Ah, Saint-Trop, les milliardaires russes en goguette, les people à paillettes, les yachts opulents qui gâchent la vue, les bimbos en micro short insolent, les soirées au luxe indécent…, qu’y a-t-il de si merveilleux à étouffer sur une terrasse que le store rouge écarlate transforme en véritable étuve quand le soleil tape ?
Attablé au fameux café Sénéquier, c’est bien la question que tout néophyte peut se poser…, dans le village le plus célèbre de France, le va-et-vient des Ferrari et des 4 x 4 aux vitres teintées rend l’atmosphère difficilement respirable… et le prix des consommations n’est pas un réconfort.
Le paysage est charmant, il a inspiré le peintre Paul Signac et bien d’autres artistes à sa suite…, Simone Duckstein, la patronne de l’Hôtel de la Ponche, un quatre-étoiles qui était autrefois un bar de pêcheurs, me l’affirme sans ciller : “Le village est toujours le même. Les gens sont en quête de la même beauté et du même bonheur, et ils le trouvent. Karl Lagerfeld vous dirait la même chose que moi”…
Si Karl Lagerfeld l’a dit, c’est que cela doit être vrai (gag !), seulement voilà : d’abord il est décédé, ensuite en été, on n’y voit plus rien…, les yachts qui dépensent entre 1.500 et 2.400 € par jour pour mouiller à Saint-Trop érigent un mur d’opulence clinquante entre le quidam et la mer…, ils n’ont théoriquement le droit que de rester que trois nuits, mais outre qu’ils y demeurent toute la saison, il faut croire qu’ils sont nombreux à bénéficier de passe-droits,…, le soir venu, ils offrent au bas peuple le spectacle de quelques bimbos siliconées qui se trémoussent sur les ponts au rythme de soupe-dances que l’on croyait disparue avec les années ’90.
Sur le port, la mode est au microshort pour les femmes, quel que soit l’âge des jambes qu’il dévoile (sic !) et au microchien, qui ne foule jamais le sol de ses pattes…, il se porte sous le bras de Monsieur ou de Madame ; s’il souffre trop de la chaleur, on peut aussi trimbaler Toutou à l’ombre d’une poussette spécialement conçue pour lui.
Chez les hommes, la nuque longue blond décoloré est très prisée… et les lunettes fumées font fureur…, déception de taille : aucune célébrité pour venir satisfaire la curiosité des clients assis en rang d’oignons face au quai…, les grands patrons, Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Martin Bouygues ou encore François Pinault, restent perchés dans leurs villas, tout comme divers producteurs de télévision, ce n’est pas demain la veille qu’on verra les têtes couronnées habituées du coin, comme la famille Casiraghi, prendre un café sur le port : “On n’a plus les grandes stars”…, m’affirme une commerçante née à Saint-Tropez : “Il peut y avoir quelques mannequins, des sportifs, des gens de la télé-réalité, mais les vrais talents, c’est terminé”…
Pour se consoler, on peut s’adonner au jeu des “presque people” : ici, cela pourrait être Miou-Miou avec dix ans de plus…., un peu plus loin, Gilbert Montagné, en plus grand et sans piano…, à côté, Patti Smith qui se serait endormie sur la plage… et là-bas, le présentateur Arthur, en un peu plus empâté qu’à la télé…., ah non, lui, c’est le vrai !
Le menu posé sur la table se charge de remettre les points sur les i…, l’ancienne pâtisserie de Martin et Marie Sénéquier ouverte en 1887, devenue une adresse culte sur le port, temple de la tarte tropézienne (soixante ans), du milk shake, du nougat et du club sandwich (28 euros !), a été rachetée en 2013 par un restaurateur parisien, Thierry Bourdoncle, aux multiples enseignes dans les bons quartiers de la capitale : la Palette à Saint-Germain-des-Prés, le Pub Saint-Germain…, et il a eu la judicieuse idée d’installer une vraie carte de restaurant sous l’auvent rouge (cent couverts au dîner), face au défilé des yachts…., voilà, c’est ça, Saint-Tropez !
En cuisine, l’ancien chef du Ritz de Paris, Maurice Guillouët, élève de Joël Robuchon, a mis en place avec le cuisinier Thierry Devert, pilier de Sénéquier, un ensemble de plats méditerranéens : la daurade en carpaccio (39 euros !), le pavé de loup à la plancha, basilic (44 euros !), le tartare de bar à la coriandre et citron vert (42 euros !), les pâtes aux truffes d’été (48 euros !), le bœuf Paris-Bangkok épicé (49 euros !), l’entrecôte du fameux boucher parisien Desnoyer, 800 grammes (135 euros !), le foie de veau épais (45 euros !).
