Jerrari – Jerraillerie – Jerrarire !
Ma réputation internationale est plus que planétaire, on m’invite partouze pour des reportages ! Il y a quelques semaines, c’est Alec Löckmann le PDG de Skubch & Company qui m’a invité en Allemagne pour que “je cause” de son acquisition : une Jeep Wagoneer avec un nez de Ferrari 365GT, ayant appartenu à Bill Harrah, milliardaire américain connu pour ses casinos ! Alec Löckmann est un résolveur de problèmes, responsable informatique des applications ERP : “La façon la plus simple de résoudre un problème complexe est de l’aborder de manière non conventionnelle, d’en déterminer le cœur et de décrire ses composants avec des mots si simples que même ma fille de 8 ans peut trouver la solution toute seule. Donc voilà, venez voir ma Jerrari type 1. Estimation 1 million de dollars, une merveille” qu’il m’a dit… Waouhhh ! Et tout cela va me faire une vie nouvelle ! C’est un malin, en fait, car il a œuvré comme un stratège de la communication pour ne passer par personne d’autre que lui afin de ne pas devoir payer de commission au vendeur…
Avec cette affaire, conscient que j’aurais pu être manipulé, mais qu’en réalité je gardais le contrôle en pouvant et osant écrire tout ce je pensais de cette voiture, il m’a semblé que j’étais soudain un autre homme, qu’une porte s’était fermée sur mon passé que j’allais voguer vers un avenir où les hommes et les automobiles étaient différents : la France, les amis, la famille, tout cela allait disparaître comme dans la brume, derrière un voile qui s’épaissit. La distance allait devenir comme le temps : émoussant mes sentiments, calmant mes pulsions et passions, endormant mes souvenirs, les êtres et les choses, les sensations et les désirs, les haines et les affections, tout allait s’estomper, tout allait se griser, s’obscurcir. J’ai alors imaginé comprendre comment sont apaisées les agitations du cœur, tant ce calme qui m’entourait était envahisseur.
Aucune pitié possible, l’hallali est de mise, je dois traquer les infidèles, les fidèles, les entre-deux ! Mort aux cons et connes, faites place marauds, écartez-vous, allez-vous faire foutre ! En publiant ce récit, je n’ai pas la prétention de donner une étude complète sur l’automobile qui s’est trouvée sur mon chemin : ma vie automobile journalistique est en effet semblable à un journal de voyage, écrit au jour le jour, relatant mes vécus en sus de mes ressentis, expériences et impressions, narrant les menus faits comme les plus énormes avec humour et parfois la fatigue d’une longue traversée d’un monde en déliquescence, consignant de surcroit quelques considérations sur les hommes et les choses !
Je me suis fait du reste un point d’honneur de ne tapoter que ce que j’ai vécu dans mon âme, subi dans mon corps, vu de mes yeux et entendu de mes oreilles, me gardant de tomber dans le travers putassier des journaleux facilement enthousiasmés par des cadeaux-colifichets qui leurs font écrire des descriptions merveilleuses mais imaginées, pompées et pré-écrites par les souteneurs des relations-presse-publiques des constructeurs soi-disant enchanteurs ! Je suis sûrement incomplet, la matière fécale qui en sort est en effet trop abondante, de plus je ne verse pas dans les injures telles que : “bande de putes”, “infâmes suceurs de bites”, bande d’enculés”, “minables branleurs”… Sur la foi de mes rêves, je suis parti plein d’illusions, les réalités eurent l’effet de remettre “les choses” au point, en même temps qu’un couvercle sur les casseroles ! C’est par cette réflexion que je termine cet avant-propos, ayant hâte de commencer cet nième récit.
L’idée que Ferrari construirait un jour une quatre roues motrices était risible jusque dans les années ’60. Mais lorsque Bill Harrah, homme d’affaires diverses du Nevada a demandé à pépé Enzo lui-même, en 1969, de construire une Ferrari 4X4 Break, Enzo, en affreux patriarche aigri a catégoriquement refusé ! Une attitude hautaine et pleine de morgue déjà utilisée envers Ferrucio Lamborghini ! Bill Harrah, bien plus milliardaire qu’Enzo Ferrari, a alors entrepris de construire sa version d’une Ferrari/Jeep, combinant une Ferrari 365GT de 1969 (donc neuve) avec une Jeep Wagoneer de 1969 (donc également neuve).
