Mes aventures en BRISTOL 409 et 411…
Episode #2
Texte et photos : Raf…
La voiture éternelle, possible golem des temps modernes, d’un point de vue bassement temporel, était tout et son contraire…, une telle automobile de luxe il y a 15 ans, se faisait désirer entre 12 et 18 mois malgré la récession qui s’était abattue sur la City, l’usine du petit constructeur tournait alors à plein régime, avec Morgan et McLaren, Bristol représentait le souvenir authentiquement toujours existant d’une Grande-Bretagne qui avait abandonné au fil des ans ses labels automobiles.
Au bout de Kensington High Street, à quelques encablures de Hyde Park, Bristol Cars n’était pourtant qu’un modeste et unique showroom de quatre voitures situé en bas de l’hôtel Hilton, c’était (et c’est toujours miraculeusement) à la fois le siège et l’unique point de vente de Bristol, où l’on pouvait aussi acheter des véhicules d’occasion.
L’usine était déjà fermée depuis “quelque temps” (beaucoup de temps)…, les rêves s’étaient envolés…, étaient devenus cauchemars…, puis le temps à tout effacé.
La firme qui existe toujours, si elle ne construit réellement plus de Bristol en série…, se contente depuis de tenter de vendre ses voitures d’occasion reconditionnées (plus ou moins bien).
J’avais reçu la mission d’acheter une Bristol pour un client italien… et donc, le plus simple m’est apparu d’aller directement chez Bristol qui devraient me faire un “bon prix” heureux de vendre une de leurs occasions…, vous voilà, donc avec moi, dans cette mini-aventure que je publie ici pour GatsbyOnline…
Après diverses péripéties dans Londres, chez Harrod’s et chez McLaren, j’arrive devant les vitrines du show-room Bristol, à Londres au rez de l’Hôtel Hilton…, j’apparais en fantôme dans la vitrine…, bouh, bouh, bououuuuuuuuh, fait-moi peur…, cela diminuera-t-il les prix annoncés ?
C’est déglingué, d’une autre époque, un mélange des genres pour une auto elle-même transsexuelle…, qui donc achète encore une Bristol ?
Pas de couleurs flashy, pas de rouge Ferrari ni d’orange Lamborghini, que des couleurs amères comme celle d’un mouton bouilli !
Le catalogue de la maison, s’épanche en un texte dithyrambique, causant d’investissements à faire chez Bristol… et cette lecture assommante rendue obligatoire pour meubler le temps en attente (interminable) que le préposé daigne s’occuper de moi, en sus de l’ambiance plombée ajoutant un coté morbide et mortifère à mon abattement…, me font demander au présupposé préposé : “Qui peut donc croire une seconde à un quelconque “return” sur la perte de son capital, selon les idioties que renferment le texte ad-hoc de votre catalogue ?”…
Pas de réponse…, c’est ça le flegme britannique !
J’ajoute sans rire : “En fait, combien de Bristol, vraiment, ont été fabriquées ?”…
Pas de réponse…, c’est ça l’humour britannique !
Je me laisse aller avec un tonitruant : “God save the Queen”…
Réponse : “Have a good day, Sir”…, c’est ça la politesse britannique !
Dépité, ne sachant que faire ou penser, je m’évade dans ma tête avec Paris Hilton, ex-propriétaire-héritière de la chaine d’hôtel dont Bristol utilise ici le rez et le sous-sol…
J’ai soudainement comme une envie…
Je supplie : “Ou sont les toilettes ?”…
Le vieillard cacochyme tremblotant à qui je demande le chemin des toilettes me répond : “Je suis le patron de la maison Bristol. J’en ai toujours été le responsable. C’est la première fois que je rencontre un homme comme vous. Il n’y a que les Français qui urinent partout ou ils passent !Je m’appelle Toby Silverton”… et il me donne une coupure de presse photocopiée en couleurs passées (les mêmes teintes que les couleurs mouton bouilli des murs et du sol…, qui doivent être les nuances obligées de chez Bristol… en disant : “Je suis le premier à droite sur la photo, haut/gauche, page 34, avec les lunettes… et pour les “toilettes”… un Gentleman se doit d’être prévoyant”…
Je pleure de bonheur de ne pas me pisser dessus, mais regrette de ne pas avoir pu assouvir mon envie soudaine d’une branlette vite-faite en pensant à Paris Hilton…
Je discute une bonne heure de tout et de rien, et finit par me décider pour une des moins chères Bristol, dont le prix reste quand même prohibitif, d’ailleurs, elle ne se trouve pas dans le show-room, mais dans le garage du sous-sol.
“C’est une Bristol 409, produite de 1965 a 1967, équipée d’un moteur V8 Chrysler de 5200cc et d’une boîte automatique. La maison vous offre 6 mois de garantie”.
