Pour ou contre la restauration des Ferrari ?
La vie est faite de concours de circonstances.
Début novembre, j’ai eu la chance, par relations, de passer une heure chez un collectionneur de ma région qui m’a notamment entretenu avec passion de sa Lamborghini Miura, vendue aux enchères peu après.
Ce fou de course automobile se tourne désormais vers Porsche, pour le plaisir de faire lui même de la mécanique sur quelques vieilles 911.
Après avoir couru Le Mans Classic au volant d’une 911 RS 3.0L, il a décidé de se lancer dans la restauration d’un des 65 exemplaires de la mythique 906 pour courir avec elle.
Qui sait si un jour je ne vous proposerai pas un focus sur cette voiture incroyable ?
Dans la foulée, j’ai découvert sur le site de Simon Kidston un article passionnant au sujet de la restauration des voitures de collection.
A ce moment là, j’ai décidé d’en parler sur Arthomobiles.
Dans la foulée, j’ai reçu le N°179 de Cavallino Magazine qui traite de la renaissance de 0337AL, une 375 America Vignale et Astonuts a réagi sur Forum-Auto avec des arguments intéressants.
J’ai donc décidé de tenter d’écrire le premier vrai article de fond du site.
La restauration est un vaste sujet sur lequel les meilleurs experts ne parviennent pas à se mettre d’accord et qui mériterait au moins une thèse donc je n’ai pas la prétention de vous livrer une réponse définitive, tout au plus quelques pistes de réflexion.
En effet, j’ai moi même du mal à me positionner sur le sujet et j’espère que cet article me permettra d’y voir un peu plus clair dans mes arguments.
A l’heure ou j’écris ces lignes, je ne sais pas du tout où ça va me mener, ni même si je vais arriver à une résultat digne d’être publié.
En tout cas, s’agissant d’Arthomobiles, je compte bien illustrer mes propos de photos tirées de mes archives, et Ferrari sera bien sûr le seul sujet de les réflexions.
Allez, c’est parti pour un peu de philosophie automobile.
N’oubliez pas que j’ai le niveau bac au mieux (en section connaissances automobiles).
Avant tout, il me semble logique de dire que toutes les Ferrari ne peuvent pas être traitées de la même façon.
Je distinguerai donc les voitures de “grande série”, produites à quelques centaines d’exemplaires; les voitures de prestige, les plus désirables; et le graal, les numéros pairs: les voitures de compétition, de préférence avec un palmarès.
Ne nous leurrons pas, de nos jours l’argent est le nerf de la guerre, aussi nous aurons l’occasion d’en reparler.
Est il rentable de restaurer une voiture ?
La restauration va-t-elle augmenter la valeur d’une voiture, ou au contraire la diminuer ?
Commençons par les grand tourisme.
Je vous présente 5457, une Ferrari 330 GT 2+2 de 1964 croisée lors du Cavallino Classic en 2008.
La voiture a été produite a 625 exemplaires et l’une d’elle s’est vendue au Mans Classic pour 87 000 euros. Ici on est vraiment dans le barn find, la sortie de grange.
Le propriétaire nous expliquait qu’il avait d’abord commencé la restauration par les parties mécaniques afin de pouvoir rouler et qu’il ferait le reste petit à petit car une restauration complète le priverait de sa voiture trop longtemps.
Une bonne approche même si ce n’est pas forcément la seule raison.
Le moteur est refait à minima…, en tout cas, même si elle est patchée de ci de là, la carrosserie est en bon état, la peinture agréablement patinée donc rien ne presse.
Indiscutablement c’est l’intérieur qui aurait besoin d’être rafraichi : la peau de mouton dans une Ferrari…, mais la voiture a du caractère, et même du charme.
Elle roule, elle est sauvée.
Bien sûr, chacune de ses plaies est propice à la propagation du cancer de la corrosion mais pour celle ci, le climat de Floride est plutôt clément.
Ici, tout est une question de passion et de patience, faire tout soi même, quitte à s’éloigner des matériaux et des pièces d’origine, avec les moyens du bord.
En effet, au prix des pièces d’origine, il est impossible de rendre rentable la restauration d’un tel modèle.
Voici maintenant deux voitures présentées par Borrani à Rétromobile.
– 1301 GT est une 250 GT coupé Pininfarina, produite à 353 exemplaires.
Comme la 330, la peinture a bien tenu et possède un certain charme.