Dans un premier temps, le moteur Ferrari a remplacé le V8 Jeep/Buick et ensuite toute la partie avant de la Jeep Wagoneer a été remplacée par l’avant de la Ferrari 365GT. D’emblée c’était moche, grotesque et ridicule, surtout le porte à faux avant rendant les escapades “nature” improbables…
L’histoire de la Jerrari 1 (qui a donc conservé le moteur Jeep/Buick V8 d’origine) est devenue confuse au fil des ans, car chaque récit ultérieur varie en fonction de détails mineurs. La plupart des récits s’accordent toutefois à dire que la Ferrari a été sélectionnée pour transformer une Jeep Wagoneer lorsque l’un des mécaniciens de Harrah a écrasé la 365GT en reculant dans un mur, la voiture italienne faisant don de son moteur V12 et de sa face avant “à la science de Bill Harrah”. Une Borg-Warner à quatre vitesses a été substituée à la transmission d’origine de la Ferrari pour des raisons “d’emballage”, tandis que des modifications ont également été apportées au carter-moteur pour laisser de l’espace au différentiel avant. Le travail de tôlerie a également été géré par l’équipe de Harrah, avec l’extrémité avant arrondie de la 365GT pour s’écouler le plus soigneusement possible dans la carrosserie boxy de la Jeep Wagoneer.
Le moteur Ferrari V12 sous le capot emballait 320 canassons alors que le V8 Jeep/Buick original n’en avait que 230. Malgré cela, le véhicule a conservé les freins et la suspension de la Jeep Wagoneer d’origine, en dehors d’un ensemble d’amortisseurs Monroe. Le résultat était d’un design médiocre pour un quatre roues motrices d’apparence non conventionnelle ! Fini bizarrement en “British Racing Green” (le vert des voitures de course britannique), la voiture faisait de nombreux clins d’œil à sa nature bâtarde, dont des badges “Jerrari” en script Ferrari et un badge “Kangourou-Prancing” personnalisé. Il y avait aussi le volant Ferrari d’origine à l’intérieur et les pédales avaient également été échangées pour obtenir une sensation de conduite italienne appropriée.
Dans une critique du magazine Road and Track, le journaliste Ron Wakefield a noté que l’ajustement et la finition étaient de qualité, mais que cependant les problèmes de vibrations de la transmission et la médiocre capacité de freinage, ainsi que des problèmes d’engrenages-ingéniérie dû à l’emplacement du V12, empèchaient de faire tourner les roues directices, l’engin nécessitant 50 mètres de diamètre/sol pour tourner ! En ligne droite des problèmes de stabilité à grande vitesse se sont avérés potentiellement mortels, empêchant Wakefield d’explorer les capacités du véhicule au-delà de 100 km/h… Un désastre !.
En 1977 Bill Harrah a décidé d’enlever le V12 Ferrari et le positionner le plus haut possible dans un Wagoneer 1977, qui a été nommé Jerrari-2. La Jerrari-1 “originale” a ensuite reçu un V8 Chevrolet small-bloc 390ci, un moteur beaucoup plus utilisable et bien mieux adapté. Le résultat a donc été la création de deux énigmatiques Jerrari (nommées 1 et 2), l’une (la 1) étant une Jeep Wagoneer dont tout l’avant avait été remplacé par l’avant de la Ferrari 365GT, mais rééquipé d’un V8 Yankee 390ci… et l’autre (la 2) étant une Jeep Wagoneer 1977 totalement inchangée, sauf que c’est le moteur V12 de la Ferrari 365GT qui y a été installé en tenant compte des erreurs passées… ! Un projet de déco latérale en faux-bois a été imaginé, malheureusement sans suite !
Ces deux “machins” sont toutefois des “conneries” inutiles, stupides et couteuses…
-C’est, pour la Jerrari 1, une tristesse que d’avoir gâché le magnifique design général typiquement “Country-Far-West” (quoiqu’heureusement un V8 390ci est revenu bien à sa place), mais avec la face avant irrationnelle de la 365GT !
