La théorie du substitut phallique…
L’endroit ne payait pas de mine, c’était un ancien entrepôt, le hangar était devenu le corps de l’endroit et la zone de parking, clôturée de grillage et de barbelés, servait de casse.
Les visiteurs et visiteuses regardaient avec intérêt la porte coulissante ouverte sur la casse, et tentaient de deviner les trésors en train de rouiller.
Le garage était grand et étonnamment calme, au bout d’un moment, quelqu’un sortit du module préfabriqué qui servait de bureau, un Cocker noir, snob et pédant, l’accompagnait en aboyant…
– Monsieur ?
– Bonjour, voilà j’ai lu l’entrée de votre établissement sur l’annuaire du complexe ; il y est dit que vous vendez des véhicules d’occasion…
Une lueur de compréhension passa dans les yeux du maître des lieux.
– Oh, je vois. Cette annonce n’a pas été mise à jour depuis au moins quinze ans, voyez-vous nous ne revendons plus de véhicules… On en répare plus beaucoup non plus, les importateurs sont jaloux de leur monopole, il est très difficile d’obtenir des pièces à des prix concurrentiels.
– Et ou en trouver ?
Pour toute réponse, le garagiste coula un regard torve en direction de l’importun.
– Vous voulez m’apprendre mon métier jeune homme ?
– Merci, on ne m’a pas appelé jeune homme depuis une éternité… Enfin, quand au métier, loin de là mon idée, mais il est vrai que les affaires n’ont pas l’air bonnes.
– Je vois, vous êtes encore un de ces promoteurs envoyés par le conglomérat pour racheter mon terrain, c’est ça ?
Le Maître des lieux soupira, basculant lentement son poids d’une jambe sur l’autre, les deux mains fermement appuyées sur sa canne.
– Je ressemble à un employé du conglomérat ?
– Non, très bon déguisement d’ailleurs.
Le garagiste sourit et haussant les épaules invita à le suivre.
– On va prendre un café. Monsieur ?
– Ce sera un thé pour moi ; dépassé les cinq litres de mazout dans une journée, je deviens un tantinet nerveux.
Le garagiste était un type plein d’humour ; fatigué et un tantinet démoralisé, il lui était aujourd’hui fatigué de tenir un établissement comme celui…, s’il n’avait été propriétaire de la casse avant la construction du complexe urbain, il aurait fini à la rue.
– Les jeunes ne veulent plus se lancer dans ce genre d’affaires de nos jours, soit ils vendent de la drogue, soit ils entrent sous contrat avec une des compagnies du conglomérat, là au moins ça leur assure un logement et une assurance maladie correcte.
– Ca se comprend, mais il y a des trucs que les compagnies d’automobiles ne font pas et qui pourraient intéresser une clientèle locale.
– Comment ça ?
– La préparation de véhicules a toujours été un domaine qui rapporte, non ?
Le garagiste s’esclaffa.
– C’était du temps d’avant le Nouvel Ordre Mondial !
– Ecoutez, il y a en Inde, en Chine, en Afrique et au Mexique tout un tas de graisseux qui fabriquent leur propres pièces pour faire tourner des antiquités qui ne sont plus produites depuis longtemps ; ces gens là ont accès au réseau global, je suis sûr qu’ils seraient heureux de se faire quelques euros en usinant des pièces pour vous. Ils vendent peu cher, vous n’avez que les frais de livraison.
– Monsieur, je n’ai plus l’envie de me lancer dans des aventures de ce genre !
– Je pourrais peut-être vous aider.
– Sans vouloir vous offenser monsieur, vous n’avez pas l’air en grande forme… Et quand bien même vous seriez un mécanicien compétent, je n’ai pas de quoi vous payer.
– Je serai d’attaque bientôt d’après les toubibs, quand au salaire, disons que vous pourriez me payer en carcasses.
– En carcasses ?
– Je vous explique : vous me donnez l’épave de mon choix et je la retape sur mon temps libre, la location du garage et des outils me fera lieu de salaire pour les premiers mois.
– Vous êtes plein de bonne volonté, je vous l’accorde mais c’est insuffisant ; Il faudrait au minimum un second employé, où comptez-vous trouver un mécanicien qualifié qui travaillerai pour des cacahouètes ?
– L’Américan Club d’Europe ou bien le bureau de réinsertion des détenus, vous seriez curieux de voir combien de hors-sol qui débarquent ici ont de l’or dans les mains ; pour le salaire…, laissez moi y réfléchir, j’ai peut être une solution temporaire.
– Réfléchir, hein ? J’imagine que vous connaissez déjà la façon dont vous voulez relancer cette affaire…, j’ai même l’impression que vous ne veniez pas vraiment pour acheter un véhicule, je me trompe ?
– Non, vous avez raison ; je venais vous démarcher, il me faut un travail dans les six mois à venir, car je ne pourrai pas vivre éternellement sur mes économies. Quand au lancement de cette nouvelle activité, c’est vieux comme le monde : la théorie du substitut phallique.
– La théorie du substitut phallique ?
Et il lui expliqua, c’était avant tout une histoire de petits garçons et de petites voitures, puis ça finissait en histoire d’hommes et de grosses voitures…