Rolls-Royce Silver Shadow “New-âge”…
C’est pas très loin et c’est comme le bout du monde…, on y accède par une longue piste de poussière comme dans un western…, son propriétaire est un original, apparemment un alternatif du loisir…, mini trip aventureux garanti.
J’aurais peut-être dû réfléchir, consulter les oracles, faire un testament, emmener un confesseur, méditer les adages concernant les “pièges à cons”…, bref, il m’aurait fallu mieux prévoir, être plus prudent…, on ne se fourvoie pas avec n’importe qui, n’importe où, avec n’importe quoi…
J’aurais pu aussi ne pas me laisser prendre à l’illusion des rêves mythiques, mais on ne guérit, sans doute, jamais des rêveries…, il se fait donc que l’aventure s’est tout de suite révélée plus “sportive” qu’annoncée.
Cette Rolls Royce Silver Shadow, sans nul doute contemporaine de – et peut-être même dessinée par – Léonard de Vinci, dont on sait qu’il a tout inventé, avec son look déglingué extérieur et son intérieur retravaillé façon kitch-ketchup, est la résultante de l’application du précepte évangélique : “Ne rien accumuler en cette vie”…, elle est mate de mat…, de jour, malgré le grand soleil, un mat rachitique.
Conséquence : yeux écarquillés des badauds, bouches en cœur, évanouissements, appels aux secours urgents…
C’est curieux, une Rolls-Royce, c’est normalement majestueux, digne, même vieille et cabossée elle représente une aristocratie automobile, les gens ont de suite du respect, même s’ils ont une part de rage contenue…, mais ici, c’est inhabituel, une Rolls-Royce tunée, surbaissée, déglinguée, déchromée et mate…
De circuler à son bord, pendant quelques heures, j’ai l’impression d’avoir vraiment franchi une frontière… et puis très vite je comprends que les hommes et les femmes sont les mêmes partouzes et définitivement…
Les frontières, elles ne figurent en réalité que dans nos âmes…, sur les atlas de géographie c’est juste un gros bidon pour emmouscailler les écoliers…
Au volant de cet engin apocalyptique, jamais je n’aurais pensé qu’un truc aussi vieux puisse rouler, elle semble sortir pis que d’un musée…
Par plaisir pervers, je roule doucement, relax… donnant l’impression de me traîner…, biglant devant moi avec un intérêt démesuré… et bien qu’en proie à d’intenses réflexions, je finis par remarquer que le voyant rouge de la jauge d’essence est allumé comme un nez de clown.
Je plonge dans un quartier obscur, même sous le soleil…, il y a des lumières au loin…, je tourne dans une rue chaotique, bordée de hauts murs sinistres… et je débouche dans un univers de grues, de barlus, de fumaga : un port !
La petite barre ne bronche pas du zéro dont elle semble être tombée amoureuse.
Je vais pouvoir la biberonner dans pas quatre kilbus si la chignole tient le coup jusqu’à une oasis-station-sévices… et, bonne bête, elle le fait…, joie, bonheur, miracle…
Comme je me range auprès de l’abreuvoir, j’avise une autre bagnole, devant la mienne, en train de se carburaniser.
Son propriétaire fait le plein d’un air morose…, quand il a terminé, il pousse son véhicule à la main, de quelques mètres, afin de me laisser la place, puis gagne un appentis waterclosien pour cause de vessie saturée.
Je prends sa place et, après la cérémonie de la carte de crédit (la plus importante invention depuis la pénicilline), engage le bec serveur dans le cul de mon réservoir, laisse floconner dru la précieuse boisson qui dispense aux hommes le bonheur terrestre (le seul qui les intéresse vraiment)… et puis, le hasard…
Alors je cesse de perdre mon entendement dans les nues pour considérer notre monde-radeau qui verdoie, poudroie et merdoie à l’étage au-dessous…
Je ne perçois toutefois que le floc de la mer et les grincements de chaînes…, c’est assez lugubre comme chanson d’adieu…, le décor convient bien à une prise de congé définitive…, quand on voit ça, on a envie de faire sa valoche… ou caca…
Devant le bazar qui fait restaurant mais aussi bastringue s’alignent des chaises et des gens assis qui regardent passer des gens debout…, voilà qui résume fortement la connerie générale.
