L’Ultimate Custom Car Show… BSCA, Nekkerhal, Mechelen 2009 !
Les semelles de mes Columbia à 160 euros collent au bitume craquelé du parking du Nekkerhal de Mechelen…, c’est en Belgique…, ne cherchez pas sur la carte de la Californie !
Trop de Mojitos sûrement, trop de coca, de vomi et de moiteur aussi en ce début d’après-midi gluant.
Mes contacts avec le monde du Hot-Rodding se résument depuis quelques semaines à des épisodes d’histoires sans début et sans fin, mal encodés, regardés religieusement sur l’écran de mon Packard-Bell 24 pouces.
Le Hot-Rodding a eu raison de moi…, j’ai cela en commun avec un tas de gens…, j’aime me faire mal au dedans de ma tête et m’automutiler les neurones pour ne pas oublier que des gens souffrent partout dans le monde…
Comme un pauvre touriste, je me précipite sur la guitoune à tickets, marmonnant un “hah hah !” qui ne veut rien dire, mais bon…, du moment qu’on paye, tout se passe bien en ce bas monde !
En achetant le ticket de 12 euros à l’entrée de cet “Ultimate Custom Car show “… que je traduit par “Show-ultime “, le dernier donc…, amen et ainsi soit-il…, Hugo to Hell…, j’ai un petit frémissement : Pfiouuuuu…, je suis en train de rentrer dans la nébuleuse du mouvement engendré par Chromes & Flammes il y a 30 ans…, moi qui m’en était écarté si longtemps.
Délaissant mon loft-garage, construit il a moins de vingt ans, dans un magnifique quartier de villas résidentielles et d’immeubles en carrelages de salle de bain…, je vais pouvoir ici sentir toute la puissance du Hot-Rodding, via les tentes de camping plantées sur toutes les surfaces gazonnées du Nekkerhal… et humer les délicates senteurs du linge et des slips qui pendouillent, tout comme les gros nibards des femmes de customizeurs et Hot-Roddeurs…, le tout entrecoupé d’odeurs de gomme brûlée par les maniaques du Burn-out…
Je pense pleurer… de joie et de bonheur, le bonheur bonbon…, d’avoir retrouvé les senteurs ayant baigné mon passé !
Que du bon.
Etre fidèle à ce point (de non retour), à des souvenirs aussi drôlatiques, forcément, c’est pas bon signe pour tout individu sain de corps et d’esprit !
Mais le plus important reste encore à débiner : la visite de cet “Ultimate Custom Car show “…
Deux heures de pure connerie en prévision (avérée), ça fait quand même beaucoup…, surtout à mi-chemin entre la Carte au trésor… et la course en sac…
Je l’avoue, je ne comprends pas comment le Hot-Rodding et le Customizing ont pu bouleverser tant de gens…, je crois que ce qui a rendu cette aventure encore plus pathétique, c’est l’importance qu’on lui a donnée…
Dans les années ’80, d’immondes journaleux qui n’y connaissaient strictement rien, ont fait sans nul doute trop de mauvais reportages sur le Hot-Rodding et le Customizing, s’affligeant de voir la jeunesse dériver de la sorte à cause de Chromes & Flammes…, proposant même qu’on crée des services spéciaux dans les hôpitaux psychiatriques tellement le sujet était brûlant : “les Customeux (comme les journaleux les nommaient alors), sont des jeunes qui n’ont plus de vraie vie, ils vivent dans un monde sans gardes-fous, ils font tous sensiblement la même chose, en gros, ils ne peuvent plus s’arrêter de customizer car le monde évolue perpétuellement, même quand ils ne sont pas occupé à Top-Chopper leur Peugeot 203… et que s’ils ratent une concentration, plein de choses se seront passées entre temps” !!!
Pas la peine de raconter l’histoire, de toute façon, il n’y a pas d’histoire.
Juste une mise en abyme ridicule, on prend les mêmes et on recommence, mais en beaucoup plus trippé !
