Les sels de bain hallucinogènes &
la Cadillac Kashmir Custom Roadster’52 de Rick Dore…
Lorsque je suis arrivé à Roanoke, une petite ville au cœur de la Virginie, pour réaliser un reportage sur une Cadillac 1952 Custom Roadster surnommée “Kashmir”, œuvre épico-pathétique d’un dénommé Rick Dore qui se vantait s’être inspiré d’une baleine bleue…, la ville était en plein swing…, les agents fédéraux venaient de faire le ménage dans la région pour retirer de certains magasins assez spéciaux, diverses drogues synthétiques dont la fameuse Amped, plusieurs semaines avant que la Virginie ne fasse voter une loi pour interdire ces substances.
Toujours curieux des mœurs délirants qui foisonnent aux USA, je me suis renseigné auprès des autorités locales qui m’ont dit que l’Amped, avait fait son apparition en octobre 2011… et que les fans de drogues récréatives en sont devenus fous.
Vendu comme un “attractif à coccinelles” et comme “poudre d’exubérance”, l’Amped a été développé par un biochimiste professionnel…, une exception dans un marché autrement moins fiable, mais, à la fin du mois de février 2012, un truc a changé : sur les blogs ont fleuri des commentaires de consommateurs d’Amped, affirmant qu’au contraire des premiers lots de cette poudre d’exubérance stimulante qui faisait s’agglutiner les coccinelles, les arrivages plus récents avaient la couleur et la consistance d’une pâte à tarte détrempée qui sentait la pisse de chat…, malgré tout, selon les gens qui acceptaient quand même de sniffer ce truc peu ragoûtant…, le produit défonçait correctement !
Le concierge de l’hôtel ou je suis descendu (ne débouchez pas le champagne, ça n’a rien à voir avec un sulfatage à la mitraillette par des Ferraristes irréductibles qui ne m’aiment pas)…, m’a offert une explication confuse quant à ce changement : Wicked Herbals, l’entreprise qui produisait l’Amped, s’était brouillée avec son chimiste au sujet d’un changement de formule !
Un loustic à l’avatar de Bath Salt Guru a alors posté sur le web un article avertissant que le produit Amped était sérieusement dégradé…, des douzaines de commentateurs l’ont supplié d’apporter plus d’informations… il a répondu qu’il y avait beaucoup mieux et que sniffer des sels de bain défonçait à mort…et, quelques jours plus tard, d’autres usagers d’Amped ont fait entendre leur satisfaction quant aux sels de bain…, l’affaire a dépassé le cadre de Roanoke, puis de la Virginie pour atteindre l’ensemble des USA comme une trainée de poudre (ce qui est un double sens)…, finalement, après quelques posts consternés et incohérents, le bloggeur anonyme, qui s’avèrera être plus tard suite à une enquète de la DEA : un simple père de famille…, a envoyé tout le monde se faire foutre.
L’assistante du concierge de l’hôtel, une jolie brunette très sexy, m’a dit, presqu’en aparté, que les sels de bain étaient plus qu’un stimulant : “Ses usagers considèrent que les marques de sels de bain provoquent des effets plus puissants que la coke”…, tandis que le concierge aux aguets est revenu me dire : “Sous coke, quand tu vois un groupe de filles, tu te dis : OK, je me sens super à l’aise et tu fonces leur parler. Mais quand on a sniffé des sels de bain, tu te dis : Hé, je devrais sortir ma bite et aller la leur montrer”…
Il m’a dit se souvenir d’être allé se promener, un soir, et d’avoir rencontré un homme qui avait sniffé des sels de bain : “Il était assis sur une balançoire dans le jardin de mon voisin, vêtu uniquement de son caleçon, arborant sa bite à moitié dure devant les filles qui le dépassaient en voiture en espérant que l’une d’elles déciderait de s’arrêter”…
J‘ai su ainsi que la ville de Roanoke, en Virginie, était non seulement le lieu ou se terrait une baleine bleue en forme de Cadillac 1952, mais était également l’endroit idéal pour que s’épanouisse le fléau des sels de bain !