Le problème de l’attraction permanente est ainsi résolu, les gens se regardent passer à tour de rôle…, le spectacle se renouvelle constamment dans sa permanence…, c’est la vis sans fin…, le vice sans faim…, le mouvement perpétuel…, l’inhumanité humaine !
Le monde est plein de gens impressionnables, tous prêts à filer leurs contemporains dans la mouscaille, pour trente deniers ou une mandale bien appliquée…, pas seulement les faibles, mais aussi et surtout les salauds…, les salopes sont pires…
Surtout, ne croyez pas que je suis sceptique de l’humain déshumanisé dans la bêtise générale, au contraire, je suis comme qui dirait un anti-sceptique…, mais j’ai le sens du positivement incorrect… et si vous croyez que je vous bourre le mou, comptez sur vos dix malheureux doigts le nombre d’ami(e)s sûr(e)s que vous possédez…, des ami(e)s vrai(e)s, de ceux/celles qui sont capables de vous emprunter dix mille euros fraichement imprimés sans changer de trottoir après et sans clamer partout qu’il n’y a aucune différence entre vous et une poubelle de quartier pauvre !
Vous verrez que vous aurez du rab sur vos dix doigts…, il vous en restera de disponible que vous pourrez vous introduire dans le nez, ou ailleurs, suivant vos préférences !
J’en ai mal à la tête…, souvent la bêtise des gens me porte au bocal…, je me sens frémir de la coiffe dans ces cas-là !
Le plus dramatique, ce sont les femelles…, c’est qu’ayant des mœurs orthodoxes je suis obligé d’en passer par elles… et…, je me déguise parfois en crème d’andouille pour arriver à mes fins, c’est-à-dire très souvent.
Le grand jeu, les mignardises, les grandes envolées de voix et les prouesses du slip…, oui, tout ça et le reste, finalement, avec le temps qui passe, je le regrette (parfois) lorsque je me retrouve près d’une bergère…
Je continue mon récit…
Devant les clapiers, plusieurs misérables transats de toile décolorée…, des dames y prennent le soleil…, les plus vieilles tricotent en jacassant…, une vachasse bourreletteuse offre ses cuisses bleues “aux rayons de l’astre du jour”, comme disaient les Romantiques du siècle dernier, qui ne chiaient pas la honte.
La dame la mieux du lot, une châtaine-blonde avec de grosses lunettes noires, lit un bouquin de Stephen King qui doit peser 3 kilos 600.
Je coule un regard à la fois con, cul et pissant sur la vacancière que j’allusionne…, j’apprécie son soutif noir, son short blanc, ses longues cuisses ambrées, ses ongles de pieds vernissés carmin…, je m’attarde sur ses “genouxes” bien ronds…, la personne doit envisager la quarantaine sans trop paniquer…, le genre de nanana capable de tenir le premier rôle féminin dans “Le bidet en folie”… et d’emblée, je me dis qu’il doit être plus “joyce” de l’escalader que la Roche de Solutré.