Le soleil ne freine pas l’appétit des touristes…, tout cela est copieux et mitonné avec un bon savoir-faire…, le client est respecté même si les prix ne sont pas donnés : Pêche Melba classique (21 euros !) et glace vanille expresso (21 euros !)…, le service est piloté par le directeur Jean-Robert de la Cruz qui connaît le petit et le grand monde de Sénéquier revivifié, à l’aube d’une seconde vie active après une période de triste déclin…
Cent vingt-cinq ans au cours desquels nous ont précédés Colette, Juliette Gréco, Marcello Mastroianni, Johnny Hallyday, Romy Schneider, et même Carlos…, 135 euros l’entrecôte… et du gaz d’échappement pour un morceau de légende…, ce n’est pas si cher payé…; inutile de se fatiguer à se faire une opinion : Saint-Tropez, c’est un mythe, un point, c’est tout…, à chaque instant, la ville multiplie les signes qui rappellent son prestige d’antan…, les mots “légendaire” et “historique” reviennent sans arrêt, comme pour forcer le respect du visiteur circonspect.
Impossible de faire dix pas dans Saint-Tropez sans croiser l’icône des icônes : Brigitte Bardot…, ou plutôt son image figée sur des photos datant de l’époque où la bombe anatomique était la plus belle femme du monde…, les bars, restaurants et échoppes en tous genres qui affichent sa moue boudeuse pour attirer le chaland doivent être reconnaissants que la version 2015 ait décidé de vivre recluse dans sa maison…, une octogénaire amie des bêtes autant que du Front national risquerait de brouiller le souvenir consciencieusement entretenu de la femme-enfant déambulant pieds nus dans les ruelles !
“Mon Saint-Tropez est mort, et moi, je ne vais pas tarder”, confiait-elle à Paris Match il y a quelques années ; “Cette ville que j’ai aimée est devenue une gigantesque boutique de luxe pour milliardaires”…., peu importe que la vraie Bardot porte aujourd’hui un regard très sévère sur le village : les images ont l’avantage d’être muettes… et BB continue malgré elle à façonner celle de Saint-Tropez…, même l’office de tourisme s’est laissé aller à mettre un portrait d’elle datant de janvier 1968 en couverture de son magazine !
Le peintre local, le bien nommé Sasha de Saint-Tropez, en a tout simplement fait son fonds de commerce…., il vend des toiles où s’étale le visage de Brigitte sous tous les angles : Brigitte regarde à gauche, à droite, Brigitte avec une cigarette aux lèvres et une mèche de cheveux qui lui vole dans les yeux, Brigitte avec un chapeau…
Elle se décline dans toutes les couleurs et dans tous les formats, pour un résultat à mi-chemin entre Roy Lichtenstein et Andy Warhol (mais encore très loin de l’un comme de l’autre)…, c’est aussi un ersatz de Bardot que l’on retrouve dans une publicité Dior d’il y a 3 ans…., avec pour toile de fond un Saint-Tropez idéalisé au parfum des années yé-yé, une jeune femme à la longue chevelure blonde ensorcelle les hommes en dansant sur les tables…
Aucun doute, la nostalgie fonctionne à plein tube…, le problème, c’est que toutes ces images d’Epinal commencent à dater…, même Eddie Barclay, qui chaque année organisait une fastueuse “soirée blanche” dans sa villa du Cap, est mort il y a déjà 10 ans…, du coup, on arrange un tournoi de pétanque sur la place des Lices en hommage au producteur de musique (gag !), on habille quelques filles à la mode sixties, avec fichus dans les cheveux et jupes aux genoux… et l’organisatrice du concours a promis de faire un don à la Maison des platanes, la maison de retraite où résident désormais pas mal des anciens boulistes qui jouaient avec Eddie…, partout, on trouve des références au bon vieux temps.
Un joyeux drille grimé en Louis de Funès dans le Flic de Saint-Tropez amuse les passants en les interpellant avec son sifflet…, ceux qui se souviennent du film expliquent la référence à leurs enfants dubitatifs, occupés à s’étaler de la crème glacée du front au menton…, même les photos de Daniel Angeli, le paparazzi qui restait en planque pendant des heures pour voler quelques clichés de Bardot barbotant devant chez elle, sont aujourd’hui adoubées par l’office de tourisme…, le photographe lui-même ne vient plus à Saint-Tropez depuis neuf ans.
