La bagnole…
Il y a un peu plus de cent ans, Paris lui consacrait son premier Salon…, depuis, elle a envahi la planète…, chamboulé l’organisation du travail…, les politiques sociales…, économiques…, elle tue et elle pollue : c’est la bagnole…, une révolution dont voici la saga :
Le mercredi 15 juin 1898, le journaliste Paul Meyan, un des quatre fondateurs, trois ans plus tôt, de l’Automobile-Club de France, avec le comte Albert de Dion…, consacre un long filet dans Le Figaro à l’événement du jour : l’inauguration du premier Salon de l’auto : “ces fiacres de demain”, s’enthousiasme Meyan.
Et de rassurer le lecteur : “Aucune voiture ne pourra figurer dans l’exposition si elle n’a, au préalable, effectué, en présence d’un commissaire, le trajet de Paris à Versailles et retour, sur un itinéraire qui n’est pas des plus commodes”…
Plus de cent ans plus tard, le Salon de l’automobile (rebaptisé le Mondial en 1988) accueille environ 1 million de visiteurs, porte de Versailles.
Près de 1.000 marques et quelque 40 pays y sont représentés.
Les “fiacres” sont devenus rois.
Ils ont envahi la planète, villes et campagnes, bouleversé l’existence des hommes, bousculé leurs habitudes.
L’automobile n’est plus seulement un moyen de transport: elle remodèle les espaces, déplace les lieux de résidence, d’emploi, de loisirs…
Elle gagne la mer, gravit les montagnes.
Elle est au coeur des politiques économiques, sociales, environnementales…
Moteur industriel, elle a chamboulé l’organisation du travail et les modes de production.
Elle tue et elle pollue aussi, défigure le paysage et encombre les rues.
Elle est également une des causes des guerres que livre l’Occident qui cherche à préserver le plus longtemps possible les sources d’approvisionnement en pétrole sans volonté de partager plus qu’il n’en faut !
C’est que l’automobile est devenue indispensable.
Elle a même parfois changé le cours de l’Histoire !
Depuis 1914, on remporte les guerres en roulant…
Edouard Delamare-Deboutteville n’imaginait pas, en 1884, l’impact de sa découverte : qu’à la fin du second millénaire circuleraient dans le monde près de 490 millions de voitures particulières et 170 millions de poids lourds, autobus et autocars.
Cette année-là, ce Rouennais, fils d’un filateur de coton normand, conçoit et construit le premier véhicule digne de ce nom, un break de chasse hippomobile à quatre roues équipé d’un moteur, dont il dépose le brevet.
Un document désormais considéré comme le véritable acte de naissance de l’automobile.
Pourtant, Delamare n’est pas passé à la postérité…, si ce n’est ses héritiers et quelques fondus de mécanique, tout le monde a oublié ce jeune bourgeois éclairé, auteur également d’une grammaire sanskrite et d’une brochure sur l’amélioration de la culture des moules !
Et pour cause : le Normand n’a pas poursuivi l’aventure.
“Difficile surtout d’attribuer à un seul homme la paternité d’une telle invention”, souligne l’historien Patrick Fridenson, cofondateur du Gerpisa.
Sans remonter à Joseph Cugnot et à son fardier à vapeur (1771), d’autres avant Delamare avaient ouvert la brèche, comme Amédée Bollée et son Obéissante (1873) ou Nicolas Raffard et son omnibus électrique (1881), équipé de 9 tonnes d’accumulateurs !
Mais que les plus cocardiers se consolent: ce sont toujours des Français : René Panhard, Emile Levassor et Armand Peugeot…, qui industrialisent, dès 1891, les premières voitures à essence à moteur sous licence Daimler.
L’auto reste alors l’apanage de quelques pionniers, aristocrates et sportifs : les anciens Bottin mondain (jusqu’en 1942) font état de la possession d’une voiture ; les sièges sociaux des constructeurs s’installent dans l’Ouest parisien, là où réside la clientèle fortunée.
Mais ce nouvel engin n’est qu’une innovation intéressante, pour ne pas dire étrange.
