Royale-Impérial-LeSabre 1988…
Après 30 ans, on est plus vieux que jeune, les rêves de gosses commencent à s’estomper, remplacés par une légère frustration d’avoir loupé des étapes dans sa vie…, on déroule les choix cruciaux que l’on a pu arpenter, les vies loupées…, niveau bagnole, on comprend enfin pourquoi nos vieux radotent sur les mêmes caisses et appréhendent de se diriger vers de nouveaux concepts : parce que c’est rassurant.
J’ai toujours pensé que les adultes à la quarantaine bien tassée avaient de légers problèmes, quasi imperceptibles, rendant plus simple la conduite d’une guimbarde au confort spartiate…, sans doute parce que la désuétude est assimilée par leur organisme depuis 15/20 ans…, plutôt que de se lancer dans une nouvelle aventure…
Mais loin d’être un vieux croulant (sic !), je nage encore (en eaux troubles), dans une période où l’inédit peut draguer les esgourdes, surtout si cela répond à des genres (déviants ou non), résonnant (encore) dans mon cerveau… et c’est un peu (aussi, pareillement), le parti-pris de certaines autos qui balancent de l’invraisemblable…, une menace pour les politiquement-corrects, le genre apocalypse pour une bonne partie du monstre-foule qui fait éclater les beaufs dans des crises d’épilepsie !
Oh ! Ne vous inquiétez pas pour moi, je ne crache pas toujours (mais quand même souvent), sur les engins calmes et réglementaires, mais je ne reste jamais longtemps sans l’envie d’une progression dégénérative (sic !) hallucinante qui n’invente rien et copie tout…, qui f… un pan entier de la créativité (du design) dans un mixeur, pour recracher une bouillie obscène et jouissive, maculant de sperme fluorescent (si, si), les mornes pages des mag’s consuméristes miséreux et de divers sites-web bien pensant dans le sens des pubs qui s’infiltrent jusqu’au milieu des vidéos débiles, rien de nouveau, certes, mais alors, pourquoi, OUI, POURQUOI vous présenter cette automobile plutôt qu’une autre ?
Parce que d’un point de vue strictement perso, cette Royale-Impérial-LeSabre est une putain de néo-classique parmis les meilleures chignoles que j’ai eues entre les mains depuis quelques temps…, ici, on est dans la pure folie, loin des GTi à-la-con qui servent à aller se perdre dans des baises crapuleuses au fin-fond des toilettes de clubs puants et bétonnés…, non…, on ici est dans la frénésie, le carnage, le plaisir pur et instantané., un mélange de vice et de régression à l’anglaise…, dans le rappel d’une folie faisandée… et d’une modernité loin d’être essorée.
C’est aussi parce que, pour une certaine tranche d’âge (je pense aux vieux cons comme moi), cette bagnole renvoie à ce que l’on ne vit plus que de façon sporadique, voire plus du tout (gag !), parce que l’on tente de rattraper une jeunesse déjà perdue…, parce qu’on se masturbe les tympans dans la douche, les enceintes crachant “Satisfaction” des Rolling’Stones à fond, en rêvant d’une liberté adolescente, alors que l’on se savonne simplement le dos avant d’aller dormir…, mais aussi parce qu’on perçoit cette dégueulasserie comme on percevrait une belle nymphe de 20 ans que l’on n’arrivera plus jamais à fréquenter en personne, sauf à paraître forcément ridicule et pervers, rides et cheveux poivre & sel, dans une fosse entourée de sales jeunes drogués…
Finalement, en regardant cette Royale-Impériale-LeSabre fraîchement stockée dans le garage de mon loft, je n’ai plus eu l’envie de me sentir comme un vieux…, terré chez-lui…, matant la photo de son amour de jeunesse sans avoir les couilles de décrocher son téléphone pour reprendre contact parce que je sais pertinemment que les coïts improvisés dans les chiottes d’un club où une âme perdue te crache son haleine chaude dans le creux de ton cou, c’est terminé…, que la prise de drogue/alcool sans craindre d’être explosé au boulot le lundi et de foirer des contrats, c’est terminé…, que de partir en bagnole avec des potes sans but, le coffre rempli de bière, sans avoir cette putain de peur latente de chopper un cancer, c’est terminé…
Alors, oui, je me plonge dans cette machine avec une mélancolique larme à l’œil, à maugréer doucereusement sur le passé et sur une vie désormais trop tranquille, que je vais changer d’ailleurs dans les jours prochains…, amorphe, un peu triste, mais le sourire aux lèvres, en bougeant sagement la tête sur une musique qui, il y a 40 ans, me faisait encore méchamment bander.