Construite en contrefort des montagnes Bleues, dans les Appalaches, la ville est un fatras de maisons style Mondial Moquette au kilomètre… et de terrains vagues envahis par les hautes herbes, jonchés de voitures rouillées et d’encombrants…, les épidémies de drogue y marquent les décennies comme des strates géologiques…, l’alcoolisme et la dépendance aux opiacés sont des réalités quotidiennes.
Le groom de l’hôtel, un noir décati, m’a dit qu’il avait touché le fond du fond du fond de la toxicomanie l’année dernière quand il a été hospitalisé après s’être injecté du Drano, un produit qui sert à déboucher les canalisations…
La jolie et sexy assistante du concierge à surenchérit dans cette discussion psychédélique en disant se rappeler avoir vu ses gentils voisins foncer en voiture sur l’asphalte, complètement défoncés, chacun avait une pipe à crack entre les dents utlisée pour sniffer des sels de bain…, mais que la drogue n’avait pas complètement détruit le sens de la communauté dans la ville : “Pour ne citer qu’un exemple, quand la station-service locale a organisé, récemment, une collecte de fonds pour aider un ado handicapé pour avoir sniffé des sels de bain, toute la communauté est venue apporter son soutien, notamment une centaine de membres d’un gang de bikers local”.
Jeff Dudley, le chef de la police…
Comme le bureau de police était en face de l’hôtel, je suis allé discuter avec Jeff Dudley, le chef de la police, (sur la photo ci-dessous, il tient un sachet d’Amped qu’un de ses agents a acheté chez un buraliste) :“L’Amped et les marques de sels de bain sont apparu dans les bureaux de tabac de Roanoke et des environs en mars, après que les entreprises qui les produisaient se sont apperçu que leurs produits avaient un autre avenir que dans les baignoires…, ils ont envoyé des prospectus publicitaires avec plein de couleurs vives expliquant le bien être de les inhaller… et promettant de sérieux bénéfices à tous les buralistes. Le plus grand bureau de tabac du sud-est de la ville, D.K. Tobacco, a proposé la première tournée de sels de bain à des prix cassés, ses employés ont même porté, un temps, des tee-shirts afin de promouvoir ces produits…, à l’autre bout de la ville, un buraliste a employé un homme-sandwich pour faire la promo des sels de bain…. et en peu de temps, les acheteurs ont essaimé. Aux heures de rush, surtout en soirée, on aurait dit le parking d’un Walmart, certains clients revenaient cinq à six fois par jour, il y avait des files d’attente dignes d’une soupe populaire. J’ai vu fleurir les affaires de D.K. Tobacco juste après que la presse locale a fait un sujet dessus. D’un coup, ce n’était plus seulement les défoncés de base qu’on voyait affluer chez D.K. Tobacco…, des ouvriers de chantier se pointaient dans les camions de la ville, tout le monde avait entendu parler du truc, même les grands-mères. Tout le monde a voulu essayer. En quelques semaines, l’ambiance du quartier s’est sévèrement dégradée, les confrontations violentes entre habitants ou avec la police sont devenues monnaie courante. On s’est retrouvé submergés. Au cours du seul mois de mai, la police municipale de Roanoke a dû s’occuper de 34 affaires liées aux sels de bain. C’était plus qu’un simple problème. C’était une épidémie. Et ça a été tellement soudain ! À ce moment-là, les difficultés ne se limitaient plus à la seule ville de Roanoke ; les sels de bain ravageaient le comté dans son intégralité. Un de nos agents s’est battu avec un gamin pendant 9 minutes. La plupart des affrontements qu’on a avec la population ne dépassent jamais une minute. Là, le gamin est sorti de chez lui, nu comme un ver, et a chargé. Un médecin urgentiste interviewé par une chaîne de télé locale a même déclaré que si la cocaïne et les amphétamines étaient des tempêtes tropicales, les sels de bain étaient un ouragan”…
Jeff Dudley me parlant des conséquences catastrophiques de l’Amped et d’autres drogues sur sa communauté…
Je suis allé manger une pizza au restaurant situé un peu plus bas dans la rue, là, le propriétaire m’a dit se souvenir de zombies tremblants, les yeux vitreux, qui traînaient aux abords de sa pizzéria et du salon de tatouage adjacent en demandant où trouver de l’attractif à coccinelles : “Ces mecs s’adossaient aux lampadaires du parking pour vomir. Des gens sont même entrés par effraction dans la boulangerie jouxtant D.K. Tobacco : les propriétaires restent persuadés qu’il s’agissait d’une tentative pour s’introduire chez le buraliste. Angela Marie Crabb, 31 ans et mère de deux enfants, vivait à deux pas de D.K. Tobacco. Elle se débattait déjà avec des problèmes d’alcool, d’héroïne et de crack quand, en mars dernier, elle a découvert les vertus des sels de bain… Quelques jours après qu’Angela a commencé à en