Les conducteurs, baptisés “chauffeurs” (parce qu’ils allument le feu pour chauffer le pétrole de manière à l’enflammer à l’intérieur du moteur), ne sont pas loin, encapuchonnés jusqu’aux oreilles, d’être pris pour de doux dingues.
Marcel Proust dit joliment du sien qu’il ressemble à une “nonne de la vitesse”.
L’accueil qui leur est réservé demeure plutôt frisquet.
Jusqu’en 1896, les automobilistes anglais sont ainsi tenus d’être précédés par un homme à pied brandissant un drapeau rouge !
Le conducteur à “casquette et peaux de bique” reste alors assimilé à un “gros”, à un “dépravé”, rapporte Gabriel Dupuy, professeur à l’Ecole nationale des ponts et chaussées (Les Territoires de l’automobile, éd. Anthropos).
Quand il n’est pas caricaturé comme dans ces brochures de propagande datées de 1906 et 1907 : “C’est le fils de famille dévoyé, déclassé ou dégradé qui passe sa vie dans les maisons de jeux… C’est le sportsman stupide au faciès bestial… C’est le parasite oisif… C’est la fille de joie, théâtriculeuse (sic), vivant un peu d’art et beaucoup de prostitution”…
Plus charitable, le Daily News publie, vers la même époque, un article dont l’auteur doute que l’on puisse à la fois monter en auto et demeurer bon chrétien : “Doubler les piétons avec autant d’aisance et de désinvolture manque par trop d’humilité”.
Bref, les sceptiques et les empêcheurs de circuler en rond sont légion.
En 1913, une trentaine de villes françaises, comme Toulouse (on les baptisera les villes mendiantes), tenteront même de s’opposer à l’entrée des véhicules étrangers en instaurant un péage.
En vain…
Sa diffusion va révolutionner le siècle
La voiture a ses adeptes, de plus en plus nombreux.
En novembre 1895, la revue américaine Horseless Age (L’Ere sans cheval) prophétise dès son n 1 : “Une industrie géante lutte pour venir au monde. Tous les signes indiquent que le véhicule à moteur est la suite nécessaire des méthodes de locomotion déjà établies et approuvées. Le public croit en lui”.
Témoin ce médecin de l’Oise qui, en 1904, raconte : “La semaine dernière, réveillé à 2 heures du matin pour un assassinat, j’étais à 2 h 20 près de la victime, à 6 kilomètres de Méru, et à 3 heures rentré chez moi. Cocher, cheval et lanternes eussent été à peine partis”.
Cet autre praticien, lui, compare, avec force détails, les frais inhérents à l’usage de deux chevaux et ceux d’une auto.
Sa conclusion paraît, le 15 janvier 1898, dans La France automobile : une différence en faveur de son véhicule de plus de 40%.
Et l’homme en blanc d’argumenter : “Cette économie deviendra d’autant plus sensible que vous laisserez certains jours votre voiture en remise tandis que votre dépense de chevaux continuera quand même lorsqu’ils resteront à l’écurie”.
Rien ne peut freiner la conquête de l’automobile.
Plus que son avènement, sa diffusion en masse va révolutionner le siècle.
Les retombées initiales sont évidentes : les automobilistes ont besoin de routes pour circuler, de cartes et de panneaux pour s’orienter, de stations-service pour se ravitailler.
Ils ont aussi faim et soif, parfois sommeil : il faut les sustenter et les loger.
L’expression “prendre la route” a du sens.
La France dispose certes du meilleur réseau grâce aux grandes voies royales tracées sous Louis XV, grâce aussi à son Ecole des ponts et chaussées, le plus vieil établissement de génie civil du monde.
En outre, depuis le début du XIXe siècle, un ingénieur écossais, un certain John Loudon McAdam, a mis au point un composé de cailloux pour remédier au bruit des charrettes sur les pavés.
On y ajoutera plus tard un liant (de l’asphalte, du goudron, du bitume…) et on appellera ce cocktail le macadam.