Le Nekkerhal est une sorte de hangar plutôt sympathique.
La lumière provient de milliers d’hublots dans le plafond d’une pièce, tout est un peu déglingué, c’est un endroit, où les gens sont inexistants, où les toilettes sont dégueux et les tables et chaises des coins “bouffe & boissons ” sont dépareillées.
A peine arrivé, je tombe nez-à-nez avec des tatoués, barbus hirsutes (à l’opposé du look “hommes d’affaires “), saouls comme des barriques, braillant les tubes d’une chanteuse de 17 ans.
Je suis en noir… je broie du noir… et qu’on ne me fasse pas croire que Andy Warhol n’a jamais porté de noir.
J’aime vraiment bien Andy Warhol, je le trouvais sympa du temps ou il vivait encore, il avait une bonne tête… et je suis sûr qu’il s’est bien éclaté dans sa Factory avec tous ses amis un peu déjantés, mais je lui en veux aussi beaucoup…, parce que tout est de sa faute.
Entre ses quinze minutes de gloire pour tout le monde, son automatisation de la production et sa glamourisation du statut “d’artiste “, il a engendré un nouvel homme, vaniteux et transparent, pour qui l’art est une posture.
Il n’est plus question d’être peintre, sculpteur ou créateur de Hot-Rod…, on est juste “artiste “.
On ne part plus s’amuser au Nekkerhal et faire ce que tout le monde s’accorde à appeler des photos-souvenir de l’Ultimate Custom Car Show…, on va faire un reportage sur des ethnies obscures du Customizing avec un projet d’expo de photos floues dans l’album de famille qu’on exhibera dans une “concentre “…
Tout a-t-il déjà été découvert en ce bas monde ?
Qu’à cela ne tienne, on s’invente des friches intérieures.
Dire : “Je suis artiste en Custom “, c’est dire qu’on est différent, qu’on est à part, qu’on a quelque chose que les autres n’ont pas…
Tout le monde ne peut pas être “un artiste en Custom “… en exposant son engin (et c’est quasi sexuel) !
On ne dit pas qu’on a du talent…
On ne dit pas qu’on maîtrise une technique…
On dit juste qu’on a une autre vision du monde de l’automobile, qui se suffit à elle-même, qui justifie notre existence et qui justifie qu’on emmerde les autres avec…
Sauf que “être artiste en Custom “, n’existe pas !
En disant : “je suis un artiste en Custom “, on est l’essence du vide… et on aime ça.
Je n’ai jamais été à la mode, je n’ai d’ailleurs jamais rien compris à la mode, mais là, je crois que je tiens ma chance, trente ans après la création de Chromes & Flammes, moi aussi je vais surfer sur la vague du rien !!!
A partir de maintenant, moi aussi je serai différent.
Moi aussi, le simple fait d’exister me rendra unique et intéressant.
Me brosser les dents sera une réappropriation de la purification rituelle à l’ère des nouvelles technologies…
Envoyer des gif animés par messagerie instantanée à des gens qui vivent très loin sera de la création contemporaine de réseaux temporaires et fictifs comme vaisseaux du post-modernisme dur…
Marcher dans les allées désertes (et oui, il n’y a quasi personne dans cet “Ultimate Custom Car show“), en réalisant quelques photos (celles qui illustrent cet article), sera un court métrage autoproduit alternatif à la pointe de l’avant-garde… et offert aux seuls internautes présents à l’endroit de la situation…, c’est à dire sur www.GatsbyOnline.com !
Boire des verres avec des Customizeux bornés sera une peinture rupestre évolutive en 3D…
Parler anglais avec un Flamand moustachu sera la réinterprétation antéchristique d’une piéta…
A partir de maintenant, c’est décidé, je ne suis pas un artiste, je suis une performance humaine…
Le Hot-Rodding est un mouvement rebelle…, dans son uniformité, dans son respect des codes, dans son endoctrinement…
Pas les tatoués…, juste le Hot-Rodding !
