Le froid du conspirateur très loin en fond de rétine, un rictus mièvre et presque baveur en coin, la star fait son entrée entourée de quelques amies… et je les accueille.
C’est moi qu’elle vient visiter, en quelque sorte pour affaires, un rendez-vous professionnel comme on dit, sauf que jamais cette star, n’a jusque là, versé dans la comédie ni dans les arts.
Mais pour elle tout va, elle en a vu d’autres et c’est “cul qui s’amène voir chemise”, prendre la température, depuis le temps qu’il pleut, depuis le temps qu’il fait beau, tout et n’importe quoi… quand même on se connaît pas et que, vérité, je n’ai jamais croisé sa pomme ni sur les planches ni à l’écran ni dans le poste…
Ça se raconte, les comédiens sont des artistes et les stars des comédiens qui subliment l’art et font au passage un sacré raffut auprès d’une audience demandeuse ainsi que le bonheur irréfutable de quelques paires de banquiers.
Pourtant il paraît, on m’a soufflé que… c’est bien une star que j’attends et qui se pointe fichtrement en retard et sur un trente-et-un des plus discutables.
On dit aussi qu’une star qui se permet tout un tas de caprices, d’impolitesses et de mufleries est en fait proie à l’excentricité, cinglante qualité ne touchant que la crème de l’humanité.
De fait, c’est pour le moins excentrique que la star m’est apparue, deux heures après l’heure dont nous avions convenu et accoutrée très court pour la trentaine approximative affichée par son curriculum vitae.
Elle n’est pas encore en fin de vol, quoi qu’avec de très beaux restes… et si elle n’était Babe blonde tendance rousse-rouge… et pétasse…, si c’était pas du vrai, elle pourrait finir derrière un guichet.
Visiblement, elle ne veut pas y croire, même de très loin et ce sera assez dommage parce qu’un décolleté transparent, ça donne envie de se prendre pour la tour de Pise.
Mais c’est pour affaires qu’elle vient et je n’œuvre pas au sein d’une clinique spécialisée.
-On s’embrasse ?
Sans doute pour elle une manière toute personnelle d’entrer en matière, du tout bout des lèvres, les siennes, transpirant une fausse et insupportable bonne humeur de toutes circonstances tant pis pour moi…
Elle est entrée, presque suffoquée par une série de petits rires que je n’ai pu m’empêcher, en dedans, d’associer à une perte de gaz répétitive et involontaire.
Les toilettes, d’ailleurs unisexe, jouxtent mon bureau et les parois qui les en séparent sont fines.
Tombée de cape, chapeau bas, direction les toilettes pour dames, histoire de se refaire ; -Spermettez Cher Monsieur, qu’on se poudre à l’aise avant de revenir vous voir et causer…
Concert de besoins pressants, impitoyable rappel à l’ordre des choses de la nature, star ou pas, la nature laisse peu de place à la retenue et, ironie du sort, l’excentricité se porte jusque dedans les water closed.
Sur le coup, pas très sûr de ma surdité, j’ai l’irrésistible envie d’aller mettre en marche la radio, parce qu’après tout, une babe de cet acabit ça se soigne autant que la note d’honoraires qui l’accompagne virtuellement.
Mais le temps de me lever pour agir, la star est déjà sortie toute pimpante et se tient dans l’encadrement, le poignet cassé contre sa hanche en posture d’attente et à peu près coiffée, ce qui suppose qu’elle a doublement opéré dans un même temps.
-Cher Monsieur, vous êtes des plus aimables, un chou !
-Bon, on va pouvoir commencer, non ?
Mon gentil sourire commercial a d’un coup du plomb dans l’aile en face de ses seins offerts à l’envie… dilemme dont on a pas traité, cruel constat où les faiblesses personnelles doivent rester au vestiaire et l’efficacité, peau neuve professionnelle, rentrer sur scène…
Je rame avant même d’avoir ouvert le débat, l’œil atrocement aiguillé vers le pigeonnier, contraint par son affriolant apparat à considérer la dame siégeant en mon bureau comme s’il s’agissait d’un trophée possible… c’est mieux fripé qu’une taie d’oreiller de chez moi, mais ça tient tête !
