La Tataguar Super-Sport au Blenheim Palace…
C’est typiquement du “Gonzo-journalisme”, le chemin est plus intéressant à décrire que la finalité d’un voyage…
Les “zimages” ne sont qu’une vision, un ressenti, l’éphémère du néant…
C’est comme “baiser”, ca prend la tête, ca te pompe l’air, il y a un coté crétin basique dans les Hop-Hop-Hop et dans le branlage, puis on dort…
Et chaque matin, faut aller pisser…
C’est une vie de merde en double-sens ou tout le monde meurt à la fin… et on n’emporte rien, pas même des souvenirs…
Mais il n’y a rien d’autre, alors on s’ingénie à passer le temps en attente…
Pendant toute une semaine, j’avais traversé l’Angleterre, du bas vers son centre milieu, une étendue de pays singulièrement lugubre et autoroutière…, me dirigeant vers Blenheim Palace, là ou devait se dérouler un évènement mondain du centre-nord du monde civilisé et si délicieusement British… : la présentation en première mondiale de la Tataguar Super Sport, couplée à un rassemblement de Super-Sportives hors de prix ET à une vente aux enchères “charitable” de voitures de collection organisée, comme chaque année en mêmes dates, par Coys.
Passé la Manche, de Calais à Douvres, après avoir roulé mécaniquement toutes les heures d’une journée trop remplie, tout comme les ombres du soir approchaient, je me trouvais enfin en vue de Blenheim Palace.
Je ne sais comment cela se fit, mais, au premier coup d’œil que je jetais sur le bâtiment, tout comme l’année précédente et les années la précédant aussi…, un sentiment d’insupportable hystérie pénétra mon âme.
Je dis insupportable, car cette hystérie n’était nullement tempérée par une parcelle de ce sentiment dont l’essence poétique fait presque une volupté et dont mon âme est généralement saisie en face des images naturelles les plus sombres de la désolation et de la terreur suscitées par la bêtise inhumaine, le réservoir des sens de l’humanité…
Je regardais le tableau placé devant moi… et, rien qu’à voir ce Palace et la perspective caractéristique de ce domaine, les murs qui semblaient avoir froid en plein été… et les fenêtres semblables à des yeux distraits, j’éprouvais cet entier affaissement d’âme qui, parmi les sensations terrestres (je n’en “connasse” pas d’autres), ne peut se mieux comparer qu’à l’arrière-rêverie du businessman déjanté au retour d’un show de carcasses automobiles, à son retour à la vie d’écritures diverses, à l’horrible et lente retraite du monde.
C’était en moi, un feu de glace au cœur, un génial abattement, un enivrant malaise masturbatoire, un sentiment d’irrémédiable causticité de pensée qu’aucun aiguillon de mon imagination débordante ne pouvait étouffer.
Qu’était-ce donc ?
Je m’arrêtai pour y penser…
Qu’était donc ce je ne sais quoi qui m’énervait ainsi en contemplant Blenheim Palace ?
C’était un mystère tout à fait insoluble… et je ne pouvais pas lutter contre les pensées ténébreusement et sexuellement perverses qui s’amoncelaient sur moi pendant que j’y réfléchissais.
Je fus forcé de me rejeter dans cette conclusion peu satisfaisante, qu’il existe des combinaisons d’objets naturels très simples qui ont la puissance de m’affecter de cette sorte et que l’analyse de cette puissance gît dans des considérations où je perd souvent pied.
Il était possible, pensais-je, qu’une simple différence dans l’arrangement des matériaux de ce Palace, suffît pour modifier, pour annihiler peut-être cette puissance d’impression douloureusement érotique et, agissant d’après cette idée, je conduisis ma voiture vers le bord escarpé d’un noir et lugubre étang, qui, miroir immobile, s’étalait devant le bâtiment… et je regardais, mais avec un frisson plus pénétrant encore que la première fois, les images répercutées et renversées des arbres et des fenêtres semblables à des yeux sans pensées.
C’était dans cet habitacle de mélancolie jouissive que j’allais séjourner pendant quelques jours.
Demeure du 11ème Duc de Marlborough et classée au Patrimoine Mondial, Blenheim Palace est l’une des plus vaste et plus belle maison privée de Grande-Bretagne.
Elle contient une superbe collection de tapisseries, tableaux et mobiliers placée dans de majestueux salons d’état.