Avec leurs modèles aux lignes désuètes et à l’architecture d’un autre temps, cette Royale-Impériale-LeSabre, tout comme les Bristol, Caterham et Morgan, sont les seules vraies rescapées du naufrage de l’industrie britannique…, déjà, les Anglais ne roulent pas du même côté que les autres…, alors, faut-il s’étonner qu’ils défendent encore une conception de l’automobile partout ailleurs périmée depuis un demi-siècle ?
Leurs constructeurs, jadis vivaces car protégés par leur insularité (et par un volant logé à droite), ont, pour les deux mêmes raisons, manqué le virage de l’ouverture des frontières : le groupe nationalisé British Leyland, conglomérat des vestiges épars d’un glorieux passé, a été dispersé sous l’ère Thatcher…, Land Rover et Jaguar appartiennent aujourd’hui à Tata…, Rolls-Royce et Mini à BMW…, Vauxhall à General Motors…, Bentley à Volkswagen…, Aston Martin à un consortium des Émirats…, Rover et MG à une marque chinoise…, Lotus à une marque malaisienne…, Austin, Triumph, Sunbeam, Morris, Wolseley, Vanden Plas, Rootes, Riley et Singer ont disparu…, de l’industrie automobile britannique, il ne reste donc rien…, sauf quatre minuscules îlots : Royal, Bristol, Caterham et Morgan.
À une époque qui ne croit qu’aux capacités de production et aux économies d’échelle, ils font figure d’anomalie : Morgan, le plus prolifique, fabrique 700 modèles dans ses exercices fastes…, d’un autre coté de la perfide Albion, Toby Silverton, propriétaire de Bristol, se méfie des mirages de l’expansion : “Nous prenons garde à ne pas fabriquer davantage de voitures que notre clientèle n’en demandera lors d’une mauvaise année”…, le curseur est fixé à 150 exemplaires par an…, les délais de livraison servent de variable d’ajustement : dix-huit mois actuellement, preuve que Bristol, 100 employés et un seul lieu de vente (à Kensington, quartier résidentiel de Londres), ignore qu’une crise économique souffle sur le reste du monde.
Henry Ford a inventé le montage à la chaîne au début du siècle dernier pour que l’automobile baisse ses coûts et devienne un bien commun…, telle n’est pas l’ambition de Royal, Bristol, Morgan et Caterham…, leurs modèles sont fabriqués à la main…, en conséquence, les prix sont élevés : 33.000 euros pour la minuscule Caterham (3,45 m)…, 45.000 euros pour la moins chère des Morgan…, entre 80.000 et 100.000 euros pour la Royal-Impérial-LeSabre plus accueillante…, voire stratosphériques : de 200.000 à 600.000 euros pour la gamme Bristol… et à ce tarif, le confort n’est pas compris…
Les survivants de l’industrie automobile ont juré fidélité au principe des anciennes voitures de sport anglaises : le poids, c’est l’ennemi…, dès lors, l’ambiance intérieure est spartiate… et, n accord avec la ligne, rétro, Morgan continue imperturbablement de fabriquer un austère cabriolet deux places né en 1936…, l’architecture aussi remonte à l’avant-guerre : tous les six mois, le propriétaire d’une Morgan doit resserrer les trente boulons fixant la carrosserie sur le cadre en frêne qui entoure le châssis…, il ne s’en plaint pas : cette contrainte ajoute au plaisir.
Copie conforme de la Lotus Seven, sortie en 1957, la Caterham est posée au ras du bitume (1,09 m de haut), dépouillée jusqu’à la coque (550 kg)…, sa clientèle doit donc avoir l’échine souple pour se glisser à bord… et des reins solides puisqu’ils font office de suspensions.
