Léopard : Un superbe félin de 830 chevaux et 40 tonnes !
Par Marcel PIROTTE
Depuis plus de cinq ans que je collabore activement à GatsbyOnline (un site automobile totalement différent des autres mais qu’est-ce que je m’y amuse ! ), les internautes auront certainement remarqué qu’à côté de mon hobby de chroniqueur automobile, j’ai aussi eu la chance de vivre intensément une superbe carrière à l’armée belge qui m’a permis de débuter comme engagé volontaire en 1958 à l’âge de 16 ans pour se terminer près de quarante ans plus tard en 1997 lors de ma mise à la retraite par limite d’âge avec le grade de lieutenant-colonel de réserve agrémenté d’un brevet supérieur, celui de BAM.
Traduisez par le « brevet d’administrateur militaire », soit l’équivalent d’un officier supérieur en France faisant partie du corps des commissaires des armées.
Durant toutes ces années, j’ai aussi eu le privilège de servir dans l’un des plus beaux et des plus prestigieux des bataillons de cavalerie blindée, le Premier Régiment de Guides (1G), un Régiment royal.
J’y ai exercé pratiquement toutes les fonctions d’officier subalterne, chef de peloton de char, chef du peloton maintenance, commandant d’escadron de chars et de l’Etat-major et services, EMS en jargon militaire.
Tout cela avant de suivre deux ans de formation postuniversitaire qui m’ont permis d’obtenir ce fameux brevet de BAM.
Mais la plus belle période « militaire » reste incontestablement celle où j’ai eu la chance de prester onze belles années dans ce Régiment de chars où mes « jouets » de tous les jours étaient de bonnes vielles Jeeps, des camions MAN, des motos mais surtout des chars de combat comme le Patton M47 mais surtout le Léopard dont je conserve un souvenir particulièrement ému.
C’était vraiment une belle « machine de guerre » et comme il y a prescription, je voulais vous faire partager ma passion pour ce beau félin de 830 chevaux et 40 tonnes.
Suivez le « Guide »…
Fin décembre 1967, le jour de mes 26 ans, je prête serment comme officier d’active : « Je jure fidélité au Roi, obéissance à la Constitution et aux lois du Peuple belge ».
Enfin, cette étoile dorée sur mon col, le Roi n’est pas mon cousin.
Avant d’intégrer mon Régiment d’affectation à savoir le Troisième Régiment de Lanciers situé à Altenrath dans la grande banlieue de Cologne au sein du 1BE Corps des Forces Belges en Allemagne ( FBA), je dois d’abord me « farcir » huit mois de spécialisation à l’école des troupes blindées de Stockem près d’Arlon.
Avec à la clef, une connaissance approfondie de ma future « monture », le char Patton M47 d’origine américaine, du nom de ce fameux général quatre étoiles issu des troupes blindées US.
Alternant les cours théoriques et pratiques concernant la technique ainsi que la tactique, rien n’a été négligé même pas le brevet de chauffeur char, ce cours de spécialisation « blindée » me donne déjà un avant-goût de ce que sera mon futur dans une unité de chars de combat.
Sans oublier déjà les fameuses manœuvres à Vogelsang et surtout les périodes tirs au canon dans le nord de l’Allemagne, à Bergen-Hohne au cœur de la Lunebourg Heide, une bonne centaine de km au sud de Hambourg.
A propos de ce Patton, sans doute une belle « bête assez imposante » mais en 1968, grande année de la contestation estudiantine, il nous revient que ce Patton devrait être à « brève échéance » remplacé par un char de combat nettement plus moderne, le fameux Léopard d’origine allemande.
Je piaffe déjà d’impatience …
Né aux débuts des années cinquante et fabriqué à plus de 8500 exemplaires, ce Patton M47 a notamment équipé dans le cadre d’un programme d’assistance US certaines armées européennes, l’Italie (2480 exemplaires livrés), la France (856) et la Belgique à raison de 784 exemplaires, alors que la Bundeswehr, la nouvelle armée allemande en a reçu 1120 unités.
C’est un « char moyen » développé par la firme Chrysler, long de 8,65 m avec une largeur de 3,51 m ainsi qu’une hauteur importante de 3 m avec canon de 90 mm…, cinq hommes, (ramenés à quatre en Belgique) composaient l’équipage.
Cette masse de 46 tonnes étant entraînée par un moteur Continental V12 essence double turbo refroidi par air de près de 30 litres de cylindrée alimenté par deux gros carbus, livrant 810 chevaux…, avec cependant quelques belles innovations pour l’époque comme une transmission « cross drive » automatique fabriquée par la General Motors avec convertisseur de couple comportant deux vitesses avant ainsi qu’une marche arrière.
Le pilotage se voulait donc assez simplifié avec un « stick » à tout faire, une pédale d’accélérateur et de frein ainsi qu’un système de conduite de nuit via l’infrarouge alors qu’un télémètre stéréoscopique favorisait la visée et que la suspension par barres de torsion rendait la vie de l’équipage assez confortable.
Mais lors d’exercices de franchissement en « off road », ces barres de torsion qui en avaient vu de toutes les couleurs, se cassaient comme du verre, plus vite qu’à leur tour, d’où une immobilisation forcée.
Un avant-goût de ce qui m’attend, je l’ai appris par la suite alors qu’en 1968, débarquant dans ma nouvelle unité qui devait être dissoute un an plus tard, le chef de corps m’annonce que pendant ces futurs douze mois, mon boulot principal sera de remettre les chars en état afin de les expédier vers un dépôt !
Pas très folichon tout cela, mais les ordres sont les ordres !
Ce Régiment, le troisième Lanciers étant supprimé pour raisons budgétaires de l’organisation de l’armée de terre…, mais il sera réactivé quatre ans plus tard, comprenne qui pourra, les voies de la grande muette sont tout bonnement impénétrables.
Dès mon arrivé en 1969 au 1G à Duren non loin d’Aix-la-Chapelle, je suis tout de suite plongé dans l’action, je participe avec mon peloton de cinq chars M47 à une grande « première « du moins pour moi, un FTX « Field Training eXercise », entendez par là que tout le Régiment, 450 hommes, 49 chars (ceux en bon état), des véhicules de transport de troupes M75, des Half Tracks issus de la seconde guerre mondiale, des camions MAN, des Jeeps Willys ou Minerva et des motos…, participent à un grand exercice OTAN au centre de l’Allemagne, à travers tout.
Chaque année en septembre, la population allemande voit donc déferler des milliers de blindés, des véhicules à roues comme s’il en pleuvait mais aussi des dizaines de milliers d’hommes qui pour certains, les Anglais notamment, se croient toujours en zone d’occupation et saccagent littéralement tout sur leur passage.