A la collection s’ajoute une exposition permanente des lettres de Winston Churchill, peintures et souvenirs exposés dans les pièces même où il est né et a vécu.
Offert par Anne Stuart au Duc de Malborough pour sa victoire sur les Français, le Palais de Blenheim est un chef-d’œuvre de l’art baroque Anglais.
Œuvre de l’architecte John Vanbrugh, le château fut conçu sous le signe de l’exubérance et de la démesure.Long de 137 mètres, ses salles immenses, richement décorées, s’articulent entre elles le long d’un axe unique.
Le résultat est spectaculaire.
Autour du Palais, les splendides jardins enserrés dans une enceinte de 15 kms imaginés par Capability Brown, le plus grand paysagiste Anglais, remplacent l’ancien domaine de chasse depuis le XVIIIème siècle…, entourant le palais, se trouve un parc de 2,000 acres, comprenant des dizaines et dizaines de jardins formels et de “jardins secrets” ainsi que de nombreux lacs et fontaines.
Blenheim Palace est situé dans le village de Woodstock dans les Cotswolds, près d’Oxford, à mi-chemin entre Londres et Birmingham.
J’avais reçu un é-mail quelques jours avant mon départ pour Blenheim Palace, dont la tournure follement pressante n’admettait pas d’autre réponse que ma présence même.
Le contenu de ce courriel portait la trace d’une certaine agitation nerveuse, il y était question d’une voiture extraordinaire qui allait être présentée au public pré-éberlué, puis mise en vente et qui m’était psychologiquement destinée.
Je décelais du chef de son auteur, une affection mentale qui devait l’oppresser ainsi que d’un ardent désir de me voir dépenser un maximum d’argent pour y trouver dans la joie de ma quète, quelque soulagement à son besoin de liquidités.
C’était le ton dans lequel toutes ces choses et bien d’autres encore étaient dites, c’était aussi cette ouverture d’un cœur suppliant, toutes choses qui ne me permettaient pas d’hésitation ; en conséquence, j’obéis immédiatement à ce que je considérais toutefois comme une invitation des plus singulières…
J’ai écrit ci-avant, que je regardais l’étang bordant le Palace avec un frisson plus pénétrant encore que la première fois, les images répercutées et renversées des arbres et des fenêtres semblables à des yeux sans pensées…, je précise que c’était le seul effet de mon expérience quelque peu puérile, c’est-à-dire qu’avoir regardé dans l’étang, avait été de rendre plus profonde ma première et si singulière impression.
Je ne dois pas douter que la conscience de ma superstition croissante, n’ait principalement contribué à accélérer cet accroissement.
Telle est, je le savais de vieille date, la loi paradoxale de tous les sentiments qui ont l’hystérie jouissive ou la terreur masturbatoire pour base.
Et ce fut peut-être l’unique raison qui fit que, quand mes yeux, laissant l’image dans l’étang, se relevèrent vers le Palace, une étrange idée me poussa dans l’esprit, une idée si ridicule, en vérité, que, si j’en fais mention, c’est seulement pour montrer la force vive des sensations qui m’oppressaient.
Mon imagination avait si bien travaillé, que je croyais réellement qu’autour du Palace et du domaine planait une atmosphère qui lui était particulière, ainsi qu’aux environs les plus proches, une atmosphère qui n’avait pas d’affinité avec l’air du ciel, mais qui s’exhalait des arbres, des murailles et de l’étang silencieux, une vapeur mystérieuse, à peine visible, lourde, paresseuse et d’une couleur plombée.
Je secouais de mon esprit ce qui ne pouvait être qu’un rêve, et j’examinais avec plus d’attention l’aspect réel du bâtiment.
L’édifice était à l’origine un cadeau destiné au Duc de Marlborough de la part de la collectivité nationale, en récompense des victoires militaires qu’il remporta contre la France.
Le Palais devint toutefois vite la source d’intrigues politiciennes, lesquels entraînèrent l’exil de Marlborough, la disgrâce de la Duchesse et un dommage irréparable pour la réputation de l’architecte, Sir John Vanbrugh.
Conçu dans un style baroque typiquement anglais et pour cette raison très rare, le Palais fait aujourd’hui l’objet d’appréciations aussi divergentes que dans les années 1720, la combinaison qu’il opère entre maison de famille, mausolée et monument national est en effet unique à plus d’un titre.
