Rétromobile 2014 : Machine à rêves, machine à fric…
Par Marcel PIROTTE
Ne boudons pas notre plaisir, depuis 1976, Rétromobile nous fait rêver, c’est une usine à rêves qui parvient chaque année à rassembler des voitures extraordinaires provenant bien souvent de collections privées…, c’est aussi l’occasion d’admirer, de flâner, de parcourir, le grand livre de l’histoire automobile, mais cette fois en grand format, tout en déambulant, une fois n’est pas coutume, dans le plus grand pavillon, le numéro1, le plus prestigieux du parc des expositions de la porte de Versailles.
A Paris, rien n’est trop beau ni trop cher pour satisfaire la passion des visiteurs…, toutes ces “vieilles gloires du passé”, plus de 500 exposées dont la moitié est à vendre, on peut les toucher, les admirer mais également les acheter…, il y en a pour toutes les bourses, de quelques milliers d’euros à quelques millions pour les voitures les plus rares, dont celles vendues aux enchères par Artcurial et son commissaire priseur : Hervé Poulain, grand connaisseur de la chose automobile…, nous y reviendrons un peu plus loin.
Rétromobile, c’est aussi des artistes, des restaurateurs, des vendeurs de pièces détachées, de documentations, de miniatures et d’automobilia…, sans oublier de très nombreux clubs et quelques départements “antiquités automobiles” de constructeurs voulant mettre leur patrimoine en valeur…, bref, tout cela a de quoi épater.
C’est aussi une remarquable organisation mais également une fameuse machine à fric (à prendre sous son aspect péjoratif) : les emplacements se louent pour cinq jours à des prix qui découragent de plus en plus d’exposants…, mais certains s’accrochent…, comme un vendeur belge de documentation automobile qui a déboursé 1.500 € + frais, TVA, voyage, transport, hébergement et divers pour 3 mètres sur 3 mètres = 9 m² !
Pour la même surface, d’autres vont devoir lâcher 6.000 €…, question d’emplacement, bien évidemment et pas “à la tête du vendeur”…, et je n’épiloguerai pas sur les stands géants qui se louent à l’équivalent d’un pont d’or…, sans oublier que cette année, ce sont près de 90.000 visiteurs (14 € le prix d’entrée) qui ont foulé les 44.000 m² de cette exposition assez unique au monde.
En fait, le grand problème pour les organisateurs de Rétromobile, c’est de faire la part des choses entre le rêve et le fric (toujours sous son aspect péjoratif), une savante équation maitrisée au mieux…, car sous couvert de proposer des thèmes qui sortent véritablement de l’ordinaire, officiellement, Rétromobile doit rester avant tout une exposition à visage humain (sic !) et surtout offrir du rêve…, mais également des tas de souvenirs (pas gratuits) aux visiteurs (payants).
Jouant parfaitement mon rôle de visiteur lambda “comme tout le monde”, j’ai ainsi pris beaucoup de plaisir à déambuler en compagnie d’un éléphant plus vrai que nature (sic !) parmi une douzaine de voitures ayant appartenu à des Maharadjas hindous, des princes de l’Inde durant les années folles, de 1920 à 1930, qui ont vraiment commis toutes les extravagances imaginables…, comme en “customisant” deux voitures ayant toutes deux la forme d’un cygne, dont l’un crachait de la vapeur afin d’éloigner les passants de Calcutta…, deux modèles qui proviennent de la collection Louwman, du nom de l’importateur hollandais de Toyota (un bon point de chute si vous passez par La Haye), ce collectionneur éclairé étant un fin connaisseur de l’histoire de l’automobile.
Mais pour en revenir à ces voitures extraordinaires appartenant à des propriétaires privés, elles ont pour nom Rolls Royce Phantom I et II, Mercedes SS 630 et autres Delage D8 et Isotta Fraschini…, les Rolls à carrosseries “polies” servaient à chasser le tigre, mais on raconte que lors d’une battue, un riche Maharadja a eu une vision…, pas question dès lors de tuer l’un ou l’autre tigre mais au contraire il lui fallait les protéger…, c’est ce qu’il a fait durant le restant de sa vie (on ne peut qu’applaudir).
