoroute de Jabbeke (aujourd’hui la E40) non loin d’Ostende.
Ce moteur va également propulser la berline MK VII produite pendant une décennie, les ventes Jaguar ne se sont jamais aussi bien portées. C’est aussi l’époque où une très jolie femme d’affaires, une certaine Joska Bourgeois, devient le premier importateur officiel Jaguar en Belgique. Elle va se faire une véritable fortune ayant revendu par la suite Jaguar au bon moment, empochant au passage une incroyable plus value due au taux de change particulièrement favorable, tout en étant également devenue importateur de Toyota. Tout ce qu’elle touchait se transformait en or, elle décèdera à plus de 90 ans en 1994, ayant toujours vécu à 200 à l’heure…
De la route, la Jaguar XK 120 passe à la piste, la version C, grâce notamment à son fabuleux moteur et à des freins à disques, s’impose à deux reprises au Mans : 1951 et 1953. Cette XK 120 donne aussi naissance à des dérivés comme les roadsters et coupés XK 140 et 150 mais le patron qui sera anobli en 1956 (désormais, il faut l’appeler Sir) n’a qu’une idée en tête, écraser la concurrence au Mans ! Ce sera fait à trois reprises (55, 56 et 57) avec la type D particulièrement bien dessinée et très aérodynamique. Fin des années cinquante, une nouvelle berline sportive voit le jour, la fameuse mk2 à moteur six cylindres 2,4 l, 3,4 l et 3,8 l, cette dernière de 220 chevaux étant l’une de mes classiques favorites…, elle va même se permettre le luxe de remporter à de multiples reprises des rallyes prestigieux dont le fameux “tour de France automobile” avec Bernard Consten au volant…, une véritable performance car piloter cette superbe berline de 4,60m campée sur de très belles roues à rayon, c’était viril et physique à la fois, pas pour les mauviettes… Une berline classique se négociant aujourd’hui à 40.000 € en bon état, c’est (presque) donné…
Et puis arrive 1961, le salon de Genève, la type E est dévoilée, coupé ou roadster, son design particulièrement réussi est l’ouvre d’un aérodynamicien de génie, élevé dans le sérail de l’aviation chez Bristol, un certain Malcolm Sayer. Que de sensations : 33 mkg de couple, un six cylindres qui monte allégrement en régime dans un bruit tout aussi mélodieux, plus de 200 km/h en pointe malgré une signature aérodynamique plutôt médiocre, aucun problème pour emmener cette berline de plus de 1500 kg avec sièges en cuir et petites tables de pique nique en bois au dos des sièges…, bref , l’esprit british est bel et bien préservé, on ne se lasse jamais de la piloter et de manier son volant de camion. Avec un capot qui bascule vers l’avant afin de pouvoir travailler au moteur, un six cylindres 3,8 l gavé par trois carburateurs SU livrant la coquette puissance de 265 chevaux, cette type E, trois fois moins chère qu’une Ferrari, et coutant la moitié d’une Maserati, fait littéralement sensation : 240 km/h, de 0 à 100 km :h en 7 secondes, même Enzo Ferrari reconnaitra sportivement que cette type E est la plus belle voiture de son époque. Le félin ne s’est jamais aussi bien porté, cette type E : avance comme un avion et est une véritable sportive dans l’âme, bref, elle fait le plein de sensations. En revanche, c’est une voiture compliquée et couteuse à l’entretien alors que quelques petites babioles vont excéder les propriétaires, comme un refroidissement insuffisant, une commande rétive de boîte de vitesses ainsi que les lignes d’échappement qui se font la malle au passage d’une route défoncée…, ses trois essuie-glace font en revanche merveille, même à 200 km/h…
Entretemps, l’industrie automobile anglaise connaît des temps très difficiles, Jaguar fusionne en 1966 avec la British Motor Corporation, un an plus tard, la nouvelle société devient British Leyland Motor, regroupant la presque totalité des marques anglaises. Quelle auto, elle fait aujourd’hui l’objet de toutes les spéculations, 72.584 exemplaires ont été officiellement fabriqués sur quatre séries, la dernière celle de 1971 en plus d’une carrosserie 2+2 étrenne un nouveau V12 de 5,3 l livrant 270 chevaux, un moteur spécialement conçu pour les clients US mais que l’on va retrouver par la suite sur les grandes berlines XJ ( fabriquées jusqu’en 1992 à plus de 400.000 exemplaires ), ainsi que le coupé GT XJS qui en 1975 prend la relève de cette fabuleuse type E.