D’ailleurs à l’arrivée dans chaque patelin allemand, on faisait très vite remarquer aux locaux que nous n’étions pas « Anglais » mais bien de « petits Belges »… et là, ça se passait le mieux du monde.
En 69, ces M47 ont une longue carrière derrière eux, ils sont littéralement au bout du rouleau, ça n’avance pas très vite, 45 km/h en pointe, pas très maniables, maintenance trop lourde, usure très rapide des pièces, pas évident à camoufler, bref, pas la joie d’autant que son V12 américain a littéralement « le gosier en pente ».
Avec 880 litres d’essence (inflammable à n’importe quel moment, un véritable danger), ce Patton consomme en moyenne entre 6 et 8 l par kilomètre ou 150 à 160 l/heure.
Faites le compte, l’autonomie maxi se situe entre 130 et 150 km, autant dire qu’après un jour et une nuit, il faut refaire le plein.
C’est donc pour cela que les concepteurs ont ajouté un petit moteur « générateur » appelé par les équipages « Little joe », chargé de fournir du courant aux batteries.
En Belgique, on avait aussi étudié le montage de deux gros « barils » de chacun 200 litres à l’arrière du char afin d’augmenter l’autonomie, mais heureusement, cette solution n’a pas été appliquée, elle aurait transformé ce Patton en une véritable bombe roulante…
A ce sujet, l’un des chars de mon peloton dirigé par un sous-officier hors pair, qui en manœuvre se croyait littéralement en guerre (il portait en permanence tout comme le général Patton deux colts à la ceinture) est tombé en panne, c’était le lot quotidien, ce M47 n’était plus fiable pour un centime, la croix et la bannière !
Après une réparation de fortune loin derrière nos lignes, ce sous-officier constate qu’il va bientôt tomber à court de carburant.
N’écoutant que le désir de poursuivre sa mission, il s’est arrêté dans une station Shell où le brave pompiste, d’abord réticent devant un tel véhicule aussi encombrant, complètement ébahi mais obligé par ce brave sous-officier dont le ton très persuasif ne permettait aucune discussion, de remplir le réservoir de ce Patton avec un peu plus de 800 litres de super.
Imaginez la scène, surréaliste !
Après cela, mon sous-officier très consciencieux lui a donné son nom, son unité, le numéro d’immatriculation du char et l’adresse où envoyer la facture…, tout en lui signant un beau reçu de livraison de carburant.
Quelques jours après la fin des manœuvres, notre brave pompiste a reçu un chèque avec les compléments de l’armée belge…
A bord de mon char qui lui aussi est bien évidemment tombé en panne, mon chauffeur, ardent pêcheur à la ligne, n’avait rien trouvé de mieux que de glisser sa canne à pêche dans le tube du canon.
Et cela a marché, on a mangé pas mal de poisson agrémenté d’un bon petit blanc bien sec emporté de la maison alors que les bacs de bière faisaient eux aussi partie des provisions « de survie ».
Avec ce Patton, j’ai sans doute appris mon « métier de chef de char », appliquant à la lettre les mesures de sécurité très contraignantes tant pour l’équipage que les « étrangers » mais comme il tombait en panne plus souvent qu’à son tour, c’était vraiment désolant d’attendre sur le bord de la route l’arrivée des équipes de maintenance afin d’effectuer les réparations les plus importantes…, chaque équipage y mettait cependant du sien afin de parer au plus pressé et surtout de « participer à la bataille ».
Quelle belle leçon de vie également, vivre en équipage dans un volume aussi réduit, cela impose une certaine discipline de tous les instants mais c’était le « pied » sachant que si l’un des équipiers faisait défaut, le char s’arrêtait, mais pas question d’être immobilisé, il fallait avancer.
Le char, tout le monde vous le dira, tous les manuels sont là aussi pour le confirmer, cet engin monté sur chenilles capable de passer (presque) partout, possède une incroyable puissance de feu alliée à une très grande mobilité, du moins, ça, c’était pour la théorie…
Chaque soir, il fallait aussi s’organiser, essayer de trouver une ferme ainsi qu’un paysan sympa qui en échange de beurre, d’œufs et de lard pour tout le peloton (20 personnes quand nous étions au complet) et de pouvoir dormir dans la paille, n’hésitait pas à se plaindre des mauvaises « récoltes », que l’une ou l‘autre de ses machines était tombée en panne et qu’il n’avait plus de « marks » pour la remplacer.
Belle complainte entendue bien évidemment un peu trop souvent.
Si c’était un gars sympa, on l’aidait bien volontiers, un petit coup de stick, une petite marche arrière un peu brusque, l’une des chenilles broyait la machine, la réduisant à l’état de ferraille, ensuite un coup de fil à « l’officier dégâts » qui venait constater sur place.
Quelques mois après, un chèque lui parvenait, de quoi acheter une tout nouvelle machine, de toute manière, c’était l’Etat allemand qui finançait en grande partie les dégâts occasionnés aux fermiers.
Une seule fois dans toute ma carrière de « charriste », j’ai vraiment poussé le bouchon un peu trop loin, je l’avoue, je le confesse.
Explication !
A l’entrée d’un champ de choux qu’il fallait impérativement traverser, j’avais prévenu par radio le reste du peloton que tous les chars devaient impérativement suivre mes traces et pas question de faire des dégâts supplémentaires.
Tous mes chars ont bien appliqué la consigne mais à la sortie du champ, le propriétaire m’attendait et sans la moindre explicitation a lancé une fourche dans ma direction.
Là, c’en était un peu trop.
Tous mes chefs de chars étaient prêts à lui régler « son compte » mais j’ai trouvé beaucoup mieux.
Et pourquoi ne pas organiser dans ce champ un cours de dérapage « in »contrôlé » !
Il n’a pas fallu le dire deux fois, cinq chars, 60 cylindres, plus de quatre mille chevaux qui rugissent et vingt minutes plus tard, plus un seul chou n’était debout, de la charpie, c’était ma petite revanche…
Fin de l’année 1969, la nouvelle tant attendue tombe enfin, notre Régiment va enfin recevoir ses premiers chars Léopard dans quelques mois.
Mais auparavant, prière d’aller étudier ce nouveau « félin », de partager sa fiche technique, son armement et de connaître sur le bout des doigts ses nombreuses et multiples possibilités…, sans oublier et c’était primordial pour un commandant de char, le permis de conduire Léopard, un régal, surtout pour un amateur de belle « mécanique », je vais être servi.