L’envie rougit en mon âme et j’érectionne, mais la star ne cille pas pour un sou et croise et décroise les cuisses et tortille sans honte collier et croupion, apparemment peu décidée à sagement tenir la pose requise par une sérieuse conversation.
Au lieu de songer pâtisseries et bonbons, ça s’obstine fermement et sans rire à vouloir tâter du sunlight, impressionner du film, pixelliser les DVD, croire en la possibilité de faire la une en posant à poil sur un divan ou en révélant qu’on couche pour parvenir et qu’on est surtout pas en fin de carrière…
Seulement voilà, qui veut ses coordonnées n’a plus besoin de se palucher sur l’idée seule et n’a qu’à demander aux renseignements téléphoniques : la liste rouge, c’était Byzance.
Une mouche passe plutôt qu’un ange.
Elle me donne un dossier, rose bonbon.
Je l’ouvre, oh ! surprise, des dizaines de photos guimauves d’elle en toutes poses…
-Joli…
Elle rit.
Dire qu’il faut causer affaires, que même si c’est pour m’acheter une voiture, il faut donc passer par un passage en revue, coup d’œil en arrière, supposé révéler un bilan de compétences ou quelque chose de la sorte.
Elle est l’épouse de feu Machin trépassé depuis dix ans et qui était Directeur d’un fameux Théâtre pour glands érectiles.
Faire comprendre à la star que je n’en ai rien à branler… avec tact, courtoisie, sans erreur de jugement, avec une patience de fer et un putain de sourire bien calé en coin.
Pas de relation, causale s’entend.
Immaculée, elle avait dit-on débarqué en ville plus pure qu’une oie blanche et désirant si bien faire la comédie qu’elle s’est éprise justement d’un bonhomme habillé en amiral d’escadre… en temps et en heure, pile poil pour user les meilleures planches du moment…. rouge velours et or, pas du toc !
Les méchantes langues s’arrêteront sur les fringues affriolantes, les dîners palpitants, les caisses mirobolantes dans lesquelles elle circule flûte en main et bulles au crâne, l’astronomie des moyens qui passent son train d’existence, ses verres fumés à la teinte admirable, sa légendaire insouciance à l’affiche des plus grands festivals…
Les bons, eux, s’entendront malgré eux dire, à regret, comment la donzelle était peu douée pour dire des vers, comment son seul talent pour la tragédie s’illustrait en fins de cocktails plutôt dessous les nappes et que l’unique protagoniste dramatique de l’histoire, s’il en est, était son époux qui, de vingt ans son aîné, fermait les yeux à tous bouts de champs…
Un jour, le vieux passa l’arme à gauche, laissant sa mignonne avec tout plein de millions en poche au milieu d’une immense demeure et d’un désert presque aussi vaste sur un plan professionnel : les amis qui s’étaient d’abord escrimés à lui coudre des rôles sur mesure s’étaient très vite convaincus qu’un profond décolleté suffisait à merveille et que plantée dans un coin de pièce ou un angle de bobine, la star en question remplissait amplement ses fonctions.
Bref, elle avait une façon finalement très commune de brûler les planches et, à en croire certains, gâcha brillamment les quelques beaux rôles obtenus grâce à la vénérable réputation de son mari et aux amitiés qu’il entretenait dans le show-business.
Puis, grisaille est arrivée succédant à la gloire pour le moins relative et pas si éloignée de ce jour : les fans de province les samedis soir, les salles des fêtes en grande pompe munies de quatre planches et trois spots pour faire recette dans les patelins.
Parfois, c’était fanfare et majorettes, tantôt Monsieur le Maire et le Conseil Municipal au grand complet et en rang d’oignons pour se faire mettre en bouche avant le lever de rideau.
On déroule encore un peu le mauvais film et elle se retrouve… là, dans le bureau, à me faire des ronds de jambes de vamp’, à tenter sérieusement d’expliquer que la ménopause est encore loin devant et que le moindre de ses sourires devrait me faire signer pour une sacrée partie couchée dans le plus proche hôtel que son statut de star exige…
Hé ! lalala !… Mauvais côté de la pente avec Molière et la clique qui attendent tout en bas de la descente, un public plutôt marbre et sapin, sûr qu’on t’enverra des fleurs !
