Plaidoyer pour la voiture verte…
On est mal…, j’ai beau être un salopard de mécréant, je ne comprends pas pourquoi le monde, la société, particulièrement la société française, se complait dans la justification du Mal…, du mal avec un grand M, un M comme « métaphysique ».
Le diable est parmi nous…, le Mal est aux portes de nos murs.
On a commencé par déclarer la médiocrité légitime et pire, conforme…, de petites négligences en petites négligences, on admet aujourd’hui que le Mal puisse être commis au nom de la religion, de la légitime défense, de l’écologie ou de la nation…, on est pas en Amérique et ça nous pétera à la gueule.
Mais comme je suis pour la paix, j’ai eu une idée…, un truc bien dans l’air du temps : la voiture verte.
Et si toutes les voitures étaient vertes ?
Si l’homme se décidait enfin à explorer en profondeur la gamme chromatique du vert ?
Vert forêt, printemps, salade, fougère, chlorophylle, ONF, jade, émeraude, pistache, joubarbe, menthol, Valda, aurore boréale, musoir d’autoroute, douanes allemandes ou crédit agricole.
On arrêterait peut-être de nous emmerder avec les voitures vertes.
Mieux que l’uniforme à l’école, l’uniforme en voiture, avec néanmoins la souplesse de pouvoir choisir le vert parmi des centaines et des centaines de verts, métallisés ou non.
C’est cool, non ?
La police, les taxis, les ambulances, la Poste, les livreurs de chez Pepsi ou UPS auraient eux aussi tous des véhicules verts.
Des bandes blanches, jaunes, bleues ou rouges distingueraient les véhicules de secours ou de services d’utilité publique des autres.
Mais les raisons sociales et la pub, c’est fini…, vert monochrome sur tout le véhicule.
Et le premier connard qui serait tenté de repeindre son Cayenne de merde en noir mat serait fouetté publiquement deux-cent fois avant d’être envoyé aux travaux forcés à vie, à Cayenne d’ailleurs…
Tout d’abord, on crierait au fascisme même sans y croire…, on se gausserait…, on ne prendrait rien de cela au sérieux, la vie continuerait.
Les médias en feraient un « buzz » rigolo qui garnirait les manchettes et les obscures ouèbe-pages d’attrapes-scoupes nourries à coups de pubs pour apprendre devenir trader.
Puis il y eut ce fameux soir d’octobre 2028 où en direct du journal d’Anne Chasuble, la France entière fut effarée comme jamais :
– Mr le Président, vous avez déclaré le 30 avril dernier, en marge d’une conférence mais devant vos homologues européens, que vous songiez à une loi imposant d’uniformiser la couleur des véhicules en vert.
– C’est exact.
– Vous êtes conscient que cette phrase a suscité beaucoup d’interrogations, même au sein de la majorité, et même auprès de vos très proches collaborateurs. Certains se sont même demandé si vous plaisantiez. Vous leur avez répondu que non. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette mesure ?
– Permettez-moi, chère Anne Chasuble, de décrire un peu mieux cette loi aux millions de Français et de Françaises qui nous regardent ce soir. Car il ne s’agit pas d’une mesure mais bien d’une loi pénale passible de sanctions. Tous les véhicules roulants motorisés en circulation devront sans exception être repeints en vert.
– Tous les véhicules, vraiment, c’est fou ça…
– Tous les véhicules neufs fabriqués ou importés en France devront être de couleur verte sous peine de refus de réception par le service des Mines. L’arsenal de qualifications et de sanctions judiciaires sera dévoilé d’ici la fin de l’automne par le ministre de la Justice. Il y aura d’abord une période tampon de six mois à un an. Ensuite viendra le temps de la répression par de nouvelles brigades uniquement dédiées à la répression du délit de couleur. 300.000 emplois seront crées. Les contractuels seront automatiquement prélevés dans la base de donnée de Pôle Emploi selon leur ancienneté d’inscription. La France perdra 300.000 chômeurs du jour au lendemain.
L’effet, l’onde, fut gigantesque.