La Royale-Impérial-LeSabre a, elle, une histoire plus complexe : La société Asquith Motor Carriage Company Ltd a été créée en 1981 par Crispin Reed et Bruce West qui eurent l’idée de restaurer un van Austin 12 de 1928…, après de multiples péripéties à la fin des années ’90 et au début des années 2000 (augmentation du coût de la main d’œuvre, recherches pour la création d’un nouveau taxi londonien, annulation d’une grosse commande japonaise)…, qui ont entraîné une mise sous séquestre puis un rachat par Mike Edgar et la construction d’une usine à Dresde en Allemagne qui fermera en 2001 (l’année suivante !) suite à une crue de l’Elbe…
La société a pu sortir la tête de l’eau grâce à un crédit bancaire avalisé par un consortium d’investisseurs (des fous !)… et a rachèté en 2005 “The Vintage Motor Company Ltd”, qui fabriquait la limousine “Royale Windsor” et la plus sportive “Royale-Impérial-LeSabre”..,. espérant s’ouvrir ainsi à de nouveaux marchés… et là, rien…, plus possible d’en savoir plus…, si ce n’est que quasi rien n’en est sorti…, mais que la société existe toujours (sur le papier)…
Je ne vous narrerais pas non plus l’épopée de “The Vintage Motor Company Ltd”,, si ce n’est qu’il s’agissait d’une petite fabrique d’automobiles “néo-classiques”, du type : châssis “à l’ancienne”, sur lequel est boulonnée la carrosserie moderne mais d’un look ancien…, en ce cas une extrapolation allongée des fameuses Bentley MK-VI (Royale Windsor)…, mais aussi d’une sorte de Morgan de luxe (mieux finie) version XXXXL (Royale-Impérial-LeSabre)…, toutes motorisées d’un robuste et fiable V6 Ford 3.000cc injection, équipé d’une boite automatique (Windsor) ou d’une boîte manuelle (LeSabre)…
Il n’est aucun argument de raison dans l’achat d’une Royale-Impérial-LeSabre…, d’une Morgan…, d’une Caterham… ou d’une Bristol…, la motivation est ailleurs : un mélange de snobisme et de passion : “J’ai créé Caterham parce que la Seven est la voiture qui me convient”, explique Graham Neal, fondateur de Caterham, en me disant, en sus : “Dans le monde, il doit bien exister 600 personnes chaque année qui pensent comme moi”…
D’accord, mais pour comprendre pourquoi ces quatre marques hors du temps sont anglaises, il faut assister un jour de juin au débarquement du ferry Douvres-Calais…, de la soute descend un véritable musée sur roues pour un voyage initiatique en direction du circuit des 24 Heures du Mans : le fils conduit, le père surveille, prêt à reprendre le volant à la première vitesse manquée, au premier trottoir effleuré…, ou bien croiser la route, l’hiver en Écosse, d’un de ces rallyes historiques qui montent au plus près du cercle polaire : des couples emmitouflés, la soixantaine largement dépassée, bravant vent et neige à bord de cabriolets Morgan, Sunbeam, Austin, Triumph ou MG de leur jeunesse…, leur plaisir est de se retrouver le soir à l’étape et se dire que rien n’a changé, puisqu’ils roulent encore…
Les marques automobiles ne meurent jamais…, même si la plupart n’en ressortent pas, elles entrent dans un long sommeil car leur nom demeure au titre de la propriété industrielle, prêt à usage si le besoin s’en faisait sentir…, les confettis du défunt empire automobile britannique ont été ainsi dispersés au fil du temps : AUSTIN appartient au groupe chinois NAC (Nanjing Automobile Corporation) ; Les Bristol, plus luxueuses encore, perpétuent un genre oublié, car d’usage restreint : les longues berlines familiales à deux portes…, telle était la première Bristol, en 1947…
“Nous n’avons pas vocation à suivre le vent de la mode”, assène Toby Silverton de Bristol, qui aime à rappeler que sa marque appartient à l’histoire de l’Angleterre…, que les chasseurs lourds Beaufighter et les bombardiers Blenheim de la RAF durant la Seconde Guerre mondiale, venaient des ateliers de Bristol Aerospace…, que c’est pour garder la force de travail réunie pour l’effort de guerre, que cette compagnie a créé un département automobile une fois la paix revenue…
Il existe toutefois une autre version de cette naissance…, pas contradictoire, complémentaire : un dirigeant de Bristol, haut gradé dans l’armée, rapporta des plans de sa visite, en 1945, de l’usine BMW de Munich, détruite par les bombardements…, d’où la ressemblance entre la Bristol originelle et la BMW 327 d’avant guerre…, mais Bristol n’est pas figé dans le passé…, à son modèle majeur, la Blenheim 3, née en 1976, s’est ajoutée en 2004 la Fighter : un coupé sportif aux portes en ailes de papillon, capable, dans sa version la plus ultime, d’atteindre 330 km/h…, la fierté et le salut de Bristol tiennent ainsi en une phrase : “Être l’une des quatre dernières des marques de luxe anglaises, maintenant que Rolls, Bentley, Aston Martin et Jaguar voguent sous pavillon étranger”.
•DAIMLER appartient au groupe indien Tata ;
•HEALEY appartient au groupe chinois NAC ;
•HILLMAN appartient à Peugeot ;
•MG (Morris Garage) appartient au groupe chinois NAC ;
•MORRIS appartient au groupe chinois NAC ;
•RILEY appartient à BMW ;
•ROVER appartient au groupe chinois SAIC ;(Shanghai Automotive Industry Corporation) ;
•TRIUMPH appartient à BMW ;
•WOLSELEY appartient au groupe chinois NAC.