Les chaussées ainsi revêtues sont plus lisses.
Et ce n’est pas un luxe, compte tenu des suspensions de l’époque et de l’absence de pneumatiques (la diffusion du pneu démontable des frères Michelin, inventé en 1895, ne sera que progressive).
Avec l’automobile, l’état des routes ne va plus cesser de s’améliorer.
Comme les techniques de construction: il faut entendre, aujourd’hui, certains ingénieurs s’enflammer en évoquant le Régétherm, l’Hydroplast, le Salviacim ou encore l’Accroplast, cet enrobé drainant qui facilite l’écoulement des eaux…
Plus tard, avec l’accroissement de la vitesse, on songera à aménager des voies spécialisées, sans intersections, baptisées autoroutes, avec leur corollaire, le péage.
La première, longue de 65 kilomètres et large de 10 mètres, fut ouverte en 1914 aux Etats-Unis, dans l’île de Long Island.
Peu à peu, les restaurants, les hôtels, puis les motels (histoire de mieux sentir sa “caisse” au pied du lit…), les garages vont fleurir le long des axes routiers les plus fréquentés.
Dès 1918, l’essence, vendue jusqu’alors en bidon dans les épiceries, drogueries et cafés-tabacs, est distribuée par les pompes.
“Sur le bord des routes apparaissent de multiples objets montés sur pieds, points colorés aux formes géométriques variées”, raconte Marina Duhamel (Un demi-siècle de signalisation routière, Presses des Ponts et Chaussées).
Il faut aider les pionniers à trouver leur chemin, leur indiquer aussi les dangers.
Le signal avertisseur d’obstacles le plus ancien (sur la RN 7, près de Cannes) date de 1894.
Dans l’Hexagone, il n’existe alors que six panneaux de signalisation, contre plus de 200 modèles aujourd’hui.
Le premier feu bicolore (rouge et vert) apparaît en 1914 à Cleveland, aux Etats-Unis ; le feu tricolore fera son entrée en 1918 à New York.
En France, il sera posé quatre ans plus tard au carrefour Sébastopol, à Paris.
A l’origine, ce sont les clubs automobiles, les entreprises privées qui balisent et jalonnent les routes, diffusent cartes et guides, comme Michelin, dont le célèbre petit livre rouge, “offert gracieusement aux chauffeurs”, naît en 1900.
Dix ans plus tard, les premières cartes routières le rejoignent dans la boîte à gants.
Dès 1893, les automobilistes doivent posséder un “certificat de capacité”.
La vitesse est alors limitée à 12 km/h en ville, à 20 km/h en rase campagne.
La très excentrique duchesse d’Uzès est la première femme à obtenir son certificat, en 1897.
Les auto-écoles ne verront le jour (à Paris) qu’en 1917, cinq ans avant la création du permis de conduire.
Le fameux parchemin, de couleur rose, est délivré après des épreuves pratiques où l’examinateur devait apprécier, notamment, la prudence, le sang-froid, la présence d’esprit du candidat et la justesse de son coup d’oeil…
Plus les autos prolifèrent, plus la police se renforce et s’équipe face aux gangs.
Depuis Clemenceau, certains agents, las d’être ridiculisés par la bande à Bonnot circulant à bord de Delaunay-Belleville ou de Dion-Bouton, ont troqué leurs vélos pour des Renault bi et quadricylindres ou des Clément-Bayard.
Rebaptisés par le bon peuple les “brigades du Tigre”, ces pelotons d’élite furent les premiers à être motorisés (Voitures de police, par Dominique Pagneux, éd. EPA).
Après la guerre de 14, on les dota de torpédos Renault monoquatre.
Mais les flics semblent toujours avoir eu un… métro de retard sur les voyous : à la Libération, Pierrot le Fou et Jo Attia les baladaient à bord de leur traction Citroën, les flics roulaient en avant-guerre…
Le conducteur moyen, pendant ce temps-là, est enserré dans une réglementation de plus en plus stricte.
Depuis le 10 mars 1899, chaque voiture doit être immatriculée.