Dehors le ciel est rouge, rouge sang, on a assassiné le ciel et personne ne dit rien.
Je m’arrête brusquement, incapable de marcher un pas de plus.
Je ne suis plus qu’une masse de chair, qu’une boule de chaleur, pénétrée par un froid inhumain, dans ce cadre paisible, je n’existe plus…, je peine à respirer, je suis faible, je suis l’homme sur lequel toutes les atrocités du monde automobile s’abattent.
Ma tête se vide brusquement…
Je vois mon âme s’écouler et se répandre sur le sol.
Je ne suis plus capable d’une quelconque pensée.
Je suis la conscience de l’humanité automobile, je suis sa douleur, je suis la croix du Hot-Rodding et du Customizing…
Ils aiment ça, les gens…, le sang.
Comme tout le monde, d’ailleurs.
Un accident, un meurtre, un fait divers, ça leur fait prendre conscience de la chance qu’ils ont d’être encore en vie, au moins pour un jour, une heure, ça attise leur curiosité, ça les excite.
Tous ces gens qui n’ont rien d’autre à faire que de se rassembler autour de quelque chose sur quoi ils ne peuvent avoir aucune emprise…
Evidemment, je suis un cas extrême.
Alors je m’informe.
Je lis sur internet, je cherche des informations sur Google, je compulse les dossiers de l’intranet, je vais d’hyperlien en hyperlien, je podcaste, je regarde la télé US en ligne.
Bref, j’ingurgite.
J’ingurgite jusqu’à vomir de l’information, une boulimie intellectuelle.
Je connais par cœur le résultat de quasi toutes les ventes aux enchères de voitures de collection…, j’ai enregistré la vidéo de Saddam Hussein pendu…, je sais qu’il y un ferry qui a coulé…, qu’un avion s’est écrasé…, j’ai lu qu’un volcan de boue s’énervait…, qu’une inondation a tué des enfants…, qu’un tremblement de terre a grondé…
Je connais tous les faits et gestes de Ségolène Royal… et j’ai presque acheté le sac shopping à 38 euros de la boutique des “amis de Nicolas Sarkozy ” pensant l’offrir à ma mère pour Pâques…
Je croule sous les chiffres in-interprétables (18%, – 2 points, 3/1000, 2/3, + 10,7%).
Bien évidemment, je connais tous les faits divers du monde : les enlèvements d’enfants en France, les viols en Grande-Bretagne, les assassinats dans le Michigan.
Salmonellose, H5N1, Escherichia coli, encéphalopathie spongiforme bovine, OGM…, je n’ai pas mangé depuis deux jours parce que j’ai écouté un documentaire sur les pesticides et les ambiances anaérobiques des sols de Bretagne dans lequel j’ai appris qu’une fraise de Plougastel ne venait pas de Plougastel et que ce n’était d’ailleurs même pas une fraise.
J’ai pensé résilier l’abonnement de mon téléphone portable depuis que je sais qu’il y a des cas d’arthrose précoce du pouce chez les gens qui envoient des textos et des tumeurs foudroyantes à cause des ondes (note pour plus tard : ne plus mettre la tête dans le micro-onde)…
Je pleure en pensant à ces ouvriers indiens traités comme des chiens sur les chantiers des immeubles pour ex-milliardaires de Dubaï.
La nuit, je ne dors pas, puisqu’avec le décalage horaire, au moment de me coucher, des prisonniers de Guantanamo sont en train de se faire torturer dans le quartier de ultra haute sécurité, ligotés à des chaises électriques par des soldats américains qui leur pissent dessus.
Mais il n’y a pas qu’eux qui souffrent à Cuba…, il y a Fidel Castro aussi, à qui on a posé une prothèse intestinale coréenne puis une espagnole mais qui n’arrive toujours pas à se rétablir.