Quel bonheur également de redécouvrir Alpine, cette marque franco-française qui dans deux ans pourrait renaître en collaboration avec Caterham…, hommage est ici rendu à son fondateur Jean Rédélé, avec une brochette de voitures de rallyes et de circuit qui fait revivre une période faste, de 1963 à 1979.
Alpine, c’est aussi un peu le sorcier Gordini dont les moteurs Renault étaient réaffutés à deux pas de l’expo, au Boulevard Victor…, que de souvenirs également avec la berlinette A 110 à moteur 1600 cm³…, il n’y avait sans doute que 110 chevaux à l’arrière mais cette petite bombe pesait moins de 700 kg…, pas étonnant dès lors qu’elle s’illustra au Monte Carlo.
Et puisque que nous en sommes à évoquer les moteurs Renault, le constructeur français par le biais de sa section héritage, fêtait cette année trois anniversaires !
– Celui de la grande guerre avec notamment la réquisition des fameux taxis parisiens, des Renault AG1 chargés de transporter rapidement les troupes sur le front de la Marne…
– Ensuite, les 50 ans de la Renault 8 Gordini, une petite berline à moteur arrière qui allait permettre à de nombreux talents n’ayant pas beaucoup d’argent de s’illustrer sur les circuits ou bien lors de rallyes., avec notamment son bloc 1300 cm³, ses 88 chevaux et sa boîte 5 vitesses elle parvint en remontrer à des machines nettement plus puissantes. Et puis quelle joie de pouvoir la maitriser à la limite mais de préférence sur circuit. A l’époque, en 1964, une R8 Gordini valait 12.000 FF , 5.000 de moins qu’une Alfa Giulia Ti. Aujourd’hui, comptez au minimum 30.000 € pour un exemplaire en bon état.
– Clou du spectacle, 30 ans d’Espace, 8 véhicules racontent cette formidable saga, Matra proposant d’abord son proto à Peugeot qui le refusa, Renault prit le risque de le développer. La suite lui a donné raison… Fin de cette année, il aura un successeur, développé à partir du concept Initiale Paris, de toute beauté, Renault réinvente le haut de gamme à la française…
Petit détours par le stand du Paris-Dakar qui fête ses 35 ans de raid hors norme, un pari fou tenté par Thierry Sabine qui mourra au champ d’honneur suite un stupide accident d’hélicoptère…, rencontre sympa également avec les frères Marreau, des spécialistes du désert qui à bord de leurs différentes R4 préparées mais également une R 20 4X4 proto, ont remporté cette épreuve mythique.
A côté de deux voitures de record : la Babs et la Sunbeam de 350 chevaux, que penser de ce véritable patrimoine Lancia rassemblé par la société suisse Lukas Heni si non que cela ne manquait pas de piquant, lorsqu’on sait que la marque Lancia est condamnée à disparaître…, Vincenzo Lancia doit à nouveau se retourner dans sa tombe, cette maison prestigieuse plus que centenaire, rachetée ensuite par le Groupe Fiat qui n’a pas su exploiter son héritage, va définitivement fermer, on ne comprend pas…, sinon que le patron du groupe, cet italo-canadien nommé Sergio Marchionne (qui pour une bouchée de pain a fait main basse sur Chrysler), va tout simplement se focaliser sur les produits américains…, n’en déplaise à Fiat et Alfa Roméo dont on se demande à quelle sauce, ils vont être mangés…
Que dire de ces Lancia mythiques d’avant-guerre, Lambda 1924, Aprilia 1938 ou Astura de 1939, de véritables chef d’œuvre d’ingénierie sans oublier les Aurélia et Flaminia mais également les Delta Intégrale, Stratos…, aujourd’hui, Lancia, c’est le désert, ou comment faire mourir une seconde fois une marque prestigieuse (dans le même ordre d’idées et malgré toutes les belles promesses, je ne donne pas cher de l’avenir d’Alfa)…, il serait sans doute grand temps que le groupe VW rachète cette marque emblématique afin de lui redonner tout l’aura qu’elle mérite…
Si le sport était aussi à l’honneur chez Mercedes qui fêtait ses 120 ans de compétition à travers une bien jolie rétrospective, Porsche se rappelait à notre bon souvenir en annonçant qu’il était de retour au Mans…, de bonne augure, alors que chez Ferrai, la fameuse 330 P4, la plus titrée des voitures de Maranello en compétition, attirait bien évidemment tous les regards…, tout comme d’ailleurs son camion, un Fiat Bartoletti qui l’a notamment amenée au Mans en 1967 afin de remporter une belle seconde place.