En 1921, surtout, apparaît le Code de la route : il s’adresse aussi bien aux “conducteurs de véhicules automobiles ou d’attelages” qu’aux “piétons et aux bêtes de trait” !
Depuis deux ans déjà, il est obligatoire de circuler la nuit avec “deux lanternes à feux blancs à l’avant et une lanterne à feu rouge à l’arrière”.
Plus tard, l’automobiliste devra aussi apprendre à boucler sa ceinture sur route puis en ville, à l’avant puis à l’arrière; à limiter sa vitesse; à être sobre avant de prendre le volant; à jongler avec les points de son permis…, la galère…
Avec l’automobile, les gens désormais voyagent.
Ils ne sont plus transportés comme avec le train, la voiture offrant une extraordinaire liberté, elle permet aussi de se distraire et… d’épater les voisin(e)s.
Surtout, elle rend service.
Dans les campagnes américaines, par exemple, où “nulle part l’auto n’a apporté de changements aussi positifs, la voiture supprime l’isolement des ruraux” (La Révolution automobile, par Bardou, Chanaron, Fridenson et Laux, Albin Michel).
En 1938, un fermier de l’Ohio écrivait à Edsel Ford : “Jusqu’à ce que votre père nous ait fourni le moyen de voyager à bon marché, la grande majorité de nos familles étaient rarement allées à 5 miles de leur domicile. Chaque fois que je croisais une famille en auto, je m’écriais avec reconnaissance : Dieu bénisse Henry Ford” !…
Retournement de l’Histoire : aujourd’hui, certains Etats américains, comme l’Illinois, obligent les personnes âgées de plus de 65 ans à passer un test de conduite tous les deux ans.
En cas d’échec, celles-ci se retrouvent coincées, loin de tout…, comme les fermiers d’antan !
Mais, pour l’heure, grâce à l’auto, les gens découvrent les joies du tourisme.
Au prix parfois de certains compromis avec leur toilette.
Il faut voir, saisie par l’objectif de Robert Doisneau, cette Bigouden avec sa coiffe bretonne traditionnelle tâchant, tête baissée, de s’engouffrer dans une Vedette…
Les déplacements explosent: on rallie sa marina “pieds dans l’eau” à Saint-Jean-de-Monts ou son duplex “au pied des pistes” à Font-Romeu.
L’institution du week-end se développe, avec son “appendice” : le conducteur du dimanche.
Dès 1900, Maurice Barrès voyait juste : “Errer à des distances que jamais ne parcouraient le cavalier ni le piéton, ne compter qu’avec sa fantaisie, voilà ce que permet la voiturette, elle satisfait un instinct antique et constant : le vagabondage”.
L’automobile, en réalité, bouleverse les modes de vie.
Elle permet aux entreprises d’élargir le recrutement de leur personnel ; elle renforce la domination des grandes villes sur leur région…
Sa diffusion génère une kyrielle de services “au volant”.
Très tôt, dans les villes d’Amérique du Nord, d’Australie et de Nouvelle-Zélande, on se rend au cinéma, au restaurant sans descendre de sa voiture… et même à la banque ou à l’église !
La première drive-in bank est apparue dans la région de Los Angeles, dès 1937… et une drive-in church est inaugurée en 1954 à Garden Grove, en Californie.
Plus couramment, l’auto permet l’éclosion de nouveaux temples du commerce, les hypermarchés et leurs vastes parkings, envahis chaque samedi par des cohortes de ménages tout occupés à pousser des Caddies et à remplir leurs coffres.
Elément de standing, instrument d’évasion, symbole de la société de consommation, l’auto, peu à peu, façonne la culture des hommes.
Elle exalte la liberté, renforce l’individualisme, participe à l’émancipation féminine.
Plus concrètement, elle aide à acclimater dans l’opinion le progrès technique, l’innovation, la modernité.
La vente de voitures à crédit est à l’origine de l’extension massive du crédit à la consommation.
De même, c’est l’automobile qui, très tôt, nourrit les plus gros budgets des agences de publicité et engendre sa propre presse.
