Radial Chopper “Lucky 7” par John Levey – JRL Cycles…
Les machines, les vraies machines, sont conçues pour accomplir une tâche de la façon la plus efficace possible. Il en est de même pour les automobiles, les motos, les avions, les bateaux. John Levey a voulu agir à l’opposé pour le Chopper qu’il voulait réaliser. Rien de plus opposé à toute logique qu’un Chopper dont la caractéristique basique est une fourche démesurée dont la roue ne dispose d’aucun frein, alors que le cadre dit “rigide” n’a pas de suspension arrière et uniquement un frein à tambour des années trente, tout cela uniquement pour l’esthétique !
Un Chopper est aussi inefficace que possible. L’engin fonctionne, ça oui, mais est pratiquement “inconduisible” ! Cela est resté la norme jusqu’à maintenant, même si les fourches allongées en “tuyaux” sont devenues un certain temps “à parallélogrammes” avant de redevenir de tailles “normales-allongées”, tandis que le frein arrière à tambour a fait place à des freins à disque (parfois ventilés façon Brembo), de même qu’à l’avant… quoique…
“Le culte de l’inefficacité et l’éloge de la connerie humaine sont les bases du film Easy Riders”… m’a dit John Levey, créateur du Radial Chopper “Lucky7” (le chiffre 7 étant une allusion aux 7 cylindres du moteur radial (à étoile) d’avion utilisé. John Levey est un être fasciné par les “boucheries héroïques” et les “sublimes horreurs” de la guerre de Secession ainsi que par les réactions en chaîne, par les effets domino (un geste quelconque actionne une poulie qui fait tomber une balle dans une balance, qui déclenche une allumette, qui allume une bougie, qui brûle une ficelle, qui actionne une catapulte, etc.etc… et à la fin, comme prévu, la part de gâteau se retrouve dans l’assiette ! C’est de l’art cinétique, de l’art en mouvement).
John Levey est un “nain géant” disposant d’une “petite grande âme”, c’est sans doute un lointain cousin de Jules Verne et de Roald Dahl. Il y a peut-être aussi un peu de Gotlib, chez lui. Mais également de Rube Goldberg : un dessinateur de presse américain, mort en 1970, qu’on connait peu en France, mais qui est devenu célèbre avec des dessins de machines effectuant une tâche très simple par une réaction en chaîne aussi compliquée que loufoque.
La visière de casquette typique des fan’s de football américain qui couvrait le front de John Levey, lorsque je l’ai rencontré, projetaient un sillon noir sur le haut de son visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, ses rides et sinuosités froides, le sentiment décoloré d’une physionomie cadavéreuse s’accordant avec une certaine expression de démence qu’ont les génies alors que le soleil est mouillé, le ciel brouillé et que le temps vire à l’enfer polaire…
Mais, dans une obscure clarté doublée d’un silence assourdissant venant de mon esprit embrumé, le fin observateur que je suis, a de suite découvert en cet homme “foudroyant”, les signes d’une orgueilleuse faiblesse doublée d’une sympathique folie, les indices d’une ancienne misère pavée de multiples richesses qui avaient dégradé son visage dont le moindre mérite était de ressembler à ces fantaisies que les peintres s’amusent à dessiner au bas de leurs pierres lithographiques en causant avec leurs amis, sous le soleil noir de leurs mélancolies, de leur force tranquille et de l’importance des changements sociétaux dans la continuité du passé en marche vers de rétrogrades “avant”…
John Levey qui est passionné de “splendeurs invisibles” et de “délices insensibles” n’est pas allé à l’école de mécanique ni d’aéronefs pour apprendre à construire des motos car selon lui : “Il n’y a aucun contrôle sur l’élan de l’inspiration, les Épiphanies étant par nature imprévisibles”. Levey ne savait pas que son introduction à l’aéronautique le conduirait à la moto à moteur radial, mais tout en apprenant les subtilités du moteur “à étoile”, l’idée de construire une moto avec moteur radial a enflammé son cerveau…
Levey accorde une grande partie du crédit de la construction de son Chopper à moteur radial à son beau-frère, Mike Wherle, un constructeur de Choppers de la vieille école du milieu des années ’70, et à ses partenaires Tim Deml et Chet Thomas. Ce qui a commencé comme une discussion de bar entre amis s’est épanoui en croquis rugueux sur une serviette de table. Levey a d’ailleur conservé les dessins initiaux de Wherle, parsemés de taches de bière et de ronds de culs de verre.