Le boss prend une semi-retraite, la marque est comme les autres : nationalisée…, c’est le début de la descente aux enfers, la qualité n’est plus au rendez-vous, les ventes s’effondrent, finie la notion du grand luxe british. Jaguar mettra des dizaines d’années à s’en remettre …
Petite parenthèse, début des années ’70, le moteur six cylindres 4,2 l de 195 chevaux va même équiper certaines versions du petit blindé de reconnaissance de fabrication anglaise, monté sur chenilles, baptisé CVRT, Scorpion et autres dérivés, qui vont notamment remplacer les bonnes vielles Jeeps des pelotons éclaireurs des régiments blindés. Pesant un peu plus de 8 tonnes, ce petit véhicule très maniable (je l’ai souvent conduit, j’avais bien évidemment passé le brevet), pouvait atteindre 80/85 km/h en pointe, son moteur crachait tout ce qu’il pouvait, mais sa boite de vitesse n’était pas très bien adaptée. Il pouvait aussi flotter, il fut aussi utilisé par les Britanniques lors de la guerre des Malouines, la firme Vickers en fabriqua un peu plus de 3.000 exemplaires (dont certains seront équipés d’un diesel Perkins, offrant une plus grande autonomie et des risques moindres d’incendie), l’armée belge en commanda 701 exemplaires, remplacés aujourd’hui par des véhicules blindés à roues, l’armée française ignora les capacités de cet engin et continua avec les fameux Panhard AML 60/90….
Mais revenons à la XJS, ce coupé mal aimé… et pourtant… La naissance de cette XJS en 1975 survient au plus mauvais moment, Jaguar est passé sous le contrôle de British Leyland et de plus, la crise du pétrole n’arrange vraiment pas les choses, d’autant que ce coupé 2+2, pas aussi effilé qu’une type E, ne pèse pas loin de 1800 kg tout en étant entraîné par un V12 de 5,3 l livrant 289 chevaux et un peu plus de 400 Nm de couple, la transmission étant confiée à une boîte mécanique Borg Warner 4 rapports ou automatique 3 vitesses de fabrication General Motors. Avec une telle cavalerie, je me souviens que sur les autoroutes allemandes, la bande de gauche constituait son milieu naturel…, ce coupé pouvait en effet pointer à 240 km/h, soutenir sans le moindre problème un bon 200 km/h de croisière (à l’époque, c’était encore possible !), tout en accélérant de 0 à 100 km/h en moins de 7 secondes ! Pas facile dès lors de rester dans son sillage, d’autant que le châssis faisait avant tout la part belle au confort ainsi qu’un silence de marche. En revanche, ce V12 n’était pas aussi démonstratif que les autres V12 italiens qui ne vivaient qu’à haut régime, mais à la pompe, son appétit en carburant était à la mesure de sa cylindrée, une moyenne de 20 l/100 km…, quant à son comportement sur les parcours sinueux, ce n’était pas vraiment sa tasse de thé…
A la fin des années ’70, cette XJS doit aussi compter avec un adversaire de taille, la Porsche 928 à moteur V8… et de plus, les ventes mondiales sont en chute libre, 1768 seulement en 1980…, il faut réagir ! Deux hommes, John Egan, le directeur de Jaguar ainsi que Michael May, ingénieur d’origine suisse, vont s’y atteler…, le premier en exigeant une bien meilleure qualité de fabrication et de finition, le second en utilisant des chambres de combustion à haute turbulence, du coup le V12 livre 295 chevaux tout en consommant moins. Il s’en sort plutôt bien pour entraîner les 1700 kg de ce coupé toujours aussi imposant.
