Il y a des essais qui, comme certaines histoires sexuelles, marquent à jamais une vie !
Imaginez la Côte d’Azur ensoleillée, une superbe jeune femme à la démarche envoûtante, demi-habillée en rose-fushia avec des damiers noirs et blancs, des bottes et des cheveux noirs avec des mèches bleues…, une route qui serpente à l’infini vers les cieux… et un Sex-Rod jaune…
Je vais vous narrer le truc de malade que j’ai vécu, quelque part au-dessus de Monaco…
Tout commence par un bel après-midi ensoleillé, du côté du village de la Turbie.
J’ai rendez-vous à 14 h avec Angela Haag, une Allemande de Dusseldorf, heureuse propriétaire du Sex-Rod jaune que vous pouvez voir sur les photos qui illustrent cet article.
Je sens que vais pouvoir savourer les joies du sexe cet après-midi.
Nerveusement, je scrute l’horizon ; un grondement résonne tout à coup.
J’ai juste le temps de me retourner, le monstre vient s’arrêter devant moi.
J’ai beau ne pas être spécialement émotif, difficile de rester de marbre face à une telle auto !
D’ailleurs, le temps qu’Angela s’extraie de l’habitacle, un petit groupe de curieux libidineux se presse autour de la sculpturale Allemande prête à bondir sur moi telle une athlète dans les starting block, m’exhibant ses galbes généreux.
Le moindre détail de son corps et de sa tenue attire l’attention…
– Komm mit mir, Patrice, hier gibt es zu viele neugierig, kenne ich einen sehr ruhigen Ecke oder können wir uns unterhalten …
– Ja, Angela, ich freue mich darauf, Sie kennen im Detail …
Angela Haag, qui n’est pas une inconnue des fans de Hot-Rods en Allemagne et qui fut l’égérie de bien des clubs très Hot…, me tends les clés de son Sex-Rod
Une petite mise en garde sur les techniques particulières nécessaires pour piloter cet engin… et hop, je me retrouve dans l’habitacle.
Ça les amis, ça s’appelle de la confiance !
De la confiance, justement, il va en falloir à Angela qui vient de prendre place dans le baquet de droite…
Trop beau…
Aussi gâteux qu’un gamin au pied du sapin, je m’apprête à m’élancer au volant du Sex-Rod le plus ringard jamais produit depuis les années ’70….
Elaboré tel un véritable engin sexuel, ce Hot-Rod est un pur concentré de solutions antiques…
Assez de blabla, place au sport !
Si l’accès à bord n’est pas des plus aisés, la position de conduite est pire…
Le volant se règle en hauteur par basculement, mais pas en profondeur… et les baquets ne permettent pas de correctement se caler.
Le petit levier Hurst de la boîte automatique trône au milieu du plancher, obligeant à se plier en avant pour le manoeuvrer… et ne tombe, ainsi, pas parfaitement sous la main.
La finition intérieure est typique des années ’70, en velours surpiqué pour former des losanges, ce qui n’est pas du meilleur goût.
Pour le reste, le tableau de bord reste dans l’esprit Hot-Rod.
Petit détail, le compteur de vitesse est gradué jusqu’à 380…
Le soleil brille, en quelques secondes le V-8 s’anime dans un déchirement métallique qui me glace le sang.
– Oder wir, Angela ?
– Gehen Sie zu Eze, in der Nähe der Fabrik Parfüm Fragonard, ich habe ein Haus oder ruhig wir besser kennen zu lernen …
– Ich kenne … angekommen in Eze, Sie führen …
– Ich werde Sie weiter als Sie denken…
Prudemment, je sollicite les 350 ch qui ne demandent qu’à faire étalage de leur fougue ; l’auto s’élance en douceur.
Sitôt sorti du village, je m’engage sur la Grande Corniche au dessus de Saint Jean Cap Ferrat.
Une belle ligne droite me tend les bras, je libère la cavalerie.