Extérieurement, elle pourrait quasiment rester en l’état et proposer un saisissant contraste avec ses sœurs en état concours.
– 2473GT, une 250 GT Cabriolet PF Serie II, produite à 202 exemplaires.
Celle ci est vraiment dans un triste état.., à ce niveau là, je pense qu’il n’y a pas à hésiter, il faut restaurer intégralement.
Le frein, et il est conséquent, est le budget.
Sauf si la voiture à une valeur sentimentale particulière, ce qui est peu courant, on peut difficilement concevoir que le propriétaire souhaite investir davantage d’argent dans la voiture qu’elle n’en vaudra ensuite.
Autant dire qu’une 308 GT4 trouvée dans une grange a peu de chances de s’en sortir.
Toutes les Ferrari ne sont pas destinées à renaitre.
Concernant 2473GT, la cote du modèle (selon Cavallino magazine) s’établit autour de 600 000$ donc on peut être raisonnablement optimiste sur son avenir.
Sinon, il reste aussi l’option de la passion et de la patience, en faisant tout soi même, quitte à s’éloigner des matériaux et des pièces d’origine…, ce qu’on ne peut hélas pas dire de toutes les 250 GTE ou 330 GT qui ont été mutilées pour les transformer en répliques de 250 GTO ou de 250 California.
D’une part la plupart des carrosseries n’ont sans doute pas été stockées de façon optimale, mais surtout, la valeur de la réplique est souvent supérieure à celle de la voiture d’origine, de nombreux propriétaires peu regardants laissant planer plus qu’un doute sur l’authenticité de leur voiture.
Combien d’amateurs sont repartis de Geneva Classics ou d’Ollon Villars persuadés d’avoir vu une vraie GTO ?
Pour moi, il s’agit ni plus ni moins de contrefaçons…, Ferrari s’était fâché très fort envers William Favre qui transformait ouvertement des 250 GTE en GTO, et l’homme a d’ailleurs fini suicidé dans des circonstances assez troubles.
Je vous invite à vous rendre ici pour lire un article très complet, quoique partial, sur le sujet.
Néanmoins tout le monde n’est pas logé à la même enseigne puisque la marque semble désormais beaucoup moins regardante sur ses filles indignes.
La meilleure preuve est sûrement 4309GT, une 250 GTE travestie en California au début des années 90 que vous pouvez découvrir exposée à … la Galleria Ferrari, le musée officiel de la marque.
Un peu surprenant à l’époque de Classiche.
Quelle que soit l’exactitude de leurs courbes, ces voitures n’en sont pas moins des impostures.
On frôle ici le hors sujet mais mon but est de dire qu’aucun mécène, même le plus désintéressé, ne pourra jamais rendre aux sacrifiées leurs formes d’origine.
Pour conclure sur les grand tourisme, le sujet le plus facile, je dirais que la restauration de ces voitures ne me choque pas plus que de réparer une aile emboutie sur une F430.
Le budget est souvent limité par la cote du véhicule et une patine sur la carrosserie est plutôt de bon aloi.
Quoiqu’il est à craindre que, pour les spéculateurs, une belle robe soit plus importante qu’un châssis ou des éléments mécaniques sains.
Parlons maintenant des voitures de prestige, sujet déjà plus complexe.
Mon petit doigt me dit que nous allons parler de reconstruction et de sur-restauration, sujets qui seront encore exacerbés dans la troisième partie…., ici, nous en sommes en présence de bêtes de concours, dont quelques collectionneurs prestigieux luttent pour remporter les plus grands concours d’élégance, à savoir le Cavallino Classic et plus particulièrement Pebble Beach.
Ces concours, et leurs juges, sont au dessus de tout soupçon en ce qui concerne leur recherche de l’excellence, et de l’authenticité (tout au moins pour le Cavallino Classic qui n’est dédié qu’à une seule marque).
La voiture doit être dans sa configuration d’origine, avec le maximum de documentation et d’accessoires (la trousse à outils d’origine par exemple).
2561GT, la California de Peter Kalikow est un parfait exemple de restauration “à l’américaine”, avec un soucis du détail et de la perfection poussé à l’extrême…, le paradoxe est que la voiture finit par être plus neuve qu’à sa sortie d’usine.
Dans les années 50, la production artisanale et rapide de l’usine de Maranello devait probablement faire l’impasse sur certaines finitions qui sont aujourd’hui plus que parfaites.
