L’histoire de la pin-up est intimement liée aux événements du XXième siècle.
Cette image, en raison de son omniprésence, de sa popularité et de sa capacité d’adaptation, représente un chapitre riche et significatif de la culture et de la société occidentale durant cette période.
Tout d’abord, l’image elle-même de la pin-up est à mettre en parallèle avec l’histoire de l’art du XXième siècle, notamment l’art de l’illustration.
Cette représentation féminine se transfigure au fur et à mesure de l’évolution technique des outils et des méthodes artistiques.
Son graphisme se modifie avec l’apparition de nouvelles technologies qui lui permettent un réalisme de plus en plus grand.
Mais l’histoire de la pin-up ne peut pas être circonscrite à l’évolution chronologique d’une figure féminine érotique. En effet, par son utilisation, par les différents rôles qu’on lui a attribués, la pin-up devient révélatrice de l’histoire du XXième siècle.
Son histoire participe fondamentalement à l’histoire de l’utilisation du corps féminin idéalisé.
La pin-up est à la fois une représentation de celui-ci…, mais elle met aussi en valeur son emploi en tant que support.
Ces deux caractéristiques sont fortement imbriquées et constituent un des traits majeurs de son évolution.
En tant que représentation érotique, la pin-up est destinée tout d’abord aux hommes et à leurs plaisirs.
La pin-up est une effigie sexuelle, un sex-symbol.
Celui-ci consiste à être par lui-même le tout exhaustif d’un genre sexué supposé exciter l’ensemble des individus de l’autre genre.
Elle est une créature de rêve, pulpeuse, émoustillante et sensuelle.
Elle est une image érotique qui doit susciter un intérêt sexuel chez le voyeur.
L’érotisme est indissociable de toute l’imagerie de la pin-up.
Le terme “érotique” sert à désigner une représentation implicite de la sexualité alors qu’à l’inverse le terme “pornographique” désigne une représentation explicite de l’acte sexuel.
L’érotisme de la pin-up est très particulier : c’est l’érotisme de la “fille d’à côté”.
Elle est à la fois inaccessible, donc support de fantasmes, populaire (sans distinction de classe), universelle (par ses codes esthétiques), idéale (par sa plastique) mais aussi une beauté, somme toute “courante”.
En tant que support de fantasmes, cette image offre la possibilité par l’analyse de ses thématiques, de ses mises en scène, de ses attributs ou de ses codes graphiques, de voir comment ceux-ci se mettent en place, se transforment ou perdurent.
Une certaine constance qui transparaît au travers de toutes les transformations de la pin-up, sert de fil conducteur, permettant de suivre le cours de son évolution.
Ainsi, la transmutation de la pin-up innocente et effarouchée en pin-up provocatrice et exhibitionniste est à mettre en corrélation, avec l’évolution des mœurs au cours du XXième siècle et plus particulièrement avec le statut de la sexualité.
Cette figure féminine et sa progression sont donc le reflet des mutations de cette période historique.
Elle est un signe sensible et mesurable, en tant que représentation érotique, de ce qui est montrable et acceptable par une société.
Dans ce cadre, la pin-up tient une position légèrement décalée dont l’ambiguïté en fait sa nature même, expliquant sa séduction si particulière : être à la fois irrévérencieuse mais complètement intégrée aux normes sociales et morales de son époque.
Elle est une sorte de “traceur” du statut donné à la sexualité au sein d’une société.
Par son graphisme, ses attitudes, sa mise en scène, la pin-up s’inscrit à l’intérieur d’un code précis de la représentation du corps féminin érotique dans lequel il faut remarquer la prégnance d’un regard masculin, occidental et hétérosexuel.
Elle participe donc à la construction d’un imaginaire et constitue un discours sur la sexualité comme n’importe quelle image de l’art érotique.
Cette image offre alors la possibilité de nous renseigner, certes sur la construction de la sexualité masculine, la presse masculine étant son principal support ; mais aussi sur la sexualité féminine ainsi que sur la façon dont cette dernière est perçue par l’ensemble du corps social.