Entre les flux RSS, les chaînes d’information continue, les dépêches qui défilent en bas de l’écran, à gauche de l’écran, à droite de l’écran, au milieu de l’écran, les flash spéciaux et les alertes SMS…, ne pas savoir ce qui se passe dans le monde est presque devenu une démarche militante.
Je sais tout, je vois tout, je suis à la pointe.
Est-ce que j’ai vraiment besoin de connaitre tout ça pour briller ?
Beaucoup de gens mènent vraiment des vies de cons.
Se lever tous les jours à 7h00, gober des vitamines superflues, se laver, se nourrir, se frotter aux autres dans les transports en commun, rester sur une chaise toute la journée, écouter de la musique suicidante en tapant des lignes ineptes.
Passer des coups de fil.
Recevoir des coups de fil.
Dire : oui pas de problème, je vais le faire.
Dire : voilà, c’est fait, de rien.
Dire : d’accord.
Dire : pffffffffff.
Lundi matin, attendre vendredi soir.
Attendre le week-end pour faire des trucs de con, avec des cons.
Boire de la bière, ça occupe.
Dimanche, déjà penser au lundi.
Lundi penser au vendredi.
Vendredi, penser aux vacances.
Pendant les vacances, courir partout pour tout voir de ce qu’on a déjà vu en photo dans le guide.
En vacances penser à la reprise.
A la reprise, repenser à ses vacances terminées.
Planifier les prochaines…
Et ils se demandent comment ils en sont arrivés là.
Les gens l’ont cherchée cette routine, les gens l’ont bien voulue.
Les gens l’ont fabriquée à partir de rien d’autre que leur désir d’enfermement.
Le concept totalement abscons de liberté ne veut rien dire…, d’ailleurs ça n’intéresse personne.
Les gens rêvent tous de vivre dans un pays merveilleux, un pays parfait, dans lequel il n’est besoin de rien décider… et où l’exutoire suprême est de se plaindre de sa condition, silencieusement… et de rêver d’un ailleurs plus doux, plus clément, meilleur.
Certains se disent : “Si seulement j’avais un Hot-Rod…, ou un Custom Car, ou un Van, ou un Chopper…, je pourrais encore rêver…, ce sont les seuls engins porteur d’espoir, d’aspirations nobles, les seuls véhicules qui peuvent encore susciter le désir… qui rend intelligent “….
Une fois qu’ils l’ont, que ce soit un Hot-Rod, un Custom Car, un Van ou un Chopper…, voire même une bagnole “Tunée“…, les gens adorent relooker la passion de leur vie, leur matière préférée restant le métal qui brille…
Ils en sont illuminés mais sans être pourtant particulièrement des lumières pour ça…
Leur but est aussi de se faire remarquer, pas question d’avoir la voiture (ou la camionnette, ou la moto) de Monsieur Tout-le-monde.
Donc première étape le choix de l’engin…
Première modif incontournable : le choix de l’autoradio, sauf pour les Choppers…
Il doit donner, cracher du décibel pour parvenir cependant à grand peine à couvrir le bruit du moteur, bruit qui est en fait le résultat des multiples transformations.
Autre point, rouler toujours vitres baissées, sauf pour les Choppers (c’est idiot, même avec un Mojito dans le nez…, de le préciser… Hipsss !)….
Deuxième étape le choix du pot d’échappement, de préférence sans silencieux : il doit être brillant comme le dessus d’une vielle cuisinière.
Je ne parle pas du pot de la vieille cuisinière !!!
Autre étape essentielle la décoration de la calandre (sauf pour les Choppers… bis répétita..) !
Le but est de lui donner l’aspect d’une guirlande de sapin de Noël : donc d’abord les antibrouillards… puis la surchauffe moteur !
J’ai peut être été un peu vite…
J’ai oublié quelques gadgets comme les vitres fumées, mais c’est normal que j’oublie… car comme je l’ai écrit, elles sont toujours baissées…
La peinture doit être fantaisie aussi : les tendances pour l’été : plutôt le drapeau à damier par exemple, mais ça peut être aussi une couleur fluo style tâche sur fond de papier peint à fleurs…, quoique certains préfèrent le noir satiné lissé !