Le soleil est accablant…, bien que je longe le port, aucune brise ne me parvient du large…, la mer est inerte, le ciel est d’un bleu presque blanc…, les vieux bahuts roulent lentement dans le fracas de leurs ferrailles, des gens harassés passent en traînant péniblement leurs ombres sur les trottoirs brûlants…
Il y a un guitariste à l’entrée du bastringue, un gratteur de jambon qui sert à la retape des touristes…, l’établissement, si je peux employer un terme aussi pompeux pour qualifier le bouge, est a moitié vide…, il ne doit pas faire un gros chiffre d’affaires, ici on se contente de peu…, je respire un grand coup avant de plonger, ça me fait une vilaine impression, comme si je descendais dans un égout… et au fond, sans vouloir bomber dans la littérature, l’image convient…, ce bas-fond est pareil à un égout drainant la lie de l’humanité…
C’est un truc peint en bleu, avec des lampes versicolores autour de la lourde…, je file un coup de périscope autour de moi, c’est la même faune lamentable, craspecte et débraillée, qui roule sa misère sur les trottoirs étroits.
Personne ne prête attention à moi…
Personne du reste ne prête attention à personne.
Ici les gens vivent leur pauvre vie comme ils peuvent…, ils sont attelés à leur destin comme des bourricots à leurs voiturettes… Hue !
Et c’est l’existence qui fouette !
La nuit, ici, doit être sûrement constellée d’étoiles repeintes à neuf.., le jour aussi…, il fait doux et calme…, les gens se baguenaudent en cherchant on ne sait quoi avec une obstination qui est l’obstination même de la vie…, je les considère avec tristesse, charriez pas, pitié…, ils me paraissent précaires…, ils vont, pareils à des fourmis effrayées, se cognant contre des murs ou contre eux-mêmes, avec une espèce de bonne volonté pitoyable…
Je regarde l’infini en grande sérénité, me confiant au charme alambiqué d’une méditation qui passerait pour philosophique, signée Bernard-Henri Lévy, de l’Académie franco-suife…
J’évoque intérieurement le cosmos, grouillant d’étoiles et de planètes si vertigineusement grosses que, comparée à elles, la Terre n’est qu’une orange… et ces mondes monstrueux sont atrocement vides…, des espaces infinis (pense à ce mot, essaie de lui donner une signification) où s’accomplit la valse du néant ne recélant aucune vie…, les gens sont pétrifiés, blottis sur cette boule de billard qui tourne dans la ronde…
Du coup, j’apostrophe une cliente assise au bar, sur un tabouret, qui semble attendre que quelqu’un, justement, l’apostrophe…
– “Nous sommes perdus, élus, punis de vie ! On fait pousser des fleurs et des tours Eiffel. On peint la Joconde. On chope le sida. On aime, on meurt, on rit, on boit du Château Pétrus. On s’encule, on s’atomise, se décore. On devient Gaston Dunœud ou Victor Hugo. On va vérifier que la Lune est bien déserte. On croit en Dieu, on découvre l’Amérique, le four à micro-ondes, le couteau Opinel, le théorème de Pythagore, la pénicilline. On bâtit les Pyramides, le pont de Brooklyn, des châteaux en Espagne. On fait des guerres, et puis des guerres et encore d’autres guerres, sans réfléchir qu’on est désespérément seuls et que tuer un vivant équivaut à se tuer soi-même. On oublie ce formidable, cet INCONCEVABLE environnement de cailloux au centre duquel nous dérivons, pauvres naufragés élus. Dérivons à corps complètement perdus dans les campagnes harmonieuses ; on aperçoit même un fleuve lent et moelleux, et des vignobles tellement prestigieux que des larmes de reconnaissance me viennent. Je me les récite comme des poèmes. J’encule le cosmos et ses minéraux. Ils n’ont pas eu droit au bon Dieu, là-haut ? “…
La femelle me regarde ébahie, au point que j’ai crainte d’un Accident Vasculaire Cérébral…, mais elle répond tout de go :
– “Quand les bonnes gens s’imaginent que le ciel est dans les nues, m’est avis qu’ils se plantent la bite dans l’œil, comme vous, Monsieur !”…
– “Ma Dame…, spermettez-moi une éjaculation verbeuse… Là-haut, y a que des roches et pas d’air, pas d’eau. Dieu, il en a rien à secouer de la stratosphère, de la troposphère et de la mésosphère non plus…, parmi les plantes, les sources et les femmes, il est dans les prairies, sur la vague des océans, dans les branches des arbres, au bistrot du coin, dans le métro”…
– “Quel toupet. Goujat. Vieux Schnock”…
– “Les femmes, Ma Dame…, qu’il s’agisse de vioques ou de nananas, sont toutes les mêmes : les affaires des mecs, elles s’en tamponnent la coquille, ce qui importe pour elles, ce sont leurs petites couenneries…, pour les jeunes, c’est le nouveau hâle solaire ; pour les vioques, les dernières laines de la Redoute !