Tout en remarquant ces détails, je suivis une courte chaussée qui me menait à l’endroit ou allait se dérouler la vente aux enchères…, puis je suis parti vers le village de Woodstock ou j’avais réservé une chambre à l’hôtel des ours…, le “Bears Hôtel”.
Une soubrette de chambre prit mon bagage et me conduisit en silence à travers maints passages obscurs et compliqués vers ma chambre.
Bien des choses que je rencontrais dans cette promenade contribuèrent, je ne sais comment, à renforcer les sensations vagues dont j’ai déjà parlé.
Les objets qui m’entouraient, les sculptures des plafonds, les sombres tapisseries des murs, la noirceur d’ébène des parquets et les fantasmagoriques trophées armoriaux qui bruissaient, ébranlés par ma marche précipitée, étaient choses bien connues de moi.
Mon enfance avait été accoutumée à des spectacles analogues et, quoique je les reconnusse sans hésitation pour des choses qui m’étaient familières, j’admirais quelles pensées insolites ces images ordinaires évoquaient en moi.
La chambre dans laquelle je me trouvais était très grande et très haute, les fenêtres, longues, étroites, et à une telle distance du noir plancher, qu’il était absolument impossible d’y atteindre.
De faibles rayons d’une lumière cramoisie se frayaient un chemin à travers les carreaux treillissés et rendaient suffisamment distincts les principaux objets environnants…
L’œil, néanmoins, s’efforçait en vain d’atteindre les angles lointains de la chambre ou les enfoncements du plafond arrondi en miroirs.
De sombres draperies tapissaient les murs.
L’ameublement général était extravagant, incommode, antique et délabré. Je sentais que je respirais une atmosphère désuette, un air de mélancolie âpre, profonde, incurable, planait sur tout et pénétrait tout, c’était le fantôme du Duc de Marlborough…
Je descendis dîner peu après.
À mon entrée dans la salle de restaurant, un homme sans âge se leva d’un canapé sur lequel il était affalé tout de son long et m’accueillit comme s’il me connaissait depuis toujours… et ce, avec une chaleureuse vivacité, qui ressemblait fort, telle fut du moins ma première pensée, à une cordialité emphatique, à l’effort d’un homme du monde ennuyé, qui obéit à une circonstance financière…
Un teint cadavéreux, un œil large, liquide et lumineux au delà de toute comparaison, des lèvres un peu minces et très-pâles, un nez d’un moule hébraïque d’une ampleur de narines qui s’accorde rarement avec une pareille forme, des cheveux d’une ténuité plus qu’arachnéennes…, tous ces traits, auxquels il faut ajouter un développement frontal excessif, lui faisaient une physionomie qu’il n’était pas facile d’oublier.
La pâleur spectrale de la peau et l’éclat miraculeux de son œil glauque me saisissaient particulièrement et m’épouvantaient.
Je fus tout d’abord frappé par son incohérence, son inconsistance dans ses manières… et je découvris bientôt que cela provenait pour lui, d’un effort incessant, aussi faible que puéril, pour maîtriser une trépidation habituelle, une excessive agitation nerveuse.
Je m’attendais bien à quelque chose dans ce genre, et j’y avais été préparé par son é-mail et par des conclusions déduites de sa singulière conformation physique et de son tempérament.
Sa voix passait rapidement d’une indécision tremblante, quand les esprits vitaux semblaient entièrement absents, à cette espèce de brièveté énergique, à cette énonciation abrupte, solide, pausée et sonnant le creux, à ce parler guttural et rude, parfaitement balancé et modulé, qu’on peut observer chez le parfait ivrogne ou l’incorrigible margoulin pendant les périodes de leur plus intense excitation.
Ce fut dans ce ton qu’il parla de l’objet de ma visite, de son ardent désir de me voir, et de l’opération financière qu’il attendait de moi.
J’appris, par intervalles, et par des confidences hachées, des demi-mots et des sous-entendus, une particularité de sa situation morale.
Il était dominé par certaines impressions superstitieuses relatives au Blenheim Palace… et où il n’avait pas osé entrer depuis plusieurs années, relatives à une influence dont il traduisait la force supposée en des termes trop ténébreux pour être rapportés ici, une influence que quelques particularités dans la forme même et dans la matière du Palace avaient, par l’usage de la souffrance, disait-il, imprimée sur son esprit, un effet que le physique des murs gris, des tourelles et de l’étang noirâtre où se mirait tout le bâtiment, avait à la longue créé sur le moral de son existence.