L’objectif est clair, il s’agit de rappeler que le village a une histoire, qu’il a attiré de grands noms de la littérature, du cinéma et de la musique…, bref : Saint-Tropez, ce n’est pas seulement «ça», comme le souffle une Tropézienne en désignant avec dédain les yachts, les frimeurs et la foule, qui peut atteindre 100.000 personnes par jour en haute saison !
«Ça» c’est le changement auquel les habitants assistent, impuissants, depuis que le petit port est victime de son succès…, les enseignes de luxe ont colonisé les rues du village : en sortant du Monoprix, on tombe désormais sur Chanel…, la célèbre maison de macarons Ladurée vient de terminer ses travaux…, Gucci, Fendi, Dolce & Gabbana, Mauboussin, Breitling : la liste des boutiques faisant désormais partie du paysage est aussi longue que l’embouteillage à l’entrée de la ville.
Le petit port de pêche cher à Bardot, Vadim et Sagan reçoit 6,2 millions de vacanciers en juillet-août, une statistique en augmentation de 4% par rapport à 2014…, la crise larvée n’affecte pas le village peint par Signac et décrit par la grande Colette…, le mythe s’est enrichi du rêve bien vivant de séjourner sur la presqu’île varoise à l’environnement protégé : on ne construit rien, on restaure et on embellit, pas de béton envahissant.
Règnant sur les (à peine) 4.000 résidents à l’année, le maire, Jean-Pierre Tuveri, secondé par l’office du tourisme, a entrepris de promouvoir la cité du bailli de Suffren comme une marque mondiale de tourisme méditerranéen, durable et responsable (sic !)…, en 2014, plus de soixante opérations de promotion et de sensibilisation (workshop) ont été menées dans vingt-quatre pays par Claude Maniscalco, habile directeur du tourisme tropézien…
Et ça paie, puisque le journal américain “USA Today” a désigné Saint-Tropez comme la destination la plus romantique du monde devant Bora Bora, Venise, Tahiti, Hawaï et Saint-Barth…, de plus, l’office du tourisme du village a reçu le prix de la meilleure gamme de supports imprimés : le magazine Pure Saint-Tropez, les brochures, les guides, les cartes…, devant vingt-cinq grandes villes du globe, Val-Thorens étant en seconde position.
La communication du port de pêche aux dizaines de yachts de luxe amarrés devant Sénéquier, est conçue et mise en page comme pour une multinationale de renommée mondiale : le maire cherche à étendre la notoriété de Saint-Tropez à l’ensemble des métropoles et des pays développés…, en pleine saison, l’été, les Français ne représentent que 15% de la clientèle vacancière et 30% au Château de la Messardière, leader…, en tête, la clientèle en provenance des États-Unis, du Royaume-Uni, d’Italie, d’Allemagne, de Suisse, du Brésil…, loin devant les vacanciers russes et des Émirats…, en tout, quatre-vingt-cinq nationalités choisissent Saint-Tropez…, un véritable miracle économique.
Il reste à dire que les Français ne sont plus en mesure de s’offrir des séjours dans les grands hôtels de la cité, ils doivent se rabattre sur d’autres types d’hébergement : location de villas, d’appartements, de résidences, de villages vacances (VVF)…, il faut consulter la capacité hôtelière de Saint-Tropez pour toucher du doigt la marginalisation de la clientèle française : trois hôtels palaces (248 chambres), quatorze hôtels cinq étoiles (539 chambres), neuf hôtels quatre étoiles (314 chambres), vingt-cinq hôtels trois étoiles (630 chambres) et un seul hôtel deux étoiles avec quinze chambres : les destinations de luxe (1.000 chambres) sont reines… et il n’y a que quatorze maisons d’hôtes, c’est peu, très peu.
Dans le haut de gamme, les tarifs hôteliers sont parmi les plus élevés de France, trois à quatre fois le prix d’une junior suite au Majestic de Cannes…, au Byblos, historiquement le premier palace légendaire de la cité, la suite (cinquante en tout) atteint 3.600 euros la nuit, l’Hôtel de Paris au centre du village, piscine sur le toit, est à 1.250 euros (trente-huit suites), la Résidence de la Pinède, cinq étoiles, à 2.450 euros (sept suites), le Yaca et Y, cinq étoiles, à 1 695 euros (quatre suites seulement), le Saint-Amour la Tartane (huit suites à 1 500 euros), le Mandala (une suite et un appartement à 3 000 euros), le White 1921 du groupe Moët Hennessy à 890 euros (trois suites)…, bref, l’offre haut de gamme est bien là, car du 14 juillet au 30 août, la demande croît de jour en jour : Saint-Tropez demeure le passage obligé des “rich and famous”, des fous de la mer, du yachting et du “sunbathing”.