Est il nécessaire que des amortisseurs soient chromés ?
A la différence de la plupart des œuvres d’art qui s’échangent dans les maisons d’enchères, la voiture poursuit une vie active (en tout cas certaines d’entre elles), avec toutes les conséquences en terme d’usure, d’exposition au climat et de risques d’accident (une des voitures de P Kalikow avait été endommagée par une éclaboussure de carburant avant d’être chargée dans l’avion qui allait la ramener chez elle) que des tableaux, par exemple, ne subissent pas.
Dès lors, n’est il pas normal que ces traces d’utilisation soient visibles sur la voiture ?
N’est ce pas son âme qu’elle dévoile ainsi ?
Arriver à un résultat comme celui ci dessus est déjà un exploit en soi.
Les Ferrari n’ont pas toujours eu l’aura qu’elles possèdent aujourd’hui, où en toucher une est quasiment un crime de lèse majesté (à mes yeux en tout cas).
Dans les années 60, de nombreux échanges de moteurs ont eu lieu, entre Ferrari ou même pour de gros V8 américains.
Ces échanges sont souvent très complexes à répertorier et la quête du “matching number” (même numéro pour le châssis et le moteur) n’est pas toujours aisée.
Ainsi 0337AL, la 375 America Vignale qui fait la couverture de Cavallino Magazine 179, fut équipée à un moment donné d’un V8 Chevrolet, probablement suite à la destruction du moteur original dans un incendie.
Tout espoir de “matching number” était donc perdu.
Sauf que… par l’intermédiaire de son département Classiche, Ferrari est désormais disposé à refrabriquer de nouvelles pièces en échange d’un chèque qu’on imagine conséquent.
Je n’entrerai pas ici dans la polémique sur Classiche, d’autant que je n’ai pas les cartes en main pour le faire, mais j’ai entendu nombre de connaisseurs influents émettre des opinions peu flatteuses sur les archives et les compétences du département.
Bref, en 2008, le propriétaire a reçu un bloc moteur entièrement neuf, estampillé GP07 (pour Genuine Parts !), et la voiture peut à nouveau arborer la précieuse plaque “Motore 0337AL – Autotelaio 0337AL”.
Que doit on en penser ?
Certes ce modèle de 1954 possède désormais un moteur de 2008, quoique rigoureusement conforme (théoriquement).
Néanmoins, s’il n’y avait eu aucune chance de reconstituer un exemplaire “matching numbers”, la restauration de cette voiture importante (une des quatre 375 America Vignale) aurait elle été entreprise ?
Pas sûr au vu des propriétaires successifs qui n’en ont rien fait.
Après avoir subi l’outrage d’une mécanique américaine, avoir été peinte en vert et laissée plus ou moins à l’abandon, 0337AL a aujourd’hui retrouvé ses couleurs du salon de Turin 1954, et une beauté longtemps perdue.
Les juges de concours ne s’y sont pas trompés qui lui ont attribué le trophée de la plus belle Ferrari à Pebble Beach en 2009.
Cependant, il serait logique que sa valeur marchande soit inférieure au même modèle absolument authentique, mais il y a peu de chances que deux des quatre exemplaires soient vendus presque en même temps pour pouvoir en juger.
Mais vous allez voir que la reconstruction peut aller encore plus loin, comme avec 1075GT, une Ferrari 250 GT Cabriolet Pinin Farina Série I dorée entièrement détruite dans un feu de forêt en Californie en 2002.
C’est probablement un des exemples de restauration de voiture de prestige les plus extrêmes.
Les photos publiées dans Cavallino Magazine n°175 montrent une voiture calcinée mais à la carrosserie encore identifiable.
Le châssis n’avait pas été endommagé et la voiture a été entièrement reconstruite en utilisant des techniques à la fois ultra modernes (scan numérique de 1079GT pour référence) et d’époque (carrosserie martelée sur un cadre en bois).
70% de la carrosserie originale ont été sauvés, hormis le capot et la malle arrière en aluminium.
Dans quelle mesure cette voiture peut elle être considérée comme authentique alors que seul le châssis et trois quarts de la carrosserie ont échappé au feu ?
Si j’en crois les professionnels, c’est suffisant puisque la résurrection de ce phœnix a été saluée par des prix à Pebble Beach, Cavallino Classic, Amelia Island et Villa d’Este.
Une unanimité difficilement contestable…, voilà qui va m’aider à conclure et à me positionner.
