L’art de la ferraille…
S’il était encore en vie, le sculpteur César (1921-1998) aimerait peut-être beaucoup flâner de ce côté-ci de Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire).
A l’extrémité Est de la ville, tout au bout d’une voie ferrée semblant mener nulle part, se dresse une monumentale montagne de voitures imbriquées les unes dans les autres, digne des compressions qui ont fait son succès.
L’empilement fait environ 15 mètres de haut et contient plusieurs centaines de carcasses entassées avec un soin indéniable.
“Nos grutiers ont un sens artistique”…, plaisante à moitié le cogérant des lieux, Jean Menut.
Agé de 32 ans, celui-ci est le fils de Jacques Menut, ferrailleur de son état, lui-même fils, petit-fils et arrière-petit-fils de récupérateur de déchets.
Chez les Menut, le métier se transmet de génération en génération depuis les années 1880.
Tout ce qui se recycle et se transforme a été ramassé par cette famille originaire du Loir-et-Cher voisin, au gré des évolutions économiques et industrielles du pays.
Quand l’agriculture était encore l’activité dominante, les Menut allaient dans les fermes récupérer des peaux de lapin et des plumes, dont on faisait ensuite du cuir et du feutre.
A d’autres époques, ils ont aussi ramassé des os (précieux en cosmétique), des chiffons, des papiers et bien sûr des métaux dont ils ont fini par faire leur spécialité.
Aujourd’hui aux mains des quatre frères et sœurs de la cinquième génération (Jean et Jérôme sont tous deux directeurs généraux ; Marie et Hélène occupent des fonctions administratives et financières), l’entreprise compte quatre chantiers : à Vendôme (le site historique), Bourges, Chartres et donc Saint-Pierre-des-Corps, qui fait office de siège depuis son ouverture en 1986.
Dans ce secteur dopé par la flambée des cours des métaux depuis presque dix ans, tout va plutôt bien, comme le reconnaît Jean Menut : “Le plus difficile, dans notre métier, n’est pas de vendre la marchandise que nous produisons mais de trouver de la matière première. Les commerciaux, chez nous, ne vendent pas : ils achètent.”
Menut emploie 65 salariés, génère 30 millions de chiffres d’affaires, “traite” 100.000 tonnes de marchandises par an et s’apprête à ouvrir un site supplémentaire, à Poitiers.
C’est le plus important ferrailleur d’Indre-et-Loire… et le seul habilité à broyer des métaux.
Car le clou d’une visite, chez Menut, n’est pas cet amoncellement césarien de voitures usagées, rachetées 170 euros la tonne aux casseurs des environs ou directement auprès des particuliers.
Au milieu du chantier de quatre hectares, un gigantesque broyeur de marque allemande (Metso Lindemann) concasse et déchiquète quelque 50.000 véhicules par an.
D’un coût de 8 millions d’euros, l’ogre d’acier digère la ferraille à la vitesse de 100 voitures par heure.
Une fois triés, les morceaux, de la taille d’un poing, sont ensuite entreposés dans des wagons, prêts à partir par le rail.
En 2007, Menut a failli perdre le bénéfice de cet embranchement ferroviaire accédant directement à l’intérieur de son site mais trop court en longueur, et donc insuffisamment rentable pour la SNCF.
Cette dernière a finalement fait une exception.
“On a besoin du rail”…, indique Jean Menut…, “les trois-quarts de notre production sortent d’ici par voie ferrée, direction les aciéries françaises, du moins ce qu’il en reste…et européennes”….
Autre signe que les affaires se portent plutôt pas mal, le chantier attire les convoitises, ce qui fait de lui le site industriel le plus sécurisé de Saint-Pierre-des-Corps.
Avant la mise en application il y a un an d’une loi interdisant le paiement en espèces dans les entreprises d’achat au détail, Menut était régulièrement la cible de vols et d’attaques, parfois à main armée.
Le périmètre de l’entreprise reste aujourd’hui gardienné jour et nuit, des caméras filment les endroits stratégiques et les bureaux sont dotés de portes blindées et de coffres-forts.
Du fil barbelé clôture également le site, altérant la vue sur cette montagne de voitures compressées bien connue des photographes des environs.
Cela, César aimerait sans doute un peu moins…