Sur les plages de Ramatuelle, genre Tiki Beach, l’arrosage des baigneuses et des baigneurs au champagne Cristal Roederer n’a toutefois plus cours ou si peu : vers le 15 août, apothéose de la saison, délires de fêtards éméchés… : “Oui, il faut être riche pour s’offrir des vacances de rêve sur la presqu’île”, me souligne le patron d’un restaurant de poissons (frais) sur le port, envahi le soir par les badauds et les flâneurs des environs, ébahis par la parade des yachts immatriculés à Panama.
À Saint-Tropez, il y a ceux qui vivent sur leurs yachts (taxe de 600 euros la journée perçue par la municipalité)… et il y a ceux qui les regardent, espérant être conviés à la fête de la nuit. L’arnaque sur le port est partout, trois boules de glace Berthillon à 18 euros, le prix d’un repas dans un village varois, le tartare de bœuf aux truffes d’été (sans goût) à 110 euros, le Saint-Pierre (pas frais) à 45 euros…, l’an dernier, un cuistot vendait même des spaghettis bolognaise cuits dans le trou d’un mur : on croit défaillir…
Songez qu’il y a 800 boutiques à Saint-Tropez, les plus fameuses marques de mode sont implantées autour du port et place des Lices : Dior, Chanel ont des villas avec salons, réceptions et défilés…, il faut voir comment les fringues ont envahi les rues, et pas seulement les sandales spartiates, une spécialité locale…, la cité du Bailli est devenue un vestiaire permanent, un “décrochez-moi ça” intense qui donne le tournis…, trop c’est trop.
Au marché de la place des Lices, le mardi et le samedi, les étalages de bimbeloteries, de bracelets en plastique et autres robes d’été occupent les stands autrefois dévolus aux fruits et légumes, charcuteries et fromages locaux…, “Il n’y a plus que deux paysans”, m’indique Loïc de Saleneuve, producteur de fromages, de fruits, de confitures à Colobrière (Var)…, désolant…, au marché de poissons, tout près, le prix des loups Saint-Pierre, dorades et barbues est intouchable : seuls les intendants et cuisiniers des yachts immobiles viennent s’y approvisionner…, en croisière, on ne compte pas…, Saint-Tropez, la capitale du veau d’or, fait vendre : 70% de la clientèle des hôtels, l’été, est étrangère…, la blonde de Saint-Tropez (ce n’est plus BB, c’est une bière belge née grâce au savoir-faire de brasseurs de là-ba, dans l’esprit de Saint-Tropez…, elle est prétendument entièrement naturelle et produit des royalties pour la cité…, dans les années 1980-1990, la Demoiselle de Saint-Tropez a été une marque de champagne, interdite par les autorités de défense du vin blond…, mais pas la bière.
La haute saison voit fleurir une ribambelle d’événements plus ou moins mondains, snobs, crétins et chiants qui traduisent l’orientation “show of” de la cité si aimée d’Eddie Barclay, créateur des Nuits blanches : e Rallye automobile des Princesses, la Giraglia Rolex Cup (une course au large reliant Saint-Tropez à Genève), l’exposition Ferrari sur le port (moment intense de conneries en tous genres), le Paradise Porsche, une exposition débilitante de bolides teutons (c’est qui à la plus chère), l’Euro Festival Harley Davidson place des Lices (la totale)…, tout cela anime la cité pendant les deux mois chauds, hyper chargés, créateurs d’embouteillages montres, de vols, d’arnaques et aussi prétexte à tout ce que le sud compte comme putes pour tenter de “se faire une bonne saison”…
La culture, la vraie, chère aux Tropéziens de souche (tout n’est pas encore perdu), prend place dès le printemps grâce aux sept concerts organisés par Alexandre Durand-Viel, le violoniste Renaud Capuçon et le pianiste virtuose Michel Dalberto en 2015, parallèlement au Prix Littéraire annuel de la Messardière, dont le jury, présidé par l’académicien Jean-Marie Rouart, a couronné le roman autobiographique Échapper de Lionel Duroy (Éditions Julliard)…, de ce point de vue, le grand événement de juin 2016 sera l’ouverture du Musée de la gendarmerie et du cinéma dans le bâtiment municipal qui a accueilli les célèbres gendarmes et Louis de Funès dans l’un de ses rôles majeurs…, la municipalité fait feu de tout bois pour créer le buzz et attirer de nouvelles couches de clientèle, en dehors des vacances d’été…, il reste que le souci majeur du maire et de ses administrés demeure “les ailes de la saison”, c’est-à-dire que d’octobre à avril, la cité du Bailli redevient ce qu’elle était avant le boom des années 1970, un village paisible et endormi…, que faire (de tant de bonheur?)…
L’office du tourisme mise sur les Asiatiques qui fuient le soleil (arrghhhhhh !), les Chinois prospectés pour les décennies à venir, un singulier challenge…, il n’y a pas de congrès ni de séminaires dans la presqu’île aux yachts et aux milliardaires logés à l’écart, dans les Villas des Parcs : la vocation tropézienne l’été, c’est le farniente dans les “sun beds”, le carpe diem, les virées en mer, les fêtes privées…, une certaine idée du plaisir de vivre dans un village azuréen devenu une légende sans fin.