A côté de clubs aussi enthousiastes les uns que les autres, Rétromobile ne serait pas ce qu’il est sans ces trois constructeurs français qui chaque année mettent un point d’honneur à dévoiler de belles richesses…, on a déjà évoqué l’héritage Renault, mais l’aventure Peugeot continue elle aussi et de plus belle…, avec notamment autant de clubs qu’il y a d’anciens modèles (gag !) mais également un clin d’œil à son passé sportif…
Comme ce nouveau coupé RCZ-R de 270 chevaux trônant fièrement à côté de la petite 172 R grand sport, version plutôt rare de la famille des Quadrilettes…, les vessions spéciales de la 402, coach et cabriolet Darl’mat , la 403 spéciale René Bernard et bien d’autres sportives servant de lien à cette formidable 205 GTI qui cette année fête ses 30 ans…
Chez Citroën, la nouvelle C4 Cactus n’était pas à Rétromobile mais bien les familiales C4 Picasso qui prolongent ainsi la vision du constructeur au double chevron pour des modèles pouvant emmener toute la famille… et de redécouvrir ainsi avec plaisir les C4 familiales de 1932 mais également un concept car de 1958 que je ne connaissais pas, la C10…, une étude réalisée par André Lefebvre mais qui n’a jamais dépassé le stade de concept.
En interne, on l’avait baptisé Coccinelle…, mais rien à voir avec la célèbre voiture allemande, tout au plus une forme en goute d’eau qui peut à la limite faire penser à une Isetta mais avec une répartition des masses projetée vers l’avant, la partie arrière étant plus étroite qu’à l’avant…, avec une carrosserie en alu, cette mini familiale pesait moins de 400 kg pour un Cx de 0,26, son petit moteur deux cylindres refroidi par air de 425 cm³ lui permettant d’atteindre 110 km/h.
Sous le marteau d’un commissaire priseur…
Après avoir rêvé, il nous faut revenir sur terre pour constater que Rétromobile c’est aussi une fameuse usine à fric (c’est toujours à lire sous son aspect péjoratif), la moitié des voitures sont en effet à vendre…, que l’on me comprenne bien, pas question de jeter la pierre à ces revendeurs et autres spécialistes de ventes aux enchères…, mais bien de provoquer une sorte de réflexion devant un phénomène qui n’est pas près de se calmer…
En quelques années, le prix des belles voitures classiques a littéralement explosé…, celui des Mercedes 300 SL portes papillon ou roadster par exemple : il n’y en avait pas moins que 17 à vendre à Paris (en l’espace de dix ans, leur valeur de revente a été multipliée par trois, passant de 300.000 à plus d’un million d’Euros).
