1948 Buick Super 8
Rodéo Drive… En pleine nuit, les voitures ne tournent plus en un perturbant manège…
Mais “América-Hollywood” oblige, tout reste illuminé…
C’est quoi la vie des gens heureux et fortunés ?
Tourner en rond dans une boîte de métal, de boîte en boîte, dans leur vie sage, maison, voiture, bureau, shopping, église cercueil, cimetière…
Au cœur de la nuit, le sentiment de paix et de tranquillité sur les boulevards, les avenues, les rues de ce quartier chic et huppé, flické à donf, surveillé par les yeux invisibles des caméras Big-Brothers, est pareil qu’entre les allées serrées et torturées des cimetières…, si peu de place laissée aux vivants pour passer…, un banc coincé sous un arbre encerclé d’un treillis de métal, souffrant, les morts prennent de la place, macchabées fortunés qui même décédés veulent montrer leur puissance passée.
Grands mausolées de marbre blanc, angelots sculptés, croix dressées, plus haut plus haut, dans un vain espoir de toucher le ciel six pieds sous terre, ils veulent attirer le regard des Dieux et des Hommes, mais les fondations de leurs demeures mortuaires empiètent sur l’empire du mal qui les attends, bien plus près d’eux l’enfer que le paradis et toutes les croix dressées n’y changeront rien, les morts restent morts mais les vivants les craignent et les respectent, dans leur “chez-eux”, tout confort, vue sur vue, miroir des vanités…
Fais tes prières quand tu passes devant les fenêtres, prie quand tu ouvres les volets, prie quand tu te couches, ton futur est là, sous tes yeux, les morts en rang saluent la bannière, à la patrie les morts reconnaissants, les voitures du dehors ne le sont pas souvent, car presque toujours ensevelies dans un cocon-garage sous draps, comme les tombes briquées, neuves, les plus belles, et grandes aux noms des familles réunies ici pour la dernière fois, réconciliées… Faites de la place, petit cimetière pour grosses fortunes, les morts débordent de luxe funèbre, noir brillant, mauve marbre, ivoire visage de la mort…
Qui sera le roi du cimetière ?
Couronne de fleurs autour du crâne blanc, trônes mortuaires, au fond des allées gisent les caveaux délabrés remplis de toiles d’araignées, trop vieux les perdants de la dernière course, mais plus tranquille ici, moins serré moins haut, pas à lever la tête pour voir le ciel comme entre deux immeubles. Sous terre les morts parlent aux vers et sentent le froid poids de la pierre sur leurs os, ce qu’il leur reste, ils ne voient pas le soleil hurler ses rayons du matin,
Les morts n’entendent pas la lune éclairer les plaintes des chouettes en robe blanche pour narguer les esprits sombres.. Un fossoyeur pour témoin, discours épitaphe d’un prêtre à la douce peau grise pressé de retourner dans sa chapelle ardente ou de nouvelles victimes attendent ses soins, pour se réchauffer, lune de miel, étoiles de sucre, les vies tombent et meurent, s’abîment au fond du gouffre étroit, parois de terre pour dernière demeure des murs rongés par les vers affamés, décomposés, usés par la vermine, dépouillés…
L’icône abandonnée qui illustre cette chronique fun (èbre) est une 1948 Buick Super 8, façon rouillée, abandonnée, mais refaite à neuf sous cet aspect étrange…, une douce patine verdââââtre, intérieur pââââlissime mais rougissant… et jantes en acier “hubcapped”…
A première vue, ce Cabriolet Super 8 semble être une épave roulable trouvée dans une grange abandonnée par un vieux bardon éthylique, dont il s’avère que la démarche suicidaire n’est pas trop loin de la vérité…, il n’y a décidément plus de haut de gamme !
Elle a été construite pour un milliardaire Hollywoodien : Tim Vest, par un Maître de chef-d’oeuvres automobiles : Jonathan Ward, qui a adapté la carrosserie découverte dans le désert de la mort près de Las Vegas, sur un châssis neuf de Hot-Rod, équipé d’un V8 LS9 Corvette modifié par Art Morrison… sur mesure, la Buick a coûté plus cher à construire que d’acheter une Lamborghini Aventador spyder neuve et ses finitions “façon rouille” incluent plus de détails “à la main” qu’une Phantom Cabrio Rolls-Royce…
Mais rien de tout cela est évident pour l’observateur occasionnel, les travailleuses de la rue qui peinent à s’acheter un faux sac Louis Vuitton, lorsqu’elles voient ce tas de rouille, disent que c’est amusant, pas plus et c’est exactement ce que Tim Vest voulait.