Dior qui a investi une maison de plusieurs étages et son jardin, où se tiennent de somptueux dîners réservés aux meilleurs clients ; “LVMH est en train de faire du village une vitrine de ses marques”, accuse un commerçant…, LVMH est aussi l’heureux propriétaire de l’hôtel White 1921, situé place des Lices. “Le problème, c’est qu’il y a de moins en moins de commerces de bouche”, m’explique un médecin vivant à Saint-Tropez depuis trente-cinq ans : “La dernière droguerie est en passe d’être vendue. L’année prochaine, il ne restera plus qu’une seule boucherie. Si Bernard Arnault rachète tout, comment va-t-on faire ? Manger du cuir tanné, peut-être ?”…, une esthéticienne dans un hôtel de luxe à Saint-Tropez empoche en tout 4.000 € par mois, deux fois et demi le salaire d’une consoeur de la ville…, il faut parfois avoir le coeur bien accroché, comme le raconte une jeune masseuse : “L’année dernière, je travaillais au Spa d’un grand hôtel. Il y a des clients qui demandent facilement une petite turlute à la fin du massage. Le problème, c’est quand une fille accepte de le faire et que le management ferme les yeux”…, dans les vrais hôtels de luxe, normalement, on veille à la bienséance.
Un saisonnier me raconte par exemple comment un animateur vedette du service public a été “blacklisté” pour avoir joué au petit bonhomme en mousse avec sa compagne sur le balcon de sa chambre, offrant une vue imprenable à un autre public : les clients installés au bord de la piscine…, pour ce genre de frasques, c’est sur les plages de Pampelonne qu’il faut aller…, là-bas, à peine 5 km plus loin que le centre de Saint-Tropez, pas de problème, tous les excès sont tolérés…, s’y retrouvent ceux qui aiment étaler leur réussite financière…, jusqu’à l’outrance….
Tout le monde a encore en tête cette fameuse soirée de 2009 (soit un an après le début de la crise) où 1,2 million d’euros ont été dépensés dans la boîte de nuit de Jean Roch, le VIP…, il s’agissait d’une “battle” entre deux milliardaires, l’un pakistanais, l’autre malaisien…, on entend par là le concours de celui qui paiera la facture de champagne la plus lourde : le jeu était alors très répandu à Saint-Tropez… et il se pratiquait à toute heure…, la nuit, aux Caves du roy et au VIP, et le jour, sur la côte, les pieds dans le sable.
La Voile rouge n’a pas rouvert, mais les riches peuvent se consoler au Nikki Beach ou à la plage des Palmiers…, à 13 heures, les clients sont encore sagement assis autour des tables…, mais déjà la musique assourdissante rend les conversations superflues ; c’est plutôt l’alcool qui crée du lien, les bouteilles défilent les unes après les autres…, une jeune brindille aux cheveux blonds passe entre les tables en tenue très légère, souriante : elle présente les vêtements qui sont vendus à la boutique de la plage…, de temps en temps, la musique s’interrompt pour laisser retentir celle du film Star Wars : des serveurs accourent vers une table en brandissant une bouteille, des feux de Bengale crépitent pour attirer l’attention de tous…, cela signifie qu’un client vient de dépenser 10.000 € en champagne…, quand la bouteille est remise à l’heureux commanditaire, les habituées protègent leur Brushing en s’éloignant de quelques mètres, au cas où il déciderait de doucher ses invités.