Ne parlons pas non plus des Ferrari, Lamborghini, Aston Martin, qui atteignent certains sommets… et ce n’est pas fini, tant mieux pour les collectionneurs qui ont accumulé de véritables trésors sur roues, un très bon placement dans quelques années…, cela a déjà commencé, les très riches Chinois, les milliardaires de l’Empire du Milieu qui n’ont aucune tradition automobile, s’intéressent à ce business très juteux…
Et là, les prix s’envolent pas, ils s’affolent, ils seront bientôt multipliés par dix, par vingt même, au grand dam de certains passionnés européens et américains pourtant bien nantis…qui commencent à ne plus savoir se payer leur part de rêve…, voilà le danger, il est bien réel mais aujourd’hui, on feint de l’ignorer, money, money , il n’y a plus que cela qui compte…, attention car à force de vouloir tirer sur l’élastique, il pourrait très bien se casser…
Quelques jours avant l’ouverture de Rétromobile, la célèbre maison anglaise Bonhams, avait organisé une vente aux enchères : résultat, 17 millions d’Euros…, dont 241.500 € pour une Harley Davidson Dyna Super Glide offerte au Pape François à l’occasion des 110 ans de la firme américaine (le blouson qui va avec a été adjugé à près de 50.000 €…, heureusement, tout cet argent a été versé à une bonne œuvre…, en revanche, débourser plus de 500.000 € pour une Mercedes 600 Landaulet à l’état d’épave, (elle ne roule même plus), c’est de la folie, d’autant que les frais de remise en état vont aussi se chiffrer à quelques centaines de milliers d’Euros…, des chiffres qui donnent un peu le tournis…, comme les 2.225.000 € déboursés par un passionné afin d’acquérir une Ferrari 275 GTB entièrement restaurée (heureusement à ce prix-là), de 1968.
Une Bugatti 35B 1929 a été cédée pour 1,6 million d’Euros à un acheteur asiatique… et de continuer de plus belle : 1,1 million pour une Delage de 1947 pilotée par Maurice Trintignant…, une Aston Martin DB4 spéciale GT coupé de 1962 a changé de propriétaire moyennant un chèque de 1,2 million (le double de son estimation)… et une Facel Vega sortie de grange de 1962, a été cédée à 155.000 €…, des chiffres qui interpellent, le monde de la voiture ancienne serait-il devenu fou ou complètement incontrôlable…
Et de continuer avec les ventes organisées par Artcurial Motors…, quatre catalogues pour mieux détailler les voitures, 177 au total, près de 4 kg de documentation…, prière de verser également 80 € afin d’acquérir le catalogue et de pouvoir entrer dans le sérail tout en côtoyant les plus riches mais également les marchands les plus rusés…
En outre, une vente quelques jours plus tard (portant le numéro 2400) portait sur une série d’une bonne cinquantaine d’Alfa de tous âges mais plutôt modernes dont voulait se séparer un collectionneur, du beau monde…, qui nous a permis de constater qu’un superbe spider Maserati Ghibli à moteur 4,9 l de 1966 estimé entre 580.000 et 640.000 € a été adjugé à 750.000 €, une jolie plus value.
En revanche, la Rolls Silver Cloud de 1962 dans laquelle Brigitte Bardot a posé ses fesses n’a pas été portée au pinacle, 286.000 €, à peine quelques euros de plus que son estimation…, Brigitte ne fait plus recette…, tout comme la Chevrolet Bel-air hard top 1957 de Ringo Star, 48.900 € au marteau (les organisateurs en espéraient 80.000)…, en revanche, la moto de Coluche, une Husqvarna 250 WR de 1981 a vu sa cote grimper de 2.000 à 7.700 €.
Lors des deux jours de vente, les 7 et 8 février, Artcurial a vendu pour 25 millions d’Euros de voitures et motos dont 57 à plus de 100.000 € et trois à plus d’un million…, 87 % des lots ont changé de mains… et quelques records du monde sont à épingler : 955.000 € pour une Alfa TZ de 1965, 360.000 € pour une 1750 GTAm de 1970, 548.300 € pour le cabriolet Citroën SM Mylord 1975 carrossé par Chapron…
On reste sans voix, au contraire d’Hervé Poulain qui n’a pas arrêté de parler et de Mathieu Lamoure, son bras droit, qui a poussé la chansonnette entre amis, tant il était heureux…, que du bonheur, que de la joie…
La suite ICI : Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel… Les actions et les automobiles de collection non plus…
Marcel Pirotte, pour www.GatsbyOnline.com