Tout comme les adeptes du “Tuning “, les “Customizeux ” et aussi les “Hot-Roddeux “, ainsi que les “Vanneux “… vivent en peuplades aux abords des hypermarchés qu’ils envahissent en hordes cacophoniques aux premières heures du week-end, confiant à leurs Madames, dans un souci de respect des compétences, le pilotage du caddie…, les “commissions” étant une affaire de femme…, tandis qu’ils se dirigent direct vers le rayon presse afin de bénéficier d’une lecture gratuite de magazines automobiles spécialisés… et échapper ainsi à l’encombrant et humiliant choix du papier toilettes.
La maîtrise de leur engin réclame quelques accessoires à l’ergonomie adaptée.
Ainsi leurs chaussures sont invariablement des santiag’s… offrant une possibilité de dosage très pointu de l’accélération… et dont le talon débordant vers l’arrière ajoute une note esthétique bien venue !
Le siège du pilote est souvent doté d’un boulier en vrai bois permettant à un corps meurtri par l’ingestion répétée de graisses bovines, d’huile de friture et de bières…, d’épouser au mieux la forme de celui-ci et de lutter efficacement contre la force centrifuge lors de courbes négociées fermement… et ce malgré les réprimandes de Madame, béotienne en compétition automobile.
Les sièges des autres occupants seront, eux, recouverts d’une protection tricotée avec goût par la féminine main de l’objet de ses épousailles rurales afin de préserver l’éclat du skaï.
Le volant, lui, se verra recouvert d’une matière absorbante (à moins qu’il ne s’agisse d’une chaîne aux maillons soudés et chromés…), les sudations abondantes des gros doigts délicatement boudinés pouvant constituer une source d’inconfort nuisible à la précision des trajectoires aboutissant rapidement à quelques différents conjugaux.
Une attache caravane fixée à demeure sera fortement sollicitée au mois d’août, lors des estivales investigations territoriales pratiquées en tongs, à la Bourboule, au camping des rôts marins…
Le précieux véhicule sera équipé d’une alarme sensible au murmure le plus étouffé qui permettra, vers 3 heures du matin, de rassurer l’ensemble des campeurs quant à la présence effective d’une surveillance dissuasive, propre à éloigner tout malfrat à casquette inversée en quête de larcin.
Une médaille représentant St Christophe assure la protection passive de l’équipage, une lanière de cuir en contact permanent avec le sol évite les indésirables effets de l’électricité statique au sortir d’un apéritif aux jaunes sévèrement dosés.
Le véhicule entretenu avec soin constitue une excellente affaire sur le marché de l’occasion, lorsque celui ci est abandonné contraint et forcé au profit d’une voiturette sans permis permettant d’échapper au cruel dilemme de l’absorption de boissons alcoolisées et de la conduite d’un véhicule terrestre à moteur.
Ces gens, ces Hot-rodders, Customizeurs, Vanneurs… en devenir, élaborent des stratagèmes délirants, pendant des dizaines d’années, juste pour pouvoir réaliser un véhicule improbable.
J’ai beaucoup de peine pour ces rêveurs…
En quittant le giron du “politiquement-correct “, ils pensent qu’une nouvelle vie va commencer.
Ils découvrent alors que c’est au Nekkerhal 2009 (l’Ultimate Custom Car Show), qu’elle se termine.
Ils découvrent alors la vraie vie…
La vérité sur le monde…
Ils découvrent qu’au lieu de s’élever l’âme, l’homme ne cherche qu’à se réduire à l’état de légume médiatiquement assisté, alors qu’il pouvait tout faire, tout devenir, tout entreprendre…
Certains ont décidé qu’il y aurait aussi la vie virtuelle.
La vie clean, en 2D, toute froide et pixélisée.
Mais ni plus, ni moins réelle que l’autre après tout.