Au cours d’un après-midi banal, le cérémonial intervient une dizaine de fois…, mais le déjeuner n’est vraiment réussi que lorsqu’une femme en short à paillettes (bien faite de préférence), monte sur la table, dégageant d’un coup de talon aiguille les plats de homards auxquels personne n’a touché… et se met à danser comme si sa vie en dépendait…, un autre monde, dans lequel on n’aime ni la presse ni les Français ; la clientèle vient surtout des pays de l’Est Russes et Bulgares en tête…, il paraît qu’ils sont moins pinailleurs et plus dépensiers : “J’ai essayé l’Espagne, la Sardaigne, chaque fois c’est ici que j’ai envie de revenir”, m’explique un ancien mannequin bulgare, mariée à un nabab industriel : “Les meilleurs vins sont ici, les plus beaux paysages aussi, la gastronomie est la meilleure au monde… Pourquoi voulez-vous qu’on aille ailleurs ?”…
Cet engouement de la clientèle de l’Est pour Saint-Tropez n’est pas sans déclencher quelques élans discriminatoires : “Dès qu’il y a plus de dix Russes autour de la piscine, les autres clients commencent à râler”, me confirme un plagiste : “Nous, on vient tous les ans”, me dit une nanana croisée sur le port : “Mais, maintenant, il y a vraiment trop de Russes”…, certains restaurants se permettent aussi quelques fantaisies…, un couple flamand me raconte par exemple qu’un serveur leur a apporté une carte aux prix outrageusement élevés, avant de s’excuser en s’apercevant de sa méprise : “J’ai cru que vous étiez russes ! Je vous ai apporté leur menu !”…
Les intéressés commencent à comprendre qu’ils sont pris pour des pigeons un peu plus souvent que les autres : “C’est agaçant de payer 250.000 € par mois pour une villa, et de s’apercevoir en arrivant que la clim est cassée. J’ai dû la réparer à mes frais”…, me raconte l’un d’eux, chemise blanche ouverte sur un torse glabre, barreau de chaise dans la bouche…, même s’il s’inquiète de l’arrivée au pouvoir des communistes en France…, ces broutilles ne l’ont pas découragé : il cherche désormais à acquérir une propriété dans la région…, car la force et la faiblesse de Saint-Tropez, c’est qu’il reste, malgré tout, l’un des plus beaux lieux au monde !
Il suffit de s’éloigner un peu du tumulte du port pour se retrouver dans des ruelles encore pittoresques…, un petit effort de plus, une marche d’une trentaine de minutes sur le sentier littoral : le paysage est à couper le souffle et les odeurs de pins chauffés par le soleil sont enivrantes…, le défi de Saint-Tropez, c’est évidemment de préserver ces instants-là…, inexorablement, le quotidien des Tropéziens se complique…, les infrastructures dédiées aux enfants sont rares, résultat, le village peine à retenir ses habitants…, ceux qui héritent d’un toit n’ont pas toujours les moyens de s’acquitter des droits de succession, d’autres succombent à des petits mots laissés dans leur boîte aux lettres leur proposant 30 millions d’euros pour leur appartement.
Le dernier recensement décomptait 5.400 habitants…, un chiffre qui n’est pas crédible, selon Alain Spada, conseiller général du Var et ancien maire de Saint-Tropez : “Tous ceux qui n’ont pas envie de faire de la figuration quand le village est mort vont travailler ailleurs. Il ne doit pas y avoir plus de 2.500 personnes en hiver. Dès le lendemain de la braderie [qui a lieu en octobre et qui permet aux commerçants d’écouler leurs stocks], toutes les boutiques ferment, sauf Hermès ! C’est un peu triste”…, Charlotte Angeli tient l’une des dernières boutiques originales de Saint-Tropez, où l’on trouve notamment des grenouillères pour adultes et des chaussures en carton : “Quand j’étais petite, on pouvait rapporter de Saint-Tropez des créations qu’on ne trouvait nulle part ailleurs, c’est pour ça que j’ai voulu faire ce concept-store un peu fou-fou”, m’explique la jeune femme : “Mais c’est comme ça désormais, il n’y a plus que le luxe qui marche ! On est à un changement d’époque, Il n’y a plus de classes moyennes”…, plus de classes moyennes en effet, mais des très riches d’un côté et, de l’autre, des pas riches du tout qui viennent passer l’après-midi à les reluquer…
Et il y a de quoi faire, entre le défilé hallucinant de Maserati, de Porsche et de Lamborghini, le ballet des hélicoptères au-dessus de la baie des Canebiers et les yachts à plusieurs millions d’euros…, des navettes proposent pour 9 € une sortie en mer pour apercevoir (de loin) les villas des célébrités…, on y va en famille : on tartine papy de crème solaire avant le départ, on recommande à la petite Chanel (si, si) qui court sur le pont d’être prudente… et la joyeuse excursion voyeuriste peut commencer…, on admire la villa de Mohamed al-Fayed “où Lady Di a passé ses dernières vacances”…, celle de l’homme d’affaires Tony Murray, qui a fait fortune dans les extincteurs…, la voix du haut-parleur commente : “il possède 21 villas comme celle-là, et pas moins de cinq yachts”… , on passe devant la résidence de la famille Opel, puis devant la bicoque de 2000 m2 d’Olivier Mitterrand, neveu de François…, on explique qu’il a dû détruire une extension de 600 m2 qu’il avait fait construire sans permis : les passagers du bateau se marrent, tout en réglant le zoom de leur appareil photo au maximum.
