L’histoire qui est racontée ici est rigoureusement vraie, je n’y ai pas changé une virgule, seulement modifié les événements, déformé les faits, interverti les situations, débaptisé les personnages et déplacé l’action. J’ai également pris des libertés avec les règles de la bienséance et du vocabulaire de l’affabulation. Oui, j’ai fait tout cela, mais, parole d’homme, je n’ai pas changé une virgule à l’histoire, J’aurais peut-être dû. Moi, nature d’élite, je philosophe et me dis qu’au fond il est stupide de se réunir avec d’autres, de se faire beau, de se peindre, de se teindre, de se harnacher, de se décorer, de se laver les pieds et le reste, de s’amidonner, de se “smokinger” pour manger.
Quoi de plus abominable que tous ces estomacs groupés en rond, en ovale ou en rectangle afin d’absorber la même nourriture ? Quoi de plus laid que ces bouches qui s’ouvrent sur de la boustifaille, que ces dents vraies ou fausses qui la broient, que ces gosiers qui l’avalent, que ces entrailles qui la digèrent ? Alors que la fonction organique inverse est considérée comme honteuse. En vertu de quoi la besogne du soutier serait-elle plus noble que celle du ramoneur, hein, je vous cause ? M’installant de pluche en pluche à Saint-Tropez, je ne pouvais pas imaginer qu’un jour je verrais un spectacle pareil !
Moi, en personne, accompagné de mon fidèle et adorable Cocker Blacky évoluant parmi l’élite mondiale, cohabitant avec tout ce que la Terre a pu produire comme rois et reines de l’esbroufe, présidents de multinationales aux méthodes plus gratinées qu’un plat de macaronis sauce fromage, milliardaires, sommités artistiques, politicards véreux et putes vérolées. Je vous jure qu’il faut avoir vu ça au moins une fois dans son existence ! Et si tout ce gratin (dont Blacky et moi nous sommes journellement spectateurs) ne serait pas à deux doigts de l’anéantissement atomique (laissez les Ruscoffs tranquilles), j’aurais ri, mais ri, à m’en mettre la rate au court-bouillon…
Dès que le pognon entre en lice, le climat se modifi, avec les gonzesses, y a rien qui détériore une ambiance autant que le fric. Prenez dix mecs paisibles, débonnaires, relaxes, heureux de vivre et d’être ensemble et amenez une souris en piste, vous verrez le chantier au bout de cinq minutes ; même si la nana n’a pas la fraîcheur printanière ou la silhouette bardotière. Ou bien, au lieu d’une nanana, faites surgir une question d’or et/ou d’argent parmi ces dix potes et attendez ! Les chevaliers à la longue bouille ils deviennent fous, ils dégagent de l’électricité, quand ils se sur-causent, il leur part des étincelles du clapoire en même temps que des syllabes.
Face à Senéquier chaque jour plus cher que la veille, j’en sais quelque chose puisque j’y consomme, j’ai remarqué l’autre jour du premier jour de la fête des cloches (c’est Pâques, bonne fête aux cloches !), un énorme zig à treize mentons, plus violet qu’un évêque, il était assis au volant d’une Rolls Royce orange et grise, en fait il était congestionné entre le volant et le dossier de son siège, son bide débordait par-dessus ses genoux, il portait une petite casquette de toile blanche à visière orangée et une chemise à manches courtes qui découvrait de formidables bras tatoués.
Sur le gauche, une fresque représentant le siège de La Rochelle : on voyait Richelieu dans son carrosse, la cavalerie, les remparts, une demoiselle violée derrière un buisson, un mousquetaire en train de déféquer au bord de la route et, seule note discordante, un avion à réaction dans un ciel couvert de poils frisés. La décoration du bras droit, en revanche était infiniment plus sobre puisqu’elle ne comportait qu’une dame nue et en pied, laquelle désignait son pubis d’un geste effronté en disant (c’est écrit dessus, comme le port-salut) : « C’est là que ça se passe ! »…
Telle est donc, brièvement décrite, la dantesque vision qui se présentait à moi tandis que Blacky hurlait d’épouvante… Mine de rien je me suis approché de la tire pour mater sa plaque d’immatriculation car les “ceusses” qui circulent dans ces engins sont généralement des anciens détenus fiscaux, ou des futurs, sauf s’ils s’exilent plus loin, comme disent les journalistes en mal de poésie qui n’ont pas l’habitude de recevoir des visiteurs de grande marque. La Rolls Royce était immatriculée à Monaco ou les numéros minéralogiques sont en argent ciselé, le volant en vermeil et les enjoliveurs en or fin taillé dans la masse.