Plus d’excuse, plus de critique des générations passées qui ont instauré le commerce, la route de la soie ou l’esclavage, plus de nostalgie de Jésus qui a chassé les marchands hors du temple et qui pleure du sang devant les boutiques de souvenirs évangélisant.
Parce qu’on mène des vies de cons, mais c’est plus fort que nous.
La définition de Boltzmann de l’entropie, donc, semble s’appliquer à tout l’univers sauf à l’homme.
J’étais venu pour voir le monde, la foule, les gens, les Hot-Rods, les Customs…
J’étais venu pour avaler des visages : tous pareils…, des conversations : toutes sans intérêt…, pour autant qu’il y en ait eues des conversations…
– Putain c’est pas du tout blindé de monde, j’hallucine grave…, y a personne !
– Le Custom c’est foutu, ça a déjà commencé à baisser y a quelques années, t’as vu…
– Ouais bah ouais…
– Mais si !
– Ouais…, j’ai vu le Boss de Speed-Shop, il m’a dit que le samedi c’était pire, il n’y avait que deux pelés et un tondu…
– J’ai vu Hugo aussi, il lui avait dit, alors j’ai dis que non, c’est pas vrai, qu’il y avait deux pelés et trois tondus…
– Ouaisss, il m’a dit que si aussi, alors j’ai dit que j’allais demander…, quoi à qui ?
– Pis que tout, y a même une Rolls customizée dans le parking !
– Ouaisss, c’est la honte, c’est la fin… Le Custom c’est plus pareil que du temps de Chromes & Flammes…
– J’ai vu Patrice De Bruyne, il prenait des photos pour son site Gatsby !
– Il va encore foutre la merde, faut voir ce qu’il ose écrire dans ses sites !
– Ouaisss, il a même relancé Chromes & Flammes sur le web !
– Pis qu’avant !
– Ouaisss, bien pis… avant c’était que s’en prendre aux Ferrari, maintenant c’est pour tout !
– C’est la fin…
– Ouaisssss, la fin ultime !
Furtivement, entre deux vides, j’ai reconnu quelques personnes que je connaissais d’avant, du temps ou il y avait encore du monde dans les shows de Hot-Rods et de Customs…, des mecs pas coiffés, pas rasés, avec des pantalons sales et des vestes élimées.
Des filles avec des bottes sur des bas résilles et trop de rouge à lèvres.
J’étais venu pour regarder la foule… et il n’y avait pas de foule !
Mais finalement, je suis rentré quand même dans le hall du Nekkerhal… pour en ressortit hagard…
Et j’étais à l’intérieur… et il n’y avait personne… et j’étais à l’extérieur… et il n’y avait personne non plus !
– J’aimerais bien savoir combien y’a de chevaux dans cette moto-dragster, hein, hahaha !…
– Sur qu’il y en a beaucoup…
– Hahaha !
Une petite cruche en jean slim qui moule ses cuisses grassouillettes, pose une question à un grand abruti barbu et tatoué…
– Mais combien ?
– Sur qu’il y en a beaucoup…
– Hahaha, mais combien ?
– Beaucoup !
– Hahaha !…
C’est le seul moment ou il y a un “pneu” de monde, quelques visiteurs égarés et la totalité des exposants…
Tous tétanisés par un DragsterBike en Burn-out…
Le ridicule ne tue pas, au contraire, les gens applaudissent la performance…
– Quelle performance ?
– Tirer sur la poignée…
– C’est tout ?
– Oui, y a rien d’autre…
– C’est réducteur, non ?
– Oui, assez….
– C’est pas plus…
– Pas moins…
– Pathétique, non ?
– A l’intérieur y a plus personne !
– C’était déjà vide…
– Oui mais c’est pire maintenant…
– Les exposants remballent !
– Déjà, mais il n’est même pas 16 heures…
– D’ailleurs, dans le Nekkerhal, on se croirait un peu dans une gare vide.