La pin-up met aussi en évidence le processus de sexualisation du corps féminin.
Cependant l’efficacité érotique du corps féminin fait que la pin-up est aussi support de messages utilitaires et symboliques.
Dans son iconographie rien n’est gratuit, chaque détail, couleur, accessoire et attitude sont autant de signes révélateurs de l’utilisation stratégique de cette figure.
Les temps de guerre en sont des moments charnières et mettent en évidence une des utilisations principales de ces images.
Non seulement, les pin-up renforcent le patriotisme des individus mais permettent aussi le maintien et le contrôle d’une sexualité normative.
L’autre emploi des pin-up, tout aussi stratégique, doit être mis en rapport avec l’économie capitaliste et consumériste.
Ces figures ont alors une destinée commerciale.
Parallèlement à cela, elles symbolisent un renouveau économique dans une société optimiste et confiante.
Dès lors, la pin-up est aussi inhérente au processus de modernisation de la société occidentale du XXième siècle.
En effet, très vite, elle sert la société capitaliste en promouvant ce nouvel ordre social.
La publicité voit dans cette image, un support de communication sans précédent.
Ce récent médium inaugure le principe fondamental de la société de consommation : la beauté fait vendre, l’érotisme aussi.
Tout ce qui est donné à consommer est de ce fait affecté de l’exposant sexuel.
Les pin-up vont marquer à jamais la production de représentations féminines publicitaires qui se multiplient et se déclinent en fonction de l’apparition de nouveaux médias.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les pin-up ne sont pas produites que pour les hommes.
Ces représentations apparaissent aussi dans la presse féminine et dans les publicités d’objets de consommations destinées aux femmes, images imposées dans lesquelles transparaît, en filigrane, un idéal esthétique à atteindre…, la pin-up devient alors un support d’identification pour les femmes.
Symbole de modèle standard et normatif de la beauté qu’il faut acquérir, la pin-up est significative de l’attachement qui existe entre la société de consommation et l’utilisation du corps-apparence, du corps-capital, voire du corps-objet.
A l’inverse et en réaction, cette figure féminine va véhiculer des revendications politiques et sociales.
En raison de l’efficacité de son impact, le corps féminin continue de servir de support, dans un emploi opposé à ses rôles traditionnels (militaire et commercial), pour la dénonciation des valeurs et de l’idéologie propres aux pin-up.
Qu’est-ce qu’une “pin-up classique”.
En premier lieu, elle est le portrait d’une jeune femme occidentale, présentant un élément thématique ou évoquant implicitement une histoire.
Elle porte généralement une tenue légère qui révèle des formes avantageuses.
La pin-up se découvre par mégarde, faux mouvement ou accident.
Ces mises en scène dont la crédibilité importe peu, permettent d’érotiser la femme sans en faire un sujet sexuel actif (qui veut ou désire) tout en lui conservant fraîcheur et naïveté.
La pin-up est également fixée dans des normes corporelles précises et permanentes, sa plastique est idéale, améliorée : seins en obus, jambes interminables, taille de guêpe, fesses hautes.
Son image se construit autour d’accessoires usuels de séduction : bas, porte-jarretelles, talons, avec une mise en valeur des attributs sexuels évocateurs : les jambes, les fesses, les seins.
Les références à une certaine tradition artistique érotique sont nombreuses : scène de bain, miroir et orientalisme.
La pin-up apparaît aussi dans de nouvelles thématiques, toutes supports de fantasmes : infirmière, soubrette, Lolita, institutrice, secrétaire.
L’homme est absent de l’image, il est plutôt en position de voyeur malgré lui.
L’humour et la légèreté, très présents dans cette imagerie, permettent de déculpabiliser le spectateur et lui offrent alors une excitation, sous forme d’invitation sexuelle innocente.
Ainsi, le voyeurisme, plus ou moins sollicité, est inhérent à cette imagerie.