prendre, sa mère, Lorrie Jones, l’a retrouvée nue, allongée sur la balustrade de son balcon du premier étage. C’était comme regarder un film de science fiction. La façon dont son corps était tordu, ce qu’elle disait, tout était si étrange. En quelques semaines, Angela a maigri jusqu’à ne plus peser que 35 kilos, son visage enflé offrant une vision macabre. Un soir, elle s’est rendue chez sa mère à l’improviste et a essayé d’exploser sa fenêtre, folle de rage. Je ne la reconnaissais plus. C’étaient les sels de bain qui agissaient à sa place. Elle avait l’air d’un démon. Le lendemain, Angela a fait une crise cardiaque. Elle a passé les six jours suivants en soins intensifs avant de décéder, le 25 avril. Quelques heures après la mort de sa fille, Lorrie a croisé devant l’hôpital une jeune fille dont le bras venait d’être amputé après plusieurs injections d’Amped, le produit qui attire les coccinelles. Deux jours plus tard, une autre jeune maman, Tina Elaine Mullins Crockett, est morte d’une crise cardiaque au moins partiellement provoquée par l’Amped. Avec l’Amped et les sels de bain, C’est comme si un nuage s’était ouvert au-dessus de la vallée de Roanoke pour en déverser ses démons. Comme si une tornade était passée, emportant les habitants dans son sillage. Ma fille fait partie des victimes”…
Quand l’Amped était au sommet de sa popularité, le parking de D.K. Tobacco était comble du matin au soir.
Après tout, les sels de bain, et le produit pour attirer les coccinelles, en plus de leur rapporter beaucoup d’argent, n’étaient pas illégaux…, les sachets d’Amped, achetés 5 dollars, étaient revendus pour 25… et pareil pour les sels de bain…
Een général, le dealer de base, avec de l’herbe ou de la cocaïne, ne fait au mieux que doubler son investissement…, les bureaux de tabac, à raison de 30 sachets vendus par jour, pouvaient facilement viser un profit net de 200.000 $ par an.
Les propriétaires de D.K. Tobacco sont des réfugiés soudanais… et beaucoup de gens du coin ont vu leur persistance à vendre des sels de bain comme un acte d’ingratitude…, le ressentiment n’a fait que grandir alors que les propriétaires exhibaient leurs nouveaux profits : l’un d’eux s’affichait dans une Dodge Viper rose roadster flambant neuve, en ne manquant pas de préciser l’avoir payée comptant.
Une autre fois, il a agité sous le nez de ses interlocuteurs un chèque de banque dont le montant correspondait au prix d’une maison neuve : “Je ne peux pas croire qu’ils ignoraient ce qu’ils étaient en train de faire”…, m’ont affirmé un couple de commerçants spécialisés dans la sauce Chili qui ont voulu que je taise leur nom (gag, mais, j’ai promis à Mr Koltz de garder le silence)…, “La cupidité a pris le dessus, mais c’était légal”…
Les autorités de la région de Roanoke ont appris l’existence des sels de bain à l’occasion d’un sommet mensuel en mars 2011, date à laquelle ils ont été mis en vente à très grande échelle…, des agents de la brigade des mœurs ont acheté des échantillons de sels de bain pour les tester, mais les résultats ont été négatifs : le produit ne contenait aucune substance illicite…
Un chimiste rattaché à la police scientifique a alors été enjoint d’expliquer de quelle manière cette drogue pouvait contourner la loi : “Pour résumer, la composition chimique des sels de bain peut beaucoup varier. Ils sont produits en Chine, en Inde et en Russie, et ils parviennent à rester dans la légalité en modifiant la formule en permanence”…
En mai 2012, les sels de bain ont attiré l’attention du monde entier quand un habitant de Miami, Rudy Eugene, a décidé de dévorer le visage d’un SDF…, le monde découvrait avec horreur les “bath salts”, dont les effets secondaires peuvent pousser le consommateur au cannibalisme : “L’homme était en train de le déchirer en morceaux avec sa bouche”, rapporte un témoin…, “Je lui ai dit d’arrêter, mais il continuait de bouffer l’autre, de lacérer sa peau. Un officier de police est arrivé et lui a dit d’arrêter plusieurs fois, puis a fini par grimper sur la cloison et, une fois en face de lui, a répété : Arrêtez !… Mais l’homme s’est juste retourné, avec un morceau de chair dans la bouche, et a grogné. Le policier a fini par tirer sur le zombie, et il aura fallu plusieurs balles pour le terrasser”…
Mais les sels de bain gagnent depuis en popularité chez les aventuriers de la drogue aux États-Unis…, les centres antipoison nationaux ont comptabilisé 6.138 appels relatifs à cette substance en 2011, contre 300 l’année précédente…, la substance active des sels de bain fait partie du groupe des cathinones substituées, des variations synthétiques du stimulant naturel qu’on trouve dans les feuilles de khat, une plante populaire en Afrique et au Moyen-Orient… et très similaire à la feuille de coca en Bolivie.