En arrivant à Bourg Léopold au centre d’instruction des troupes blindées pour deux bons mois de conversion, j’avais déjà pas mal potassé à propos de ce Léopard.
Je savais par exemple que c’était le bureau d’études Porsche qui était la cheville ouvrière afin de concocter un tout nouveau char de combat devant tout d’abord équiper la Bundeswehr ensuite plusieurs armées de l’OTAN dont la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, la Grèce…
Par la suite, j’apprendrai également que cette étude s’était faite avec le concours d’anciens officiers et sous-officiers blindés de la défunte Wehrmacht assistés d’ingénieurs de talent.
Depuis 1957, un accord avait été signé avec la France portant sur l’étude d’un nouveau char européen, ça n’a jamais marché, les Français ont préféré fabriquer l’AMX 30 pour se retirer un peu après de la structure militaire de l’OTAN.
Du coup, les Allemands avaient les coudées franches et franchement, ce Léopard était pour moi une véritable découverte, c’est comme si l’on passait d’une Citroën 2 chevaux de la fin des années quarante à la dernière des berlines Mercedes six cylindres.
Une comparaison qui s’est révélée amplement justifiée par la suite.
Du coup, l’armée belge a commandé quelques 334 de ces chars modernes (incluant 34 chars dépanneurs, les fameux Bergepanzer) devant équiper cinq Régiments de chars à raison de 49 exemplaires par bataillon, le reste servait à l’entraînement des équipages ainsi qu’à l’écolage sans oublier la réserve.
Un très beau « félin » qui coutait à l‘époque quelque 12,5 millions de francs belges l’unité, ( avec tout l’outillage), nous sommes au milieu des années soixante (une VW Coccinelle revient à moins de 80.000 FB), soit deux millions de francs français nouveaux ou un peu plus de 300.000 €.
Du coup, c’est véritablement toute l’industrie allemande qui a été mise à contribution, 2.700 firmes participent à ce programme dont l’assemblage final des chars de combat s’effectue chez Krauss-Maffei à Munich, fabricant réputé de locomotives… alors que les dérivés du char Léopard à savoir les chars dépanneurs (Bergepanzer), les « pionierpanzer » du génie ainsi que les Guépard anti-aérien ( ces trois derniers véhicules ont aussi été achetés par l’armée belge dont 54 Guépard ) sans oublier plus tard le Léopard poseur de ponts…, font l’objet d’un contrat séparé orchestré par la firme MaK de Kiel faisant partie du groupe Krupp.
Parmi les firmes concernées, de grands noms de l’industrie allemande, AEG, Siemens, MTU, ZF, Alfred Teves, Wegmann, Rheinmetall, Carl Zeiss…
Du beau monde, vous en conviendrez, vont mettre un point d’honneur à ce que ce char soit le meilleur (à l’époque) parmi la concurrence…, ils vont y parvenir comme on le verra par la suite.
Seul petit bémol à ce déploiement de forces « Uber alles », le canon est anglais, le fameux L7 de 105 mm !
Personne n’est parfait !
L’assemblage débute en septembre 1965 et s’achève en 1976 après une production de plus de 4.700 Léopard I, modifiés à de nombreuses reprises par les pays utilisateurs avec notamment un système de conduite de tir automatisé avec laser, la possibilité de tirer en roulant sans oublier une bien meilleure protection des trains de roulement contre le tir des obus.
Un Léopard 1 remplacé par un Léopard 2 à la fin des années soixante-dix, plus puissant, (1500 chevaux), plus lourd également, (55 tonnes) plus cher aussi (on évoque un prix unitaire de 5,3 millions de dollars en 2007), près de 3.700 exemplaires construit en Allemagne ou sous licence à l’étranger vont équiper les armées de quinze pays, la Belgique n’a pas participé à ce programme, nettement trop onéreux…
Mais revenons à notre fameux Léopard 1.
Un char de combat moderne doit avoir en priorité trois qualités principales, tous les experts vous le diront, à savoir dans l’ordre une grande puissance de feu, une mobilité exceptionnelle ainsi qu’une protection optimale.
Avec un canon semi-automatique anglais de 105 mm qui équipe également le M60 américain, tirant des obus explosifs ou perforants ( avec 60 obus à bord ) ainsi que deux mitrailleuses de 7,62 mm, l’une coaxiale, l’autre sur l’écoutille du chargeur, un système de conduite de tir avancé…, ce Léopard 1 peut voir venir d’autant que sa tourelle fait un tour complet de 360° en moins de 10 s et que finalement avec seulement 2,62 m de haut ce Léopard est plus difficile à détecter que les AMX 30 français, Chieftain britanniques et autres M60 US.
Quant à sa mobilité plus rien de comparable avec le M47.
Ici, le bloc motopropulseur qui s’enlève en moins de trente minutes par les mécanos, est tout d’bord constitué d’un superbe V10 MTU d’origine Mercedes, un diesel multi-carburant de 37,4 l de cylindrée, biturbo, refroidi par eau, livrant quelque 830 chevaux à 2.200 tr/mi ainsi qu’un couple phénoménal de 2.200 Nm à 1.500 tr/min.
Et pour entraîner les chenilles via chaque fois un barbotin arrière, une boîte automatique ZF comportant quatre rapports avant et deux marche arrière.
Pour l’armée italienne, cette boîte avait été inversée, deux rapports avant, quatre marche arrière (sic)…, du moins, c’est ce que les équipages belges racontaient non sans ironie avec un sourire en coin aux italo-belges qui s’étaient engagés chez nous.
Certains ont même informé leurs familles dont certaines assez outrées ont même écrit au ministre de la défense italienne que c’était une honte d’avoir inversé les transmissions. Véridique…
Ajoutons que ce Léopard pouvait traverser à gué une rivière de deux mètres de profondeur (avec au préalable une reconnaissance par le génie ainsi qu’une préparation à la plongée qui prenait moins d’une heure ) et qu’avec un « Schnorkel », ce Léopard pouvait plonger à plus de 4 m ( lors de tests effectués en juillet 1964, un Léopard a réalisé le passage du Rhin en immersion totale près de Cologne où le fleuve a une profondeur de 4,29 m ainsi qu’une largeur de 390 m ), vous avez une petite idée de sa mobilité.
D’autant qu’avec une vitesse de 65 km/h sur route, plus de 45 km/h en « tous terrains » où il vole littéralement d’obstacles en obstacles grâce à sa remarquable suspension faite de barres de torsion, d’amortisseurs hydrauliques à grand débattement et de sept roues de route…, ce Léopard de 40 tonnes pouvait également en remontrer quant à sa formidable autonomie.