Mais la pin-up ne se réduit pas à une simple image, fût-elle agréable ; elle est aussi un “système” qu’il est possible de décrypter.
Ce système s’inscrit dans une dynamique sociale et politique.
L’archéologie de la pin-up et son fonctionnement sont difficiles à saisir tant les références sont multiples, néanmoins il est possible d’en retracer l’histoire.
L’analyse de tableaux d’art érotique autorise l’inscription de cette figure féminine dans une tradition érotique en témoigne la répétition des mises en scènes, des accessoires ou des poses.
De même, des comparaisons avec d’autres dessins ou photographies érotiques et pornographiques permettent de mettre en évidence la façon dont la pin-up s’inscrit dans une certaine continuité.
Elle puise ses racines dans l’essor de ces deux genres (érotisme et pornographie) du XIXième siècle et les renouvelle au cours du siècle suivant, pour offrir une nouvelle visibilité et un développement sans précédent de la consommation d’images érotiques et pornographiques.
Dans un premier temps, le système de la pin-up classique est utilisé pour transmettre des messages de réconfort et d’optimisme durant les années de guerre puis de reconstruction et d’expansion économique.
Par la suite, la force des pin-up et de leur système a été de s’adapter à l’évolution de la société occidentale, leurs permettant ainsi de perdurer tout au long du XXième siècle.
Ainsi, par exemple, de nouveaux accessoires de séduction comme les cuissardes ou le string vont faire leur apparition.
Les mises en scène vont aussi évoluer, offrant de nouvelles thématiques érotiques plus directes : scène de saphisme, de bondage, de masturbation.
De même, le voyeur devient de plus en plus présent et de plus en plus actif.
L’histoire de la pin-up s’oriente alors vers la multiplication des images qui se complexifient.
Il s’agit d’un phénomène mouvant, en constante évolution.
Une image fabriquée pour être possédée qui finit peut-être par s’échapper.
Du calendrier pour routiers à la photographie glamour, la pin-up présente en effet différents visages, elle circule dans toutes les couches sociales.
Pourtant, toutes ces représentations sont appelées pin-up et s’inscrivent dans leur lignée.
D’autres figures féminines, toutes aussi érotiques que les pin-up, voient le jour.
Ces artistes créent ces nouvelles figures à partir des codes du système pin-up originel, ce sont les premières déclinaisons des pin-up.
Certains pays réalisent eux aussi leurs propres pin-up, c’est le cas de l’Allemagne ou de la France.
Pour ces deux pays, les pin-up sont symboles d’un renouveau économique.
La ressemblance avec leurs cousines américaines est très forte : elles apparaissent sur les mêmes supports, présentent les mêmes thématiques et la même plastique.
Pourtant ces pays les adaptent à leur culture afin d’optimiser leur impact.
Un artiste américain particulier, Bill Ward, par sa technique de dessin, propose des pin-up en noir et blanc, toujours plus aguicheuses.
L’analyse de sa production permet de mettre en évidence la première accélération que connaît le système pin-up.
En effet, ses pin-up sont légèrement décalées par rapport à leurs homologues classiques.
Plus osées et uniquement destinées à la presse masculine ou underground, celles-ci continuent néanmoins de perpétrer les codes de la pin-up classique tout en les modifiant légèrement.
Tout comme les pin-up dont elles sont contemporaines, les beautés glamour sont une représentation sophistiquée de la beauté féminine.
Elles sont créées par les mêmes artistes.
Produites principalement pour l’économie, elles offrent aussi une figure féminine érotique pour les femmes, cristallisant ainsi leurs rêves romantiques.
Cependant, parallèlement à ces dessins, en liaison avec le développement de l’industrie cinématographique, on trouve dans la presse masculine et dans la presse militaire, des photographies érotiques de femmes appelées pin-up.
A Hollywood, les jeunes débutantes sont appelées pin-up ou chorus girl.