Instantanément scotché au fond du baquet, j’ai à peine le temps de regarder les seins d’Angela qui vibrent au rythme du V-8…, qu’une grande courbe à gauche me saute à la figure !
Hallucinant, le bloc s’est envolé à plus de 5.000 tours dans un hurlement hors du commun !
Les pneus cirent, la carrosserie gémit, tout vibre comme dans un antique Stuka en piqué…
Je prend une véritable claque qui fait monter mon rythme cardiaque dans les mêmes proportions…
Trop fort…
Pas le temps de souffler, il faut freiner de toute urgence…
La sensation de ralentissement est aussi grisante que la poussée à l’accélération…
N’offrant que très peu de mordant, les disques se mettent à crier leur désespoir…
Il ne faut pas hésiter à mettre de la pression sur la pédale… et à se caler sur le volant !
J’en hurle à perdre haleine tellement c’est dingue de se sentir presque mourir !
Pris dans l’euphorie, j’en ai oublié Angela ; la pauvre n’ose plus bouger et me regarde bizarrement…, je n’ai pas osé lui dire que cela s’appelait un orgasme…
Malgré sa violence et son niveau de performance, le Sex-Rod reste un bitza que n’importe quelle Mini Cooper (et même One) battrait sans sourciller…, sauf que ce serait bien moins sexuel…
Les suspensions “tapent” en tous sens, la caisse louvoie… et j’ai bien du mal à garder l’auto sur sa trajectoire.
La rigidité de l’ensemble rend la voiture très douteuse, elle se conduit toutefois de manière très lascive…
A ce stade-là, mieux vaut avoir de solides notions de pilotage ou bien ne pas avoir peur de rentrer à pied…
La mise à mort continuelle des gros pneumatiques empêche la motricité ; impossible d’éviter de faire un burn-out digne de ce nom à chaque fois qu’on pousse sur l’accélérateur…
Le cœur qui bat à 200, Angela grince des dents…
Je nage en plein bonheur sur une autre galaxie !
Un train de vacanciers roulant aux limitations (comprenez qui se traîne lamentablement) me permet d’apprécier la souplesse du V-8 à bas régime, c’est la dernière bonne surprise que me réserve ce Sex-Rod…
Quel adjectif choisir pour qualifier au mieux cet engin ?
Je vais vous laisser trouver…, la liste est longue !
Une certaine fatigue commence à m’envahir, il me reste encore vingt minutes de route à parcourir.
Pour passer le temps je dénigre…, mais celà ne suffit pas a tromper l’ennui abyssal qui s’installe.
C’est alors que je sens la main d’Angela sur ma cuisse, elle fait des aller et retour entre mon genou et mon entre-jambe.
Je me saisis de cette main baladeuse et l’oblige a franchir le cap…
Elle joue avec ses doigts une partition de piano.
Je ne suis plus fatigué, une gaule monstrueuse tire le tissu de mon pantalon.
Délicatement je sors le lion de sa cage, il faut être prudent car la route continue de défiler et le moindre écart peut nous envoyer dans le ravin.
Elle n’arrive pas à descendre sa main plus bas…
Malheureusement pour moi, la route n’est que virages, chaque fois que l’un d’entre eux se présente, il faut qu’elle interrompe ses manoeuvres.
Elle sait qu’il nous reste peu de chemin a faire…, elle s’amuse de me voir ainsi, à sa merci.
De temps en temps elle tourne la tête, arrète le va-et-vient de sa main…, regarde ou j’en suis…!
Un travail précis et appliqué…, attentive de ne pas aller jusqu’au bout…
Et…, rien…
Elle regarde son travail et sourit…
Nous sommes arrivés trop vite à Eze…
– Wir kommen, Patrice, ist auf der linken Seite, direkt nach dem Werk von Parfüms Fragonard, noch 200 Meter vom Weißen Haus mit den grünen Fensterläden… Sie halten den Erfolg ? Es wäre schade, einen so schön Erektion… Es wäre spannend, daß du so hübsches Stück !Censuré…
Une nuit est passée !Elle est étendue sur le lit, ivre d’envies, engloutie dans un vertige qu’elle ne reconnaît pas, amassée de nerfs, vibrant dans un demi-sommeil, un drap sur ses jambes, un gode à côté de ses bras.