– “On n’y peut rien, c’est le genre humain qui est aux commandes”…
-“Si vous avez des réclamations à formuler, prière de les adresser sur carte postale à M. le Créateur dans le secteur Azur”…
Elle porte une robe rouge sang, à manches gigot noires, agrémentée d’une broche aussi grosse qu’un projecteur, mais beaucoup plus lumineuse…, la “Ma” Dame a sans nul doute sacrifié sa chevelure de jument poulinière pour suivre cette mode ridicule qu’un glandu de coiffeur a inventée à l’intention de connasses qui n’hésitent pas à pratiquer l’automutilation afin de se rendre (croient-elles) intéressantes : la nuque rasée est surmontée de tifs teints dans une couleur différente ; en l’occurrence, les cheveux rasibus du bas sont bruns alors que sont blonds ceux du haut…, l’ensemble donnant l’aspect d’un vieux travelo obèse, probablement germanique, participant au carnaval de Francfort.
Elle produit un maquillage en parfaite harmonie avec les extravagances que je viens de mentionner, à savoir que son fond de teint est d’un blafard crayeux de clown blanc, ses cils et sourcils d’un noir qu’avec ma hardiesse coutumière, je qualifierais “de jais”, sa bouche est d’un carmin si ardent qu’en l’apercevant, un toro de corrida en chierait dans son froc ainsi que le torero…
Ce n’est pas une femelle, c’est une apparition fantomatique !
Il faut avoir essuyé un choc de cette force pour savoir si l’on est apte ou non à s’engager chez Daesh ou à épouser une Kardashian.
L’Opulente dégage, surtout quand elle gesticule des bras, une odeur de boucherie africaine et d’œillets en décomposition avancée.
Elle me regarde, hoche la tête et se remet à mastiquer silencieusement…
Je me dis qu’elle est bien bonne de prendre cet air tendu…, probable qu’elle fait semblant de compatir à je ne sais quoi…, en réalité, elle pense surement à la nouvelle recette des œufs pochés princesse qu’elle a lue dans le Var-Matin d’hier…
Je pénètre plus avant dans ce bouge-bistrot-bordel et manque défaillir tellement ça chlingue…, j’ai l’impression de partir en voyage dans l’intestin d’un chacal…, le monde pourrissant…, voilà l’image par laquelle je traduis ma sensation…, ça pue le pourri, le moisi, l’aigre, le rance…, ça pue tout court, c’est le voyage au bout de la nuit en plein jour…
Après un déjeuner de piètre qualité, pris en tête à tête avec moi-même (ma table faisait face à un grand miroir des vaniteux qui me renvoyait en outre l’image d’autres client(e)s)…, j’ai été gagné par une somnolence romaine…, comme un vieux barbon terrassé par la digestion.
La roupille du notable en fin de banquet…, j’en connasse un bout…
Des qui savent roupiller bien droits sur leur chaise en se payant le luxe d’avoir l’air réfléchi…, c’est rare, c’est toute une technique !
Le “gentil” serveur (un poli) m’apporte un café dont l’arôme me gouzille les fosses nasales (les forces navales), ajoutant à mon bien-être de boa en méditation digestive…. et simultanément, j’entends, en provenance de la table d’à-côté, un rire cristallin qui me fait frémir la peau des testicules…, me tire-bouchonne sur mon siège pour sonder les peuplades rassemblées dans le large miroir.
