Le néo-luxe des shows automobiles : une massification égalisatrice…
L’homme caresse le volant.
Il palpe le siège en cuir de la voiture…, trop belle pour lui.
Sa femme se morfond à hauteur de rétroviseur…, son mari s’attarde, scrute le tableau de bord…, seul, alors que les visiteurs se multiplient, comme un nuage de sauterelles affamées.
Ils fondent depuis dix heures du matin, en car, en voiture, en train…, paysans, cols blancs et bleus, ils ont pris congés, ils jaillissent du parking…, une vague qui s’emporte jusqu’à la première berline.
Du folklore, pour le bonheur des retraités en vadrouille.
La grâce descend sur les hommes qui font la queue, sans distinction de sexe, nationalité, race ou religion…, une carrosserie et un moteur se moquent des frontières, ils globalisent le désir de vitesse, de puissance, d’étourdissement.
La carrosserie à portée de main, en mal de fantasmes, les hommes se soulagent avec la virilité, un rien refoulée, d’une Ferrari putassière, toutes portes écartées, obscène !
Les hôtesses amidonnées en robes minimalistes, s’improvisent unisexes…, elles larguent capots et bikinis pour distribuer dépliants et fiches techniques.
Des adolescents tapis d’hormones s’approchent, rigolent… et prennent la photo pour les camarades restés en classe.
On amène aussi papis et mamies, un peu fatigués, voir une Rolls-Royce flanquée d’un garde au muscle vif.
Les temporaires astiquent les voitures à coup de brosses et chiffons, ils soufflent la poussière, frottent les empreintes de milliers de pervers…, il leur faut effacer doigts et sueur, éponger le plaisir enfantin de toucher, démonter, ouvrir et fermer portes et vitres, à répétition.
Une famille nombreuse s’entasse à l’arrière d’une Toyota…, père et fils palpent l’aileron d’une Audi…, madame flirte avec le tableau de bord d’une BMW, tandis qu’un couple malaxe le coffre d’une Volskwagen.
La promiscuité des monospaces bondés fait mal aux yeux, les connaisseurs pelotent les sièges, un fanatique se couche sous l’habitacle… un autre saisit l’enflure du phare comme le jarret d’une vache.
Les voitures à l’arrêt trahissent le désir de rouler, de mater le trafic, mais elles perdent de leur superbe.
Les autos agonisent livrées à la ronde des carrousels…, le manège dénonce leur vanité encombrante, mutilée.
Au lieu des pistons et des chevaux meurtris, on devine le vroum vroum qui s’échappe des conducteurs mis au pas…., attroupés, ils tombent en transe, les yeux baillant, vitrés, la bouche ouverte.
Que dire face à une Nissan en première mondiale ?
Comment raconter le profil d’une Bugatti ?
Les beaufs ahuris se taisent, ils photographient, filment les rondeurs aérodynamiques, les horreurs pathétiques…, les masses gluantes se pâment devant l’explosion balistique des modèles exposés.
Le silence sature la mémoire numérique…
Ensuite, ils pique-niquent accoudés à une pile de pneus profilés, écoutant de la musique aux bits exaltés, pulvérisant leur haleine alcoolisée, enfumée, de routiers anonymes, titubants d’un stand à l’autre.
Ils boivent de la bière, à l’abri des gendarmes…, tandis qu’en coulisse, quelques happy-fews consomment apéros et petits cadeaux, loin du corps à corps vulgaire.
Les Securitas veillent en bleu de travail, ils balisent la curiosité des passants, comme au zoo, comme au peep-show.
L’informaticien, l’électricien, le cadre plus que moyen, le chômeur de fond…, ou le comptable en devenir, guettent les nantis dans leur sérail : la Mercedes hors de prix, l’Opel en leasing, la Renault en crédit, la Toyota au rabais et la Lamborghini partiellement en noir…, s’exhibent et se dérobent aussitôt.
“Demain je l’achète”, ment un édenté…
Les gnous se contentent du catalogue et des lots de consolation avant d’enfourcher leur berline famille décatie, à bout de course, rangée dans le parking pour 15 euros la journée en plus des tickets d’entrée, les boissons, la glace fondue, les piécettes pour les toilettes et un billet de pickpocket…
Les constructeurs fuient le trivial, toute voiture devient un concept, quatre roues, un moteur, un volant se métamorphosent en utopie sur la route du futur incertain, pour se recycler à 85% : bielles, manettes, essuie-glaces et autres peuvent aspirer à une nouvelle vie.
Les chauffeurs errent au milieu du miracle écologique, interrogent les bornes informatiques qui débitent en temps réel les chiffres de la durabilité ou le véhicule à pollution zéro nourrit rêves et cauchemars, comme toute promesse de pureté.
L’hydrogène fait coucou chez Ford ou quelques adeptes écoutent les explications de filles fluorescentes.
Même au chevet d’une LandRover aussi civilisée que sportive, la mauvaise conscience rattrape le pilote ordinaire…, en route oui, mais sans oublier l’engagement citoyen.
L’émotion se dessine sur les visages, conduire c’est façonner une idée, tracer un chemin…, on gomme le pêché originel qui ronge la voiture.
Une ère nouvelle voit le jour entre les odeurs de faillite et les arrogants qui luttent pour le leadership international.
L’homme à la pesanteur du monde, mais un salon automobile l’affranchit de toute culpabilité.
La mobilité infinie, douce et sans dommages collatéraux, fait merveille.
Naguère à quatre pattes, l’humanité s’envole à quatre roues vers des horizons nouveaux.
L’homme enfermé dans son auto pressent l’époque naissante, savoure l’instant magique de la révélation.
La voiture est sa maison, il l’habite, vecteur fantastique lancé dans l’espace et le temps, un logis roulant au nom du bien-être et de la communication planétaire !
Balivernes…
On s’ennuie légèrement, trop de souvenirs d’un passé qui ne passe plus : du marchand sans magie, ni vibrations !
Le luxe, est-ce ceux qui s’offrent des gouffres à essence à main-d’œuvre ultra-qualifiée et à pièces détachées hors de prix ?
Visions antagonistes, mais symbiotiques : l’infiniment grand et l’infiniment petit…, de la philosophie mécanique…, l’espace d’un week-end, dans les yeux des spectateurs qui côtoient un univers de cuirs, d’aciers et de fausses légendes que les ravages du temps rendent inaccessibles ou trop lointain pour être mobilisateur.
Nostalgie d’un temps où les voitures avaient une âme, sans matière plastique pré-moulée, ni électronique d’assistance !
Le néo-luxe des shows automobiles : une massification égalisatrice…, des paillettes pipolitaires plus que des garden-party affinitaires.
Ce n’est plus en se poussant du col qu’on affermit son identité, c’est en restant soi-même et en se contentant de son propre système de valeurs.
Encore faut-il être fort à l’intérieur !
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