Avec deux réservoirs totalisant près de 1.000 litres de carburant, ce char qui consommait entre 2 et 3 l par km pouvait tenir le coup durant quelques jours sans devoir ravitailler.
Et lorsqu’il fallait procéder, pas question d’avoir recours à des « Jerrycans », cela aurait pris beaucoup trop de temps, des camions MAN polycarburants spécialement aménagés avec trois gros ballons en caoutchouc dans la benne ( chacun de 1800 litres, du moins si ma mémoire est bonne ) ainsi qu’une remorque supportant un petit moteur « pompe » , faisaient office de « station mobiles » de ravitaillement.
Simple et efficace.
Et d’ajouter que ce Léopard avec une largeur de 3,25 m pouvait aisément se déplacer par train sur un wagon normal et qu’avec sa classe du type 40, il pouvait enjamber presque tous les ponts tout en franchissent un fossé de près de 3 m de profondeur, un mur de plus d’un m de haut ne lui faisait pas non plus très peur, soit il l’écrasait sous son poids, soit il le franchissait avec une aisance tout à fait remarquable.
Quant à la protection, cela signifie un blindage de 7 à 10 cm d’acier, des formes fuyantes, une silhouette assez basse et c’était nouveau à l’époque, une protection contre les retombées radiologiques et les agents bactériologiques et chimiques.
Des équipements spéciaux, stockés auprès de chaque bataillon, ce qui faisait la joie des équipages, la protection NBC par suppression faisant office d’air conditionné en été alors qu’un chauffage en hiver était très apprécié.
Très apprécié également ces deux paniers de tourelle où l’on stockait le filet de camouflage ainsi que la bâche de protection du char sans oublier l’emplacement du phare à très grande portée que l’on s’empressait d’installer en manœuvre dans le prolongement du canon, libérant ainsi pas mal d’espace pour y stocker les « provisions de bouche » ainsi que les boissons, deux bacs de bière y rentraient sans le moindre problème.
A bord, la radio avait enfin une bonne portée, de l’ordre de plusieurs kilomètres et avec l’habitude, on s’habituait à d’autres trouvailles, comme les deux rétros extérieurs faisant office de récipients que l’on remplissait d’eau chaude le matin, indispensable pour se raser ou se laver.
Sans oublier que la nuit, la bâche constituait un bel abri pour l’équipage (4 personnes, le chef de char, le canonnier, le chargeur opérateur radio ainsi que le chauffeur) surtout lorsque le canon était installé vers l’arrière, on se serait cru au camping avec en prime la chaleur dégagée par le moteur…
Rien que du bonheur, un petit coup de rouge, une bière, oui, les équipages de chars étaient bel et bien à plaindre…
Mais ce n’était pas toujours aussi rose !
Lors des tests de conduite, j’ai particulièrement apprécié la facilité avec laquelle, ce Léopard se pilotait.
Avec un demi-volant, pédale de frein et d’accélérateur, petit stick pour commander la boîte de vitesses, la possibilité de tourner sur place en quelques secondes, un freinage particulièrement puissant et efficace mais surtout ce confort de marche grâce à la suspension effaçant au mieux les bosses.
En « off road », c’était le jour et la nuit par rapport au M47 et puis sur route, qu’est-ce que cela « avançait ».
Au point que quelques années plus tard lors d’un FTX en étant commandant de l’escadron A du 1er Guides, l’un de mes chefs de peloton m’a tout de même fait remarquer que la cadence était véritablement très (trop) élevée.
Lui rétorquant aussi sec que c’était ça « la cavalerie blindée » !
Quelques mois plus tard, je recevais mon peloton de chars, cinq Léopard flambant « neufs », rien que du bonheur.
Le temps d’aller tester au camp de Berge-Hohne les possibilités de tir au canon, de familiariser les équipages avec notre nouvelle monture et de faire une belle démonstration de feu et mouvement devant notre souverain, le roi Baudouin, l‘année 1970 touche à sa fin.
En février 71, changement d’affectation pour moi à l’intérieur de ce Régiment, je deviens chef de peloton maintenance (Pl Maint) de mon bataillon, l’officier technicien dans le jargon du 1G.
Secrètement, j’en rêvais.
Responsable de la maintenance et de l’entretien de plus de 150 véhicules à chenilles, à roues, des camions, des motos, des Jeeps, je vais pouvoir m’en donner à cœur joie.
Avec tout d’abord une très belle mission qui va durer quelques mois, la réception des autres Léopard pour l‘ensemble du Régiment, 49 au total.
Assisté notamment par une délégation permanente de la firme Krauss-Maffei composée de deux techniciens qui ont bien aidé l’ensemble du personnel de maintenance, les mécanos ainsi que les armuriers à détecter et réparer l’une ou l’autre petite panne, c’était vraiment un boulot particulièrement prenant.
Du coup, je me constitue une documentation plutôt poussée à propos de cette nouvelle monture que je commence à connaître de « fond en comble » au fil des mois.
Comme je voulais que ces chars soient impeccables tout au long de leur vie, (les derniers ont été retirés de la circulation en 2014 !), les inspections méticuleuses faites par le Pl Maintenance n’étaient sans doute pas au goût de tous les utilisateurs, ça discute plutôt ferme lors des réunions de commandement entre les opérationnels et moi-même.
Mais cela finit toujours par s’arranger au bar…
En ce début 1971, il faut aussi s’occuper d’aller « remettre » dans un dépôt les « anciens » M47.
Ce fut pour moi l’une des expériences les plus traumatisantes de ma vie de « charriste ».
Après avoir chargé les chars sur train à la gare de Duren, ils ont pris la direction de Mortsel, un très gros dépôt de matériel de la région anversoise…, que j’ai rejoint par la route le lendemain avec des mécanos, chefs de chars et conducteurs afin de procéder comme il était convenu au déchargement.
Arrivé à ce dépôt, je me présente en compagnie de mon chef mécanicien « chenilles » auprès du commandant de dépôt, pas très sympa au premier abord…, qui m’annonce que son personnel va prendre en charge le déchargement de ces chars, ce personnel étant soi-disant nettement plus expérimenté et qualifié que mes « charristes » qui chaque jour évoluaient avec leurs chars !
Tout au plus, pouvions-nous enlever les chaînes d’arrimage !
Pendant quelques heures, nous avons assisté totalement impuissants à un véritable « rodéo orchestré par une bande d’incompétents » qui n’avaient qu’une obsession en tête, rentrer au plus vite chez eux.
En Belgique, ces « planqués » travaillaient sur une base de 8-17h, ce qui n’était pas le cas des unités opérationnelles.