Pour des voitures très rares, voire mythiques dans le cas de la California, la restauration semble être la voie à suivre.
Ces voitures méritent d’être adorées et maintenues dans le meilleur état possible.
A quelques conditions cependant: s’adresser à des spécialistes reconnus et passionnés, donner la priorité absolue à l’authenticité et au respect des méthodes de l’époque, et savoir s’arrêter avant d’aller trop loin.
Ni plus ni moins que l’état d’origine devrait être la norme.
Cela dit, certaines de ses voitures de prestige peuvent avoir un supplément d’âme qu’il est dommage de perdre.
Ainsi 4891GT est une Lusso avec une histoire très spéciale.
En 1963, elle fut la première Ferrari achetée par Steve McQueen.
Plus qu’un acteur, McQueen est aux yeux des passionnés de sport automobile un authentique fou de course et un pilote chevronné.
La voiture est d’une inhabituelle teinte marron métallisé commandée par Steve lui même.
Et c’est hélas tout ce qu’il reste de lui car en 1973, la star se sépara de sa voiture qui fut restaurée intégralement en 1997 (on parle de 4000 heures de travail).
Elle est certes désormais dans un état irréprochable mais vous chercherez en vain toute trace de la sueur de Steve McQueen sur le cuir des sièges ou sur le bois du volant.
Toute trace de ce mythe aujourd’hui disparu a été méticuleusement éliminée…, pour autant, le marché n’y a pas vu une diminution de la valeur de la voiture puisque 4891GT a été vendue par Christie’s en 2007 pour deux millions de dollars, le double du prix d’une Lusso ordinaire.
Dommage de ne pas sanctionner ce mépris pour l’Histoire de l’automobile.
Histoire mineure ici, nous sommes d’accord, mais parfois on touche directement à la Légende.
Ce qui nous amène au sujet très sensible des voitures de course…, l’essence de l’automobile : la course.
La course…, c’est là que les réputations qui décident de la survie ou de la faillite d’un constructeur, et plus rarement de sa gloire, se font et se défont.
C’est là que certains duels sont devenus mythiques.
Et c’est là que dans les années 50 et 60 des pilotes bravaient la mort chaque weekend au volant de dangereux bolides, conduisant bon nombre d’entre eux à entrer prématurément dans la légende.
Alors bien sûr, posséder une voiture qui a gagné les 24 Heures du Mans ou les Mille Miglia, qui a été pilotée par Fangio, Ascari ou Taruffi, c’est le luxe suprême.
Et c’est là que les risques de dérapage de la restauration sont les plus nombreux.
Voici un exemple saisissant de sur-restauration (selon moi, toujours), avec 0026M, la 195 S qui a remporté les Mille Miglia en 1950 avec Giannino Marzotto.
D’accord elle est sublime…, d’accord, la restauration est extrêmement soignée, allant jusqu’à repeindre les numéros d’époque à la peinture blanche, comme à cette période.
D’accord, elle est “matching numbers” : la perfection.
Mais quand je la regarde, je ne vois pas les efforts demandés pour remporter l’une des courses les plus difficiles au monde, je ne me projette pas à cette époque héroïque : j’admire juste une ligne spectaculaire.
Même si Marzotto a remporté la course en costume trois pièces, est ce que réellement le tuyau du réservoir était floqué ?
Est ce que la boucle de la sangle qui maintenait la roue de secours était chromée ?
Honnêtement, je ne sais pas mais…, je ne suis pas certain que les sièges étaient aussi immaculés à la fin de la course.
Pour moi, 0026M a quitté le monde de la course pour intégrer celui des voitures de prestige, et ce malgré un palmarès très significatif (on me dit tout de même dans l’oreillette que le flocage est conforme)…
0026M n’est d’ailleurs pas la seule dans ce cas, et non des moindres: 0626 (ex Fangio) et 0714TR, 0280AM (vainqueur Mille Miglia) et 0808 (vainqueur Le Mans), 0684 (vainqueur Mille Miglia), toutes impeccables, plus belles que jamais.
Hélas ?
A l’inverse, cette Audi R10 vainqueur du Mans présentée “en l’état” avait bien fait battre mon cœur au Mondial 2008.
Même si au fond la seule façon de la garder dans cette configuration serait de l’immobiliser dans un musée, ce qui serait aussi dommage.