On les fabrique à la chaîne et on les cantonne à des rôles secondaires ou publicitaires.
Sur les images, les corps se dénudent toujours d’avantage.
Malgré le fait que la pin-up soit peut-être détrônée par la photographie dans la presse masculine et dans la publicité, il semble que l’on retrouve partiellement dans ces deux supports les influences et les caractéristiques des pin-up.
La playmate n’est qu’une nouvelle variation de l’érotisme de la “fille d’à côté”.
La pin-up est significative d’une période marquée par l’occultation de la sexualité par la société.
Le déclin des pin-up survient au même moment où la société permet l’épanouissement des désirs sexuels, il n’est plus nécessaire de se cacher derrière milles excuses pour jouir d’une silhouette : les playmates nues prennent des poses suggestives, elles regardent le public droit dans les yeux, elles s’offrent et défient un voyeur de plus en plus volontaire.
La playmate constitue une nouvelle accélération du système pin-up.
Cependant des dessinateurs continuent de perpétuer le genre pin-up en les remaniant, tout en respectant son code graphique : ces nouvelles figures féminines sont idéalisées et irréelles, elles continuent d’utiliser encore certains des accessoires de séduction propres aux pin-up.
Parallèlement la manière de dessiner a évolué tout comme les attitudes et les mises en scène.
Ces pin-up actuelles sont beaucoup moins innocentes que leurs lointaines ancêtres et proposent une invitation sensuelle plus directe voire même d’assister à leur vie sexuelle.
Alors que les pin-up sont significatives d’une société fructueuse et sont respectueuses des rôles traditionnels, de “nouvelles pin-up” apparaissent symboles d’un changement radical de société et des rôles convenus des femmes.
Certes, ces nouvelles pin-up, par leur graphisme et leurs codes, se rattachent encore à ceux de leurs cousines…, mais elles s’inscrivent par leurs utilisations et leurs rôles, en rupture totale avec leurs aînées.
C’est du côté de la bande dessinée et des comics books que naissent ces nouvelles figures.
Enfin, dans une sorte d’évolution ultime, des artistes vont prendre un par un les codes du système pin-up et les pousser à leur extrême afin de les dénoncer, de les déconstruire ou de les détruire.
Ils étudient leurs mises en déviances et les rattachent à des questionnements modernes.
Le corps féminin est toujours utilisé comme support pour véhiculer des messages (opinions, dénonciations, expérimentations) mais dans cette dernière transformation de façon moins consensuelle et moins traditionnelle.
Cette évolution amène à réfléchir sur la construction de ces images et sur la manière dont celles-ci reproduisent certains poncifs, des stéréotypes sexuels, une hétéro-norme…
Ce qui soulève autour de la sexualité les questions de sa représentation et de sa normalisation, mettant finalement en évidence les interrogations morales et politiques qui l’entourent.
La pin-up est peut-être l’un des fondamentaux érotiques, symbole du corps-capital.
De la simple image dessinée à son incarnation, par ses rôles complexes et complets, la pin-up est indissociable de l’histoire du corps au XXième siècle et notamment de l’histoire de la fabrication du corps séducteur.
Cependant l’appréciation esthétique n’est pas totalement absente, car ce serait nier son statut profond de support érotique et surtout méconnaître de construction d’un canon esthétique de l’histoire de l’art érotique, que de tourner vers elle un regard clinique parfaitement dépassionné.
Il est alors utile de suivre l’injonction d’Edgar Morin lorsqu’il écrit en 1962 : “Il importe aussi que l’observateur participe à l’objet de son observation ; il faut, dans un certain sens, se plaire au cinéma, aimer introduire une pièce dans un juke-box, s’amuser aux appareils à sous, suivre les matches sportifs à la radio et à la télévision, fredonner la dernière rengaine. Il faut être soi-même un peu de la foule, des bals, des badauds, des jeux collectifs. Il faut aimer flâner sur les grands boulevards de la culture de masse”…
La suite : ICI : Pin-up… #2
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