Champagne et mal-de-tête en sus…
Bon ben, à la limite sur le bureau ou dans les toilettes, elle est pas si regardante non plus… on peut s’arranger au doigt et à l’œil, il suffit d’y mettre beaucoup d’envie et de jolies formes…
-Oui ?
-Oui, sauf que là, chère jeune dame, on est dans les affaires et qu’en matière de désir, j’ai plutôt envie de m’en tenir à la vente d’une de mes voitures et du chèque qui en découle !
Elle aguiche, mais franchement pas terrible et même en fin de saison, je ne m’y risquerais pas quand même les honoraires seraient ajustés en proportion.
Ses amies, elles… tortillent du popotin…
La star a mine grise en dépit des tartines fond de teintées qui lui beurrent les joues basses.
Une minute vient de s’écouler depuis qu’elle s’est assise en face de moi.
Soixante secondes et des poussières et une charrette de pleines pauses suppliantes, d’œillades voulues préliminaires, d’accents bourrés jusqu’à la gueule des plus honteuses suggestions.
Moulé dans mon fauteuil, je décide à ce stade de lui passer la galanterie j’observe et calcule, chiffrant les secondes écoulées en monnaie unique, écartant par une attitude claire toute tentative de sa part visant à régler la consultation autrement qu’en sonnant trébuchant.
La racine de sa tignasse qu’elle conserve risiblement blonde fait que je ne vois plus la teinture.
La poitrine incroyablement mise en vitrine et sans doute plusieurs fois refaite me fait une moue molle, l’habit semble mité d’avoir trop fréquenté le placard.
Elle rit, ne peut pas faire sans.
La star, la tête d’affiche, mais en bas à gauche, entre parenthèses, en caractères maigres et quatrième rôle voire figuration.
Sur le carreau, gesticulant encore de l’hymen comme un triste ver de terre, cacahuète, une olive, un gâteau, biscuit doré paré fin pour l’apéro.
De quoi se gausser, se rincer avec, de quoi croustiller en direct, flamber live, fondre.
De gré, de force, sans fléchir, il faut faire goûter ce qui doit l’être, assurer mon rôle de grand cœur, assumer la posture droite cependant suffisamment sinuante, cambrée ô cambrée de ses vertèbres éduquées à la règle, à la droiture de mise en société qui se réclame haute.
On est gluants de politesse et d’égards, en plein, vrai plein, de charité ordonnée!
De la haute ! ça assume, ça vague à l’âme de-ci, ça papote mièvre de-là, blanc gencive à droite, rougeur à gauche, de la coupelle au cure-dent, de la gélatine foireuse.
-Faute à qui ?
-Faute ?
-De qui, de quoi ?
-Quoi que vous voulez m’acheter ?
–Un Prowler, j’ai vu sur votre site www.GatsbyOnline.com que vous en aviez…
-J’en ai trois, un rouge, un bleu et un prune…, chacun : 59.990 euros…
-Le prune, je veux…Pour 5.000 de moins je suce !
On ne sait plus qui a lancé le sujet…
Et ça dérive et ça cause sans décanter, sans mouiller de l’œil, sans frémir, sans peur ni reproche : tout, physique quantique, biologie, bioéthique, génétique, ADN, insémination mais artificielle, ethno même et Téléthon en final, parce qu’il ne faut pas crever niais.
Le bonheur : le hasard qui n’existe pas, comme on se retrouve, à donner de ci de là son humble avis sur la grande question du jour, le combien du pourquoi et le comment du paiement !
Chacun frétille enfauteuillé, encanapé, encoussiné, à moitié déjà paf, j’ai le froc trempé d’excitation pour le sujet qui passe, dame, 59.990 euros c’est pas rien, c’est mieux, tout à la fois et bien au-delà.
Avec la science et la matière, on soutient ce qui même ne peut l’être.
Ce n’est pas loin d’être une heure décente pour mettre le couvert et pourtant, on tarde.