Wherle et Levy se sont associés et ont élaboré les premières conceptions de leur Chopper à moteur radial lors de la fameuse manifestation motards de Sturgis en 2005. .. et le Chopper a été débuté juste après afin d’être terminé pour le coup d’envoi de Sturgis 2006. Le temps de construction réel du Radial Chopper a pris environ neuf mois, l’un des premiers problèmes a été simplement de trouver le bon moteur car la plupart des radiaux que Levey avait vus jusque-là étaient trop gros, puis il est tombé sur le Rotec R2800 d’origine australienne que Levey a d’abord voulu monter en travers, comme sur un bon vieux biplan Waco !
Son beau-frère lui a fait changer d’avis : “Nous ne construisons pas un avion”… Les conseils de Wherle ont joué un rôle déterminant dans la construction. Avec les cylindres du moteur radial (en étoile) placés en ligne avec les roues, le système d’entraînement était plus simple que de sortir de l’arrière du moteur et d’avoir à entrainer la direction de rotation deux ou trois fois afin de transférer la puissance à la roue arrière, comme c’est le cas pour une voiture “classique” car elle dispose de plus de place pour une boite et un pont. Il met également le Biker (où la Bikeuse) dans une position de conduite normale et confortable sans avoir les pieds juste derrière le moteur, et cela a permis à JRL Cycles (la société de construction de Choppers de Wherle et Levey) d’utiliser des commandes plus simples.
Levey m’a raconté l’histoire en détail depuis le moment où le cadre et le moteur réalisés sur plan ont été déchargés du camion pour la première fois. Il m’a dit en en riant encore que la réaction initiale des amis a été un regard vide dans la caisse suivie d’exclamations de ”Wowouwwww ! Mais comment ce moteur de 2800cc de 110 chevaux avec une circonférence d’environ 31,9 pouces va t’il se comporter monté dans un cadre de Chopper disposant d’une fourche avant flexible rendant la conduite louvoyante” ? Il va en effet falloir de nombreuses expérimentations, mais JRL avait été finalement en mesure de produire un cadre comme une colonne vertébrale correctement configurée pour soutenir le moteur Rotec.
Levey a utilisé une boite Baker à six vitesses standard. Les seuls changements apportés étant de compenser la poulie à entraînement final, ce qui a déplacé la transmission sur environ un demi-pouce vers la gauche. Le moteur Rotec 2800cc a une large bande de puissance. Bien que 110 chevaux pour un moteur de 2,8 litres ne “sonnent” pas beaucoup “La charge (héroïque) de la Brigade Légère” (un vieux film de l’épopée du FarWest), il “tire” comme un pur-sang car il dispose de 160 lb-pi de couple, presque deux fois plus qu’un “stock V-Twin Harley”. De plus, il “tire” tout aussi fort en troisième vitesse qu’en première !
Pratiquement tous les moteurs radiaux ont un “impeller” monté à l’extrémité, qui “atomise” le carburant et le fait gicler direct sur les sept cylindres, beaucoup de gens ne s’en rendent pas compte et pensent qu’il doit passer par beaucoup de tuyauteries courbes pour aller gaver les cylindres, ce qui n’est pas le cas. Le Radial Chopper utilise un simple carburateur Bing de 40 mm. Toutefois, un moteur radial (en étoile), démarre dans un nuage de fumée parce que la moitié des cylindres sont (toujours) à l’envers des autres, de ce fait, la plus grande préoccupation est le contrôle de l’huile car un moteur radial utilise beaucoup d’huile. C’est là qu’un réservoir d’huile de cinq litres est utile.