Il admettait toutefois, mais non sans hésitation, qu’une bonne part de la mélancolie singulière dont il était affligé pouvait être attribuée à une origine plus naturelle et beaucoup plus positive, à la maladie cruelle et déjà ancienne, enfin, à la mort évidemment prochaine d’une tante éloignée mais tendrement aimée, sa dernière et sa seule parente sur la terre, raison pour laquelle je devais lui acheter sa voiture…
Pendant qu’il parlait, Lady L, que j’avais violé l’année dernière (c’est ainsi qu’elle se nommait), passa lentement à coté de notre table, me fixant dans les yeux et en agitant ses seins…
Je la regardais avec une immense érection naissante et incontrôlable, où se mêlait quelques envies lubriques.
Une sensation de stupeur m’oppressait, pendant que mes yeux suivaient ses fesses rebondissantes qui s’éloignaient de mes mains tendues…
La sexualité débridée de Lady L avait longtemps bafoué la science.
Ses besoins sexuels fréquents, d’un caractère presque cataleptique mélés d’extases orgasmiques puissantes, en étaient les diagnostics très singuliers.
Jusque-là, elle ne s’était pas encore résignée à se mettre au lit, mais, sur la fin du soir de mon arrivée au “Bears Hôtel”, après que je prétextais un besoin urgent auprès de l’étrange bonhomme qui m’avait envoyé un é-mail et invité à dîner, afin de le laisser, seul, payer l’addition (salée), Lady L cédait à la puissance écrasante du fléau sexuel… et vint se faire violer dans ma chambre après s’être fait attacher avec les cordes retenant les lourdes tentures…
Pendant les quelques jours et nuits qui suivirent, je m’épuisais en efforts sexuels pour alléger la mélancolie qui minait mon moral… et ainsi, à mesure qu’une intimité de plus en plus étroite m’ouvrait plus familièrement les profondeurs de son… âme, je spermatais sur tous les objets de l’univers physique et moral, une irradiation incessante de perversions sexuelles.
Je garderais toujours le souvenir des maintes heures solennelles que j’ai passées à copuler, essayant vainement de définir le caractère exact des occupations lubriques dans lesquelles elle m’entraînait ou me montrait le chemin torturé.
La scène de masturbation que j’ai faite hier avec Lady L, c’est une des choses parmi les plus fortes qu’il m’ait été donné de jouir, je n’arrête pas d’y repenser, je me parlais presque à moi même, tellement j’étais subjugué, la manifestation du sexe a parfois quelque chose à la fois d’intime et d’extrême, c’est un émerveillement.
Je pense que le sexe est bien plus subversif quand il émane du quotidien, qu’il n’est pas qu’un spectacle de foire…, la fonction première du sexe se devrait d’être subversif, de mettre en scène des histoires lubriques qui véhiculent un discours sur le sexe, comme “Eloge de la chair”, un véritable travail politiquement incorrect !
Une sexualité ardente, excessive, projetait sur toutes choses sa lumière sulfureuse.
Ses longues et érotiques improvisations résonneront éternellement dans mes oreilles.
Entre autres choses, je me rappelle douloureusement une certaine paraphrase singulière, une perversion fort étrange que couvait sa laborieuse fantaisie sexuelle et qui arrivait à une position qui me donnait le frisson, un frisson d’autant plus pénétrant que je frissonnais sans savoir pourquoi…, quant à ces perversions, si vivantes pour moi, que j’ai encore leurs images dans les yeux, j’essaierais vainement d’en extraire un échantillon suffisant, qui pût tenir dans le compas de la parole écrite.
Je me rappelle fort bien que les inspirations naissant de nos exploits sexuels nous jetèrent dans un courant d’idées, au milieu duquel se manifesta une opinion que je cite, non pas tant en raison de sa nouveauté, qu’à cause de l’opiniâtreté avec laquelle elle la soutenait.
Cette opinion, dans sa forme générale, n’était autre que la croyance à la sensitivité de tous les êtres.
Mais, dans son imagination, l’idée avait pris un caractère encore plus audacieux et empiétait, dans de certaines conditions, jusque sur le règne inorganique.
