Les dessous des hôtesses…
Pour la plupart étudiantes, les 350.000 belles qui égayent les stands des salons et passent le micro dans les assemblées générales sont loin d’avoir la vie facile.
Pour sa première mission, Clara, 18 ans, 1,80 mètre, blonde aux yeux bleus, a eu de la chance : son agence ne l’a pas envoyée au Mondial de l’automobile prendre la pause sur le stand Ferrari, ni accueillir en dentelles les VRP du Salon de la lingerie.
C’est à l’espace collectivités de la Fête de l’Humanité qu’elle a débuté dans le métier.
Vêtue d’un ensemble pantalon-veste noir, cette élève de Sciences po a passé tout un week-end de septembre à badger des maires et des conseillers généraux accourus sur les stands de sociétés prestataires de services, souvent très généreuses avec le Parti.
Moins sympa : elle a dû prendre le RER de Paris jusqu’à la gare d’Aubervilliers, puis un autobus bondé jusqu’au parc de La Courneuve.
Et elle a été chichement rémunérée au Smic, soit 6,95 euros net l’heure.
Aux yeux des camarades, pas de doute, une hôtesse est une prolétaire en talons aiguilles…
Par la barbe de Lénine !
Que les communistes eux-mêmes y succombent en dit long sur la percée de ces jeunes filles dans le monde capitaliste.
Conférences de presse, salons, assemblées générales d’actionnaires, réceptions d’entreprises, colloques professionnels…, en quelques années, elles ont envahi toutes les allées du business avec leur mine rafraîchie, recevant ici les invités, tendant là les micros et distribuant à l’infini des sourires de circonstance. “Depuis 2002, le chiffre d’affaires de nos adhérents a doublé, pour atteindre 410 millions d’euros en 2009”, s’enthousiasme Sophie Pécriaux, présidente du SNPA, la chambre patronale qui fédère les 50 premières entreprises du secteur.
Selon elle, l’événementiel disposerait aujourd’hui d’un fichier de 25.000 hôtesses et les halls d’accueil des entreprises en hébergeraient dix fois plus.
Si l’on ajoute à cela le marketing de rue et l’accueil dans les gares et les aéroports, ce sont plus de 350.000 jeunes filles qui seraient actuellement sur le pont, une centaine d’heures par an en moyenne.
Et leur nombre ne cesse d’augmenter.
Phone Régie, l’agence leader, qui se vante de fournir en demoiselles 35 sociétés du CAC 40, a, comme ses concurrentes, l’intention de s’attaquer au marché très prometteur des PME.
Et pas avec du deuxième choix !
“Le temps des plantes vertes est fini”, se félicite Sophie Pécriaux…, “nos salariées sont désormais de vraies professionnelles”.
Pour leurs castings, les agences regardent certes la silhouette et le sourire, mais elles exigent aussi une élocution distinguée, une grande réactivité, un anglais courant, et parfois même la pratique d’une seconde langue.
Du pain bénit pour les étudiantes, qui trustent plus des trois quarts des places offertes.
“A la fac, toutes les filles se repassent le filon”, témoigne Samia, qui termine son droit à Nanterre.
On ne voudrait pas décourager les vocations, mais le métier n’a pourtant pas vraiment de quoi faire saliver les jeunes filles.
D’abord parce qu’elles sont payées au lance-pierres.
Selon les calculs du géant de l’intérim Randstad, le salaire moyen dans la profession tourne autour de 7,70 euros net l’heure.
Les moins bien loties sont les hôtesses en poste à l’accueil des entreprises, qui doivent se contenter du Smic.
Les missions dans l’événementiel, en général de quelques heures, rapportent un poil plus.
La loi oblige en effet les employeurs à verser 20% supplémentaires au titre des congés et de la prime de précarité, grâce à quoi les filles parviennent à se faire entre 9 et 10 euros l’heure.
Pas bien lourd quand même.
Certaines heureuses, cependant, s’en sortent un peu mieux.
“Nos salariées peuvent s’occuper à la fois de l’accueil, du standard, d’un service voiturier, renouveler les bouquets de fleurs, gérer une cafetière et distribuer des journaux”, énumère Jean-Benoît Romain, patron de l’agence LFR Conseil.
Moyennant quoi il les paie jusqu’à 12 euros net, comme celles qui officient dans le gigantesque centre commercial Val d’Europe, près de Disneyland.
Florence Doré, qui passe pour le cabinet le plus sélect, s’assure pour sa part la fidélité des meilleures en ajoutant au salaire une prime de 12 euros par journée de travail supérieure à quatre heures.
Mais c’est encore le Mondial de l’auto qui offre les fins de mois les plus rondes : à 15 euros net l’heure, une hôtesse peut ramasser jusqu’à 2.500 euros pour 16 jours de travail.
“Des filles belles et intelligentes qui parlent des langues pas très courantes, comme le chinois ou le russe, cela se paie”, justifie Dominik Gruber, le directeur de la communication de Porsche.
On a pourtant vu encore mieux : l’agence DK Hôtesse, de Dunkerque, a récemment proposé 40 euros à des étudiantes pour qu’elles défilent en sous-vêtements, une heure durant, devant des patronnes de boutique.
“C’était un peu déshabillé, mais toujours correct”, toussote Frédéric Desprez, leur employeur.
Peu payées, les hôtesses ne sont pas non plus toujours bien traitées.
Il leur arrive de se geler en robe légère pendant des heures sur un hippodrome, à l’entrée des loges du Stade de France ou à l’accueil d’une journée corporate, comme celle de Carrefour en janvier dernier, près de l’Héliport de Paris.