Cent ans après la création de l’automobile, Chromes&Flammes, en 5 langues/éditions tirait à 500.000 exemplaires mensuels… et était le premier magazine automobile de la planète !
Aujourd’hui, le premier magazine français n’est plus C&F, mais se nomme Action Auto Moto qui diffuse à plus de 400.000 exemplaires, les temps changent, la presse et l’automobile sont sur un déclin…, à moins que ce ne soit un renouveau !
Á la fin de 1900, il existait 25 publications en France alors qu’il ne circulait que 5.386 voitures… et ces journaux-magazines organisaient des compétitions pour montrer les possibilités extrêmes des véhicules.
Le 18 décembre 1898, le pilote Chasseloup-Laubat dépasse les 63 km/h ; Jenatzy atteint les 105 km/h sur sa Jamais Contente en 1899…., puis on dépasse les 200 en 1909, les 300 en 1927, les 500 en 1937…
Le 14 octobre 1997, une voiture franchit le mur du son à 1.223,28 km/h dans le désert de Black Rock (Nevada)…
On songe aux propos du philosophe Paul Virilio : “La conquête de l’espace agrandit notre monde, mais la vitesse, qui la rend possible, le rétrécit”.
Révolution du siècle ?
Il suffisait, pour s’en convaincre, de prendre la mesure de la puissance économique acquise par l’industrie automobile…, juste avant la grande crise économique de 2008/2009 qui va voir les principaux fabriquants tomber à court de trésorerie et chuter en faillite !
Les premières firmes mondiales s’appellent General Motors, Ford et Toyota.
On trouve 5 constructeurs parmi les 20 principales entreprises de la planète qui produisent, bon an mal an, quelque 50 millions de voitures et emploient 10% environ de la population active des pays développés.
Si l’automobile a provoqué la disparition d’autres modes de transport (à Paris, le dernier omnibus à cheval est mis à la retraite en 1913 ; les carrioles et les fiacres s’effacent dans les années 20) et concurrencé sévèrement le rail…, elle a entraîné un développement de multiples activités, comme les pneumatiques, le verre, les matières plastiques, le textile, les assurances, les machines-outils, l’acier, les composants électroniques…
A eux seuls, voitures et camions en circulation sur la planète absorbent chaque année plus de 1 milliard de tonnes de pétrole.
L’an dernier, 45% environ de la consommation française de carburants a disparu dans les réservoirs.
Pour la plus grande joie de l’Etat, l’auto rapporte au budget français environ 300 milliards d’euros.
Le fisc frappe à tous les étages sous forme de TVA sur les voitures neuves, l’entretien des véhicules, les assurances (obligatoires depuis 1958), mais aussi via les péages, cartes grises, permis de conduire et autres vignettes…
Sans compter les PV !
Nouveau corps d’auxiliaires féminines, les contractuelles sont aussi des filles de l’automobile.
Lorsque les premières “aubergines” ou “pervenches” battent le pavé parisien, en juillet 1971, le préfet de police pense que “le sourire de ces demoiselles sera plus efficace que leur carnet de contraventions” !
Ce n’est pas le seul métier, loin de là, que l’auto a engendré.
Ainsi, vers 1905, émerge le marché des taxis, les “voitures de place”, dont la percée est possible grâce à l’invention du taximètre, permettant de déterminer le prix de la course.
Dans un tout autre domaine, l’élimination des épaves (un problème éternel : en 1648, déjà, la ville de Paris prit un édit contre les coches abandonnés)…, les démolisseurs-récupérateurs, baptisés “dépeceurs d’autos” jusqu’en 1939, traitent chaque année 10 millions de véhicules mis au rebut en Europe.
Autre exemple : les loueurs automobiles.
Walter Jacobs crée la première entreprise à Chicago en 1918.
Il dispose d’un parc de 12 Ford T.