Un tourniquet à pipes trône sur son bureau : il lui a sans doute été cédé par le capitaine Mortimer lui-même, probable amateur de Bristol…, au mur, les photos des 24 heures du Mans rappellent les victoires de 1954…, en soixante-cinq ans, la marque n’aura connu que trois patrons : Sir George White, Tony Crook, aujourd’hui octogénaire, et Toby Silverton, un ancien redresseur d’entreprises, qui a durement négocié pendant 11 ans pour acquérir Bristol en 1997.
Toby répond lui-même au téléphone, ne possède pas d’ordinateur sur son bureau, ne dispose pas de secrétaire, en bras de chemise, il ne rechigne pas à passer un coup de balai à terre s’il le faut : “Je ne dépense rien en marketing”, m’explique-t-il : “Une Bristol se recommande de bouche à oreille, de préférence entre natifs du pays, puisque 60% de la production est écoulée au Royaume-Uni”.
Je lui demande : “Combien d’autos par an ?” et il me répond : “En une année, moins d’autos sortent que d’avions des hangars de Boeing. Le seul pays dans lequel on ne vend pas de Bristol neuves sont les Etats-Unis. L’homologation est là-bas trop coûteuse. Et puis les Américains sont définitivement trop fascinés par tout ce qui brille. Exactement le contraire de la Bristol”… tout est dit/exprimé avec l’ironie typique de Toby Silverton.
Les lignes plus que rétro des Bristol n’attirent pas que des seniors, Bono, le chanteur de U2, ou encore Sir Richard Branson, le fondateur de Virgin, sont des inconditionnels de la marque.
Pour savoir ce qu’est un perfect gentleman, on se réfèrera au film “Une éducation” de Lone Sherfig…, l’intrigue se déroule en 1961 et met en scène un dandy trentenaire qui séduit avec sa Bristol 405 une belle étudiante : en Bristol, tous les chemins mènent à Oxford University.
Toby Silverton est intarissable : “Bristol met un point d’honneur à ce que ses autos fassent preuve d’une irréprochable fiabilité…, une électronique discrète ne compliquera jamais la vie d’un conducteur de Bristol et le recours massif à l’aluminium évite la corrosion : Vu la simplicité de sa conception, une Bristol peut être entretenue par n’importe quel mécanicien compétent. Les seuls éléments qui ne soient pas made in England sont les groupes motopropulseurs, des V 8 Chrysler. En 1969 la Bristol 411 était la voiture la plus rapide de l’époque”…
Je paie, serre chaleureusement les mains de Toby Silverton qui pleure de bonheur…, m’installe au volant de l’engin après m’être fait expliquer le fonctionnement général, je mets en route, ça fume…, première, je monte la rampe, je sors du bâtiment, l’échappement racle le trottoir… et GO !
J’ai le temps de voir l’équipe du show-room, c’est à dire le vieux cacochyme, Toby Silverton…, qui me fait des signes “au-revoir” (ou “Adieu” ?), avec un mouchoir…
Je pars pour Dover (Douvres en Français), pour y charger la voiture sur le ferry en direction de Calais, ou un transporteur l’emmènera a Milan-Italie.
Je roule, je roule, je roule… direction Dover (Douvres en Français. Bis), sur les routes et autoroutes anglaises (ou d’autre ? Hein ! Bande de…), le moteur chauffe un peu, beaucoup si je monte dans les tours…, pour le reste c’est comme conduire une vieille Jaguar beaucoup moins chère.
Je pousse sur la pédale d’accélérateur en criant : “Banzaï… A fond la caisse”…, le moteur pousse plus fort avec ses 250 chevaux d’époque (certains sont morts depuis le temps, mais il en reste suffisamment), vitesse plus de 210 km…, au delà c’est l’Au-delà et la mort assurée !
Maman, si tu voyais ton fils !
Maman, j’ai peur…
Je me dis que durant le temps des formalités d’embarquement, la Bristol va refroidir…
Je ne suis qu’à mi-route de Dover (Douvres en Français. Ter), toutes les aiguilles sont au maximum…, j’entends des bruits suspects venant du moteur…
Catastrophe…, elle chauffe de plus en plus, la température de l’eau monte à 120°, ébullition…, nuage de vapeur d’eau bouillante…, je pense qu’en accélérant la vitesse va refroidir le radiateur…, je dois vite déchanter : “O sole mio”…
La garantie de l’usine (6 mois) doit donc couvrir tous les frais, mais il faut ramener la voiture à Londres avec le joint cassé…
Joint de culasse, ou es-tu allé ?
Imaginez le périple, un retour, puis revenir encore…
L’affaire vire au cauchemar…
En plus il y a une fuite d’huile à la boîte automatique, mais “c’est normal” (selon l’usine), pour une voiture anglaise, sauf qu’après 200 km, il n’y a plus de puissance à la transmission, puisqu’il manque de l’huile, en fait il n’y en a plus !