Les mots me manquent pour exprimer toute l’étendue, tout le sérieux, tout l’abandon de notre quète d’innovations sexuelles, en ce compris le viol consentant de deux soubrettes et du bagagiste…
Ici, les conditions de sensitivité étaient remplies…, à ce qu’elle imaginait, dans la condensation graduelle, mais positive, au-dessus des eaux, autour des murs, d’une atmosphère qui leur était propre.
Le résultat, se déclarait dans cette influence muette, mais importune et terrible, qui depuis des siècles avait pour ainsi dire moulé les destinées du Blenheim Palace…
De pareilles opinions n’ont pas besoin de commentaires, et je n’en ferai pas.
Entre deux étreintes, nous lisions quelques livres que j’emportais toujours avec moi dans mes voyages, livres qui depuis des années constituaient une grande partie de mon existence spirituelle, le Vert-Vert et la Chartreuse, de Gresset… le Belphégor, de Machiavel… les Merveilles du Ciel et de l’enfer, de Swedenborg… le Voyage souterrain de Nicholas Klimm, par Holberg… la Chiromancie, de Robert Flud, de Jean d’Indaginé et de De La Chambre… le Voyage dans le Bleu, de Tieck… et la Cité du Soleil, de Campanella. Un de mes volumes favoris étant une petite édition in-octavo du Directorium inquisitorium, par le dominicain Eymeric De Gironne comportant des passages de Pomponius Méla, à propos des anciens Satyres africains et des Ægipans, sur lesquels je rêvassais pendant des heures, préférant néanmoins la lecture d’un in-quarto gothique excessivement rare et curieux, le manuel d’une église oubliée, les Vigiliae Mortuorum secundum Chorum Ecclesiae Maguntinae…
Je songeais malgré moi à l’étrange rituel contenu dans ce livre et à son influence probable sur mon psychisme, quand, un soir, l’auteur de l’é-mail vint frapper à la porte de la chambre…
Je craignais qu’il me reprocha de l’avoir, seul, laissé payer l’addition salée de notre repas, mais non…, il m’annonça simplement que la voiture que je “devais” acheter était la création inédite d’un dénommé Leepu, désigner ayant demeuré à Dhaka, une “Tiger-Cat” bien nommée “Tataguar Super Sport” réalisée au départ de l’épave d’une malheureuse 1985 Jaguar XJS 6 cylindres 3L6, re-carrossée sous ses ordres par l’équipe du London-Garage “Bangala Bangers” qu’on voyait sévir il y a quelques années sur Discovery Channel…, des Hindous du “Bangla-dèche” qui ne l’étaient plus…, dans la dèche !!!
La vue de quelques photos de cette abominable chose verdâtre à lignes sportives blanches, exposée l’année précédente lors du “Goodwood Festival Of Speed”, me donna envie de l’étrangler et de conserver le corps sous le lit en attendant la fin de la vente aux enchères.
La raison humaine qu’il donnait de cette singulière manière d’agir était une de ces raisons que je ne me sentais pas le droit de contredire, à savoir que cette “huitième merveille du monde” m’était destinée par ordre de Vichnou en personne, un soir de fumerie excessive…, sous peine de voir cette divinité mobile ou supposée l’être, partir sans prix de réserve…, le personnage m’avouant avoir été berçé durant ses jeunes années par la lecture de mes magazines Chromes & Flammes…, ce qui était une circonstance atténuante.
Il me demanda de l’aider à re-placer cette voiture au centre de l’enceinte de la vente aux enchères, ce qui ressemblait fort à un enterrement de première classe !
Je l’aidai personnellement dans les préparatifs de cette sépulture temporaire…
La pâleur de sa physionomie avait revêtu une couleur peut-être encore plus spectrale, mais la propriété lumineuse de son œil avait entièrement disparu, son esprit, incessamment agité, était travaillé par un suffocant secret qu’il ne pouvait trouver le courage nécessaire pour me le révéler, j’étais obligé de conclure simplement aux bizarreries inexplicables de sa folie automobile car je le voyais regardant cette Jaguar XJS customizée d’abominable façon, dans l’attitude de la plus profonde attention, comme s’il regardait une oeuvre d’art.
Il ne faut pas s’étonner que son état m’effrayât, qu’il m’infectât même.
Je sentais se glisser en moi, par une gradation lente mais sûre, l’étrange influence de ses délires fantastiques.
J’eus même, un instant, l’idée de l’acheter….