Derrière une fausse semi-séparation couronnée de plantes ornementales, j’avise un patibulaire attablé en compagnie de sa femme, ou de sa compagne, ou de sa maîtresse…, et d’un gros mec sans cou, sanguin (mais non sans gains)…
Soudain, derrière eux, surgit un petit homme aussi bizarre qu’étrange que je me dois de prendre un malin plaisir à décrire avec toute la force évocatrice d’un style qui en aura fait chier plus d’un et pas des moindres !
L’individu dont je cause ne doit pas mesurer un mètre soixante-huit…, il est maigrichon, voire malingre, avec les biceps de Renaud bourré…, il porte un pantalon corsaire à rayures rouges et blanches qui l’apparente aux sans-culottes de la Révolution, une chemise rouge et des sandales de caoutchouc.
Son visage anguleux fait songer à celui d’un Indien…, ses cheveux noirs, rasés sur les côtés, descendent bas dans son cou…, il a une boucle d’oreille, un collier de cuir agrémenté d’une breloque figurant un phallus à tête de rubis… et un poignet de force en cuir, comme certains petits crevés désireux d’impressionner leurs contemporains avec des moyens artificiels.
Il est vachement primate, cézigue-pâte, avec ses longs bras au bout desquels pendent deux mains dont la mission essentielle est de demeurer inertes, avec sa frime de singe, aux yeux enfoncés, sa bouche pleine de grosses dents faites pour bouffer des bananes non épluchées, sa bibite qu’il doit sortir pour un rien de son bénoche et pétrit d’abondance…, il conserve en permanence un rictus étrange qui, tout à la fois exprime la surprise et la crainte… et cependant c’est un homme, un Hells-Angel’s, un motard…, j’ai ce pressenti (ment), car il a déposé un casque lubrique tout chromé sur lequel, façon casque à pointe, est fixé un godemiché tout rose !
Pour grimper encore sur son dada bicylindres, laissez-moi vous dire-écrire que ce demeuré, sur Pluton, Mars ou Neptune, il ferait un malheur !
Ce gonzier, je le verrais plus volontiers à la tête d’un manège forain que d’un motel pour manars en vacances… et le patibulaire lui cause :
– “Salut à toi mon Bô Chanteur…, comme tu le sais, hélas, ma chère femme a contracté une méchante maladie hépatique qui nous a obligés à quitter cet endroit de rêve. Nous sommes allés au Canada, le véritable, celui du Grand Nord où la vie est saine, certes, mais rude. Nous avons travaillé dans le traitement des animaux à fourrure. Boulot peu attractif, mais qui nous permettait de gagner un peu d’argent. Une fois rassemblée une somme qui m’a paru suffisante, nous sommes rentrés en France. L’air du pays nous manquait. Après pas mal d’hésitations, on s’est décidés pour revenir d’ou on était partis. J’aime la méditerranée, le ciel bleu, les gens d’ici surtout avec qui les rapports sont agréables. Une vieille veuve mettait une petite affaire en gérance, assortie d’une promesse de vente, ça nous a décidés à nous installer. Nous gagnons peu, mais nous n’avons pas de gros besoins car la vie nous a rendus sages. En saison, nous allons travailler dur ; hors saison, je trouverai des petits boulots à droite et à gauche car je suis un bricoleur qui sait à peu près tout faire dans le domaine de la vie courante des affaires. Nous n’avons pas de rancune pour tout le mal qu’on nous a fait, le peuple-beauf de RoqueBurne, ce ne sont que des ingrats”….