À la fin de l’année dernière, la DEA a annoncé une mesure d’urgence pour interdire les deux substances actives les plus courantes dans les composants des sels de bain : la MDPV et la méphédrone…, ce qui a juste servi à ce que des douzaines d’autres cathinones substituées inondent le marché.
Juste avant l’effroi causé par le zombie cannibale de Miami, les autorités locales et fédérales ont tenu une conférence de presse à Roanoke pour informer la communauté des dangers liés aux sels de bain et aux produits Amped, White Water Rapids, Go-Fast et Snowman…, pour n’en citer que quelques-unes…, les autorités ont expliqué que ceux-ci présentaient des similarités avec la meth ou la cocaïne et que d’après le Federal Analog Act, ils étaient illégaux.
Selon la loi, un analogue est une substance qui imite les effets des drogues illégales ; les fabricants de tels produits essayent de contourner la loi en estampillant leurs sachets avec des avertissements tels que : IMPROPRE À LA CONSOMMATION HUMAINE…
La DEA et le bureau du Procureur fédéral ont informé la police qu’ils ne pouvaient pas faire appliquer cette loi dans la rue, mais qu’ils pouvaient les aider à confisquer les sels de bain disponibles à la vente en attendant qu’une interdiction soit promulguée en Virginie.
En juin, la police locale et la DEA ont délivré des injonctions du procureur fédéral à sept buralistes, les obligeant à retirer les sels de bain du marché…, les commerçants ont largement obtempéré, même si l’un des commerçants m’a avoué que si les autorités revenaient, il leur briserait le cou.
Quand la mère de Brittany Cross, Tina Crockett, est morte suite à une trop forte consommation d’Amped, Brittany a dû se charger seule des funérailles, son père et son grand-père étant beaucoup trop occupés à se droguer….
L’entreprise qui fabrique l’Amped est Wicked Herbals, est basée à Tempe, dans l’Arizona… et sert curieusement de plate-forme de vente pour un grand nombre de marques de sels de bain produits dans la même région : Eight Ballz, Bullet, Blow, White Water Rapids, Bliss et Snowman qui sont tous disponibles à la vente sur le site web de l’entreprise… et leurs formules sont, à peu de chose près, similaires…, les sels de bain sont une industrie en plein boom, que ce soit du côté des fabricants ou de ses revendeurs.
Le propriétaire d’un bureau de tabac bien établi de la région, m’a dit qu’aux USA in n’était pas interdit à un bureau de tabac de vendre des sels de bains ni du produit pour attirer les coccinelles, il estime qu’au cours des trois dernières années, plus de 200 commerces ont ouvert en Virginie, avec cette seule mission : “Ils ne vendent rien d’autre”…, m’a-t-il affirmé en montrant son comptoir en verre rempli de sachets colorés…, “Juste ça, voyez, c’est un marché compétitif qui est bénéfique au consommateur, un demi-gramme d’Amped ou de sels de bain se monnaie à 12,99 $”….