La France ne parla plus que de ça pendant trois semaines…, les autres pays aussi.
Tout le monde était globalement consterné : humoristes, spécialistes, penseurs, gros niqueurs et pisse-prompteurs se fendirent de billets, d’allusions, d’allégories et de railleries.
La droite ironisait des jeunes de cités analphabètes verbalisant des retraités médaillés de guerre.
La gauche prédisait des sans abris crevant la dalle tandis que les millions de l’Etat brûlaient chez un fabricant de peinture verte dont le président du directoire serait l’ancien directeur du cabinet du Premier ministre.
Les journaux firent des kilomètres de micro-trottoirs et la conscience collective de la France tendait à penser que le Président déraillait.
On entendit causer de la Cour des Droits de l’Homme, de l’Europe, de la Constitution et de toutes ces conneries.
Mais personne ne put réellement opposer de raison nécessaire et essentielle à l’obligation de peindre les voitures en vert.
Quelques vieux fous de fonds de vallées et quelques ascètes hirsutes paumés approuvaient même la loi et parvirent à le faire savoir grâce à d’obscures revues en papier vélin.
Celle-ci fut promulguée dans la foulée, sans consulter personne et au grand dam des parlementaires qui contestèrent aussitôt sa légitimité.
Bruxelles demanda des comptes.., les constructeurs allemands d’automobile furent les premiers à intenter un recours auprès de la Haute Cour européenne (les marques françaises n’ont pas suivi car en 2028, elles n’existeront plus) et le Président leur répondit qu’il était chez lui et qu’il faisait ce qu’il voulait.
Sur le plan géopolitique, le plus visible au niveau mondial, le stupéfiant et soudain différent diplomatique glacial entre la France et l’Europe, particulièrement l’Allemagne, focalisa toutes les attentions. Intérieurement, on annonça que chaque ménage français titulaire d’une carte grise (bientôt verte elle aussi)recevrait une allocation de 850€ destinée à repeindre la voiture.
Tous les garages furent destinataires d’un logiciel répertoriant les 476 verts disponibles…, tous les fabricants de peinture durent se conformer aux nouvelles directives.
L’Etat n’envoya aucun inspecteur nulle part…, la vague répressive débuterait aux alentours de Noël et ce n’était pas bien compliqué de repérer les voitures pas vertes dans la circulation.
Nous étions mi-octobre, toujours en période tampon donc, lorsque je décidai de réaliser un reportage sur la conversion des ateliers de carrosserie.
Comme pour chaque reportage sur les garages, je me rendis au garage Chevrolet de Strasbourg voir mon ami qui venait justement de réceptionner 250 fûts et autant de références de peinture verte, fabriquée dans l’Ain avec de l’extrait de résidu de moût de gras de bouse de vache montbéliarde.
Pas sur ordre du Président, mais de General Motors qui préférait ne pas être pris au dépourvu…, son unique concurrent (Toyota) non plus et adapta aussitôt son nuancier.
Au garage Chevrolet, un retraité frêle et blême qui sentait le thym fut le premier candidat.
La presse locale était là aussi, le kouglof bien dressé, les croque-lardons au garde à vous et deux-trois péquenots aux crampons boueux qui se sont avérés être les gagnants d’un obscur concours où l’on pouvait remporter une petite citadine Spritz (vous ne la connaissez pas encore)…, bien sûr, elle était verte.
Ce retraité blafard et malingre faisait le pied de grue depuis six heures du matin pour faire repeindre son Opel Agila en vert tilleul. Il semblait content de lui.
Heureux d’être à l’honneur.
Le 1er janvier 2029, des dizaines de milliers de voiturettes électriques vertes conduites par d’improbables binômes surgirent des mairies et des polices municipales, suivies par des milliers de fourgons cellulaires verts.
Les sanctions étaient lapidaires : délit de couleur : deux-cent coups de fouets et dix ans de prison.
Récidive : deux-mille coups de fouet et bagne à vie.
La demande en carrossiers explosa.
