Mon voisin en Voisin…
Tea-Party-Chic !
“Arrivage” sur le parking à 15h18, invitation, verre de rigueur…, déjà pas mal de soiffards des monts et des veaux de navarin et de France se bousculent autour des stars de standing, des tris exigeants ont été nécessaires pour “faire bon”.
Pour commencer, un vin fin friand et exceptionnel de la Cuvée Fructus Voluptas 2008 de chez Jamet, voluptueux et gourmand qui se boit comme on voit une ancienne et rare automobile des années folles, avec délectation…, mais je ne dirais pas qu’il vaut mieux avatar que Jamet.
Pas très loin, un verre de Condrieu “Verchery” 2006, frais, très aromatique, classique, qui me séduit par sa concentration et son élégance, un coup de cœur avec le sourire et la bonne humeur.
Pendant que les Vulgus Pecus prenent d’assaut le “green” ou sont exposées quelques Totomobiles hors de prix, j’ai le temps de papoter tranquille…, une approche très nature, un discours posé, simple, facile, très sérieux, tout en dégustant un verre du “Coteau de Tupin” 2007, tout en largeur et en force brute, avec une qualité de texture remarquable.
Je dois ensuite fendre la foule qui entoure une Carrosserie Gangloff : je reçois un verre de Condrieu 2008, subtil et superbe, encore marqué par l’élevage… mais qui promet beaucoup…, tout ça, pressé sur le zinc en bois de zinc et pressé de partir plus avant.
Passage par le stand d’Artcurial, avec un verre de St Joseph en prime, beau mais très dense, un peu tôt pour apprécier…
Matthieu Lamoure me dit qu’il y a deux notions à expliquer à ceux qui sont perturbés par le fait que les autos atteignent le prix des tableaux… et Hervé Poulain lui coupe le sifflet en me disant que son premier livre s’appelait “L’art et l’automobile”…, que Bernard Pivot l’avait invité dans son émission avec Salvador Dali qui délirait sur la gare de Perpignan :
– “Et moi qui expliquait qu’une automobile pouvait être plus belle qu’un Renoir. Une auto étant un objet usuel qu’on s’approprie, beaucoup de gens ne la ressentent pas comme la possibilité d’être une œuvre d’art. Il faut donc rappeler pourquoi c’en est une”…
– Oui, sûrement, sans doute, quoique…
– “Dans le même objet s’expriment l’esthétisme dans la carrosserie et les aménagements intérieurs, et la beauté de la mécanique… Or, cette œuvre-là, dessinée parfois par le vent, est vivante, bouge, elle est la marque du siècle, de la vitesse, incarne le déplacement, la liberté, et en plus, elle est habitée. Il n’y a pas d’autre œuvre d’art qui puisse vous apporter tout cela. Il n’est donc pas étonnant qu’aujourd’hui, les automobiles soient préservées dans une multitude de musées et présentées comme des œuvres d’art, avec la même sophistication dans la scénographie. Une phrase de Pierre Gascar, prix Goncourt, qui m’avait préfacé un livre, résume bien cette dimension : “Tous les progrès de la civilisation ne sont qu’utilisés, l’automobile, elle, est vécue”. Elle donne la dimension de mythe à cet objet dispersé lors de ventes aux enchères. Ces œuvres d’art apportent des sensations… il y a même l’odeur ! Un tableau ne sent rien, une commode Louis XVI non plus. Or avec le bruit, tous les sens sont sollicités dans une automobile. Voilà pourquoi elle a acquis ce rang d’œuvre d’art. Et les plus réussies, les plus rares, celles qui ont une histoire, atteignent les prix des plus beaux Picasso”…
– Dans le même objet s’expriment l’esthétisme dans la carrosserie et les aménagements intérieurs, et la beauté de la mécanique… Vous n’êtes pas sérieux, là…
– “La cote des autos de collection varie en fonction de cycles, selon deux paramètres. Le premier est que la notion de progrès n’a aucun sens en art. Elle en a en automobile. Deuxièmement, ces générations qui en ont rêvé dans leur enfance en convoitent une à l’âge adulte et peuvent enfin se l’offrir. Mais pour ces acheteurs qui arrivent sur le marché, une de Dion-Bouton n’a pas d’intérêt : ils ne vont pas passer deux jours à la mettre en route avant de faire du treize à l’heure. En revanche, bien souvent, les collectionneurs remontent le temps”…
Quel alchimiste : Hervé Poulain, ce commissaire-priseur passionné d’automobiles, a fait de l’or avec des dizaines de vieux millionnaires cacochymes rabougris… en leur vendant divers prestigieux modèles corrodés par la rouille…
– “D’époque, la rouille”…
– Ca aide à “faire vieux”, ça fait moins “restauré”, un parfum d’authentique…
– “Comme les vieux vins, dans une vieille bouteille c’est plus authentique donc meilleur que dans une carafe”…
J’ai soudain envie de changer d’air, de quitter ce “Concours d’Elégance” chic et cher…, j’effectue ce qui reste à grandes foulées, il me faudrait pouvoir prendre le temps de faire “les choses” plus calmement…, une prochaine fois, surement, même si je ne regrette pas mon petit parcours sélectif.
Le diable a envie de retourner dans sa tanière…, plein comme un polonais, je termine ma visite par un passage à vide ou je fais mes comptes et me dis qu’il y a quatre sortes de gens au monde : ceux qui n’ont rien à compter…, ceux qui savent compter…, ceux qui ne savent pas compter… et ceux qui n’ont plus besoin de compter….