L’économie des sels de bain repose sur un réseau international de fournisseurs de matières premières principalement basés en Chine, ces fournisseurs présentent leurs produits comme des produits chimiques issus de la recherche pour améliorer le bien être lors d’un bain…, en comparaison avec les entreprises de produits chimiques légitimes basées aux États-Unis, les fournisseurs du marché gris en Chine vendent les substances actives à prix cassé et en bien plus grande quantité.
Ces substances de contrebande sont moins actives et d’une qualité qui laisse souvent à désirer… et souvent, ceux qui les synthétisent ne sont pas parfaitement au fait de ce qu’ils produisent…, la plupart des sels de bain finissent tout de même par contenir les trois éléments suivants : une cathinone substituée, un agent de charge et un anesthésiant local.
Roanoke, une petite ville au cœur de la Virginie…
La formule d’origine de Wicked Herbals contenait une cathinone substituée relativement faible, du nom de a-PPP…, la qualité du produit était consistante, mais beaucoup d’usagers remarquaient que ses effets diminuaient après quelques prises…, les développeurs ont alors décidé d’ajouer une substance active nommée a-PVP dans la composition de l’Amped et des sels de bain.
Un forum web contenant un catalogue exhaustif des drogues synthétiques a tout d’abord évalué positivement le a-PVP : “Très, très fun”… avant de changer d’avis : “Correction : cela fait plusieurs mois que ce produit est disponible dans ma ville, et je suis maintenant convaincu que c’est le mal absolu. Beaucoup de gens se sont mis à en fumer quotidiennement et ça les a rendus infects. Ce truc est vraiment baisé et n’est pas du tout meilleur que la MDPV. Très certainement neurotoxique”….
Malgré tout, toutes les marques basées en Arizona incluaient a-PVP dans leur formule…, en un an et demi, la plupart des États ont ajouté a-PVP à la liste toujours plus longue des substances contrôlées…, le 1er juillet 2012, plus de 41 États avaient interdit presque 90 variétés connues de cathinones substituées…
Pourtant, ni les fabricants, ni les commerçants, ni les agents de police ou les autorités, ne se montrent confiants quant à la résolution prochaine du problème, il y a trop d’argent en jeu… et, aussi longtemps que de nouvelles substances actives continueront d’être développées, de nouvelles formes de sels de bain verront le jour, dans la plus parfaite légalité !
L’Étoile de Roanoke est la réponse de la Virginie Occidentale au panneau Hollywood…, érigée en 1949, elle est perchée sur une crête au sud de la ville, avec ses néons de 17.500 watts qui éclairent la région montagneuse…, à Roanoke, trois jours après que les magasins ont retiré de la vente les sels de bain, l’Étoile éclairait le paysage désolé de sa lumière presque virginale, les gens étaient assis sur des perrons délabrés à fumer des cigarettes, boire de la bière, rire et crier des trucs aux passants dans la rue.
Le parking du bureau de tabac de Roanoke avait retrouvé un semblant de normalité : “Ces derniers jours après l’interdiction, les clients repartent énervés et déçus, les flics ont tout confisqué. Après cela, les équipes télé ont fureté dans les parages. Les commerçants, échaudés par les commentaires négatifs à leur encontre, sont nerveux. Je peux vous raconter toute l’histoire pourvu que vous y mettiez le prix, sachez que je l’injectais dans les bras des clients, cette merde les détruisait mais je m’en foutais”.., m’a dit le soudanais à la Dodge Viper rose…
Après avoir cherché à tout prix à me procurer de l’Amped et des sels de bain, sans succès, j’ai échoué au salon de tatouage About Time vers 10 heures du soir…, devant la vitrine, des individus attroupés autour de deux custom-cars, dont la fameuse baleine bleue surnommée “Kashmir”, transpiraient la malveillance.
À l’intérieur, l’atmosphère était gaie, le propriétaire, Randall Hooter Horton, m’a appris qu’il tatouait à Roanoke depuis vingt-sept ans…, quand les occupants de la boutique ont su l’objet de mon enquête, c’était à celui qui me raconterait l’histoire la plus sordide concernant les sels de bain : un compagnon de cellule poussant sa mère dans les escaliers ; un ami de la famille hospitalisé pour avoir sauté de son propre toit ; une fille mordant sa mère jusqu’au sang.