Plus que la poussière, ce qui fait l’âme du voiture de course, c’est probablement son poste de pilotage…, et la Galleria réserve à ce sujet quelques beaux spécimens.
Ici on sent les mains du pilote crispées sur le volant, la sueur dans son dos, l’inconfort, le danger…, la course…, cela dit, la perte de l’âme d’une voiture de course n’est pas nécessairement due au zèle d’un restaurateur, à la cupidité d’un spéculateur ou à la maladresse d’une propriétaire.
Si aujourd’hui des marques comme Ferrari, Audi ou Peugeot sont conscientes de l’importance de sauvegarder les voitures qui ont contribué à leur succès, il en était tout autrement dans les années 60.
Non pas que la victoire était plus importante que maintenant mais les moyens étaient beaucoup plus limités.
Un châssis était souvent cannibalisé pour en réparer un autre, ou pour courir dans une autre série, ou simplement considéré comme sans aucune valeur et mis à la décharge.
A ce titre, l’histoire de la 330 P4, la voiture de course souvent désignée comme la plus désirable au monde, est assez édifiante.
Trois 330 P4 (0856, 0858 et 0860) et une 330 P3/4 (0846) ont été construites.
A ce jour, la seule P4 survivante officiellement reconnue est 0856…, après une campagne de course honorable, 0858 et 0860 ont été transformées en 1967 en 350 Can Am Spyder.
Résultat : une série peu prestigieuse, des voitures moins séduisantes et … un retour en arrière impossible.
Lors de l’apparition de 0858 à la vente RM de Maranello en 2009, Ferrari avait annoncé clairement que le retour de 0858 à l’état de 330 P4 ne serait pas reconnu par l’usine et ne pourrait donc pas faire l’objet d’une certification par Classiche.
Un bannissement pour de nombreux acheteurs potentiels.
Et la voiture est restée sur le carreau à 5 millions d’euros, une fraction du prix probable de 0856…, mais la folle histoire des P4 ne s’arrête pas là.
0846, la voiture arrivée en tête lors du mythique triplé de Daytona, a pris feu aux 24 Heures du Mans 1967 et Ferrari a déclaré l’épave détruite.
Sauf que dans les faits, une mise au rebut de cette envergure n’est pas forcément définitive.
Dans le même temps, Enzo Ferrari lui même a offert les plans de la P4 à David Piper avec la permission de construire 4 répliques de P4 (dont 0900, 0900a et 0900c).
En 2002, James Glickenhaus acheta à David Piper son châssis n° *003* pour reconstruire une réplique de P4.
L’histoire rocambolesque qui suit est tirée d’un document très documenté mis à disposition ici par James Glickenhaus et rapporte son point de vue.
En examinant son achat, JG a trouvé sur le châssis les traces du fameux accident de Vaccarella à la Targa Florio en 1966, ainsi que des tubes différents à l’endroit où la P4 avait été endommagée par le feu au Mans 67.
Il en a donc conclu qu’à l’insu de Piper et de lui même, il était devenu propriétaire du châssis de la P3/4 0846, thèse accréditée par la découverte des modifications du châssis de P3 à P4, transformation réalisée uniquement sur 0846.
Glickenhaus étant également en possession d’un moteur de P4 et d’une carrosserie de P4, tous deux authentiques, il a procédé à la restauration de 0846 et a participé à la Targa Florio historique en 2005 à son volant.
Inutile de dire que ses revendications ont provoqué une véritable tempête dans le monde des spécialistes de la marque.
Et il ne faut pas compter sur Ferrari S.p.A pour trancher: pour Maranello, la voiture a été mise au rebut (written off) en 1968, point final : elle n’existe plus.
Parties de restes à peu près identiques, le cabriolet doré 1075GT est aujourd’hui acclamé alors que 0846 restera à jamais illégitime.
La seule différence entre les deux tient dans la reconnaissance officielle de la plaque de châssis.
Fortunes diverses de la restauration…, dans le même ordre d’idée, c’est à mes yeux un miracle que l’intégralité de la série de 36 Ferrari 250 GTO ait traversé près d’un demi siècle sans que l’une d’elle ne soit perdue en route.
Elle n’ont pas toujours eu l’aura et la valeur qui est la leur aujourd’hui.
071S n’est pas une voiture de course à proprement parler mais elle va m’aider à illustrer l’absence totale de restauration.
