L’art du n’importe quoi…
Lorsque j’arrive au “Temple de l’automobile”, le “Boss” m’attend déjà, souriant.
-“Mister Quelqu’un, c’est toujours un plaisir de vous voir“
Il se fend d’une courbette pas vraiment correcte mais l’intention y est.
Je souris ouvertement.
-“Ca ne m’étonne pas. Je suis certain qu’à moi tout seul je dois faire vivre un certain nombre de “marchands d’occaz” entreprenants qui ont l’œil pour les voitures”
Le “Boss” se marre.
La plupart de ses clients font dans les voitures sportives de luxe aux moteurs généralement surboostés au détriment de la durée de vie des pièces.
Depuis douze ans qu’il vend ses bagnoles ici, il a réussi à se tailler un créneau modeste mais conséquent dans la revente et la modification de voitures volées et/ou accidentées.
Ma réflexion est donc volontairement exagérée parce que je dois bien être la seule personne qui ose lui parler de la sorte…
-“J’ai un petit quelque chose pour vous” lui dis-je en lui tendant un emballage.
Fidèle à ses habitudes, il fait semblant d’ignorer ce qui se trouve dedans et s’extasie devant la Rolex or & diam’s.
Il adore.
Depuis que j’ai appris ça, je prends un soin maniaque à entretenir certains contacts et à leur demander de m’en mettre une de coté pour ce genre d’occasion.
Comme vous vous en doutez, le prix d’une Rolex authentique n’est pas donné et ce genre de connerie est suffisamment introuvable pour que le “Boss” me fasse une ristourne qui vaut nettement plus que ce qu’elle me coute, dans notre métier tout l’art réside dans le fait qu’on sait se rendre indispensable à des gens qui pourraient faire sans nous s’ils s’en donnaient vraiment la peine.
C’est un peu exagéré, surtout dans mon créneau, mais fondamentalement c’est cependant tout à fait exact..
Le “Boss” pourrait avec quelques efforts se dégoter une Rolex identique s’il le voulait vraiment.
Mais il est plus simple de laisser faire quelqu’un, surtout qu’au lieu d’avoir à sortir de l’argent, il n’a qu’à me faire une petite remise.
Evidemment, ce genre de relation n’est fructueuse qu’à deux conditions.
La première, c’est que votre partenaire en affaires ne vous surfacture pas sa prestation histoire de vous entuber quand même, i y a d’autres mécanos qui le valent mais comme lui n’a pas ce genre d’habitudes déplorables, le choix était vite fait…
La seconde, c’est de penser à faire un “geste commercial” occasionnel plutôt que de taper vos contacts uniquement quand vous en avez besoin.
C’est simple si on réfléchit bien : lorsque vous déboulez pour acheter une bagnole de luxe à un prix d’ami, vous n’avez pas le temps ni le luxe de négocier trop serré et en face, on le sait également.
A l’opposé, si vous pensez de temps en temps à faire un petit cadeau, le jour ou vous déboulez, on vous soigne un peu plus et on évite de vous arnaquer…, les gens intelligents savent qu’ils vaut mieux de bonnes relations durables que d’épisodiques arnaques…, les gens moins intelligents ont tendance à mourir assez rapidement les poches pleines et j’en serai presque navré pour eux.
Donc, chaque nouvel an, le “Boss” reçoit “sa” Rolex.
Et quelques autres personnes avec lesquelles je suis en rapport ont également droit à leurs “étrennes”. .., jamais en liquide, ça manque de classe.
La technique, c’est d’arriver à capter ce qui intéresse votre relation d’affaires et que vous pourriez lui procurer sans vous ruiner.
Ca peut aller du cognac a certaines marques de parfum, à des montres bien spécifiques, des objets d’arts, des billets pour un spectacle ou une rencontre sportive…, ce genre de choses.
Ne croyez pas que la vie d’animateur de sites-web est de tout repos, en effet, ma précédente voiture, une Lamborghini Diablo, a brûlé devant chez moi la semaine dernière.
Je me suis demandé quels étaient les salopards qui l’avaient fumé…..
Et, il y a deux jours, un vieux pote m’a passé un coup de fil pour me dire qui étaient les connards derrière les gros bras qui avaient foutu le feu à ma Diablo.