Puis Hooter m’a raconté qu’un jour, il avait vu un de ses amis se shooter dans sa salle de bains : “J’étais là, quoi ? Tu te piques à ce truc ?”…, son ami Rick Dore (le proprio de la Cadillac 1952 “Kashmir”, lui a répondu que c’était légal et l’avait rassuré : “La situation est sous contrôle. Mais certains n’arrivent pas à se faire à l’idée de se shotter avec le contenu de ces sachets semblant sortir d’un dessin animé. Jamais j’aurais pensé qu’on pouvait tomber si bas”…
En peu de temps la discussion a bien heureusement changé de sujet, nous en sommes venu à papoter de la baleine bleue… : “350 chevaux, 350ci, c’est un V8 Chevrolet ZZ4 avec carburateur Holley, et une THM-350, une transmission automatique à trois vitesses, freins hydrauliques aux quatre roues, suspension indépendante à l’avant et suspension pneumatique arrière…, ouaissss mec, c’est mon interprétation moderne du roadster quifaisait le tour des USA avec le Motorama GM. J’ai eu avec ma baleine bleue une collection impressionnante de récompenses, y compris le Bradley Design Award Harley Achievement, le plus beau trophée personnalisé du monde, j’ai aussi remporté le prix d’élégance Custom au GoodGuy ainsi que le prix Westergard Harry. Je suis membre du Daryl Starbird Museum et du Grand National Roadster. Ouaisss, mec ! C’est coll, non ! Dans la presse écrite, ma Cadillac a figuré sur les couvertures de Hot Rod magazine, et de Street Rodder magazine, j’ai même eu droit à une des émissions de Hot Rod TV avec ma bonne vieille “Kashmir”. J’avais toujours voulu faire un concept-car, un exercice de style inédit. Pour accomplir ma vision, j’ai acheté une Cadillac berline-coupé deux portes de 1952, elle était en bel état, ?toute en métal nu. Mon premier travail a consisté à démonter une Chevy Nova pour en récupérer la suspension avant indépendante. Puis je me suis occupé de la Cadillac, le toit a été coupé, le pare-chocs a été lissé. J’peux pas tout dire ce que j’ai fais d’autre, y a trop de boulot, mon gars ! En finale je l’ai peinte en bleu nacré, un bleu éblouissant, que j’ai poncé et poli jusqu’à obtenir un éclat magique. L’histoire de la teinte bleue est intéressante, en 2003, lors de la visite d’un marché en plein air à Venise, en Italie, j’ai repéré un châle bleu électrique vendu par un vendeur marocain. C’était exactement la couleur que je voulais pour ma Cadillac; J’ai acheté le foulard. Sur l’étiquette, il était dindiqué : Cachemire ! C’est le nom que j’ai gardé, c’était très exotique !”…
Le lendemain, alors que je me baladais dans le sud-est de la ville, j’ai rencontré un couple, la quarantaine avancée : Mike Williamson et Debra Sue Hoffman…, ils soupçonnaient les sels de bain d’être à l’origine du comportement bizarre de leur voisin, qui s’était construit une Cadillac Bleue qui racle le sol…
J’ai direct compris que c’était la baleine bleue de Rick Dore qu’ils avaient récemment vu dans son jardin en train de se frapper le torse comme un gorille en hurlant qu’il allait buter quelqu’un…, Debra Sue m’a confié : “La plupart des gens pensaient que c’était une fausse drogue, ils n’auraient jamais cru que ça puisse faire autant de mal. Mon cousin, qui avait pris de l’Amped puis s’est shotté aux sels de bain, a fini par avoir un caillot sanguin dans le cerveau, deux semaines auparavant, il avait pété un plomb après avoir pris du Snowman. Maintenant il est totalement gaga dans une chaise roulante”…
Le couple m’a proposé de me mener “au centre”…, euphémisme utilisé pour qualifier le centre d’accueil des sans-abri du coin : l’Armée du Salut qui jouxte le centre est alors apparue dans mon champ de vision, avec sa croix “Jésus notre sauveur” éclairée au néon.