– Mais avec des gens inexistants…
– Sauf qu’on ne part pas en voyage ici…, on reste planté là.
– On est seuls.
– Seuls au milieu de rien.
– La traversée du désert du Custom…, ouaissss !
– Il est temps de rentrer, y a plus rien ici…
– Ouaissss, délivrance !
Je ne suis pourtant pas malade, pas victime de ce concept totalement dégradant mais dont tout le monde aime à se draper comme d’une écharpe tricolore de Maire à un moment ou un autre.
Non, je ne suis pas malade physiquement…, je suis malade des gens.
Simplement.
En rentrant chez moi, donc, après cet “Ultimate Custom Car Show“…, j’ai vomi.
J’ai vomi longtemps et une fois que ça eu été terminé, j’ai regardé dans le miroir mon visage.
J’ai les yeux rougis, bouffis, dégoulinants de larmes aussi amères que la bille dans ma bouche.
J’ai la gorge écorchée à l’intérieur, le nez irrité… et pourtant, je viens de vivre un grand moment.
Je le sais.
Je le savais.
Vous me direz que vomir est physiquement désagréable… et dans un certain sens dégradant, mais c’est surtout un moment où l’on atteint un niveau de connaissance supérieur, de compréhension ultime du monde.
Pendant un instant, à genou, me vidant de mon intérieur…, j’étais redevenu le dieu du Custom…
J’ai pensé : Mais quand est-ce arrivé, quand a eu lieu le début de la transformation…?
Tout a commencé quand les rares gens égarés dans ce show ultime et désert, défilaient devant moi…
Moi, je n’étais pas là, en tout cas ils ne semblaient pas me voir.
J’étais comme ça, glissant, immobile… et il passaient tous devant moi, lentement, mais sans jamais s’arrêter.
Un roux à dreadlocks…, un gros barbu au blouson de cuir…, un métro-quelchose en t-shirt American Apparel décolleté jusqu’au nombril avec poils apparents…, un connard en polo Ralph Lauren rose…, une pouffiasse brûlée aux UV…, un petit moche avec un gros nez…, deux copines habillées pareil…, une semi top model qui ne quittait pas ses lunettes de soleil démesurément grandes et chères…, Brigitte Fontaine, ou presque, une racaille qui porte son téléphone autour de cou comme un enfant les clefs de sa maison…, un vieux sale…, des mecs tellement insignifiants qu’ils en devennaient indescriptibles…, un geek pas lavé…, un trentenaire prétentieux qui criait une fausse conversation dans son iPhone…, une famille répugnante avec une poussette géante…, quatre grands mecs qui riaient très forts et apostrophaient les filles de loin…, un type avec la panoplie complète barbe de trois jours / grosses lunettes / sac en toile sur l’épaule…
Trop de visages, trop de vide, une overdose de personnes… dans le sens ou en dehors de ces personnes, il n’y avait personne d’autre…
– Je rentre chez moi…
– Cool ! Va faire quoi ?
– Mon propre Show perso dans mon garage…
– Super, un show privé c’est mieux !
– Ca peut pas être pire…
– Non, pas pire, sûrement !
– C’était l’Ultimate Custom Car Show…
– Le dernier, l’ultime…
– Celui de trop ?
– Un goût de trop pneu…
– 12 euros l’entrée et 4 euros, le coup du parking !
– Le coup du parking ? C’est-y-pas le coût ?
– Non, c’est le coup sur la tête final, à la sortie, au moment de s’enfuir…, on ne peut pas s’en aller librement, faut encore douiller…
– Y-a-pas de petites économies là…
– 12 euros l’entrée, 4 euros le droit de partir loin…, 1 euro cinquante pour un gobelet de Coca remplis aux 3/4…
– Et en plus le BSCA a du perdre un pont d’or dans cette galère…
– Oui, y avait Hugo qui riait…
– Il a tout pris…
– A tout prix…
– Hahahahahahahaha !
– Hahahahahahahaha !