Cette 166 Inter Vignale n’a pas été touchée depuis les années 50 et a pourtant été menée dans 5 saisons de Shell Historic Challenge, ainsi qu’au Tour Auto, au Mans Classic ou à la Targa Florio.
Le moins que l’on puisse dire est qu’elle est patinée, voire anticonformiste.
Paradoxalement, il est peut être plus difficile de préserver une voiture dans cet état qu’après une restauration complète.
En particulier si, comme pour 071S, la voiture est utilisée pour des activités provoquant des contraintes importantes.
Les rallyes comme le Tour Auto sont souvent pluvieux, ce qui peut s’avérer dangereux pour une voiture dont la peinture est écaillée.
Quand au circuit, on peut imaginer que les virages mettent le châssis à rude épreuve, avec le risque qu’il lâche tout simplement.
Ou que, au mieux, un déficit de rigidité conduise à un éclatement accéléré de la peinture.
Toutes les Ferrari ont été d’emblée construites en métal mais avant guerre, il était courant, comme chez Bugatti par exemple, qu’une bonne partie de l’architecture de la voiture soit en bois.
Dans ce cas, même si la carrosserie présente une patine des plus séduisantes, conserver la voiture en l’état peut s’avérer un challenge aussi complexe que risqué.
L’humidité profitera de chaque occasion pour étendre la corrosion et faire pourrir les bois.
Honnêtement, je doute que même un visionnaire comme Ettore Bugatti ait pensé en 1937 qu’il serait possible qu’une de ses 57S puisse durer 70 ans sans voir ses pièces d’origine remplacées.
La seule option serait placer la voiture dans un environnement climatique contrôlé, c’est à dire dans une bulle dans un musée ou une chambre forte.
Ce qui nous amène a un point important.
En matière d’art, dont la valeur peut excéder le triple de la voiture la plus chère jamais vendue, de nombreux tableaux sont sous la responsabilité de conservateurs de musée, qui ne prennent la décision de restaurer qu’après de multiples consultations de collèges d’experts.
Et j’imagine que même les collectionneurs privés ne prennent pas la décision de toucher à un tableau valant quelques (dizaines de) millions d’euros à la légère.
En matière d’automobile, la notion de patrimoine de l’humanité n’est pas de mise (et c’est assez mal parti), ce qui laisse au propriétaire toute latitude pour décider seul du changement radical de l’état de sa voiture, aussi prestigieuse soit elle…, le seul garde fou est la valeur du bien avant et après restauration, une voiture de collection étant toujours vue comme un investissement.
Dans le monde de l’art, la valeur d’un bien est directement proportionnelle à son authenticité.
Dès qu’une partie originale est perdue et remplacée, la valeur s’en trouve diminuée.
Aujourd’hui, il semblerait que la marché de l’automobile de collection commence à suivre le même chemin, à savoir qu’un bonus important est accordé à l’authenticité.
L’article disponible sur le site de Kidston, dont je m’inspire directement pour ce paragraphe, mentionne le fait qu’un barn find peut aujourd’hui être acheté pour deux millions d’euros, restauré pour 500 000 de plus, et ne se revendre ensuite que pour 1.5 millions.
Et c’est cet argument, et celui là seul, qui pourrait influer sur les restaurations à venir.
Cela dit je n’ai aucun exemple concret de cette tendance à citer, 0714TR, la Ferrari des records, m’ayant paru en état irréprochable…, est il déjà trop tard pour inverser une tendance qui dure depuis longtemps ?
L’authenticité de nombreux joyaux est d’ores et déjà compromise.
Comme dit l’article : “A car can be restored many times, but it can only be original once” …
Tout retour en arrière est impossible.
En tout cas, même les plus grands concours d’élégance tentent aujourd’hui de faire bouger les lignes.
A Pebble Beach notamment, de nouvelles catégories sont ajoutées pour récompenser les voitures les mieux préservées, incitant les collectionneurs à conserver leurs véhicules dans leur état d’origine.
Bien sûr, il reste à attribuer un Best of Show à une voiture non restaurée pour marquer les esprits.
Cela dit, en 2002, une 196 SP, 0790, est sortie d’un sommeil de près de 40 ans pour remporter le Best of Show du Cavallino Classic, dans son état d’origine…, elle a ensuite pris la piste au Mans Classic en 2008, toujours non restaurée…, de quoi avoir quelques frayeurs rétrospectives car même si ce genre de voitures est généralement menée calmement, personne n’est à l’abri que le concurrent derrière loupe son freinage à la chicane Playstation…, ou de se laisser emporter.