Quelques petits groupes étaient éparpillés devant le centre…, je me suis présenté à deux types mous qui devaient avoir dans les 25 ans…, le premier m’a dit qu’il avait essayé l’Amped, mais que ce n’était pas aussi terrible que sa réputation le laissait croire et qu’il sniffait maintenant des sels de bain, le second m’a presque sauté au visage, m’a raté, est tombé dans le caniveau ou il a rampé vers une bouche d’égout dans laquelle il a enfoncé la tête en hurlant des choses incompréhensibles…
J’ai ensuite marché jusqu’à une station-service, au bas de la rue, où les crackheads ont l’habitude de traîner, le soleil tapait fort sur les modestes bureaux du centre-ville…, un petit groupe de gens glandait sur un bout de trottoir, j’ai interrogé un type qui ressemblait à une momie enrubannée à propos des sels de bain…, il m’a dit qu’il en prenait et qu’il aimait ça parce que ça pouvait se sniffer, se fumer ou s’injecter.
Son ami, un type tout ratatiné avec les yeux injectés de sang, a surgi pour l’exhorter à ne pas m’adresser la parole…, le type a ignoré les conseils de son pote et s’est mis à s’agiter…, il s’est saisi d’un cutter qui traînait par terre et a appuyé sur le mécanisme afin d’en faire sortir la lame tout en visant ma gorge : “Ah, y’a pas de lame !”… a-t-il grogné avant de le balancer par terre et de s’éloigner.
Hooter (à gauche) et PeeWee en face du salon de tatouage About Time au sud-est de Roanoke.
Puis, j’ai rencontré un jeune type nommé Tweeker qui vit en haut d’une colline, dans le sud-est de la ville…, il m’a assuré qu’il n’avait essayé l’Amped qu’une seule fois…, lui et ses amis n’avaient pas de weed, donc ils avaient acheté un sachet de sels de bain et ont vadrouillé dans le quartier toute la nuit : “C’était beaucoup trop fort pour moi, j’ai cru que j’allais crever, ce truc me mettait sans arrêt en érection et m’obligeait à me branler même en marchant”…
Je lui ai demandé ce qui différenciait l’Amped et les sels de bain des autres drogues dures : “L’Amped, bof, oui, pas mal, mais les sels de bain, là, c’est mieux. Tu croirais jamais qu’un truc qui s’achète en magasin puisse être aussi puissant. Une étude de 2011 a démontré que les niveaux de sérotonine et de dopamine induits par les sels de bain étaient équivalents à ceux produits par l’ecstasy ou la crystal meth. Les deux drogues étaient légales avant de donner naissance à une épidémie d’ampleur nationale. Et alors que les sels de bain paraissent aujourd’hui particulièrement sournois, les preuves tendent à montrer qu’ils sont encore plus nocifs que l’Amped. Comparés à la MDMA et aux méthamphétamines, les sels de bain nécessitent toutefois plus de prises pour maintenir la défonce. Dans le même temps, les cathinones substituées provoquent des rushs d’adrénaline plus puissants et les mécanismes de réponse combat-fuite sont plus rapides et plus forts que pour les autres stimulants et ce qui est le plus fun pour moi, c’est qu’on bande sans arrêt durant des heures”…
Je me suis dit que ces distinctions techniques expliquaient une question, plus générale, sur la consommation de drogue : Pourquoi certaines personnes, de tous âges et de tous horizons, sont-elles si avides d’en prendre ?…
Michael (à gauche) chez lui, à Roanoke, en compagnie de Tweeker….
Le jeune frère de Tweeker avait coincé son hélicoptère télécommandé dans un arbre et Tweeker a grimpé pour le lui rendre, Michael a essayé d’aider en lançant un de ses baskets pour le déloger, mais a vite abandonné pour s’allumer une cigarette…, le soleil se couchait au-dessus des montagnes et le ciel prenait des teintes orangées et roses, tandis que l’Étoile de Roanoke brillait sur la ville.
J’ai demandé à Michael s’il avait une idée de la raison pour laquelle tant de personnes s’étaient jetées sur les sels de bain : “Quand tu vis dans une situation économique comme celle-ci, t’as juste envie de te défoncer avec tout ce qui te tombe sous la main, et de bander à mort, je suppose”, a-t-il soupiré en tirant sur sa clope…, “Avec ça, on est au dessus de la mélée, mec, t’as pigé ?”….
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