Je suis venu m’intercaler entre son regard lubrique et un groupe de jeunes beautés éphémères qui descendaient la coupée d’un Yacht, il leva alors son regard étincelant d’intelligence vers ma modeste personne, puis scruta les agissements de mon Blacky qui finit par lever la patte arrière droite pour se soulager sur la roue avant gauche, étincelante de l’engin. Son conducteur émérite remuait en moi je ne sais quelle fibre délicate et – vous l’avouerais-je ? – j’avais les larmes aux z’yeux en engageant la conversation. C’était un Slave, qui vivait du pétrole, unique richesse de son pays, mais aussi d’expédients douteux, je lui ai dit l’air naïf que le long du littoral, on faisait un peu d’agrumes et que, sur les premiers contreforts des Monts Zémerveils de l’arrière pays, paissaient des troupeaux de moutons semblables à des astrakans nains…
Mais que ce n’étaient là que des ressources très secondaires eu rapport aux ressources inavouées du commerce local en matière de putasseries et escroqueries diverses…, ce à quoi il me rétorqua que son pays, le Kelsaltan était officiellement gouverné par l’Iman Komirespyr et qu’en fait, ce pays se subdivisait en petits émirats dont le plus important était l’émirat de Balaïou et que chacun des émirs qui dirigeaient les petits émirats était en fait un monarque indépendant qui faisait fi des directives de la capitale et qu’en conséquence l’unité du Kelsaltan n’était donc qu’illusoire, les émirs étant des gens très riches à cause du pétrole…
– Vous vous en doutiez ?
– Un pneu, mon gros, ils vivent en mauvaise intelligence…
Je lui ai adressé un geste affectueux qu’il n’a pas vu, because ses lotos façon taupe, il a pressé le démarreur et ses 500 bourrins se sont mis à piaffer sous le capot de sa brouette. Juste au moment de démarrer il a eu un petit sursaut, son subconscient, toujours à la pointe de l’actualité, ayant enregistré un petit détail bizarroïde. Il lui a fallu un dixième de seconde pour le transmettre à sa turbine, il coupa le contact en regardant je ne sais quoi ou qui et j’aperçu, une jupette qui flottait doucement dans la brise printanière, j’ai considéré un moment les lourdes jambes-poteaux qui bougeaient en faisant tressaillir la chair qui recouvrait des os d’envergure gigaXXXL derrière ce chiffon hors de prix, puis mon regard effaré s’en est allé, au-delà des toits, jusqu’aux nuages bossués qui rendaient l’horizon de Saint-Tropez funèbre et funeste…
Le type qui vous a raconté qu’on pouvait vivre d’amour et d’eau fraîche s’est payé votre hure, ou alors il avait un ulcère à l’estom’, l’amour, au contraire, ça demande du carburant, les rois du pageot, vous y trompez pas, ce ne sont pas ceux qui s’engraissent à l’eau de source, mais les champions de la bouffe, le lit et la table sont cousins germains, la preuve ils sont horizontaux l’un et l’autre, d’ailleurs ne dit-on pas “noces et banquets” ?
Cette association est éloquente, et point n’est besoin d’avoir fait ses études en faculté pour le comprendre, c’est ça qui est réconfortant : la plus forcenée des enquiquineuses a toujours son moment d’abandon, les femmes les plus fortes deviennent de faibles femmes lorsqu’arrive l’heure exquise qui les grise.
Mon regard revint alors vers les lourdes gambettes tressautantes, c’était une grosse poupée blonde d’environ une tonne et demi qui avait le visage aussi expressif qu’un chaudron plein de compote de pomme, elle était maquillée en bleu, vert, rose et rouge et fardée avec une truelle, les diams qu’elle trimbalait auraient assuré l’équilibre du budget de Saint-Tropez pour cent ans. Ses boucles d’oreilles ressemblaient à un lustre du salon d’apparat de l’Hôtel de Ville, ses bracelets devaient être si lourds, qu’elle était surement dans l’impossibilité de tendre la main sans le secours d’un trépied de fusil-mitrailleur, quant à son collier, il ressemblait à une chaîne d’arpenteur en or massif qu’elle se serait entortillée autour du goitre ! Cette énormité-là, n’achetait pas ses soutien-gorge chez C&A ou H&M, et ce qu’elle trimbalait devant ses poumons était bien à elle et c’est pas avec une épingle de nourrice qu’on aurait pu dégonfler le tout…
Outre le Monégasque-Kelsaltanné (un double sens involontaire) qui avait ses yeux écarquillés et la bouche grande ouverte et dégoulinante, d’autres messieurs installés sur la terrasse de chez Senéquier auraient dépensé une fortune pour lui sous-louer sa laiterie modèle avec tous les accessoires. Elle avait des yeux qui court-circuitaient le bulbe et une bouche plus sensuelle qu’une édition non expurgée du Kâma-Sûtra…, ses jambes-jambons-poteaux faisaient penser à des tas de trucs, ses bottes de cuir noir à des tas de choses dont aucune n’aurait été racontable à des gens purs et naïfs. Moi, vous me connasse…, quand une personne pareillement conditionnée se fourvoie dans mon espace vital, j’ai illico envie de lui demander de quelle couleur était le cheval blanc d’Henri IV.