Les animations, qui consistent à distribuer des prospectus dans la rue, ne sont pas non plus des parties de plaisir.
Pour capter l’attention des passants revêches, les demoiselles doivent parfois accepter des tâches un peu baroques.
A la demande de la marque de sport Salomon, plusieurs d’entre elles ont ainsi dû récemment déambuler dans les rues de Lyon avec un énorme ballon gonflé à l’hélium au-dessus de leur tête.
Quelques jours plus tard, les mêmes se sont retrouvées, en bottes et en minijupe, à faire la promotion d’un soda dans les boîtes de nuit de la capitale des Gaules.
Autre mauvaise surprise classique, les agences oublient souvent de faire nettoyer les uniformes entre deux missions.
Mathilde peut en témoigner : au dernier prix de l’Arc de triomphe, elle a dû porter un tailleur pantalon douteux pendant toute la journée.
“En plus, on m’a donné du 40 alors que je fais du 36”, grince-t-elle.
Jade se souvient, elle, d’avoir dû chausser des ballerines en plastique blanc nauséabondes.
L’une de ses amies a connu pire : la marinière maculée de fond de teint qu’elle a portée à un défilé Jean Paul Gaultier empestait la transpiration.
Et pas question d’aller se plaindre auprès des chefs hôtesses : en général, elles détestent être prises en défaut.
Mais le plus terrible à supporter pour ces jeunes filles, c’est encore… le public.
“Les gens nous prennent pour des idiotes”, résume Maud, une étudiante en master de droit qui conduit les invités du Parc des Princes jusqu’à leur loge…, “quand il a vu que ses blagues ne me faisaient pas rire, un type m’a quasiment regardée comme si j’étais une demeurée”.
Cette attitude est encore plus fréquente à Roland-Garros, où les invités du carré VIP s’imaginent souvent que tout leur est dû.
“A la moindre contrariété, ils se montrent méprisants”, râle Alice…,“pas facile à supporter lorsque j’ai un bac + 5 dans mon sac à main et que bon nombre d’entre-eux n’ont aucun diplome et ont simplement du fric de Papa-Maman, à moins que ce sont des rappeurs sans éducation”….
Si certains les tiennent pour des godiches, d’autres les prennent pour des sex machines.
Combien de fois les hôtesses du Salon du deux-roues se sont-elles entendu poser la question graveleuse de circonstance : “Vous êtes comprise dans le prix de la moto ?”…
Toutes celles que j’ai rencontrées avouent redouter en premier lieu les manifestations qui attirent le grand public masculin : le Salon de l’automobile, bien sûr, sa variante tape-à-l’œil Paris Tuning Show, le cirque aéronautique du Bourget ou même Milipol, le grand bazar de la sécurité, avec ses mitraillettes et ses robots démineurs.
“Une dizaine de filles se sont plaintes, devant moi, de la lourdeur dont font preuve les visiteurs”, raconte Yvonnick Denoël, un universitaire qui a signé en 2010 le livre “Sexus Economicus”, aux Editions Nouveau Monde.
Il y a de quoi.
Dans son bouquin, l’auteur se souvient d’avoir vu, sur un stand, une jeune femme affublée d’un short et d’un débardeur coupés dans du treillis militaire.
Elle tripotait un fusil-mitrailleur sous les regards brillants des visiteurs !
Ces accoutrements pousse-au-crime, ces postures lascives, ce sont évidemment les “bookeuses” des agences qui les imposent.
“Avec les vêtements qu’on nous donne, le Salon de la moto est un enfer”, dénonce Mélanie Yamine, qui l’a longtemps pratiqué avant de se faire embaucher dans l’industrie pharmaceutique.
Lors du dernier Mondial de l’automobile, une marque allemande a d’ailleurs dû rapatrier dare-dare un commercial qui se montrait un peu trop entreprenant avec le “décor” féminin.
A l’accueil des entreprises, les incidents sont plus rares, mais pas impossibles.
Un grand commis de l’Etat, qui exerçait autrefois la tutelle sur les entreprises pétrolières, se souvient ainsi qu’une réceptionniste d’Elf Aquitaine a un jour porté plainte pour harcèlement contre… le président de la compagnie.
Elf a dû lui signer un chèque de 800.000 euros pour qu’elle la retire.
Par contre, des hôtesses “montantes”, je n’en ai pas trouvé.
Tout juste une petite agence m’a-t-elle confié avoir cessé de faire appel à une personne qu’elle soupçonnait d’aller bambocher avec les exposants sitôt fermées les portes d’un salon.
Fort heureusement pour les étudiantes, le turbin offre parfois de bien agréables compensations.
Ce concert de U2, par exemple, que les hôtesses de City One ont récemment pu suivre au Stade de France.
Ce match entre le Barça et l’Olympique lyonnais au stade Gerland, dont les filles de l’agence Pénélope ont gardé un souvenir ébloui.
Sans parler de cette journée Hermès pour enfants où les girls de Florence Doré ont fait la fête costumées en princesses.
“Pour beaucoup d’entre nous, ce job a été un premier contact avec le monde du travail, extrêmement formateur”, se souvient Oujdan Ounissi, qui l’a exercé pendant cinq ans, le temps d’obtenir un master en droit.
Dégoûtée du métier, la jeune femme ?
Pas le moins du monde : il y a trois ans, elle a créé Abscisse, sa propre agence d’hôtesses.