Folie, Vichnou m’envoutait !!!!
Ce fut particulièrement le lendemain, à 16h17 et 21 secondes, que j’éprouvai toute la puissance de ces sensations.
Je m’efforçai de raisonner l’agitation nerveuse qui me dominait lors de la vente aux enchères.
J’essayai de me persuader que je devais ce que j’éprouvais, en partie, sinon absolument, à l’influence prestigieuse du mélancolique Blenheim Palace et des sombres draperies déchirées du Bears Hôtel, qui, tourmentées par les exhubérances sexuelles de Lady L, vacillaient çà et là sur les murs… et bruissaient douloureusement autour des ornements du lit…
Mais mes efforts furent vains.
Une insurmontable terreur pénétra graduellement tout mon être et à la longue une angoisse sans motif, un vrai cauchemar, vint s’asseoir sur mon cœur.
Je respirai violemment, je fis un effort, je parvins à me secouer… et, me soulevant sur ma chaise je levais les bras… sans me rendre compte qu’un Prowler rouge était en cours d’enchère à une valeur d’entrée de jeu, alors qu’il n’y avait pas de prix de réserve…, c’était le minima tolérable, alors que personne n’enchérissait…, Douglas, le Commissaire-Priseur de Coys, me regarda dans les yeux et cria : “Adjugée 10.000 Livres”, en frappant son bureau avec son marteau…
J’avais acheté un Prowler rouge sans m’en rendre compte…
Je ne saurais dire pourquoi, si ce n’est que j’y fus poussé par une force instinctive, à certains sons bas et vagues qui partaient je ne sais d’où, et qui m’arrivaient à de longs intervalles.
Dominé par une sensation intense, inexplicable, je m’efforçai, en marchant çà et là dans la tente ou se déroulait la vente, de sortir de l’état second dans lequel j’étais tombé.
J’avais à peine fait ainsi quelques tours, quand un pas léger arrêta mon attention.
Je reconnus bientôt que c’était le pas de Lady L.
Il y avait dans ses yeux je ne sais quelle hilarité insensée… et dans toutes ses manières une espèce d’hystérie sexuelle évidemment contenue.
J’eus immédiatement une érection et j’accueillis sa présence comme un soulagement.
C’était vraiment une vente aux enchères affreusement belle, un moment unique et étrange.
Un tourbillon s’était concentré dans notre voisinage car il y avait des changements fréquents et violents dans la direction du vent et l’excessive densité des nuages, maintenant descendus si bas qu’ils pesaient presque sur les tourelles du Palace, ne nous empêchait pas d’apprécier la vélocité vivante avec laquelle ils accouraient l’un contre l’autre de tous les points de l’horizon, au lieu de se perdre dans l’espace.
Leur excessive densité ne nous empêchait pas de voir ce phénomène, pourtant aucun éclair ne projetait sa lueur, mais les surfaces inférieures de ces vastes masses de vapeurs cahotées, aussi bien que tous les objets terrestres situés dans notre étroit horizon, réfléchissaient la clarté surnaturelle d’une exhalaison gazeuse et l’enveloppait dans un linceul presque lumineux et distinctement visible.
Ce sont des phénomènes purement électriques et fort ordinaires qui tirent leurs origines des miasmes fétides de l’étang, mais que l’instant présent, passant, pouvait confondre avec l’arrivée de Vichnou désireux de forcer le hasard pour désigner le mâle heureux qui cèderait à l’ennivrante passion d’acquérir la fumeuse “Tiger-Cat” nommée “Tataguar Super Sport”…
Le regard de Vichnou m’a frolé…
Oppressé, comme je l’étais évidemment en cause de mon achat du Prowler rouge, par mille sensations contradictoires, parmi lesquelles dominait un étonnement extrême, je gardai néanmoins assez de présence d’esprit pour éviter d’exciter par une observation quelconque, le reste de ma sensibilité nerveuse, quoique bien certainement une étrange altération se fût depuis ces dernières minutes manifestée dans mon maintien, particulièrement lorsque fut vendue ma Corvette Roadster 1963 bleue que j’avais obtenue via un échange avec une abominable Qvale Mangusta, tout en réussissant à obtenir 10.000 euros de soulte…, de quoi croire à nouveau en un ou plusieurs dieux…
Tout à cette euphorie, je ne vis pas de suite qu’on vendait la Jaguar XJS “Tiger-Cat” nommée “Tataguar Super Sport”…
Douglass, le Commissaire-Priseur, s’était peu à peu re-tourné vers moi, ses lèvres tremblaient comme si elles murmuraient quelque chose d’insaisissable.