La coupe est pleine et mon ventre vide, il est grand temps de hisser la grand voile, d’affaler mon spi, d’abaisser mon tangon…, dois-je loffer à bâbord ou prendre le mur sans hooker mon spinnaker et tourner le dos à mon foc ?
– “Surtout pas, malheureux, ton gonfalon s’en trouverait tout chamarré. Astique ta trinquette, remonte plutôt ta génoise et garde l’écoute…, file ton bout à la dernière plie venue et ne cède pas à la sirène du pompier, y a de la houle”... que me dit Matthieu Lamoure !
– Qu’est-ce donc que cette bizarrerie que vous semblez garder ?
– “En 1918, Voisin se détourne de l’aviation et se lance dans la construction d’automobiles de luxe, domaine qui lui paraissait constituer un marché plus prometteur. En juin 1919, il présente son premier modèle : la C-1 ; il sera construit à près de cent exemplaires jusqu’en 1920. Après quelques tentatives dans les voiturettes et les motocyclettes, il se consacre à des modèles très étudiés : d’abord la C-1 à quatre cylindres puis la C-2 à douze cylindres en V. Vinrent rapidement la C-4 d’entrée de gamme et les C-S à tendance sportive. Il produisit près de mille voitures par an et remplace son modèle à succès, la C-4, par la C-7 à partir de 1925. Un an plus tard, il livre ses voitures entièrement carrossées, contrairement aux usages de l’époque où les constructeurs fournissaient des châssis nus aux carrossiers. De 1920 à 1930, la marque Voisin fournira les voitures présidentielles de Paul Deschanel, d’Alexandre Millerand puis de Gaston Doumergue”.
– Aahhhh !
– “Son inventivité, son tempérament exigeant, et son intransigeance conduisent rapidement Gabriel Voisin à produire essentiellement des véhicules hauts de gamme : C-12, C-16, C-18, C-20, C-22 et C-24. L’incendie de son usine, mal assurée, puis la crise économique de 1929 entraînant la morosité du marché automobile dans les années 1930 l’obligent à laisser le contrôle de ses usines à des financiers. Toutefois, l’histoire se termina en apothéose, avec la présentation de la C25 Aérodyne au Salon de Paris de 1934 puis, en 1935, avec l’Aérosport C-28. Le très aérodynamique coupé est motorisé par un moteur 6 cylindres en ligne de 3 315 cc de cylindrée implanté longitudinalement à l’avant. Alimenté par deux carburateurs Zenith il développe une puissance maxi de 102 cv à 3800 t/mn. La carrosserie est en aluminium ce qui conduit à un poids très réduit de 1250 kg. La vitesse maxi est de 150 km/h”.
– Vous êtes un temple de savoir…
– “La production de la C28 commence au début de 1936 avec deux types de châssis d’empattements différents : 3 000 ou 3280 mm. Le haut de gamme C28 l’Aérosport est vendue 92 000 francs, à comparer au prix de 70 000 francs pour la Bugatti Type 57 équivalente. Prix élevé, puissance insuffisante, la production de la C28 va rester très confidentielle. Soixante exemplaires sortiront des usines Voisin dont seulement trois ou quatre « aérosport »… La sortie de la C30 en 1937, voiture plus petite, plus conventionnelle mais qui arrive trop tard, ne suffira pas à sauver Voisin…. Voilà, Patrice, vous savez tout”…
– Je connais la fin, Matthieu…
– “Je n’en doute nullement”…
– Acculé à la faillite, Gabriel Voisin a conservé un bureau d’études boulevard Exelmans, à Paris. Il continue de travailler et présente le Biscooter au salon du Cycle et de la Moto à Paris en 1950. Il s’agit d’un véhicule ultra-léger qui répond aux exigences difficiles de l’après-guerre et offre l’avantage de se conduire sans permis. Mais la SNECMA qui avait repris, après-guerre, les activités de la société anonyme des Aéroplanes Voisin, la raison sociale de l’entreprise, n’ayant jamais été modifiée depuis sa création en 1905, n’est pas intéressée par ce projet. Gabriel Voisin parvient néanmoins à vendre une licence à la société espagnole Barcelone Autonacional qui commercialise une version adaptée aux conditions industrielles et économiques ibériques de ce Biscooter. C’est désormais un moteur de Villiers qui remplace le Gnome-et-Rhône initial alors que l’emploi d’aluminium a été revu à la baisse et que la caisse a été restylée.
– “Moins typé que le prototype français, le Biscuter espagnol sera construit à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires et certains rouleront encore dans les années 80, bien que leur production ait cessé en 1960. Année pendant laquelle Gabriel Voisin se retire dans la région de Tournus où il décède le jour de Noël, le 25 décembre 1973, dans l’anonymat le plus total”….
– La France avait oublié depuis déjà longtemps ce constructeur avant-gardiste et provoquant qui n’hésitait pas à affirmer que « le meilleur moteur pour une automobile est, incontestablement, le moteur à vapeur » !
La vie, surtout celle des “fondus” d’automobiles de luxe “à collectionner”…, c’est du vide, du cul… et du consumérisme…, mille façons de rater sa vie, le présent étant comme un mauvais souvenir…, le passé un sombre pressentiment…, l’avenir n’étant qu’un rêve cauchemardé…, le genre qui défoule quand on est de mauvaise humeur, ce qui arrive assez souvent !
Gratter la vie débilitante des gens, passe-temps intéressant, vous êtes toutefois régulièrement “électrochoqués” au fil de mes lignes en phrases…, pour finir sans doute inconscients à lire ces affaires de miséreux, méconnus, lamentables…, dans la vie, tout le monde meurt à la fin, pas d’antidote, c’est inéluctable…