Interrogé sur l’efficacité énergétique de ce moteur, Levey m’a confié qu’il brûlait beaucoup plus d’huile et d’essence qu’un V-Twin Harley, mais que pour sa taille, il brûlait probablement dans la gamme d’un Big-Block 454ci : “Comme le réservoir d’essence ne contient que 2,5 gallons, cela donne environ une heure de temps de croisière”…, a rigolé Levey qui m’a ajouté avoir amis le réservoir d’essence à l’emplacement conventionnel, qui s’est avéré être une configuration agréable car il a éliminé l’énorme pompe à carburant mécanique que Rotec avait boulonné d’origine à cet endroit.
Étant un moteur d’avion, le radial a deux systèmes d’allumage au cas où l’un d’eux tombe en panne. Le premier est électronique, qui est le réglage principal si le moteur est utilisé pour des applications comme celle du Radial Chopper. Le second est une sauvegarde magnéto. Et pour en revenir à la conduite, Levey m’a dit : “L’extrémité avant de la moto est suffisamment ratissée pour qu’elle préfère aller en ligne droite, avec un râteau total de 50 degrés, soit 43 degrés sur le cadre et 7 degrés sur l’arbre. C’était quelques degrés de plus que je voulais, car la moto avait besoin d’un angle de râteau extrême pour être plus ou moins stable avec une fourche Goldammer Cycle Works”…
Le Radial Chopper a fait ses débuts publics au “EAA AirVenture Oshkosh Air Show” en 2006, un événement bénéficiant de l’ampleur de Sturgis (près de 800.000 visiteurs par semaine, selon Levey). Il a réellement été développé non pas par “pur plaisir” mais dans le but de construire plus de 50 motos de production, mais le coût de développement et de construction ont abouti à un prix de vente sortie d’usine en 2006 de plus de 100.000 US$, soit environ 140.000 US$ chez un revendeur, limitant sévèrement le nombre d’acheteurs potentiels. Et cela s’est amplifié depuis 2006 car en 15 ans le prix à quadruplé, atteignant en 2021 environ 600.000 US$ ! Le même type de valeur 100% artificielle comme pour les Bugatti récentes.
Malgré ce coût délirant, quatre exemplaires du Radial Chopper by JRL Cycles ont été fabriqués, le prototype et 3 machines qui ont été commandées, prépayées, construites puis emportées… Le prototype est resté chez Levey. La machine qui illustre ce reportage est la première des 3 motos de production, elle utilise un cadre conçu sur mesure avec suspension arrière monochoc et fourche Roger Godammer à l’avant.
Le freinage est meilleur que sur le prototype car il s’effectue au moyen de disques troués (ventilés) simples, avant et arrière. Le moteur radial Rotec R2800 a été développé par Matthew & Paul Chernikeeff en Australie dans les années 1990 comme un moteur d’avion radial moderne qui pourrait être utilisé pour remplacer en toute sécurité les moteurs radiaux d’origine dans de nombreux avions anciens pour les garder en possibilité de vol.
Dans les années qui ont suivi sa sortie en 1997, les moteurs Rotec R2800 ont été achetés par plus de 3.270 personnes dans le monde entier et ils ont équipé une vaste gamme d’avions, généralement des biplans de loisirs comme les Waco, mais aussi des chasseurs des années 20 et 30 ainsi que des avions de brousse STOL construits en kit Kitfox. Les moteurs se sont toujours avérés extrêmement fiables, la disposition radiale en 7 cylindres entraînant une sortie de couple suffisante et une grande surface frontale pour le refroidissement naturel par air (la soufflerie c’est le vent généré par la vitesse).
Le moteur a été conçu avec deux systèmes d’allumage indépendants et deux bougies d’allumage par cylindre comme un “failsafe”, avec une course/alésage de 3,15″ (80 mm x 80 mm), deux soupapes “pushrod” par cylindre et un alternateur de 45 ampères… la consommation de carburant étant de 22 litres (5,8 gallons) par heure à 75% de puissance.
Cette moto a remporté le 1er prix “Best Bike Trophy World of Wheels 2020”, elle a également remporté la première place au “John Myers Memorial Award 2020” et une autre 1ère place au “World of Customs Tupelo”, elle a également remporté le “Bikers Best Top 5 Award” et le “First in Class World of Wheels 2020”... Elle va être présentée sous le référence “Lot R416” à Las Végas, USA, par Mecum, en enchères, entre le 28 avril et le 1er mai …
Galerie Photos