Réexpédition par camion “SOS-Couillons”… et, arrivé (de retour) chez Bristol, Toby Silverton me dit que la garantie en réalité ne couvre rien d’autre que le joint de culasse, pas les démontages, ni la planification des culasses, ni la recherche de la raison que ce f… joint de culasse a lâché…, palabres, discussions, cris, menaces…, tout y passe…
Finalement l’abomination automobile part je ne sais ou pour réparation, je crains que ce soit basique…, démontage moteur et boîte, révision complète, pfffffff !… que des promesses, ils vont tout simplement ajouter des litres d’antifuites…, jeter le thermostat à la poubelle et souder l’hélice du ventilo de manière qu’elle tourne à fond sans cesse… et voilà que 8 jours plus tard tout semblera fonctionner, l’argent que j’ai du dépenser et le temps passé à réparer, je ne le récupèrerai plus, la perte financière sera abyssale…, un cauchemar !
Je téléphone à Patrice De Bruyne pour lui dire qu’il a raison sur toute la ligne dans ses chroniques, ces voitures exotiques sont des merdes…, mais tant pis, je roule en Bristol…, je l’imagine écroulé de rire à m’écouter !
Étant mécanicien (si, si… et bon en plus), je décide de tout refaire moi-même chez moi en Suisse…, mais ça va me couter un pont en transports…
La belle affaire que sera le cout final de cette non-affaire, car mon client ne m’achètera jamais cette Bristol, son prix de revient sera équivalent à l’achat d’une Mercedes SLR récente… !
Pas besoin de l’entretenir…, si elle chauffe, c’est pas votre porte-feuille qui fond… et c’est jouissance quand même !
A Londres à l’Hilton, j’ai pu au moins me branler relax et gratuitement pour le même plaisir que rouler en Bristol… en rêvant à Paris Hilton…
Comme me l’a écrit le sage des sévices textuels de ce site extraordinaire qu’est GatsbyOnline : “Une bonne pignole, et c’est tout”…
Rien ne vaut une bonne pipe au coin du feu…, chacun ses goûts et besoins…, bien plus !
J’ai toutefois la surprise d’entendre mon téléphone sonner c’est Toby Silverton… : “Monsieur Raf, je suis confus, réparer la Bristol 409 va durer quelques semaines, je vous propose donc de vous fornir une merveilleuse 411 avec laquelle vous ne vivrez que du bonheur“…
Retour au show-room ou m’attend effectivement une Splendide Bristol 411…, l’intérieur est en cuir crème avec passepoil bleu foncé, le tableau de bord plaqué a été reverni, les gros interrupteurs à bascule actionnant les accessoires électriques sont répartis sur le tableau de bord, chacun étiqueté avec des mots plutôt que des symboles, tandis que les cadrans à face blanche sont tous regroupés devant le conducteur.
Il y a deux écoles de pensée sur la façon de démarrer les Chrysler V8, soit mettre le pied a fond de plancher et tourner la clé…, soit appuyer simplement sur la touche…, ouaissss, il faut quelques barattes du démarreur avant que le gros Chrysler V8 n’éclate de vie… et moi de rire !…
Auparavant, les Bristol avaient des transmissions automatiques Torqueflite actionnées par des boutons-poussoirs, mais à partir des années 70, il y avait un levier entre les sièges…, je positionne sur Drive et on file doucement, la direction assistée est magnifiquement pondérée… et le bruit reste discret mais avec assez de présence pour faire tourner les têtes.
Il est facile de se sentir à l’aise dans le grand fauteuil en cuir réglable manuellement, et la position de conduite directe est aussi bonne que possible, la visibilité dans toutes les directions est excellente, les ailes avant incurvées encadrent le long capot qui s’étend vers l’avant, ce qui permet de juger facilement de la largeur de la 411.
Sur la route, c’est la direction qui est une des caractéristiques les plus impressionnantes de la Bristol 411, même lorsque les gros pneus Avon de la 411 grimpent sur les imperfections de la surface de la route ou éclaboussent les flaques d’eau stagnante qui se sont accumulées lorsque les cieux se sont ouverts…, avec un bon équilibre la 411 a moins de masse à déplacer que ses concurrentes comme l’Interceptor de Jensen, l’Aston Martin V8 et la Rolls-Royce Corniche…, la performance, cependant, est vive plutôt que belliqueuse.
La consommation de carburant est toutefois un des inconvénients de la Bristol 411, plus de 50L aux 100, ça fait cher…, mais elle procure beaucoup de compensations.
C’est le genre de voiture qu’on peut conduire en douceur quand on n’est pas pressé…, il est toutefois difficile de voir comment tout le reste pourrait combiner un tel bon goût, le luxe, l’ingénierie et la facilité de conduite, c’est presque merveilleusement décadent.
Voilà, je coupe ici parce que le moteur de “l’extraordinaire” Bristol 411 a rendu l’âme juste après avoir franchi la frontière Franco-Suisse… et ce en laissant au sol toute son huile, ce qui, en Suisse, est très mal vu et supporté par les Suisses ET les autorités Suisses…, j’attend un camion de dépannage pour amener cette abomination bis dans mon atelier…, vous comprendrez que je n’en écrirai plus jamais rien !
Raf reporter Suisse de www.GatsbyOnline.com