En 1983, nouvelle évolution avec l’arrivée du six cylindres de la famille XK, 3,6 l, 228 chevaux et 331 Nm avec boîte mécanique 5 rapports ou automatique 4 vitesses. Suivra une version découvrable Targa développée pas le carrossier britannique Tickford, caractérisée par un arceau bien disgracieux mais quelques années plus tard et avec l’aide de Karmann, un véritable cabriolet, superbe dans son design met tout le monde d’accord, tant en V12 qu’avec le six en ligne, les cylindrées vont être augmentées pour être portées respectivement à 6 et 4 l mais la conception ne subira pas de grandes modifications…, ce qui n’empêchera pas cette série de survivre pendant 20 ans et de tirer sa révérence en 1995 avec un peu plus de 115.000 exemplaires au compteur, mais également des résultats étonnants en compétition, comme la victoire aux 24 Heures de Spa et le championnat d’Europe des voitures de tourisme. Décédé en 1985, Sir William Lyons n’a pas assisté (et c’est tant mieux) au démantèlement de British Leyland, tout est à reconstruire, à réorganiser…, il faut renommer des importateurs indépendants, cela doit aussi nécessairement passer par la compétition !
La victoire sourit à la XJR 9 LM conçue par Tom Walkinshaw, remportant à deux reprises les 24 Heures du Mans. Ouf, les ventes repartent à la hausse, plus de 50.000 en 1988, l’année où Jaguar annonce sa “super car” XJ 220, 500 chevaux, 220 mph, 340 km/h, 220 exemplaires prévus, 350 par la suite…, mais n’en vendra que 281, (prix de vente un rien supérieur à 500.000 €) principalement à des spéculateurs qui par la suite, en seront pour leurs frais…, car présentée en 1988, la version de série est seulement produite à partir de 1992, les clients enragent, le V12 est remplacé par un V6 3,5 l biturbo, finie la traction intégrale, place à la propulsion, Jaguar intente un procès à ceux qui renoncent à leur commande, bref, la cata… Entretemps, nouveau coup dur pour Jaguar, la reprise par Ford en 1989, ce ne sera pas la période la plus glorieuse encore que le géant américain avec l’aide du designer Ian Callum (qui avait dessiné l’Aston Martin DB7, Aston ayant aussi été reprise par Ford), va pourtant lancer le très beau coupé XK8 ( d’inspiration DB7) ainsi qu’un roadster, deux modèles à moteur V8 4 l de 370 chevaux, la cylindrée sera par la suite portée à 4,2 l.
Les berlines XF “super saloon” et XJ vont suivre, mais Ford ne peut s’empêcher de retomber dans ses travers et de jouer un bien vilain tour à Jaguar, lançant en 2001, une X-Type compacte utilisant de très nombreux éléments techniques de la Mondéo ! Sacrilège …, un très mauvais service qui se soldera par une production de 363.000 exemplaires ainsi qu’une perte sèche de plus de 1,7 milliards d’Euros, le constructeur perdant près de 5.000 € sur chaque voiture vendue. Et puis quelle image désastreuse pour une firme aussi prestigieuse que Jaguar… Et puis délivrance en 2008, Ford revend Jaguar au groupe Tata, un immense conglomérat indien, 80 sociétés, actif dans les toutes les branches de l’activité industrielle de ce grand pays, le deuxième le plus peuplé de la planète. Si l’on excepte le fait que les Lords n’ont toujours pas digéré que Jaguar (mais également Land Rover, d’où le nom de JLR pour la nouvelle entité automobile) appartienne désormais à une ancienne colonie de l’Empire britannique, c’est probablement la meilleure chose qui pouvait arriver à Jaguar.
Aujourd’hui, la compacte XE veut s’attaquer aux premium allemandes du genre Audi A4, BMW série 3 et Mercedes classe C, les nouveaux moteurs essence et diesel “Ingenium” semblent bien conçus, on fait également la chasse aux kilos superflus. Les nouveaux propriétaires dont le patron Ratan Tata est un fin connaisseur de l’automobile, il laisse le champ libre aux ingénieurs anglais mais les supervise du côté financier. Et ça marche, les coupés et roadsters XKR ainsi que la nouvelle famille des sportives de la série F sans oublier les berlines XF donnent le ton. L’année dernière, plus de 81.000 Jaguar ont été vendues de par le monde, l’objectif des 100.000 n’est pas loin…
Marcel PIROTTE pour www.GatsbyOnline.com