Du coup, faisant fi de toutes les mesures de sécurité, il n’y avait même pas une ambulance ainsi qu’un médecin présent (c’était indispensable) lors de ces opérations dangereuses à souhait.
Dans mon for intérieur, je me disais que tout cela allait vraiment mal se terminer , ces » planqués » couraient dans tous les sens, juste devant les chars lancés à toute vitesse et comme je l’avais pressenti, un guide qui se trouvait à peine quelques mètres devant un M47 ( ne jamais être dans l’axe d’un char mais bien sur le côté ) a glissé dans la boue, le chauffeur allant beaucoup trop vite ( il aurait dû évoluer au pas d’homme ) a bien essayé de freiner mais hélas trop tard, le char a lui aussi glissé et lui est passé sur tout le corps.
Je ne vous dis pas dans quel état se trouvait le corps de ce brigadier d’une quarantaine d’années, laissant derrière lui deux enfants en bas âge…
Arrêt bien évidemment des opérations, gendarmerie, MP, auditeur militaire pour l’enquête et quelle ne faut pas ma surprise d’entendre que ce commandant de dépôt, un lieutenant-colonel n‘assumait pas ses prises de décision mais rejetait la responsabilité sur mes épaules de jeune sous-lieutenant.
Heureusement, les déclarations de mon personnel ont plaidé en ma faveur, l’auditeur militaire a très vite compris ce qui c’était passé, le soir-même, mon commandant de Régiment ainsi que notre aumônier étaient sur place afin de venir soutenir l‘ensemble du personnel, sonné et choqué par une attitude aussi « irresponsable » de cet officier supérieur.
Par la suite, j’ai mis un point d’honneur à ce que cet accident ayant occasionné « bêtement » la mort d’un homme puisse servir à améliorer les mesures de sécurité, cela a payé.
Durant mes cinq ans à la tête de ce peloton maintenance, j’ai aussi connu des aventures nettement plus heureuses.
La première avec un chef de corps tout à fait adorable, grand seigneur, faisant partie de la noblesse, veuf avec des enfants en bas âge ainsi qu’un chien de chasse qu’il voulait absolument emmener en manœuvre à bord de son char.
Après mûre réflexion, on lui a donc fabriqué une sorte de petit niche à ciel ouvert dans l‘un des paniers de tourelle recouvert d’un plancher ainsi qu’une laisse afin qu’il ne commence pas à s’enfuir.
Du coup, ce chef de corps, auquel on ne pouvait rien refuser, c’était une sorte de « Dieu le père » me félicitait tous les jours lors de cette manœuvre, l’important pour lui était que son chien l’accompagnait, il était le plus heureux des hommes.
On n’a pas demandé l’avis du chien mais ce dernier ne devait sans doute pas apprécier outre mesure la chaleur ainsi que le bruit assourdissant dégagés par le moteur, les effluves de « mazout », les gaz d’échappement et surtout cette tourelle qui n’arrêtait de tourner dans tous les sens.
Mais il avait l’air de bien s’amuser tout comme son maître…
Au printemps 71 et afin de respecter un singulier « pari », je décide avec l’aide de cinq autres militaires de mon Régiment ( dont Jacques mon ancien chauffeur char, Baudouin un autre chauffeur de mon ex-peloton, Henry, chef mécanicien à chenilles, André, un sous-officier qui m’avait déjà accompagné lors d’un des mes raids précédents ainsi qu’Albert, un autre officier passionné de bagnoles ) pilotant une Renault 12 ainsi qu’une NSU 1200C d’aller « planter » le fanion sur l‘île du Cap Nord.
Pari réussi qui ont valu à tous les participants l’estime et la reconnaissance parfois un peu « jalouse » de l’ensemble du Régiment.
Je remettrai cela deux ans plus tard avec le Raid Laponie 73 au beau milieu de l’hiver, toujours accompagné de cinq militaires de mon Régiment mais avec comme monture une Mazda RX3 à moteur Wankel ainsi qu’une Saab 99.
A lire ou relire sur le site de GatsbyOnline “Raid Laponie 73“…
Il fallait aussi préparer le défilé du 21 juillet, jour de la fête nationale à Bruxelles, déplacé pour cause de travaux devant le palais royal de Bruxelles vers la fameuse Avenue Houba De Strooper, en face du stade du Heysel.
Il a donc fallu « bichonner » plus de cinquante chars qui ont défilé de manière impeccable devant le Roi ainsi que les hautes autorités du pays, belle reconnaissance pour le 1 G.
Un défilé que j’ai suivi sur un itinéraire parallèle en compagnie des mécanos et des deux techniciens de Krauss-Maffei qui n’avaient jamais vu Bruxelles, ils m’en seront très reconnaissants.
Avec ma Jeep et la fameuse camionnette « Kundendienst » de Krauss-Maffei escortées par la Gendarmerie et les MP, on s’est vraiment bien amusés, aucune intervention à déplorer.
En cette fin d’année 71, le directeur de Krauss-Maffei invite une délégation du Régiment forte d’une quarantaine de militaires à venir visiter pendant trois jours le site d’assemblage de l’usine Krauss-Maffei.
Et de me désigner comme organisateur en compagnie des techniciens et des responsables de Krauss-Maffei qui avaient littéralement mis les petits plats dans les grands.
Et comme c’était la fête de la bière à Munich, jugez de l’ambiance.
Avec en prime une anecdote savoureuse.
Comme nous logions dans un hôtel militaire américain, il fallait absolument payer en dollars, les cartes de crédit n’étaient pas très connues à l’époque.
Une solution, changer de l’argent, une bonne adresse était la gare principale de Munich.
Deux participants, l’un commandant ancien chef du peloton maintenance ainsi que l’aumônier se sont fait « accoster » par deux dames qui voulaient absolument leur montrer en détail la ville de Munich.
Avec mes autres copains officiers, on regardait amusé ce petit manège, les voyant même faire un « bout de chemin » avec ces deux « racoleuses » et puis s’arrêtant aussi brutalement, leur franc était enfin tombé.
En rentrant en garnison, ces deux contrevenants ont dû gentiment s’expliquer au bar des officiers avec comme pénitence une tournée générale, ils l’avaient bien mérité…
En cinq ans, j’ai aussi assisté à de très nombreuses manœuvres, procédé à des dépannages assez spectaculaires avec les dépanneurs Berliet à roues ainsi que les deux Bergepanzer.
Comme un char retourné sur sa tourelle (heureusement sans le moindre dommage pour l’équipage) au fond d’un ravin que l’on a remis sur ses chenilles et qui après une inspection méticuleuse ainsi qu’une vidange complète est reparti le lendemain au combat.