Tim était déjà familiarisé avec le travail de Ward, mais il a “flashé” devant les projets de Jonathan Ward dénommés “voitures de luxe abandonnées”, il a direct su que c’était exactement le genre de machine qu’il lui fallait posséder pour satisfaire ses rêves de croisières côtières…
– Une nouvelle Lamborghini n’a pas d’âme, mais une restauration parfaite de voiture ancienne n’est pas beaucoup mieux. J’ai une Buick 1967 restaurée “full frame-off”, et je ne peux pas la conduire sans me soucier que quelque chose lui arrive. C’est pareil que pour mes Lambos et mes Ferraris, c’est invivable… Quand Jonathan Ward m’a montré son projet de voitures anciennes-neuves mais à l’aspect de voitures sortant d’une casse, j’ai voulu en avoir une… Je vais ensuite lui demander de donner un look de voiture abandonnée à ma Lambo Aventador…
Jonathan Ward a donc traduit le rêve de Tim Vest en construisant une épave de Buick qui est neuve dans ses dessous, fiable, capable de tours répétés dans le trafic aux heures de pointe !
Alors que j’essaye de réaliser des photos parfaites, Jonathan au volant m’explique que le processus de régénération a duré 16 mois et a impliqué un ingénieur et un artiste-peintre en effets spéciaux de chez Warner Brothers. Quelques centaines de milliers de dollars également !
– La voiture a été abandonnée en 1958. Nous avons dû abattre un arbre pour la sortir du garage. Une fois libérée de sa prison de feuillus, la Buick a été expédiée dans mon entrepôt situé à Chatsworth, en Californie, où mon équipe l’a démontée, prenant note des touches originales pour préserver son look d’origine et pallier à toutes problématiques possibles. On s’est attaché à conserver la patine de l’extérieur mais avec tous les éléments contemporains d’une voiture moderne. Le résultat va au delà de mes rêves et espérances.
Contrairement à beaucoup de carrossiers, Jonathan Ward n’a pas simplement verni la rouille et restauré le châssis d’origine, il a construit une Buick contemporaine mais avec le look désuet de la voiture telle que découverte en ’58… Avant qu’il commence ce genre de travail, il fixe et impose à ses clients un processus de conception et passe du temps à demander comment ils vivent, s’ils ont des enfants, s’ils ont des chiens, une femme, des maîtresses… Il agit comme un psychiatre. Son diagnostic est la note financière, le coût de la voiture…
– Je veux voir ce qu’est leur décoration, quelle est la taille de leur garage. Certains clients ont la patience pour cela et veulent être impliqués, comme Tim. D’autres me disent qu’ils aiment le look, mais ne veulent répondre à rien… Ces gens-là je vais poliment les forcer à ce qu’ils acceptent une voiture que je veux construire, pas qu’on m’impose. Je suis un artiste… Lorsque vous êtes au volant de cette Super-Buick ’48, vous ne pensez pas au châssis moderne ni aux éléments de haute technologie, vous avez en tête les vieux enjoliveurs Buick dépolis et la banquette refaite neuve avec un look vieux… La Buick a toute son âme originale, mais avec une transplantation cardiaque, nouveaux genoux et hanches bioniques…
Ouaissss, c’est spécial, c’est beau, c’est fascinant, mais, trop tard, tant pis mon petit bonhomme, trop de rien, trop de vide enlisé dans le ciment de la nonchalance, au creux du vice emporté par le désespoir commun et lourd… Au volant de ce bestiau, je tourne dans le vide de Rodéo-Drive, c’est comme être quelque part alors qu’on n’est nulle part, absolument défait devant l’horloge, troué par le doute, plein de rêves dans la tête, mais tout s’évanouit très vite, et un seul monde se compose ; un absolu parfait inexistant, une synthèse d’envies…
Dès que j’avance j’ai l’impression qu’un goudron épais recouvre les pneus et m’immobilise, tétanisé par l’envie de rien, la peur de tout, affolé par une seule sonnerie, une seule pensée de devoir me confronter au réel, l’absurdité la plus opaque m’envahit, je creuse mon trou comme une pieuvre gorgée d’encre, tout se complique plus profond, plus noir… La solution de Tim Vest via Jonathan Ward s’est effacée pour laisser place à un problème, je roule mais vite des coups au coeur m’agrippent, ange déchu à la porte d’un purgatoire mécanique, pris entre ses rouages trop logiques trop froids…
Au bout du chemin il y a toujours la lumière mais le chemin tourne en rond, je ne vois plus la fin, le temps qui passe s’empile, preuve mourante d’une paralysie profonde..
Même en écrire je n’y arrive plus, je suis obligé d’y mettre du style pour trouver de la patience, obligé de réfléchir dans ce laxisme qui me décompose l’âme et le corps alors que toute raion m’échappe…
Le look de cette Buick est grandiose, mais c’est aussi un style de merde pour des “ceusses” qui ont de l’argent à ne plus savoir qu’en faire alors qu’ils ont une vie de chien de pute qui ne leur laisse que ce choix. J’ai donc posé diverses questions, à Tim… des questions, des milliers de questions, carrées, cinglantes :
– Tim… Qu’est ce que tu veux en faire après avoir tourné en rond dans Hollywwood et que tu la retrouveras par hasard dans 5 ans au fond d’un de tes garages ?