Mais, en 1926, il se fait racheter par John Hertz, propriétaire des Yellow Cabs (les taxis new-yorkais), firme devenue aujourd’hui le numéro un mondial malgré la concurrence d’autres vénérables enseignes, comme celle fondée en 1946 par un certain Warren E. Avis à Detroit, le premier loueur à s’installer dans un aéroport.
Enfin, il suffira, en 1932, que Solido, la plus ancienne marque de miniatures du monde, fondée par le Français Ferdinand de Vazeilles, se lance dans la production de modèles réduits, pour que des générations de petits garçons délaissent leurs soldats de plomb.
Mais tout n’est pas rose, loin de là…
L’automobile a été la cause de l’exploitation pétrolière : essence, diesel, le bitume des routes, les pneumatiques et les matières plastiques…, elle est une des causes de la polution générale qui gangrène le monde… et comme déjà écrit plus avant, elle est co-responsable de la quasi-totalité des guerres, soit qu’elles furent économiques et territoriales dans une vision industrielle, soit qu’elles sont pétrolières, afin que l’Occident continue de s’approprier des ressources énergétiques des pays tiers…
Mais les guerres, avec leurs destructions, les navires coulés, les avions polluants, les chars et la mitraille…, contribuent dans ces conflits à la mort de millions d’innocents, à la destruction des animaux et bien plus, au cancer de la planète !
Pourtant, l’automobile reste une filière économique imposante… et éclaire encore à elle seule l’histoire industrielle.
Elle reste un moteur d’innovations multiples : “Objet technique”, explique Gabriel Dupuy, “elle s’est enrichie des apports de multiples découvertes et progrès” (L’Auto et la ville, Flammarion).
En vrac : le rétroviseur (1906), la boîte automatique (1907), le pare-brise feuilleté (1910), les essuie-glaces (1916), la traction avant (1926), la direction assistée (1950), les freins ABS (1973), l’Airbag (1981), l’embrayage électronique (1988)…
Ironie de l’Histoire : la voiture électrique, qui tente un retour, avait été enterrée au début du siècle, sois-disant par l’invention du démarreur électrique (Mis au point par l’Américain Charles F. Kettering, il permettait, sans aucun effort ni danger, adieu la manivelle, de mettre en route des moteurs à essence)…, mais en réalité c’était par la volonté du lobbying naissant du pétrole, offrant une montagne d’or à Henry Ford afin qu’il baisse le prix de ses Ford T, afin qu’elles soient moins chères que les voitures électriques…
La honte !.
L’industrie automobile a aussi bouleversé définitivement, dès le début du siècle, les modes de fabrication, puis de commercialisation et même de recrutement !
Si la voiture restait alors en Europe un produit d’élite, fait sur mesure, l’Amérique va l’intégrer dans son projet démocratique et la produire en masse (Je suis l’automobile, par Jean-Pierre Orfeuil, éd. de l’Aube).
L’idée de mécaniser le processus industriel faisait déjà son chemin dans d’autres branches, à Cincinnati, dès le milieu du XIXe siècle, les conserveries de viande utilisaient les premières chaînes mobiles…, mais c’est bien dans l’automobile que l’organisation tayloriste du travail va trouver son expression la plus achevée.
Toute sa vie, Frederick Winslow Taylor, ce ne pouvait être qu’un Américain, s’est employé à accroître la productivité de la main-d’oeuvre.
Ce qui suppose “l’utilisation maximale de l’outillage et la suppression des gestes inutiles”.
Henry Ford sera l’industriel le plus zélé pour exploiter ces principes.
Dès 1908, il fonde son expansion sur un modèle unique, une voiture robuste, de conception simple et d’entretien facile : le modèle T.
De son petit nom la “Lizzie”, noire parce que les ingénieurs avaient observé que cette couleur de peinture séchait le plus vite !
Ford en vendra plus de 15 millions !
