Le cimetière des illusions perdues…
Le collectionneur de vieilles voitures, en général peu sensible à la mode d’ailleurs, a toujours existé, mais un phénomène nouveau a surgit depuis quelques années, la réédition de modèles vedettes dépassant la muséomanie ou les courses de vétérans, car il ne s’âgit plus des mêmes automobiles…, c’est qu’elles ont l’allure, les yeux, le teint, le parfum des anciennes…, mais ne sont pas anciennes…
En vérité (je vous le dit) , elles sont neuves, sans un point de corrosion, il s’âgit d’abord de rêves, de souvenirs, de passions carrossées purement consuméristes…, “les hommes savent pourquoi”…, c’est vrai qu’elles ne posent pas de questions insolubles ces nouvelles bagnoles, quand aux rapports affectifs que vous établissez avec les unes et les autres : les épouses, les mères, les maîtresses, les amantes, les amies d’un côté, et elles-mêmes, vos compagnes de macadam…, elles permettent d’arriver à l’heure, sans pannes, de manière éfficace, comme n’importe qu’elle charrette japonaise…, mais en même temps, elles vous rendent douce la route quotidienne, vous grisent de sentiers des bois et de cuir, vous taquinent avec doigté la fibre nostalgique…
Facile, dira-t-on, de fantasmer dans la soie…, mais il existe du rêve à tous les prix les plus fous…, Bugatti par exemple, que Volkswagen a ré-inventé après un long silence parce que ces bolides se sont illustrés jusqu’au lendemain de la dernière guerre sur les plus prestigieux circuits du monde…, que cette marque est devenue mythique et que c’était si simple de l’acheter pour la non-valeur d’une vieille Porsche 959 d’occasion pour attirer les gogos milliardaires à dépenser sans compter pour posséder “la merveille des merveilles” du papa Ettore, dont la seule évocation endort les idiots comme des bébés qui croient en un lien avec une marque française installé à Molsheim, près de Strasbourg, qui a fait faillite au sortir de la guerre : 1001 chevaux, à 407 kilomètres-heure et 7 vitesses, mais deux millions d’euros, plus les taxes !
Exemple plus raisonnable : Cadillac qui, dans sa jeunesse, douce, élastique, un rien dodue, trop bagousée, elle vous avait accueillis avec gentillesse lors de vos premiers séjours hollywoodiens, elle continue…, l’ancètre prénommée Eldorado ou Bel Air, à se déhancher sous l’impact des haut-parleurs poussés à fond par les jeunes qui draguent d’une voiture à l’autre le samedi soir, ou à vous aguicher sur un méchant parking de La Havane, anxieuse de savoir si vous la reconnaissez encore malgré son maquillage croûteux de rouille…, mais les managers ne vivent pas de mélancolie…, alors fini les rondeurs, même reposantes pour l’esprit et la main…, lignes rudes, museau ravageur et suspension sèche, la nouvelle Cad est arrivée : 240 km/heure, un retrait de permis…
Porsche est allé plus loin dans la provocation, la vogue du command-car, de la voiture de brousse, a produit de tels ravages que le constructeur allemand avait deviné le désastre : la Boxster ou la 911, éternels fantasmes pour la plupart d’entre-vous, ne devait-elle pas être, derrière le 4X4, la seconde voiture du couple pété-de-blé ? Alors Porsche a ajouté une cinq portes à sa gamme, une familiale selon la terminologie des fifties, qui permet à l’ex-play-boy de ne pas abandonner sa marmaille sur le trottoir…, clonage réussi ? : Cayenne a conservé le nez, et la vitesse, typiquement Porsche…
La Morgan, elle, reste fidèle au poste, so british…, modèle 1936, armature en bois assemblée à la main, carrosserie d’aluminium et vis de zinc, intérieur en ronce de noyer et cuir…, toujours propriété de la même famille : 160 artisans dans les ateliers du sud de Birmingham, fabriquent deux bijoux par jour, sans aucun robot…, vous attendrez donc deux ans pour aller la chercher, on ne livre pas, même pour 50 mille euros !
Mais finalement, revenons dans l’atmosphère financière plus ou moins supportable (c’est selon) avec le match Mini contre Coccinelle, remake de ce que vous avez vécu il y a un bon quart de siècle…avant de passer, avec armes et enfants, bagages, poussettes et chaise à pot, au mini-bus…, la nouvelle petite anglaise de Rover, ancienne Morris, ancienne Austin, et d’ailleurs propriétaire de BMW, affronte Volkswagen et sa New Beetle, un choc de légendes entre la ronde joufflue héritée de la guerre et le kart élégant élue voiture du siècle…, ici pas simple lifting non plus, mais un mariage original et inspiré de la tradition et du modernisme, du mythe et de l’exigence nouvelle des conducteurs, ou comment les clients font de l’aventure rétro un succès commercial, chic et branché…
Alors, qu’attentez-vous donc : Pour relooker la R4 jaune de la poste qui ferait un bon 4X4 de ville fort convenable ? Pour couper par le milieu votre “bonne vieille Deuche” qui ringardise la Smart ? Pour donner à votre inoubliable 4 CV Renault une allure de soucoupe volante ? Pour promouvoir une “New 15.6” à coffre apparent, strapontins intérieurs et phares incorporés, élégamment méganisée ? Pour pratiquer l’exception culturelle à l’envers, valoriser votre patrimoine…
Pourtant les vraies antiquités motorisées ne doivent pas faire peur, certains savent les utiliser aussi bien que faire voler des avions de chasse vieux d’une quarantaine d’années…, il n’y a aucune raison pour les laisser errer dans les ventes aux enchères, puis au cimetière des illusions perdues….