Sans oublier un camion MAN d’un Régiment d’artillerie chargé d’obus qui s’était engagé de nuit sur un terrain marécageux dans la Lunebourg Heide près de Bergen-Hohne et dont la partie roulante n’était plus visible, enfoncée jusqu’aux moyeux dans la tourbe.
Il a fallu déployer de très grands moyens mais après 24 heurs d’efforts, le camion en est sorti mais sérieusement abimé.
D’autres épisodes nettement plus amusants…, comme une démonstration faite pour les pilotes du 2 Wing de chasse de Florennes qui à l’époque volaient sur Mirage et dont le Commandant de la base, le Colonel aviateur Barthelemy avait été sur les mêmes bancs d’école à l’Ecole Royale Militaire que notre chef de corps, le Lieutenant-colonel BEM Bats, c’était en 1973.
Après avoir pu conduire et s’être bien amusés au volant de chars Léopard et jouant aux chefs de char, nos pilotes, en ont eu « plein la vue » de la part de mes mécanos avec notamment une démonstration d’enlèvement d’un groupe motopropulseur, le tout en moins de 30 minutes.
Tous ces pilotes, de « grands gosses », ces « cow boys » de l’air sont repartis émerveillés, la coopération « chars avions de chasse » s’est par la suite renforcée au bar.
Quelques semaines plus tard, rebelote, visite à Florennes, certains ont eu la chance, c’était mon cas, de voler avec un pilote sur un avion d’entraînement Marchetti.
Je ne vous dis pas les sensations enregistrées, là aussi, ils « m’en ont mis plein la vue », belle revanche.
J’ai aussi servi de « guide » fin 1972 à Jacky Ickx qui lors d’un passage à Siegen ( le Régiment a déménagé de Duren vers Siegen en 1972 ) au « Racing Show » est venu saluer son ancien commandant d’escadron, le chef de corps actuel où notre vice champion du monde F1 effectuait son service militaire comme chauffeur Jeep…
Ce furent de belles retrouvailles et la découverte pour ce pilote du Léopard conçu par une firme qu’il va bientôt connaitre sur le bout des doigts : Porsche.
Un autre chef de corps a eu aussi l’idée de reformer la section RP qui se déplaçait à bord d’antiques motos Saroléa mises bien évidemment au rancard et à l‘abri dans un coin des garages.
J’ai servi de « prof » à ces candidats-motards, j’avais une certaine expérience moto mais avec un avantage énorme, lors des cours, je me déplaçais au guidon d’une Honda 500 Four, prêtée par l’importateur, le nec le plus ultra.
Finalement, devant le peu d’enthousiasme soulevé par ces élèves, les pannes à répétition de ces motos belges, le projet a été abandonné.
Chaque année, le Régiment célébrait ses fastes régimentaires à Siegen, jusqu’au jour où l’un des chefs de corps décide que ces fastes seraient célébrées dans la commune de Maldegem, non loin de Bruges, en l’honneur de la dernière charge de cavalerie effectuée par le Régiment.
Ce chef de corps voulait emmener tout le Régiment ainsi que plusieurs chars, l’Etat-major était d’accord pour le personnel mais pour seulement deux chars qu’il fallait aller chercher dans une unité néerlandophone à Bourg Léopold afin de limiter les frais.
Mais prière de les emmener sur un transporteur vers Maldegem, 150 km de route.
Voilà une nouvelle mission pour ma pomme, simple en théorie.
Connaissant la vétusté des transporteurs, d’antiques Diamond des années cinquante et leur « manque de fiabilité » légendaire, j’avais mes doutes et surtout la crainte de les voir tomber en panne…, d’où la précaution d’emmener avec moi deux chauffeurs et deux chefs de chars et l’un ou l’autre mécano.
Evidemment, ça n’a pas raté, les deux transporteurs sont tombés en rade au bout de quelques kilomètres, pas réparables avant quelques jours, c’était un vendredi matin, les chars devaient en être en place le vendredi en fin d’après-midi.
Comme il y n’y en avait pas d’autres transporteurs disponibles sous la main, aux grands maux les grands remèdes.
Après voir consulté les autorités militaires, la Gendarmerie ainsi que les MP, j’ai proposé que ces deux Léopard rejoignent Maldegem par la route.
Impensable selon la hiérarchie !
Devant mon insistance et le fait que les plus hautes autorités militaires et politiques devaient assister le samedi matin à cette prise d’armes, là, j’ai vraiment mis le paquet, le commandant militaire s’est rallié à ma proposition tout en étudiant en urgence l’itinéraire le plus adéquat à suivre, vu le poids et l’encombrement de ces deux mastodontes.
Le tout encadré par des unités de la police de la route et de MP, tous les feux sont passés au vert sur l’itinéraire, à la grande joie des équipages mais devant une population qui se demandait ce qui se passait.
Dans chaque patelin, on se serait cru le jour de la libération, tous les habitants étaient sortis de chez eux, les gosses voulant voir de près ces deux chars faisant tellement de chahut.
Le lundi matin, deux autres transporteurs de chars ont raccompagné les deux Léopard à Bourg Léopold.
On n’a jamais autant parlé de ce Régiment francophone dans la presse flamande, quelle « pub » même de l’autre côté de la frontière linguistique.
Cinq années qui ont passées nettement trop vite au peloton maintenance, m’ont aussi permis d’accomplir d’autres « missions » dont celle de représenter le Régiment lors d’une rencontre à Berlin avec un escadron britannique de chars équipés de Chieftain dépendant d’un prestigieux Régiment de grande tradition, le « Fifth Royal Inniskilling Dragoons Guards » !
Après un bref essai de ce char britannique de 55 tonnes qui avec son moteur Leyland développait 710 chevaux, ma conviction était faite, sa partie « châssis-moteur et transmission » n’arrivait pas à la cheville du Léopard, il était trop lourd, pas assez maniable.
Quant à ses prestations côté tourelle, très importantes et primordiales pour un char, une toute autre paire de manche, elles se voulaient selon les experts plutôt excellentes.
Et j’en arrive à la crise sur le gâteau !
Devant mon insistance auprès du commandant d’escadron, j’avais demandé avec une certaine pointe d’ironie s’il était possible de faire des photos avec ce char devant la fameuse porte de Brandebourg, côté Ouest bien évidemment, en pleine guerre froide avec le fameux mur coupant la ville de Berlin en deux.
Alors que j’avais dit cela sur le ton de la plaisanterie, je ne pensais pas que ces Britanniques régnaient en « seigneurs » dans leur secteur, deux chars ont pris la route vers cet endroit mythique, escortés par la Polizei ainsi que les MP britanniques.