Dès le matin du 2 janvier, des cas d’individus fouettés furent révélés à la presse horrifiée…, à la fin de la journée, l’AFP mentionna plus de 20.000 cas avérés.
L’opinion s’en émut…, des collectifs virent ça et là le jour, revendiquant le droit de faire peindre leurs voitures d’une autre couleur que le vert.
Sur Facebook, la page de protestation atteignit 10,8 millions de « j’aime » en trente-six heures.
Mais les milices ne faiblirent pas…, le troisième jour, des bousculades de candidats à la cabine de peinture firent trente-deux morts devant des garages de toute la France.
Des manifestations dégénérèrent et firent un total de quatre-vingt cinq morts, la police tirant sur la foule.
Au bout de quatre jours, on estima que 35% du parc était repeint (flottes d’Etat, de secours et de services compris).
Au bout de dix jours et d’innombrables drames, 85% des véhicules en circulation étaient verts mais beaucoup de centre-villes étaient à refaire.
Les journaux évoquèrent la Terreur et l’Europe se réunit en urgence.
Certaines voix s’élevèrent pour appeler la population au calme, car au fond, ce n’était qu’une histoire de couleur de voiture.
Les premiers cas de récidives eurent lieu.
Des notables et des rappeurs partirent à Cayenne…, des présentateurs télé, des défenseurs des droits de l’homme, des collectionneurs de voitures anciennes, les onze joueurs de l’équipe de France de foot, des parlementaires socialistes, des grands patrons du CAC40, des Roms, des anarchistes, des agitateurs, des caïds de banlieues, des daltoniens, des Anglais résidant en France, des bonnes sœurs, des vicaires, des humoristes, des intégristes musulmans, des intégristes sionistes, des intégristes tout court, des régionalistes, des identitaires, des indépendantistes Corses, Bretons, Basques, Catalans, des sourds-muets, des livreurs de pizza, les trois-quarts du Ferrari Owner Register français, des chanteuses, des émanations de la télé-réalité, un certain nombre de croque-morts, de loueurs de limousines, le PDG d’EDF ou encore des amateurs de tuning s’entassèrent rapidement dans la plus exotique des insalubrités.
Des dommages collatéraux, il y en eut…, comme jamais, la république fut répressive.
La contestation se porta davantage sur la méthode que sur les motifs, si futile qu’il était désormais de se quereller pour une couleur de voiture.
Le 12 février 2029, la direction de la sécurité rapporta au Président que la mission avait réussi : plus de 95% du parc roulant était vert.
Traquer les ultimes véhicules dans les tréfonds de la France rurale deviendrait compliqué, même si les dénonciations anonymes ne tardèrent à parvenir de partout.
Après l’avoir combattue, la foule contrainte et forcée à repeindre ses véhicules défendait la mesure.
L’Etat remboursa les villes et les collectivités, dédommagea les familles et les civils touchés par les journées de heurts.
Les médias parlaient désormais des émeutes au passé…, ils réalisaient d’innombrables reportages sur le manque à gagner de certains VRP ou les amitiés naissantes d’anciens chômeurs d’horizons variés convolant ensemble à la chasse aux voitures pas vertes.
Le journal d’Anne Chasuble consacrait en ce 7 mai 2029 un 3625ième reportage aux voitures vertes et l’on put y voir un moustachu de l’Orme dire « héhé, maint’nant qu’on l’a fait, po d’raison que les zautes y l’font po hé ».
C’est un citoyen vigilant qui appelle la gendarmerie s’il le faut.
Au fond d’une impasse, il reste une voiture blanche dans les herbes folles.
Mireille, jeune retraitée, bénévole, vigilante elle aussi, y gare son Kangoo et sonne chez l’habitant qui apparait blafard et buriné dans un pyjama rayé :
– Bonjour Monsieur, je me permets de venir vous voir car j’aurais besoin que vous me renseigniez sur quelque chose ?
– Muh ?