Soudain, il me voit et le dividu sursaille et surpose des yeux qui lancent des poignards sur le tandem que nous sommes Blacky (mon Cocker noir) et moi…, avec le regard qu’aurait eu le brave maréchal Ney si, au lieu de Blücher, ç’avait été Grouchy qui se serait pointé à Waterloo…
Je le reconnasse soudain, ce patibulaire qui se cache dans l’ombre, c’est l’ex-maire du “séant bien cul” : Lucky Chouffe, damnation éternelle…
Et… pour ne pas en dire plus, le patibulaire et sa moitié se fourrent dans les bras l’un de l’autre pour de sauvages effusions mêlées de larmes, de morve et de salive, ainsi qu’il sied à des gens que la vie a longtemps séparés des réalités…
Galvanisée par cette liesse farouche, la femelle motarde du Hells-Angel’s qui jusque là était sous la table occupée à une fellation dantesque devient hystérique à son tour !
Petite, blafarde et rouquinante, elle a un œil qui ne parviendra jamais à se réconcilier avec l’autre… ainsi que d’exquises verrues groupées en essaim au menton…
En sus d’un ventre qui sert d’emballage cadeau à l’un des plus splendides fibromes qu’il me fût donné d’admirer…, je remarque très inquiet ses jambes marbrées de bleu genre lapis-lazuli…
Ce qui suit ?
Etreintes, embrassades farouches, plaintes inarticulées, plaintes articulées, geignardises, hoquets sur plancher, sécrétions polyorificielles, début de hurlements, gémissements pré-orgasmiques, cris de pleureuses islamiques, cornes de brume, couinements évoquant ceux qui ponctuent une descente de cercueil, et puis gloussements de bonheur, clapotis d’orgasmes, et mugissements libérateurs…, un récital !
Quelques instants s’écoulent et le Hells-Angel’s que le patibulaire tutoie en l’appelant “mon Bô chanteur” laisse filer un vent long et modulé qui fait penser à l’appel du caribou en gésine dans le Grand Nord canadien.
Le patibulaire écoute cette émission intestine en agrandissant de la main le pavillon de son oreille après avoir remonté la patte droite de son couvre-chef.
– “Pas mal, hein ?”… demande le Bô-Chanteur Hells-Angel’s en exagérant sa modestie.
– “Superbe”…
– “Un soir de haricot de mouton à la Hell’s-Week de Roqueburne s/Argent-comptant…, avec mes amis, j’ai battu tous les records avec une note coulée qui a duré trente secondes. C’était à un congrès : les participants se sont levés pour m’ovationner”…
– “Vous devriez écrire vos souvenirs”, conseillé-je, me mêlant à leurs flatulences verbeuses….
– “J’y songe. J’ai déjà le titre : “Contre vents et marées” ; qu’en pensez-vous ?” me rétorque le patibulaire…
– “Je l’affûterai pour vous”, conseillé-je. “Que diriez-vous par exemple de “Contre vents et diarrhées ? Ce serait plus porteur”…
– “Magnifique !” exulte le patibulaire. “Ne sentez-vous pas la nécessité d’un sous-titre ?”…
– “Peut-être”…
– “Vous avez une idée à me souffler ?”…
– “La voix d’en bas ?”…
– “Mais vous êtes tout bonnement génial, mon cher ami. Vous pensez écrire tout cela sur le web, un jour ?”…
– “Qui sait ?”… imperturbé-je.
– “Je suis un enthousiaste, vous le savez”…
La nuit tombe.
Loin, en bas, des bateaux doivent sûrement rentrent à leur mouillage, traînant des triangles de remous argentés.
Le ciel immense doit être boursouflé…, malaxant des cumulus gris.
Çà et là, vont se produire des déchirures à travers lesquelles on verra du rose… et la lune dessinée en blanc, sans luminosité, qui attend son heure.