Viennent ensuite les lieux des tournages avec Alain Delon et l’éternelle Brigitte, dont on aperçoit la maison… et enfin les studios de “Sous le soleil”, la vieille série française la plus vendue à l’étranger, dont la découverte provoque quelques piaillements d’adolescentes à l’arrière, suivis d’une interprétation très personnelle du générique…, si c’est le film de Roger Vadim “Et Dieu… créa la femme”, qui a fait exploser la notoriété du lieu en 1956, il faut imaginer qu’aujourd’hui la ville accueille entre 190 et 240 équipes de production par an…, forcément, ça attire du monde…, mais une chose est sûre : chacun reste à sa place…, les fêtes brassant toutes les catégories sociales qui avaient fait la réputation de Saint-Trop sont bel et bien révolues…., pour Simone Duckstein, de l’Hôtel de la Ponche, elles n’ont même jamais existé : “Mais ce n’est pas vrai ! C’est un mythe !”… dit-elle, en tapant ses bagues en or sur la table avec vigueur : “On ne rentrait pas comme ça dans les soirées privées ! On disait même que les dîners de Barclay étaient payants. C’est du délire ! Autour du piano mécanique chez Palmyre, c’est vrai qu’il y avait des pêcheurs, mais enfin il y avait déjà des soirées privées auxquelles ils n’allaient pas !”…
L’ambiance s’est tendue, et, du côté des saisonniers, le mélange des populations est un lointain souvenir. Un habitué des lieux, propriétaire d’une magnifique villa sur les hauteurs de Ramatuelle depuis une trentaine d’années, reconnaît volontiers que ses fastueuses réceptions étaient beaucoup plus accessibles il y a une quinzaine d’années : “J’invitais tout le monde, des gens rencontrés il y a cinq minutes, des riches, des pas riches… Plus personne ne fait ça maintenant, on a peur… Du jugement, des vols”…, pourtant, vingt-quatre caméras surveillent le centre-ville… et les incidents sont rares…., si les propriétaires des villas des collines alentour ont tendance au repli, c’est sans doute parce qu’ils sentent que leur opulence attise des jalousies, surtout à une époque où, ont-ils entendu dire, sévit une crise économique d’une certaine ampleur. dans un grand hôtel : “On peut y aller, aux Caves du roy, mais il faut se déguiser en riches ! Une fois j’ai essayé de rentrer en jupe en jean : c’est impossible. Il m’arrive de croiser des clients, mais la différence, c’est qu’ils paient 7 000 € pour une table, alors qu’on ne peut se payer qu’un ou deux verres, maximum. Ceux qui veulent flamber avec eux dépensent tout leur argent en trois jours, c’est superdangereux”… “Les riches restent entre eux, dans leurs villas ou dans des endroits très sélect”, m’explique Célia, qui travaille
“Avant, les saisonniers étaient invités dans les fiestas, c’était bon enfant”, se souvient le concierge d’un palace : “Ensuite, ils se sont mis à dépenser leurs pourboires. Maintenant, ce sont leurs salaires qui y passent, car un plagiste gagne environ 1.400 € par mois, soit moins de un dixième du prix de la bouteille de Cristal de Roederer qui fait fureur à l’hôtel Byblos. Il ne faut pas y penser, sinon tu deviens fou. Avec les pourboires, et le black parfois, les saisons restent très lucratives pour ceux qui gardent la tête sur les épaules”…
En face de chez Brigitte Bardot, à quelques force de rame en barquette, mouille l’Eclipse un yacht aux allures d’immeuble flottant propriété du milliardaire russe Roman Abramovich…, cette immensité, d’un coût initial estimé à 340 millions d’euros lors de sa livraison en 2010, mais d’une valeur qui pourrait actuellement excéder le milliard selon certains médias, mesure 162,50 mètres et jauge 13.000 tonnes, il navigue sous pavillon des Bermudes, et cest une véritable ville sur l’eau : une boîte de nuit, un cinéma, un restaurant, une banque, une galerie d’art, un salon de coiffure, une salle de sport et un port intérieur flottant sont quelques-unes des commodités les plus incroyables, en plus de ce qu’on peut attendre de tout yacht de luxe digne de ce nom…, d’où les 250.000 euros que coûte sa location pour une journée.