L’édition 2008 avait d’ailleurs laissé le Breadvan et une 250 LM avec d’impressionnantes cicatrices.
A chaque sortie, le risque d’accident est réel.
Il est impossible de l’ignorer.
Parfois, l’égo du propriétaire est tel que se faire plaisir dans un challenge historique ne suffit pas, il faut terminer devant les autres.
Certaines voitures seraient donc discrètement modifiées pour accroitre leurs performances, avec des conséquences parfois dramatiques pour l’auto : j’avais lu quelque part, mais je n’ai pas retrouvé où, qu’il était arrivé que les contraintes imposées par les nouvelles performances sont telles que le châssis finit simplement par se briser en deux.
Le simple surcroit d’adhérence des pneumatiques modernes peut aboutir à ce désastre…, sans parler de trucage…
Carlos Monteverde est un propriétaire pilote célèbre pour ne pas être tendre avec ses voitures.
Il a sûrement crashé tous ses joyaux à un moment ou à un autre, sa 250LM comme sa 250 Testa Rossa, 0738TR.
Pour autant, proposée par RM à Monterey cette année, les enchères pour 0738TR sont montées jusqu’à la somme faramineuse de 10.6 millions de $ soit 8.3 millions d’euros, et la voiture est tout de même restée invendue.
Quelque part, la théorie de Kidston voulant que c’est la décote du restauré qui incitera à une meilleure conservation des voitures ressemble plutôt à un vœu pieu qu’à une réalité.
La demande est tellement supérieure à l’offre qu’il se trouvera toujours un riche collectionneur pour faire l’impasse sur la question de l’authenticité de quelques plaque d’aluminium martelé.
Comme en tout, le marché l’emporte sur l’utopie.
Qui plus est dans le cas de 0738TR, la voiture avait été re-carrossée en 1963 en 250 GTO (!!) et sa robe actuelle date de 1989, installée par DK Engineering.
On comprend donc bien qu’il s’agit parfois (souvent ?) plus d’acheter le numéro de série qu’un témoignage du passé.
Toute la valeur est concentrée dans ces quelques chiffres.
Dans la même veine, Astonuts m’a aiguillé vers un petit bout d’article très intéressant, qui relate une discussion entre Lorenzo Ramaciotti, le patron du design de Fiat et Maserati, ex-Pininfarina et Christian Philippsen, consultant automobile et juge honoraire à Pebble Beach.
Le sujet en était, évidemment, l’authenticité d’une voiture.
Philippsen déclare que l’authenticité d’un modèle se juge avant tout à son châssis : un châssis original avec une nouvelle robe est une restauration, une carrosserie originale sur un nouveau châssis est une reconstruction.
La valeur marchande de chacune est sans commune mesure.
Lorenzo Ramaciotti met alors en avant le paradoxe des carrossiers (prêchant évidemment pour sa paroisse), arguant que le châssis et le moteur sont des pièces techniques, relevant du suivi de plans et de cotes précis.
Du travail d’ingénieur puis de soudeur (là c’est moi qui le dis, sans être péjoratif).
A l’inverse, la carrosserie est l’œuvre d’art qui attire et impressionne, elle est souvent l’interprétation de l’artisan à partir d’un croquis plus ou mois détaillé (on parle d’il y a cinquante ans bien sûr) et toute idée d’en faire une réplique exacte n’est qu’illusion : la carrosserie originale est unique…, du travail de designer puis d’artiste.
Serait-il possible que le marché accorde plus d’importance à la toile qu’à la peinture qui y est apposée ?
En automobile, oui.
J’ai l’impression d’avoir tiré un petit bout de laine qui dépassait de la pelote : j’ai déjà rajouté 500 mots à mon article original, juste avant de le mettre en ligne.
Je ne peux qu’applaudir des deux mains le point de vue de Lorenzo Ramaciotti : n’y connaissant rien en mécanique et étant photographe donc plutôt amateur de courbes spectaculaires, je pense exactement la même chose que lui (le bonus ultime restant toujours châssis, moteur et carrosserie d’époque).
D’ailleurs théoriquement, il y a exactement le même nombre de carrosseries originales que de châssis originaux donc la valeur ne se mesure pas à la rareté.
Seulement voilà, le rêve du designer semble avoir quelques limites : la carrosserie est là pour tout encaisser.