– Je voudrais savoir si ce véhicule, là, il est en circulation ? Parce qu’il n’est pas vert, alors s’il n’est pas en circulation vous devez le garder chez vous, et s’il est en circulation il doit être repeint dans les plus brefs délais. Les jours-amende d’astreinte démarrent dès aujourd’hui si vous ne retirez pas ce véhicule de la voie publique, vous comprenez ce que je dis, Monsieur ?
Elle parlait fort, avec un timbre de voix difficilement tolérable.
A l’affût de la moindre fourberie à base de voitures vertes, les médias relayèrent très rapidement qu’un chômeur de l’Orne avait abattu une retraitée vigilante bénévole d’un coup de gros calibre à canon scié en pleine figure.
L’opinion bascula peu à peu en faveur de la voiture verte, les derniers récalcitrants apparaissant comme des sauvages hermétiques et reclus dans leur ingratitude.
Certains, emmenés par les publicitaires, firent fortune avec l’exploitation du vert : une matière première gratuite et inépuisable, libre de droits et impossible à approprier, ni à taxer, ni à soumettre ni à aliéner.
Quelques petits rigolos comme Daimler-Benz ou Bugatti tentèrent de faire déposer quelques subtilités chromatiques mais l’institut de la propriété intellectuelle les envoya paître.
Dans la rue, cela ne changea finalement pas grand chose…, toutes les voitures étaient bien brillantes et vernies, sauf pour une infime minorité d’abrutis post-hype qui choisirent du vert mat, ils en avaient le droit, et au fond, l’immense majorité des gens s’en foutait.
Une Clio, ça peut bien être vert…, un Cayenne ou une Classe S, par contre, si on aime pas le vert, si on aime pas avoir une voiture ridicule comme tout le monde, c’est plus dur à avaler.
Des milliers de gros cons parvenus avaient l’air encore plus con chaque jour aux feux rouges, la valetaille cherchant le moindre signe de contrariété dans leurs trombines bêtement enveloppées de vert.
A Roissy, on refoula Paris Hilton, Justin Bieber et Florent Pagny qui refusaient de monter dans une limousine verte.
Les plus aisés, et les peoples, enchaînaient scandales et provocations à l’égard des voitures vertes de tout un chacun…, si bien qu’ils devinrent impopulaires.
Un rappeur new-yorkais dont la pochette d’album représentait une Rolls rose sous l’Arc de Triomphe, un montage habile, fut débusqué par un groupe de maquisards nationalistes auvergnats et son corps fut retrouvé dans des sacs poubelles à Harlem est.
Puis un jour, on n’en entendit plus parler…, la France se réveilla dans la routine des voitures vertes…, elle n’était pas moins polluée, ni même débarrassée de tous ses soucis hormis le regain d’activité du secteur de la carrosserie auto.
La mesure devait profiter au plus grand nombre et ce fut le cas.
Même si certains avaient versé dans la délation, les gens étaient un peu moins cons…, un peu moins consuméristes…, un peu plus philosophes.., un peu plus patients.., un peu plus créatifs.
Comme une faculté humaine naturelle, les gens s’adaptèrent aux voitures vertes et compensèrent les coloris perdus par de l’imaginaire, du fertile, de la passion et de l’initiative…, pas beaucoup…, mais un peu.
Ils mangèrent moins gras, achetèrent moins chinois.
Le moral des ménages remonta et le chômage était au plus bas depuis cinquante ans.
Il y eut encore autre chose : on causa un peu moins de football (normal, l’équipe de France était à Cayenne), des présentateurs télé, des défenseurs des droits de l’homme, de parlementaires socialistes, des grands patrons du CAC40, des Roms, des anarchistes, des agitateurs, des caïds de banlieues, des humoristes, des intégristes musulmans, des intégristes sionistes, des intégristes tout court, des régionalistes, des identitaires, des indépendantistes Corses, Bretons, Basques, Catalans, des trois-quarts du Ferrari Owner Register français, des chanteuses, des émanations de la télé-réalité, des loueurs de limousines, du PDG d’EDF ou encore d’amateurs de tuning.
Et surtout, on n’entendit plus jamais les écologistes parler de voitures vertes !
Voilà!