Je n’ai rien eu à demander, ni à débourser.
Appelons ça un retour d’ascenseur…, alors que la plupart des gens que je côtoie dans les ombres auraient du lâcher des euros à pleines poignées un peu partout pour savoir qui était à la source de leurs nouveaux problèmes.
Bien sûr, je ne suis pas naïf au point d’avaler ce qu’on me raconte tel quel.
Comme dit la chanson, ça vaut le prix qu’on le paie…, mais au moins, je sais dans quelle direction chercher pour avoir confirmation sur la valeur de l’information.
C’est plus pratique et plus économique que de tâtonner à l’aveuglette ou de ressortir du placard tous les gens qui ont de bonnes raisons de vous envoyer ce genre d’individu sympathique….
Parce que quand on fait ça, on oublie toujours quelqu’un au fond du placard et comme par hasard, c’est toujours le bon.
La loi de Murphy devait être un truc pour les gens très très optimistes, j’ai donc eu un petit coup de pouce gratuit.
J’ai fait mes petites vérifications (du genre s’assurer que les indices permettant de confirmer l’info ne se sont pas matérialisés tout à coup du néant comme par hasard…, voyez ce que je veux dire ?) et j’ai un peu égratigné mon fonds de roulement.
Etre quelqu’un, quelque part c’est un peu faire de la mécanique de haute précision : un petit peu de sourire ici, pas trop là-bas, un zeste de fermeté dans ce coin là, un peu d’indulgence juste à coté, une bonne bouteille au fond à droite et un petit coup de fil de temps en temps à gauche… et ne jamais, jamais perdre de vue l’ensemble de l’usine à gaz… parce que sinon… boum.
Je trouve ça bien plus trippant que l’action elle-même.
L’adrénaline, est une chose… l’intelligence en est une autre.
Et lorsque tous vos rouages cliquettent et ronronnent comme il faut, lorsque les informations arrivent lorsqu’elles sont nécessaires (j’aurai bien aimé avant qu’ils bousillent ma voiture et manquent me descendre mais mieux vaut tard que jamais…), lorsque vous pouvez arpenter certaines rues seule en pleine nuit sans qu’on pense même à lever le petit doigt sur vous… c’est foncièrement et suprêmement satisfaisant.
Le tout est de ne pas se laisser griser par tout ça bien sûr… et ne jamais oublier de graisser les rouages…
Donc je sais qui a payé une bande de gros bras un peu trop boostés pour leur propre santé afin de cramer ma tire.
Il n’y a pas eu d’autre tentative…
Notez que vu l’état dans lequel ils l’ont mise, il n’y a plus à craindre un autre incendie…, malheureusement pour cette bande de nazes, il auraient du choisir leur cible avec attention.
Il y a parfois des gens qu’il est plus sain d’éradiquer directement au lieu de jouer au chat et à la souris avec eux.
Moi, par exemple.
Je sais très bien comprendre un “message” mais ce qui m’importe bien davantage, c’est QUI me l’a envoyé et pourquoi.
On peut ne pas aimer les tatoués et cependant préférer leur “éthique” à certaines autres de ma connaissance.
Evidemment, si vous n’êtes pas assez doué ou chanceux (surtout chanceux…), le message peut s’avérer tout ce qu’il y a de plus mortel mais du point de vue de ces gens là, il faut de temps en temps faire un exemple…, personne n’est irremplaçable et toute crise apporte son lot d’opportunités, neh ?
Mais quand vous avez affaire à des connards, là, le message est une insulte.
Comme pour tout ce qui fait mon boulot, c’est encore une occasion de faire de l’équilibrisme et de la mécanique de haute précision.
Je n’ai jamais prétendu que c’était joué d’avance, vous avez remarqué… j’essaie la Ferrari et je paye le reste de la somme convenue au “Boss” avant de prendre le volant.
Je ne lui fais pas l’insulte de vérifier devant lui si toutes les options fonctionnent.
Le risque est faible de toute manière et je compte bien inspecter tout ça tranquillement plus tard.
La confiance, c’est encore une histoire de mécanique de haute précision : faut savoir à qui en donner et jusqu’à quel point.
Avec le “Boss”, la vérification sera de pure routine mais quand on ne pratique pas ses bonnes habitudes on a tendance à les perdre alors…