J’adresse un signe de ma main à la femelle du patibulaire : elle feint de ne pas le voir…
– “Toute cette hantise qui m’assaille depuis quelque temps… tourne au leitmotiv : nous autres seuls sur un ballon lancé dans la gravitation universelle, seuls, à nous entre-faire chier”… que je dis…
– “…”…
– “Le jour où Le Grand va lâcher la ficelle et qu’on ira valdinguer dans les cosmos gigognes, on aura bonne mine”… que j’ajoute…
– “…”…
– “Notez qu’on y est déjà au fond de tout puisque ce TOUT n’a pas de fin, pas de fond”… que je continue d’ajouter…
– “…”…
– “On se mêle à la valse des astres morts, d’une monstrueuse inconcevabilité. Et le petit monde bleu avec ses cinq continents, happé par la gravitation générale. Beau Danubleu, toujours… La pauvre Terre mignarde dans ses atmosphères ; uniquement minérale, au départ, mais riche de son oxygène. Balle-peau, pour décarrer, c’est le désert comme ailleurs. Et puis ce miracle : la vie (en anglais, the life). De la grosse boule minérale comme les copines, sourd ce miracle extravagant : papa, maman, le diplodocus, la Ferrari 456 GT, la canne à pêche en bambou refendu, le cancrelat, le chien d’aveugle, le coq de combat, le mouton de pré-salé, Pasteur, moi, la mère Brazier, Gengis Khan, la capote anglaise, le coup du père François, la fellation, la fusée Ariane, le Centre Pompidou, la main de ma sœur, la Joconde, les Pyramides, Bison futé, la tête de veau vinaigrette, les poils de ton cul, la guerre des Boers, le cuirassé Potemkine, les Petites filles modèles, le château d’Yquem, le chat de ma voisine, sa chatte, les moustaches de Staline, celles de Salvador Dali, la terre de Feu, le feu follet, Jacques Attali, l’Empire State Building, le morpion savant, le café Grand-Mère, la clé du champ de tir, le Tampax à musique, le Dernier des Mohicans, la douane, Vivaldi, Al Capone, la rose baptisée Madame Edouard Herriot, ma bite, la tienne, la pierre philosophale, le flan caramel, le Carmel, le point de mire, la saignée du bras, la Chance aux Chansons, le Petit Chose, les parcs à huîtres, la Faute de l’abbé Mouret, la valse à deux temps, le mouvement perpétuel, Venise, le Grand Prix de Monaco, le nœud et le trombone à coulisse, les coulisses de théâtre, Libé, les étrons de Sa Majesté Elisabeth number two, la Chaussée d’Antin, celle des Géants, le pot aux roses, la Cour de la Grande Catherine, la mort dans l’âme, l’impôt sur le revenu, le fluide glacial, les loups dans la bergerie, la conscience pour soi, le ticket modérateur, le jeton de présence, le cahier d’absence, la culotte mouillée, le prix du veau, la fortune du pot, Ravaillac (qui sans Henri IV serait demeuré totalement inconnu), le gratin de cardons, le volubilis, le Chant des Partisans, le…”…
Pffffffffffffffffff !
Ils et elles n’ont pas attendu la fin de ma tirade… et sont partis…
Je ne sais même pas à quel moment j’ai commencé à parler dans le vide…, frustrant !
Seul Blacky a apprécié, il frétille de la queue en me faisant un grand sourire avec une langue pendante presque jusqu’au sol…, brave bête…, très philosophe mon Blacky…
Je me lève, vais payer l’addition salée…, Blacky laisse un super “pourboire” bien mou, arrosé d’un liquide jaunâtre qui semble attaquer le tapis comme de l’acide… et on file comme si on venait de dévaliser la banque du sperme de France…
J’adore les bois, les forêts, les bocages…, là est le départ du monde…, là, on retrouve la Terre avant la venue de ce con sublime qui s’appelle l’homme.
L’odeur de lent pourrissement, les remugles de sépulcres frais me chavirent…
Voilà…, rien à en écrire de plus, cette Rolls-Royce Silver Shadow fera bonne figure à St-Trop, au printemps, pile-poil devant mes amis de Sénéquier, l’intérieur rouge est assorti, ils vont adorer…
@ pluche…