Le taylorisme et le fordisme, raillés avec tant de talent par Chaplin, en 1936, dans Les Temps modernes, permettront de satisfaire une demande croissante suscitée par la publicité…, un cercle vicieux !…
Car, depuis la guerre de 14, “l’utilité de l’automobile” est un message quasi subliminal que les constructeurs lobotomisent les consommateurs en diffusant des histoires et clichés tel que : “Le recours aux taxis parisiens lors de la bataille de la Marne, l’approvisionnement de Verdun en 1917 par les camions de la Voie sacrée, l’omniprésence de la Ford T sur les champs de bataille du monde entier (y compris en Arabie, où Lawrence remplaça ses chameaux par des Ford) ont rendu la présence de la voiture encore plus familière” (La Révolution automobile).
Ce “succès” n’assure pas pour autant un avenir durable à l’industrie, qui, aux Etats-Unis, dès le milieu des années 20, connaît des excédents de capacité.
Il faut faire preuve d’imagination, stimuler encore plus la demande !
La concurrence porte non plus seulement sur les prix, mais aussi sur les produits.
Le marketing est né, ou plutôt le sloanisme, du nom du directeur général de General Motors.
Alfred Sloan invente la politique de gammes pour satisfaire les besoins de différenciation sociale et entraîner le renouvellement rapide des modèles.
Options, couleurs, design…, on n’attrape pas les clients avec du vinaigre.
L’ère du gachis est ouverte, gaspillage, apologie des inutilités, des modes, des frivolités consommatrices !
Plus tard, après la Seconde Guerre mondiale, l’industrie automobile sera encore à la base de nouvelles méthodes de production, plus flexibles en faveur de l’industrie, qu’emprunteront d’autres secteurs.
Un ingénieur de Toyota, Taiichi Ohno, réduira au minimum les stocks pour une production “au plus juste” et réhabilitera “temporairement” le travail des salariés pour une qualité optimale.
Ces nouvelles techniques de fabrication vont transformer en profondeur le travail en usine, les ouvriers vont devenir interchangeables, leurs tâches parcellisées, l’automatisation va aller croissant.
Les constructeurs vont introduire des engins hautement spécialisés, confiés à des ouvriers que l’on appellera peu à peu, du nom de leurs machines, les ouvriers spécialisés, les OS.
En contrepartie, la compétence des “compagnons”, dans la tradition artisanale, sera de moins en moins recherchée, ce qu’il faut aux constructeurs, c’est une main-d’oeuvre bon marché, ex-salariés agricoles, ex-ouvriers-paysans et, surtout, des immigrés…
L’automobile va devenir un lieu de concentration (double-sens) et un facteur de migration de main-d’oeuvre sans précédent.
Le mouvement s’amorce, dès les années 10-20, aux Etats-Unis, Detroit devient une ville polyglotte et la compagnie Ford affiche des avis en au moins huit langues différentes, dont le grec et l’arabe ! (La Révolution automobile)…, avec, à la clef, d’inévitables problèmes d’intégration, comme en 1967, lors de la “grande rébellion” des ouvriers noirs à Detroit : bilan: 41 morts, 347 blessés, 3.800 arrestations et 500 millions de dollars de dommages !
Contestée par ses salariés, l’industrie automobile va surtout faire l’objet, dans ce dernier quart de siècle, d’une opposition de plus en plus virulente dans l’opinion, au fur et à mesure que le public prend conscience de ses retombées néfastes.
Dans son livre Unsafe at Any Speed, paru en 1965, un jeune avocat, Ralph Nader, lâchera son fameux: “L’automobile, ça tue, ça pue et ça pollue”.
Pourtant, à ses débuts, celle-ci faisait bonne figure, elle occupait moins de place au sol qu’un attelage, elle supprimait les inconvénients des chevaux : crottin, urine, cadavres, sans parler des risques sanitaires, en particulier le tétanos…, plus “docile” que les animaux, n’était-elle pas plus sûre ?
Une fois encore, c’est sa diffusion en masse qui va se retourner contre elle : trop d’auto tue l’auto !
C’est vrai en matière de pollution.
Les moteurs rejettent dans l’atmosphère des oxydes de carbone, d’azote, des hydrocarbures volatils, des particules.
Dès 1961, la Californie promulgue des mesures en matière de contrôle des gaz d’échappement.