Tout le jour, on s’est farci les causeries vaines ; là il est pile temps de faire amende honorable avec son haut soi-même, alors, vive le débat d’envergure : se mettre à l’aise pour nager mieux entre les seins…. qui s’abreuve sans ciller un tantinet au-delà des doses reconnues raisonnables, qui évoque, un fagot de soucis intimes.
Atmosphère d’excessive convivialité, de puante connivence qui cependant ne s’achèvera pas en partie carrée… et pourtant, tromperie des apparences, mais on s’égare, on se perd dans la toile, la couche de fond !
Et glou et tchin et glaçon… juste un doigt alors…
Le génome humain, quelques séquences plus tard, révèle de curieuses formes ; les chromosomes, qui se trouvent naturellement par paires, entrent en douce ébullition.
Mon bureau, théâtre primordial où se dessinent de hautes idées, tremble sous le feu diluvien des échanges…
On trinque sec tant que faire se peut, pour rire.
-On trinque ?
La star, saillante et dangereuse comme un fil juste aiguisé, opte pour l’embrouille par le flanc ; tout y passe : la jupe d’une de ses amies ; bien sûr avec son merveilleux corset, puis son absence de rides, rire, incroyable jeunesse sans doute sans soins spécifiques, et sitôt ; la star qui embraye, efficace et terrible, sur du plus profond, du plus sérieux…
L’autre amie qui ne voit rien venir, l’œil déjà dans le nombril sans la moindre gêne : la star jubile.
Du plus sérieux, on a dit, du plus mûr et raffiné dans le compliment, sa vivacité d’esprit d’analyse est exceptionnelle, et du coup, se trouve si rouge qu’elle passe au vert et ne comprend pas nettement le sens de ce qu’on vient de lui attribuer.
On s’échange l’air de rien.
Et la star, en ses entrailles toutes, dans le même temps qu’elle se fait en douceur ses deux amies, pivoine : branchante certes, fort branchée mais au fond seule.
Profitant de l’entourloupe lancée par cette volage, ma bio et toutes les sciences vont et viennent, mais vont plutôt en allusions superficielles qui rebondissent maladroites contre les murs, ne trouvant pour chaque sujet lancé ni réplique ni contradiction dans la savante assemblée.
Comme on se connaît, même si visiblement pas assez et d’une manière appelant haut et fort à de nouvelles donnes, pas besoin de savoir ce qu’on fait à longueur de journées, sur quel navire on rame, ce qui reste, c’est l’échange, la communication inter-activant les tristes binômes et les rendant moites à l’idée seule du simple changement.
Ambiance !
Déjà tard et on a pas dîné, qui voudrait risquer, dans une maladroite et subite promiscuité, de gâcher une amitié lentement naissante ?
Cacahuète et génome, y’a plus ! encore trois olives et une larme, tchin, les corps, on en fait don à la science !
La star, vautrée en châtelaine ; la pupille fade paumée, sans culotte, la cervelle pleine de mille et une secousses, le fessier légèrement incisé par une boucle de ceinture Dior.
Sans sourire, elle en tremble encore et réprime formellement un irrésistible appel à s’en retourner poudrer le nez.
Elle a fait mine de repartir, elle devait y réfléchir, elle pensait m’allumer en doigtant ses amies et elles d’elle en retour…, spectacle en acompte d’avance…, acompte perdu !
-59.990 euros… Pas de remise, j’ai vu, bandé, pas joui…
Une de ses amies m’a traité de goujat, chez SuperautoMéga à Cannes, elle m’a dit s’est faite offrir une Cadillac pour moins que sa prestation chez moi…, chez FullChopper à Toulouse, elle a reçu une Harley V-Rod pour une fellation…, chez AmericanHotRod, une Mercury Top-Chop pour une baiserie avec ses copines…, un clébard baveur dans un chenil pour un baiser mouillé… et, chez MovieHouse, un lot de DVD pour un fisting…
Je lui ai offert un porte clé…, elle m’a proposé un strip-poker…
C’est depuis lors que j’ai une Cadillac, une harley V-Rod, une Mercury Top-Chop, un clébard baveur et un lot de DVD…, la garce ne m’a pas laissé son string, ses bas et son soutif… j’ai gardé le Prowler !
Les affaires sont dures, et c’est plus qu’un double sens…