Son corps se balançait d’un côté à l’autre avec un mouvement très-doux, mais constant et uniforme.
Je remarquai rapidement tout cela… et me souvint d’un passage dans un de mes livres de voyages : “Et maintenant, le brave champion, ayant échappé à la terrible furie du dragon, se souvenant du bouclier d’airain, et que l’enchantement qui était dessus était rompu, écarta le cadavre de devant son chemin et s’avança courageusement, sur le pavé d’argent du château, vers l’endroit du mur où pendait le bouclier, lequel, en vérité, n’attendit pas qu’il fût arrivé tout auprès, mais tomba à ses pieds sur le pavé d’argent avec un puissant et terrible retentissement”…
J’eus le réflexe de me cacher…, de ne pas bouger…, sentant qu’on me cherchait…, Vichnou compris…
Et le miracle eut lieu !
“Adjugé”….
La Jaguar XJS “Tiger-Cat” nommée “Tataguar Super Sport” avait été adjugée à quelqu’un d’autre que moi-même, j’étais sauvé !!!
À peine ces dernières syllabes avaient-elles fui mes lèvres, que, comme si un bouclier d’airain était pesamment tombé, en ce moment même, sur un plancher d’argent, j’en entendis l’écho distinct, profond, métallique, retentissant, mais comme assourdi.
J’étais complètement énervé…
Je sautai sur mes pieds.
Je me précipitai vers le fauteuil où Douglass était toujours assis.
Ses yeux étaient braqués droit devant lui et toute sa physionomie était tendue par une rigidité de pierre.
Mais, quand je posai la main sur son épaule, un violent frisson parcourut tout son être, un sourire trembla sur ses lèvres, et je vis qu’il parlait bas, très bas, un murmure précipité et inarticulé, comme s’il n’avait pas conscience de ma présence.
Je me penchai tout à fait contre lui, et je le remerciais d’avoir adjugé cette hideuse Jaguar à je ne sais qui ne soit pas moi…
Vous n’entendez pas ?
Moi, j’entends, et j’ai entendu pendant longtemps, longtemps, bien longtemps, bien des minutes, bien des heures, bien des jours, j’ai entendu, mais je n’osais pas…
Oh ! pitié pour moi, misérable infortuné que je suis !
Ne vous ai-je pas dit que mes sens étaient très fins ?
Le râle du dragon et le retentissement du bouclier !
Oh ! où fuir ?
L’acquéreur de cette “chose” ne va t’il pas regretter sa précipitation ?
N’ai-je pas entendu son pas ?
Est-ce que je ne distingue pas l’horrible et lourd battement de son cœur !
Insensé !
Je m’en suis allé, ensuite, voir un curieux rassemblement d’automobiles hors de prix alignées dans la cour du château…
C’était d’un triste que de voir leurs gens “propriétaires”, discutailler d’inutilités et de se pâmer assez grossièrement devant chaque auto…
Plutôt qu’en supporter plus que de raison possible, venant d’être psychiquement malmené, j’ai installé Lady L sur le siège passager du Prowler rouge pour faire le tour de la propriété.
Ensuite, j’ai mis le cap sur le sud…, au sud du centre, vers Douvres/Dover, destination Calais puis “at-home”, là-bas…
Tout d’un coup, une lumière étrange se projeta sur la route… et je me retournai pour voir d’où pouvait jaillir une lueur si singulière, car je n’avais derrière moi que le vaste Blenheim Palace avec toutes ses ombres.
Le rayonnement provenait du soleil qui se couchait, rouge de sang, et maintenant brillait vivement à travers les fenêtres du château…
Pendant que je regardais, il survint une reprise de vent, un tourbillon furieux, le disque entier de la planète éclata tout à coup à ma vue.
La tête me tourna quand je vis les puissantes murailles s’écrouler en deux.
Il se fit un bruit prolongé, un fracas tumultueux comme la voix de mille cataractes et l’étang profond et croupi placé à mes pieds se referma sur mes souvenirs…
Souffrez que je vous laisse à d’autres errements…, j’ai moi-même à faire et me fatigue de pianoter le clavier qui n’en peut…