C’est Beatrice d’York qui l’a loué quelques jours et nuits après avoir eu le loisir de faire la comparaison entre ce 2e yacht le plus grand au monde (l’Eclipse) et le 10e, le Rising Sun (avec plus de 80 pièces, un terrain de basket, une cave à vin) qui lui a été loué pour le mois d’août par… Oprah Winfrey, la papesse de la télévision américaine…, proche de Sarah Ferguson, qu’elle a reçue à plusieurs reprises (en 2011, elle lui faisait même l’honneur d’un “documentaire” en six épisodes, pour le plus grand bonheur de la duchesse au creux de la vague et surtout de son business !) dans ses émissions à succès, Oprah a accueilli le temps d’un apéritif la princesse Beatrice d’York et son amoureux en compagnie de sa meilleure amie et consoeur Gayle King ainsi que de Bob Iger, PDG de la Walt Disney Company.
Tout ce petit monde s’est ainsi retrouvé sur le bateau qui appartient au grand producteur David Geffen (Geffen Records et cofondateur de Dreamworks) !
Depuis novembre 2014, Beatrice d’York multiplie les escapades scandaleusement luxueuses… et pas pour trouver du boulot, quand bien même le site officiel de son père Andrew la décrit comme “travaillant en permanence“…, le Daily Mail a fait l’effort (il faut réussir à suivre !) de retracer ses allées et venues… Quelques jours plus tard, c’est avec sa mère Fergie, cette fois… et sa soeur Eugenie, que Beatrice mettait le cap sur Pékin afin d’assister au mariage de Victoria Tang, fille de l’homme d’affaires Sir David Tang, dont les soeurs d’York ont coutume d’honorer la grande fête du Nouvel an chinois à Londres ! Elle accompagnait son daddy en déplacement pour affaires dans les Emirats arabes unis ; l’occasion idéale d’aller faire un tour en mode VIP au Grand Prix d’Abou Dhabi, de goûter du chameau et d’aller faire la fête à bord du HMS Mahiki, déclinaison de la boîte de nuit londonienne du même nom tenue par un ami proche.
Après Noël, l’aînée des deux frangines est vite allée skier à Verbier, profitant du chalet récemment acquis pour 13 millions de livres Sterling, avant de foncer aux Antilles pour passer le réveillon du Nouvel an à bord du yacht du milliardaire indien Lakshmi Mittal…, juste le temps de repasser par Londres pour donner sa démission à Sony Pictures, et voilà qu’elle attaquait ses “activités” de 2015 du côté de Saint-Barthélemy, à nouveau sur un yacht colossal (et à titre gracieux)… de là, elle a enchaîné avec une petite visite de découverte de New York avec sa soeur Eugenie, alors installée là-bas ; histoire de préparer le terrain.
En février, c’est à nouveau dans les Alpes, à Verbier, que Beatrice se rendait pour une Saint-Valentin entourés d’Eugenie et son boyfriend Jack ainsi que du prince Harry, sans compter les potes…, quelques jours plus tard, Dave Clark, son petit ami, trop attentionné et craignant sans doute le surmenage pour sa chérie, lui offrait un autre séjour au ski : à Aspen, cette fois, la station huppée du Colorado…, le couple n’y a pas été livré à lui-même, dînant notamment avec le businessman Jerry Murdock, qui ne serait pas pour rien dans le job décroché par Dave chez Uber à New York. Invitée le même mois par le prince héritier de Bahrein à l’occasion du Grand Prix qui s’y courait, la jeune femme passait au retour par Florence et profitait de la conférence internationale sur le luxe de Condé Nast pour, le soir venu, faire la fête…, ce n’est qu’un mois plus tard qu’elle a pu souffler un peu, dans les Caraïbes pour la troisième fois en quelques mois, sur la plage exceptionnelle de Great Guana Cay. Début mars, la princesse Beatrice s’offrait un week-end d’agrément en Grèce avec des amis, avant de retourner à New York, avec Fergie, pour fêter les 25 ans d’Eugenie auprès d’elle…, puis, après Pâques avec Elizabeth II, direction Verbier à nouveau début avril… et la Floride une semaine après… et c’est pas fini. Voilà un “petit” exemple de la dure et difficile vie de la crème du pot…