En posant évidemment devant l’entrée du cimetière militaire soviétique érigé en zone britannique.
Je ne vous dis pas la panique qui régnait côté soviétique mais pour les « Anglais », c’était tout à fait normal, ils étaient « chez eux » !
Malheureusement, j’ai perdu les photos de ce moment historique et héroïque, je m’en veux encore aujourd’hui.
En parlant de véhicules anglais, j’ai aussi eu la chance de voir arriver au milieu des années soixante-dix les véhicules à chenilles du peloton éclaireurs remplaçant avantageusement les anciennes jeeps Willys en service depuis le début des années cinquante et usées jusqu’à la corde.
Un petit véhicule à chenilles très maniable avec trois hommes d’équipage, produit par la firme anglaise Vickers Alvis mais bien évidemment assemblé sous licence en Belgique à Malines chez British Leyland à raison de 701 exemplaires principalement au profit des unités blindées de reconnaissance.
Avec son moteur Jaguar six cylindres 4,2 l essence dégonflé à 190 chevaux, ce petit véhicule compact de 4,4 m de long, pesant en ordre de marche près de 8 tonnes à la coque entièrement fabriqué en aluminium était équipé dans sa version Scorpion ( une famille entière va être développée autour de ce concept CVR-T, transporteur de troupes, véhicule de commandement, Scimitar, Sultan, Spartan…) d’un canon de 76 mm et d’une mitrailleuse de 7,62 mm avec en prime une protection NBC.
Un fameux progrès par rapport aux antiques Willys d’autant que ce « petit blindé » pouvait dépasser plus de 80 km/h en pointe sur route avec une belle autonomie de 600 km tout en évoluant très rapidement en « off road ».
Il pouvait aussi « flotter » grâce à une jupe de flottaison mais les expériences réalisées en Belgique ne furent pas très concluantes…
Autre inconvénient, le bloc Jaguar essence était un peu faible, pas assez de couple pour entraîner ce blindé que les équipages de Léopard surnommaient affectueusement les « dinky toys ».
En outre, la transmission n’était pas non pus très bien adaptée…, en revanche, en fin de vie, il a été retiré du service à l’armée belge début des années 2000, ce petit véhicule a démontré d’incroyables aptitudes au combat avec les armées étrangères, principalement sur des sols meubles grâce à sa pression au sol peu élevée, son bloc essence ayant aussi été remplacé par un diesel 5,9 l Cummins de 200 chevaux, ce qui changeait complètement la donne.
En aout 1976, suite à la mutation soudaine d’un officier au sein du Régiment, la fonction de commandant de l’escadron A devient libre, il faut la remplir au plus vite d’autant que cet escadron est désigné afin de participer en septembre à un important FTX OTAN sous les ordres d’un bataillon d’Infanterie belge, le deuxième Carabiniers Cyclistes, le 2 Cy, lui-même aux ordres d’une brigade américaine.
Du sérieux tout cela et malgré mon grade de lieutenant (j’allais être nommé en décembre 1976 ), le chef de corps me désigne, d’autres responsabilités m’attendent.
Je n’ai pratiquement plus « fait » de tactique depuis près de cinq ans, qu’à cela ne tienne, il me reste un bon mois pour apprendre les rudiments et faire plus ample connaissance avec le personnel que je connais déjà en très grade partie.
Résultats des courses, supprimés les grands congés à l’étranger, ce sera une bonne semaine à la côte belge tout en potassant mes cours de tactique…
Début septembre après des préparatifs minutieux, l’escadron A est fin prêt, 13 chars, quatre peloton de combat, il ne manque pas un bouton de guêtre, le personnel est au complet, mieux, il a été renforcé avec des moyens logistiques supplémentaires dont un Bergepanzer ainsi que des camions de ravitaillement.
Du coup, je reçois même un peloton d’infanterie en renfort ainsi qu’une section du génie.
La mission est simple « ouvrir l’itinéraire » tout en progressant le plus rapidement possible, le commandant du bataillon d’infanterie va être servi.
En fait, j’avance beaucoup trop vite, aidé en cela par un « arbitre » un officier supérieur venant du 2e Régiment de Guides qui va me servir de « mentor » tout en me prodiguant des tas de conseils avisés.
Je vais aussi révolutionner la coopération infanterie-blindés.
Ayant hérité de quatre AMX 13 du peloton d’infanterie qui « n’avançaient pas », poussifs, tombant journellement en panne au grand désarroi du chef de ce peloton et de ses hommes, je n’avais rien trouvé de mieux pour les emmener avec moi que de les accrocher à mes chars, 12 tonnes à tracter, cela ne faisait aucune différence pour le Léopard de 830 chevaux, l’AMX 13 du chef de peloton étant arrimé à mon char.
Pendant deux jours, tout s’est très bien passé, on avançait à une allure record, ce que ne comprenait pas du tout l’EM du bataillon d’infanterie, d’autant que les AMX 13 détachés auprès de mon escadron ne tombaient plus en panne et ne consommaient plus une seule goutte de carburant.
Pas normal tout cela.
Constatant « l’accouplement », le chef de corps m’a tout d’abord félicité de l’initiative mais m’a gentiment demandé d’en revenir à une solution plus « classique, appliquée dans tous les manuels de la coopération infanterie blindée.
J’ai bien évidemment obtempéré mais comme l’histoire des pannes recommençait, j’ai fait transporter ces fantassins par camion tout en faisant remorquer de nuit et discrètement cette fois les AMX 13.
Et là où je me suis le plus amusé, c’est d’avoir avec la complicité de mon arbitre, fait « prisonnier » un bataillon de chars américain représentant l’ennemi.
Du coup et comme ce n’était pas prévu dans le scénario, mon escadron a pu se reposer durant près de 24 heures, le temps de réorganiser tout ce « bordel « et de remettre en place toutes les unités.
Durant ce commandement d’escadron de chars qui n’a duré que deux ans, d’autres aventures sont venues s’y greffer, dont la rencontre en FTX avec une charmante « Gräfin » , une comtesse d’une certain âge, gérant une immense ferme-château qui avait mis à notre disposition ses terrains ainsi que ses immenses granges afin de loger l’ensemble de l’escadron.
Et d’inviter les officiers qui au préalable lui avaient bien évidemment offert un superbe bouquet de fleurs, à un dîner aux chandelles assez mémorable pendant que mes chefs de chars faisaient « faire des tours de manège « avec une grande partie de son personnel.
Avant d’aller dormir, on l’avait bien prévenu qu’elle ne devait pas sortir avant 8h du matin, les chars devant partir très tôt le lendemain.