Un peu comme si on avait exposé la Joconde en plein air pendant dix ans avant de réaliser son vrai potentiel.
Définir la valeur d’une voiture à sa carrosserie, c’est la condamner à rester derrière une vitre.
Et comment juger de son authenticité, en l’absence justement de documentation et de cotes précises, en particulier quand on voit dans quel état certaines GTO finissaient le Tour de France, avec des feux de Citroën greffés sur leurs carrosseries en miette, ou comment les mécanos découpaient des écopes de refroidissement dans la carrosserie, à la sauvage pendant la course du Mans ?
Toujours de nouvelles questions et pas l’ombre d’une réponse universelle.
Alors quoi ?
Les voitures devraient elles être conservées dans une chambre forte ou un musée ?
Contrairement à un tableau qui est fait pour être admiré sur un mur, pour une voiture c’est une petite mort.
Il suffit pour s’en convaincre de visiter la Collection Schlumpf de Mulhouse et de regarder 5975, une 250LM tout ce qu’il y a de plus authentique.
A chaque fois, j’ai l’impression de visiter un mausolée et j’en ressors plus triste qu’heureux.
Soutenue par des cales qui suppléent ses amortisseurs défaillants, cette reine de la piste serait incapable de se trainer sur les pelouses de la Villa d’Este.
Une solution est proposée dans l’article de Kidston.
On y parle d’une 512 BB LM qui participe à des courses historiques.
Avec un monstre pareil, la mécanique se doit d’être parfaite pour garantir la sécurité de tous, ce qui est le cas.
Par contre, pour venir en piste, toutes les pièces de carrosserie originales sont conservées à part, et la voiture court sous une robe identique mais fausse.
J’ai déjà entendu ce genre de rumeur sur une 512M : la version qui court serait une copie tandis que l’originale serait préservée dans un garage.
C’est un peu extrême et cela demande des moyens considérables mais c’est un bon moyen de s’assurer de la conservation d’un patrimoine en grand danger.
Mon point de vue, pour ce qu’il vaut, est celui du spectateur qui participe à quelques meetings mais n’a pas accès aux collections privées et ne peut pas aller deux ou trois fois par an aux Etats-Unis assister aux plus grands concours.
Pourtant, j’ai très envie de découvrir de nouvelles voitures, de les voir rouler, de les entendre.
Je serais désespéré qu’elles restent tapies dans des collections privées, invisibles, sous prétexte de conservation (le nom de Bardinon me vient immédiatement à l’esprit quand je parle de trésors cachés, moi qui désespère de voir rugir une 375 Plus).
Je pense donc que les voitures de prestige doivent être restaurées, dans leur configuration d’origine, ni plus ni moins, et avec le plus grand respect possible de leur authenticité.
Pour les voitures de compétition, je pense qu’il est légitime de préserver leurs pièces les plus précieuses (carrosserie, siège et volant ayant accueilli des hôtes célèbres) pour des expositions statiques, et de les remplacer par des copies fidèles pour aller en piste (çà me coûte de le dire mais l’accident finit fatalement par se produire).
En revanche, je ne suis pas choqué par une restauration rigoureuse de la mécanique.
Après tout, ce sont des pièces d’usure, conçue pour être changées régulièrement.
Voilà ma conclusion à la lumière de ce que j’ai dit plus haut.
Avant d’en finir, je précise que la seule photo de Ferrari qui est encadrée dans notre salle à manger est une photo de Ron Kimball représentant 0052M, une 166MM à sa sortie d’un sommeil de près de 45 ans en Arizona.
Il s’agit de la seule 166MM à n’avoir jamais été restaurée… à ce jour.
Voilà, cet exercice n’a certainement pas tourné comme je l’avais envisagé, il est un peu brouillon et aucune réponse claire n’a été trouvée.
En bon perfectionniste, je pourrais le retoucher encore et encore, fouiller dans les nombreux livres de ma bibliothèque mais la vérité n’en émergerait pas pour autant et il ne serait probablement pas publié avant des semaines.
Je vous le livre donc en l’état en espérant que cela vous aura plu et que cela vous aura fait réfléchir sur votre propre position (qui est probablement différente).
Gardez à l’esprit que c’est le point de vue d’un candide et qu’il n’engage que moi.
Par contre, votre avis m’intéresse !
Venez sur le forum pour en discuter…
Nicolas JEANNIER : http://www.arthomobiles.fr/index.htm