– Well… Je reste en apnée, aussi longtemps que possible, je remonte parfois respirer la réalité juste pour survivre…
– Bouffer pour oublier, parler pour mentir, c’est ça ?
– C’est pour retrouver des marques, des repères, me fier a mes instincts, marquer tous les coins de mon quartier a la pisse, me forcer au tempo du monde des bosseurs encadrés futurs encadreurs, me raser, respirer normalement, dormir moins… je ne rêve que de ca : dormir… Au coin de la rue il y a des gens qui me voient tous les jours…, à certains je dis même bonjour, je souris, ça m’arrive…Je dois leur demander, peut être quelqu’un peut m’aider : NON, personne ne t’aide : ne compte que sur toi, ne compte que sur de vieux théorèmes qui tiennent encore la route, la façade du monde peut s’écrouler, je vis déjà de l’autre cote dans les débris et le brouillard.
– Il y a tant de choses à réaliser : être bien dans sa peau, aimer, rire, se lever tôt, plein d’idées d’énergie…, tu fredonnes un mauvais refrain, gage d’éternité pour gosse rêveur. Tu t’es attelé à une carriole de vie sans roues sans bagages, tu recules dans la boue, tu t’enlises dedans de plain-pied avec cette Buick pseudo-pourrie qui ne prouve rien, qui ne mène nulle part…, tout ca n’est qu’un piège de contradictions, qu’un puzzle où tu voudrais tout reconstruire d’un coup, sans savoir quelle pièce placer en premier…
– Dans l’immédiat : rien, dans le futur proche rien : dans le lointain : rien… difficile de mentir ou d’imaginer ce rien, il est présent et je subis sa boulimie ce sale fils de rien qui me bouffe ma vie…
– L’aptitude à faire ou ne rien faire ne vient que d’une certaine volonté forgée par l’éducation, l’envie ou l’urgence, cette volonté s’automatise et devient réflexe, conditionné celui qui fait peut faire fait et refait encore…
– Par manque d’urgence, d’envie ou de règles apprises : celui qui n’a rien fait ne fait rien et se trouve dévié, évité, chloroformé vite endormi, l’opium du mouvement créatif constructif c’est l’immobilisme complet, psychique et mécanique : comme un regard invisible qui n’interprète plus rien. Tout du moins le constructif tel qu’on le conçoit, visible, tactile, matérialisable… J’ai appris des tas de choses inutiles sur ce parcours mais que retenir, faut-il d’ailleurs retenir ? La tête a le droit d’oublier ou de sélectionner, la main, elle peut se souvenir, ou son ventre, ou ses pieds… Je n’ai pas oublié les sols foulés, les peaux des femmes, les repas brûlant, les douleurs si vives… mais ma tête : oui, les chiffres les heures les dates les noms et tous les autres attributs qui se comptent… Le fait d’oublier ne tient pas seulement à notre mémoire intellectuelle, cette maturité qui se forge me donne plus le sentiment d’avoir appris sans se souvenir que le reste. Les livres, les donneurs de leçons, l’appétit de culture qui impressionne, les médias qui nous saoulent nous hypnotisent de leur savoir préfabriqué configuré pour des neurones similaires !
– Tout ca n’est que du vent. Des tripes, de la vie, du sang du vrai, douleur plaisir capharnaüm de vices, la vie est bien plus forte, plus profonde dans ses cicatrices.
– Ouiiiiiiiiiiiii ! Cherchons ensemble la panacée de nos douleurs, grattons la croûte de nos rancoeurs, de notre fierté.
– Moi, moi, je dis que moi, et voilà, suffit la suffisance la piété l’inconsistance immédiate de notre orgueil, métamorphosés, on devient tous de l’engrais, troués de vers entouré de prières à quoi bon… ?
– Matière à réflexion mais la réflexion n’est pas une matière puisque qu’elle ne se représente jamais comme telle sinon dans nos excès de génie si puérils : ponts, drogues, avions, autos, bombes et capotes : confrontés au temps, à l’infini ils ne sont que poussière…
– La réflexion propre à chacun est un rien qui flotte…
– J’adore ce rien, le concrétiser par des actes absurdes m’apparaît bien naïf, bien humain… or je ne suis rien d’autre qu’un morceau d’organe et j’ai le droit (quel droit stupide) de ne rien en faire…
@Pluche…
http://abc30.com/automotive/new-kind-of-old-car-cruising-californias-highways/534960/
2 commentaires
Maître, Votre article révèle avec beaucoup d’élégance les questionnements du lecteur devant un tel projet : pourquoi, et à qui profite le crime ? Encore merci pour ce beau voyage littéraire !
J’ai aimé vivre en Amérique, Miami et Los Angeles, il n’y a que des putes et des cow-boys, comme partouze, il y en a de grandioses et il y en a de minables, c’est une question de chance…. Le gars qui tentait une percée avec les électrifications d’épaves, s’est ensuite lancé dans les resto-mod’ hors de prix, comme le Pick-Up dont j’ai publié le reportage. L’Amérique n’est que tromperies et business du bas au sommet…
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