Sur la base du Clean Air Act, au moins 10% des véhicules mis en vente dans cet Etat à partir de 2003 devront être propres.
Ailleurs, mise en place de procédures d’alerte, pastille verte, fêtes de l’air, circulation alternée, interdiction des véhicules en centre-ville, covoiturage, les initiatives fleurissent.
Mais la pollution est aussi visuelle.
Le XXe siècle voit ses villes “capituler devant l’automobile et s’offrir à elle sans résistance”, selon le mot de l’urbaniste Moshe Safdie.
C’est clair, la voiture a bouleversé le décor.
Outre les panneaux de signalisation et les feux de circulation, déjà évoqués, il a fallu généraliser les trottoirs, marquer les passages pour piétons par des clous puis par des bandes peintes, installer des lampadaires, concevoir des ralentisseurs, construire des carrefours giratoires, multiplier bordures, barres, grilles et plots contre le stationnement sauvage…
Payant, ce dernier a nécessité des horodateurs et autres parcmètres (le premier a été installé à Oklahoma City en 1935 et en Europe, à Londres, en 1958).
Puis de véritables parcs dédiés : on en a créé ces dix dernières années, en France, autant que durant les vingt années précédentes !
Le développement prodigieux du trafic a également entraîné la réalisation d’un réseau dense de voies (jusqu’à 30% de la surface du tissu urbain; 40% à Los Angeles !) et d’infrastructures pour enjamber, éviter, survoler, contourner…
De Saint-Cloud, de Fourvières ou de Bagnolet, les plus jeunes ne connaissent que les échangeurs ou le tunnel.
Et si Paris a pu échapper à la voie express de la rive gauche, à la radiale Vercingétorix, si l’autoroute A 14 épargne la forêt de Saint-Germain-en-Laye, les Parisiens subissent depuis vingt-cinq ans le périphérique, l’axe routier le plus fréquenté d’Europe : plus de 1 million de véhicules quotidiens!
Les Franciliens, eux, ne s’entendent plus.
Un sur dix est exposé, du fait de l’automobile, à un bruit excessif.
D’après le conseil régional, sur près de 90% des axes routiers la limite légale des 60 décibels est dépassée.
La prolifération des voitures et leur utilisation plus fréquente, les Français effectuent 80% de leurs déplacements en auto, génèrent aussi de plus en plus d’encombrements.
On estime le nombre d’heures perdues dans les embouteillages à 100 millions… et ce malgré l’apparition de drôles d’animaux, tel Bison futé (1976), et de multiples mesures, comme les couloirs de bus (à Paris, le premier remonte à 1964).
Mais ce sont les coûts sociaux des accidents de la route qui frappent le plus les esprits.
En un siècle d’existence, révèle un rapport de la Croix-Rouge, l’automobile a fait 30 millions de victimes dans le monde !
Et 500.000 morts en moyenne annuelle depuis 1990, soit la population d’une agglomération comme Nantes.
Si les décès diminuent dans les pays du Nord, ils ne cessent d’augmenter dans le Sud, où les accidents de la route représentent dans les pays en développement un coût presque égal à l’aide qu’ils reçoivent !
Banalisée, désacralisée, la bagnole a-t-elle encore de beaux jours devant elle ?
Surtout que de plus en plus, les industries délocalisent, affaiblissant ainsi l’emploi national et le pouvoir d’achat…
Un cercle vicieux, avec moins de revenus les nationaux cherchent à vivre de même en achertant meilleur marché…, les industries incapables de vendre moins cher en cause du coût de la main-d’oeuvre et des charges sociales, délocalisent de plus en plus… et ainsi de suite…
“Cette fin du XXe siècle ne correspond à aucune rupture identifiable”, explique Gabriel Dupuy…
Parce que notre rapport à la bagnole, l’usage que l’on en fait, est en train de changer, certains constructeurs commencent à proposee de nouvelles formes de commercialisation et de propriété.
“L’automobile va faire du cheval un objet de luxe ou de boucherie”, prophétisait un visiteur du Salon en 1898.
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