Je sors enfin de la voiture…, je pose les pieds sur le trottoir, mon regard embrasse le carrefour devant moi…
Je me dis sans nul doute possible qu’essayer cette abomination à peine roulante et semi roulable était une connerie.
Récit d’un dépucelage Corvettorphane.
Me voilà au pied du mur des certitudes, persuadé par je ne sais laquellle, que le prochain essai d’une Nième bagnole marquera inéluctablement le début d’une fin.
Ou l’inverse.
Je ne suis pas sûr de pouvoir bien distinguer les premiers effets qui se mêlent à la fatigue et à la faim.
Mes pas sont sans volonté et systématiques, insufflés par je ne sais quel automatisme diabolique.
J’ai du trop anticiper cette satanée machine… et je souris intérieurement en constatant que j’ai passé cette épreuve avec succès.
Je suis toutefois, maintenant, enfermé dans mon esprit.
Mon cerveau fonctionne rapidement, hors de tout contrôle et dérive inéluctablement vers des pensées lubriques, sans savoir pourquoi.
Je tente de me rattacher à la réalité, de me concentrer sur l’environnement.
Mais, sans arrêt, je reviens à moi comme arraché à un songe.
Et je repars, inexplicablement.
Le pire ce sont les gens.
Il y en a partout…., qui fixent le sol sans aucune dignité, qui sont reclus dans la honte ou la frayeur.
En moi s’opère une alchimie étrange.
Je suis tiraillé entre moi qui pense… et moi qui observe…, de haut… et qui ne manque pas d’ironiser sur le sort du premier.
Je me demande si je ne vais pas finir avec une personnalité éparpillée comme dans un film de Cronenberg.
Pour le moment les effets de cet essai sont très somatiques : faiblesse respiratoire, baillements incontrôlés, fourmillements interminables dans les jambes, hypotension, sensation de pesanteur des membres, mon cœur rate un battement comme un cheval à trois pattes, ma main est prise de soubresauts…
Et la chaleur est insoutenable.
C’est dans cet état que les choses sérieuses ont commencé.
Transformé en bête sauvage ; mes jambes ne me tiennent pas, j’ai du mal à respirer, je me sens fébrile et bizarrement observé.
Je respire l’air libre avec soulagement, je me penche légèrement en avant et je vomis tout ce que je n’ai pas avalé depuis plus de dix-huit heures.
Ca va durer quelques minutes comme ça.
Chaque protestation de mon estomac fait place à dix secondes d’un répit lucide qui me permettent de me dire à moi-même que ce que je vomis est bleu.
Toujours cette ambivalence d’esprit.
Je viens de subir une heure dévastatrice…, étant donné la réaction de mon corps, je dirai que globalement que la montée d’adrénaline est terminée… et que maintenant je vais être dans cet état pour une durée d’environ six heures.
Pas de solution miracle : rentrer, dormir, et espérer baiser.
Et enfin, arriver chez moi.
Fini cet enfer, exit les gens, bonjour la nuit réparatrice et demain sera un jour forcément nouveau.
Une heure s’est écoulée.
Mes yeux sont grand ouverts.
Le sommeil refuse de s’abattre sur moi.
J’erre sans but sur une mer peuplée d’angoisse et d’idées imprévisibles, incapable de nager pour rejoindre la berge du sommeil.
Je suis exténué, achevé, je n’ai même pas faim, pas envie de bouger, rien, le néant.
Cet endroit précis, où un humain n’a rien à faire et où il ne se trouve que quand il est soumis à des conditions de stress exceptionnelles, c’est la place du sommeil.
Finalement, il doit être vers 3h30, la dernière fois que je regarde l’horloge.
Tout vient à point à qui sait attendre.
8h30, la sonnerie du réveil est insensible aux affres du monde.
Je sais que j’ai affreusement mal dormi.
Agité pour trouver une place chez Morphée, qui n’existait pas.
Je m’assieds processionnellement, pose les pieds à terre et ouvre les yeux sur un monde connu.
Je n’ose pas bouger.
Je sens mon pouls battre anormalement vite.
Je ne transpire plus.
Je suis véritablement anéanti et une partie de moi-même vient d’être ébranlée par la perte d’une de ces grandes certitudes rassurantes qui rendent la vie possible.
La nuit ne résout pas toujours tout.
Comme si je venais de me faire à l’idée qu’un jour, j’allais éternellement devoir essayer la même voiture.
Je calcule très vite les possibilités.
Nous sommes vendredi.
Il est 8h35.
Je sens un progrès, une libération progressive, si bien que vers midi je suis ragaillardi, presque maître de moi-même, à ce rythme-là, ce soir, ce sera complètement passé.
Malheureusement ça s’est arrêté là et quand le soir est venu, j’étais toujours dans cet état : ni faim, ni soif, ni envie de pisser, ni mal, ni bien, ni maître de soi.
Et la sensation d’ultime effroi que cet état est finalement tellement supportable qu’il pourrait bien devenir permanent.
Rester perché en pleine dissociation.
Si je n’étais pas si orgueilleux, j’aurais imploré une divinité supérieure à laquelle je n’aurais pas cru pour qu’elle m’accorde sa pitié et me rende mon moi que j’étais avant.
Il me faudra au moins six jours entiers pour recouvrer l’usage de tout mon corps et tout mon esprit.
Le lendemain fut surtout marqué par une sourde apathie.
Dimanche commencèrent les angoisses profondes.
Chaque jour m’apporta son lot de nouveaux symptômes et son lot d’améliorations.
En pleine rémission, je me rappelle avoir dit que les expériences intenses d’essais automobiles sont des choses précieuses.
J’ai longtemps voulu détruire cette idée selon laquelle c’est seulement dans l’épreuve, dans la souffrance qu’on apprend quelque chose, qu’on devient quelqu’un d’autre.
Mais le temps n’y a rien fait et j’en reste intimement persuadé.
Ce qui ne doit pas nous empêcher de comprendre nos limites et de considérer notre savoir avec humilité, et sa recherche avec prudence.
La peur, ma douce amie la peur, m’a rappelé une fois encore les réalités bien concrètes de ce monde atrocement pragmatique.
Je vais m’offrir un peu de calme pour retrouver le goût doucereux du monde des vivants en attendant qu’une nouvelle envie d’idéalisme primaire me ramène par des déviances dangereuses en quête mythique et désespérée de lyrisme aveugle et de vérité sublime.
L’illumination…
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