Je lui ai dit “Hello”… Elle n’a pas sourcillé, n’a pas tourné vers moi son visage refait un nombre incalculable de fois et bruni-brûlé par l’air du large, elle n’a pas émit la plus légère onomatopée, son manque absolu de réactions pouvait s’expliquer de trois manières différentes : ou bien elle était sourde, ou bien elle était étrangère et n’entravait pas le français, ou encore, mais cette dernière hypothèse me contristait, la tronche de séducteur du Monégasque-Kelsaltannai qui s’était installé devant moi, ne lui revenait pas.
Mon nouvel ami m’a alors invité avec mon Cocker Blacky à déguster quelques choses au bar “Le Sube” qui surplombe le port (le nom doit sûrement être extrapolé de Su-ccu-be) alors que j’eusse préféré l’Ermitage et tandis que nous devisions sans savoir encore qui allait entuber l’autre dans une affaire foireuse de plusieurs millions, j’ai vu la beauté éléphantesque qui se radinait, deux plombes plus tard, dans le bar, froquée façon grand tourisme, peinte au Ripolin express et qui portait (avec grâce) une robe blanche qui lui faisait une taille comme un anneau de rideau et sur laquelle elle avait épinglé une fleur artificielle rouge sang pour parachever, elle tenait négligemment sur son bras une cape en peau de rat qu’elle n’avait sûrement pas hérité de sa grand-mère.
Elle était accompagnée d’une autre beauté rare, mais grande et encore flexible, avec une taille de guêpe, des balochards surcomprimés, un valseur sculpté-main, des jambes de cover-girls américaines et un beau visage aux pommettes légèrement accentuées, style Mongole fière, cheveux blonds, naturellement ; yeux verts, cils en forme de tremplin pour saut à ski, et bouche façon vorace, dessinée et peinte par un artiste lubrique, pile le genre de beauté qu’un délabré du calbard coltine au Grand Vefour, chez Cartier et chez Chanel, histoire de faire croire au Tout-Saint-Trop’ qu’il est un vrai Casanova, une épée de plumard damasquinée ! J’ai toujours proclamé qu’il existait deux catégories de femmes : celles qu’on a envie d’accrocher à son palmarès et puis les autres. Des autres, je n’ai rien à dire, n’ayant rien à en f… comme on dit dans les salons les mieux achalandés en grammairiens, mais il me plairait de subdiviser la 1er catégorie.
Tandis que l’homme à la Rolls Royce orange se jetait sur la catcheuse en habits de soirée, je détaillais sa supposée amie, une fille tout ce qu’il y a de bien : grande, avec juste ce qu’il faut de moustache pour vous donner à penser qu’elle possède des yeux admirables, pris séparément (le gauche ne perdant pas de vue la ligne d’horizon, et le droit surveillant attentivement les fluctuations des cours de Bourse), une chevelure façon sirène, des formes qui transforment la main de l’homme en louche à potage et une bouche tellement sensuelle qu’en l’apercevant, son tube de rouge à lèvres sort tout seul de son étui. Appartenant à la seconde subdivision de la première catégorie, un article de grand luxe, pour l’exportation, la preuve ; elle avait été importée de Russie par son oncle !
Une histoire que beaucoup de ses semblables racontent avant de dire leur prénom : “Mille euros mon chéééry”. Une histoire que je ne connasse que sur l’extrémité du médius, me la re-narrant chaque fois que je bois un Mojito de trop… Or, l’une des particularités de cette déesse du non-amour, qui en possédait bien d’autres, était précisément de toujours boire un verre de trop. Pour aider à m’en aller loin sans faire de vagues ni payer une addition trop additionante, j’ai prétexté que c’était l’heure d’un rendez-vous chez le vétérinaire de mon Blacky… “Et quoi qu’t’a disé ton véto ?”… m’a dit la beauté éphémère… J’ai haussé les épaules et lui ai débité une de mes tranches de gras favorite sur l’air des lampions…
– D’après ce que j’ai compris, ça serait ma vésicule d’hier qui chercherait des rognes à mon duo des hommes ; en plus, j’ai le pancréas qu’arrive plus à pancréer et l’estomac qui démarrerait un rétrécissement de la hotte. Brèfle, il m’a collé vingt jours de repos absolu. Quinze heures de plumard, crudités, grillades et pas d’alcool ; le régime des stars, quoi !
– Tu m’prend pot une buse mon chééééry d’amoure…, si c’t’est vrai j’me chope la taille mannequin…
– Et un teint de lait que les jeunes filles t’envieront…., ai-je rétorqué en partant à reculons avec Blacky…
On a sauté dans mon nouveau p’ti Rod et foncés droit devant tandis qu’un hydravion battait des ailes en faisant du rase-mott, Saint-Tropez c’est dingue…
A SUIVRE ICI : Livres & Romans – Gatsby Online