Nous avons bien insisté mais la comtesse n’a pas bien compris, ( à moins qu’elle soit tombée sans doute sous le charme de tous ces beaux et jeunes officiers…), cela n’a pas raté.
Au petit matin, sa voiture une VW Passat toute neuve se voyait harponnée à l’arrière par l’un de mes chars avec sa petite fille à bord. Heureusement pas de dommage corporel mais la Passat était bonne pour la casse.
Je vous raconterai comment après trois jours sans ravitaillement, on a investi avec l’escadron au grand complet la grand place d’un petit patelin où il y avait heureusement un « imbiss », sorte de baraque à frites, le gérant a dû faire venir du personnel en renfort mais nous avons enfin pu sur le compte de notre cantine d’escadron, manger à notre faim, il a aussi réalisé en quelques heures un très beau chiffre d’affaires.
Autre souvenir cocasse, le jour où les officiers ainsi que les sous-officiers ont dû conduire eux-mêmes leur char, c’était aussi mon cas.
A l’issue de deux jours d’une progression ininterrompue, le chef de corps ordonne un repos de quelques heures…, avec mon second, je choisis sur carte un endroit sur carte afin de stationner l’escadron pour la nuit, à lui de régler les problèmes logistiques, de ravitaillement et de maintenance, moi je me rends en Jeep à 50 km de là vers l’EM du Régiment pour un briefing agrémenté d’un repas bien dans la tradition des guides au mess de campagne.
Evidemment, changement de mission, le Régiment doit faire un très important mouvement de nuit.
Par radio, j’informe mon second que je rentre dans environ une heure et qu’il doit préparer l’escadron à faire mouvement.
Tout en me répondant qu’il y a un sérieux problème mais qu’il va faire l’impossible !
A la radio, difficile de raconter n’importe quoi, toutes les conversations étant souvent enregistrées.
Durant cette heure de route, j’ai évidemment pensé à des tas de choses, accident ou autre mais certainement pas à ce que mon second allait me raconter.
Après avoir fait les pleins et mangé, les cavaliers ont remarqué un bistrot dans ce patelin mais en réalité, ce n’était pas un café comme les autres, plutôt une sorte de « night club ».
De bonne foi, le commandant en second a donné permission d’aller boire un verre (sic) et d’être en permanence à l’écoute radio avec une Jeep disposée devant ce « bistrot un peu spécial ».
Fatigués, ces charristes ont avalé plusieurs bières tout en « s’amusant ».
Du coup, ils se sont endormis dont une grande majorité de chauffeurs…
Résultat des courses, on les a mis dans un camion et de nuit, ce sont les officiers ainsi que les sous-officiers qui ont conduit leur propre char.
Le lendemain matin, certains chauffeurs n’étaient pas beaux à voir, une belle engueulade et puis c’était reparti pour de nouvelles aventures…
En étant commandant d’escadron de chars, j’ai aussi eu la chance d’effectuer un stage d’une bonne quinzaine de jours dans un bataillon de chars français plutôt réputé, le 5e Régiment de cuirassiers « Royal Pologne », caserné à Kaiserslautern en Allemagne mais en exercice du côté de Suippes en Champagne.
Depuis cette période, j’ai une grande admiration pour l’ensemble des troupes françaises bien à l’image de ce bataillon, efficace, discipliné, terriblement professionnel, c’est fou ce que j’ai pu apprendre en quelques jours…, mais également connaître tous les rouages de ce Régiment qui par la suite sera jumelé avec le Premier Régiment de Guides.
Avec une anecdote plutôt savoureuse : comme capitaine à l’armée belge, je porte trois étoiles sur mes épaulettes tout comme un général de corps d’armée français.
Durant ces quinze jours, j’ai beaucoup entendu l’expression suivante à mon arrivée : « Messieurs, le général, à vos rangs, fixes »… jusqu’au jour où un « vrai » général français de corps d’armée est venu inspecter le Régiment.
Avant que le chef de corps ne me présente, il me voit, surtout mes trois étoiles, se précipite en me saluant tout en s’excusant ne pas m’avoir vu plus tôt et en me donnant du « cher ami par-ci, cher ami par-là » tout en se posant quand même des questions et en me demandant finalement : « Mais au fait à qui ai-je l‘honneur » ?
Il n’avait pas devant lui un homologue mais bien un capitaine belge.
Cela l’a fait bien rire, moi aussi, au moins un général avec de l’humour…
J’ai aussi dû insister pour qu’on me laisse conduire l’AMX 30, certains officiers français savaient en effet que leur char ne pouvait rivaliser en vitesse, puissance, maniabilité, confort de marche et fiabilité avec le Léopard.
Cet AMX 30, un peu plus léger, 36 tonnes mais avec son moteur Hispano Suiza diesel de 29 l de cylindrée ne développait que 700 chevaux pour un couple de 212 mkg contre 286 pour le Léopard alors que sa boîte mécanique comportait 5 vitesses ainsi qu’une seule marche arrière.
Au terme d’une demi journée d’essai, j’avais compris que cet AMX 30 n’était pas aussi maniable et de plus imposait à son chauffeur de lourdes contraintes de conduite, il manquait également de confort alors que ses possibilités de franchissement « off road » le classaient bien derrière le Léopard.
Je n’ai pu en revanche tester ses aptitudes au feu qui d’après mes renseignements étaient un peu supérieures à celles du Léopard, le canon F1 français faisant toute la différence de même que le système de conduite de tir.
Du moins à l’époque !
Au milieu de l’année 78, à nouveau changement d’affectation, je commande l‘escadron Etat-major et Services, EMS dans le jargon militaire, un tout autre univers chargé de « supporter » les escadrons de combat.
Deux ans plus tard, je quitte définitivement l’arme blindée ainsi que ce Régiment que je reverrai à plusieurs reprises lors des fastes avant qu’il ne soit dissous en 1994.
Durant les vingt années suivantes, ces chars Léopard A1 fortement modernisés au cours de leur longue carrière vont connaître l’épreuve du feu au Kosovo, équiper des bataillons de combat pour ensuite être revendus à des nations « amies » dont une grande partie au Brésil, 128 au total.
En 2014, ils sont officiellement retirés du service remplacés par des blindés à roues sans doute plus légers, plus maniables et moins chers mais qui ne pourront jamais offrir une telle puissance de feu ainsi qu’une protection aussi adéquate.
Du moins, c’est mon humble avis.
Et puis, il y a cet esprit « troupes blindées » que l‘on a sans doute un peu sacrifié et trop vite oublié…
Marcel PIROTTE