-C’est, pour la Jerrari 2 un bonheur que le look général est resté 100% original, mais quelle plaie que d’y trouver le moteur de la Ferrari 365GT V12, inadapté, qui chauffe comme une bouilloire et émet le son désagréable d’un suppositoire que le corps éjecte pour intrusion indécente…
Écœuré, Bill Harrah qui en avait perdu le sommeil est décédé quelques mois plus tard en 1978 ! Qu’est-il arrivé ? Tout simplement, il a vu se dresser devant lui la tête de Méduse qu’était sa Jerrari-1. Aussi terrifiante que machiavélique, cette Méduse moderne l’a finalement écœuré ! Pour fuir à tout jamais cette vision, ce cauchemar de ses nuits, Bill Harrah avait jugé que ce n’était pas trop de mettre la mort entre elle et lui… et il est parti d’un pied léger dans les limbes! De nos jours, de telles modifications sont inutiles, Ferrari développant son propre SUV. Même Lamborghini vend maintenant plus de VUS que de supercars. Cela ne signifie pas que je ne veux pas voir quelqu’un greffer un nez de Ferrari 458 sur l’avant d’une Jeep Wrangler, que nenni, cela me permettrait d’en faire un reportage sulfureux… Cependant, donc si vous avez les ressources : Hop ! Au travail. Mais assurez-vous de me le faire savoir.
Les deux Jerrari existent encore aujourd’hui. Le modèle Jerrari-1 1969 est passé dans divers sites d’enchères et a été vu pour la dernière fois sur eBay en 2008… Les enchères y ont dépassé de peu 21.000 $ ! C’est assez minable… Son acquéreur allemand (Heer Alec Löckmann) retente “le coup” en 2021 en tentant d’emberlificoter le plus de gens de presse possible, dont moi ! Vade Nitro Satanas ! La Jerrari 2 de 1977 est en revanche exposée en permanence au Musée national de l’automobile de Reno, au Nevada…
Voilà, c’est fini ! J’ai la fièvre, c’est la nuit, c’est l’anéantissement. A part quelques intervalles d’accalmie, je suis dévoré par un feu intérieur, la peau me brûle, ma langue desséchée a peine à articuler des sons, je gis sur mon fauteuil de bureau comme une masse inerte. Mon ordinateur est là, tout à côté, je n’ai pas la force de me lever, je n’ai plus le courage d’écrire : je suis terrassé par un mal inconnu qui m’a assailli et a fait de moi un être insensible à tout. Je vais devoir supporter que le temps s’écoule et ce dans une prostration absolue durant de très longues journées et de nuits sans sommeil.
Quelques souvenirs seulement me reviennent alors que je me risque à pianoter… tout en entendant surgir de l’écran une psalmodie funèbre, en même temps que des cloches tintent lugubrement. Je n’ai pas besoin de voir pour comprendre que la mort passe tout près de moi en cortège de deuil ! Un “Deprofundis Dies Ira” tinte dans mes oreilles, je suis soudain un pauvre moribond prostré par 40 ou 41 degrés de fièvre, rien de bien réconfortant que d’entendre cette psalmodie en mode mineur, qui est l’hymne symbolisant la misère des collectionneurs d’automobiles inutiles, portant des cierges en poussant des gémissements à fendre l’âme, tout comme des pleureuses antiques criant prophétiquement : “Ilodie mihi. Crastibi”. Putain !!!! Pourquoi moi ? Virtuellement mon voyage est terminé et j’aurais pu aujourd’hui écrire le mot fin. Mais je m’aperçois que pour finir un texte on peut être aussi embarrassé que l’écrivain dramatique arrivé à la dernière scène !
Cet article recèle des incidents comiques, des événements dramatiques et pittoresques, mais il a besoin d’un épilogue. Or l’épilogue, c’est la post-face obligée, c’est la finale qui, suivant le mot du poète, couronne l’œuvre ; c’est la conclusion d’une étude, la sanction d’une thèse, la morale d’une histoire ; c’est la synthèse, la récapitulation des divers paragraphes, le résumé des divagations de l’auteur. C’est pourquoi l’épilogue, à mon avis, est aussi nécessaire que la préface : il faut être moral et instructif, de plus, cela est d’un grand avantage pour les gens pressés d’en finir, ils peuvent se contenter de parcourir l’une et l’autre entre deux cigares, et affirmer ensuite sans mensonge qu’ils connaissent l’auteur dont la pensée se trouve toute entière dans la première et la dernière phrase ! Ces quelques lignes finales constituent donc l’épilogue de ce récit…