A force de dire en allemand qu’elle veut jouir, abattre le néant, le détrousser dans un grand moment de gloire, elle a fini par en faire des habitudes, des moments d’auréole, un rituel qui déménage dans les confins du lubrique.
Elle connaît des empires de débauche et de plainte, accessoires de désordre dans son corps qu’elle harangue inlassablement devant le miroir sans cadre de l’évier.
Les commissures aux lèvres lui apprennent alors dans ses rêves mâtinés de malentendus grotesques, d’arbres sur le bord de son chemin, porteurs de fruits immenses, déglutissant d’un rouge amer la semence absurde…, l’impossible mémoire de son esprit.
L’aube est blanche, d’un blanc crémeux, qui suinte par la fenêtre et se déguise en dentelles lourdes sur les murs vitrifiés par la crasse.
Et je suis là, debout, inlassable et décomposé, mal rangé dans mon dedans, médiocre et assouvi par l’envie, délabré du dehors, défiguré par cet instant de la voir, de me voir la regardant, de savoir qu’elle se noie doucement dans le temps qu’elle a choisi ; de survivre encore pour mieux m’épouvanter, d’écrire sous mes yeux sa lente décomposition, son amertume profonde, ses seins lourds et sa bouche, surtout, qui me glisse des phrases inutiles, des mots narquois, des flèches acérées qui me transpercent, en manque d’elle, de ses rumeurs de femme, de son sexe béant, en démangeaisons multiples, de ses yeux qui quémandent l’absolue jouissance ; à dénigrer les paysages trop mièvres à son goût, de mes jambes, de mes bras, de mon corps immobile, condamné à la voir se surseoir à chaque instant, s’étriper la cervelle dans des lueurs fauves, s’agglutiner en masse rougeâtre par terre, les genoux ramassés par terre, rocher de plaine singeant les naines, ses longs cheveux noirs méchés de bleu en guise d’épouvantail.
Au-dehors, le trottoir lubrifié par les semelles des passants, se charge peu à peu d’eux, de leurs visages fermés de pesanteur lourde, d’âpres signaux qu’ils font, guidés par la volonté farouche de sauver l’essentiel, de transmettre le jour et la lumière vers des commerces touristiques dégorgeant d’atomes en guise d’être, et de jouir de leurs murs épais gercés de fenêtres, de ces devantures qu’ils vont décorer à grands frissons d’odeurs, de parfums et de sandwiches frais.
Le silence au-dedans, laisse vibrer la plainte d’une ampoule nue, décorant l’ombre de sa lumière, estivante passagère d’une mer imaginée… et je me berce, un instant, de ce filament de tungstène, hallucinant des moments de préhistoire, à l’orée de l’odeur forte de ces troupeaux d’hommes ramassés sur leurs muscles lourds, de ces femmes apeurées de savoir, guidé par un chef bêlant des fragments d’étoiles.
Ils sont, invisible mémoire, le reflet de mes peurs, l’attente dérisoire d’un dieu, le paysage de l’absolu défiguré par la vie, la symétrie de toutes les haines, l’essor de la conscience, d’éternuer les guerres et la cruauté qui s’y montre en tourbillons de folie.
Je suis assis au bord de l’évier, à surveiller du coin de l’œil l’eau qui commence à bouillir dans la casserole boursouflée.
Je sens qu’elle rôde à présent dans la chambre, qu’elle cherche déjà ses appâts de nonchalance feinte.
Nous ne nous parlons pas, sachant l’autre dans les effluves du sturpre, traquant seulement nos ventres et nos odeurs.
Elle est femelle de ses mains à m’agripper parfois, au détour d’une raison, d’être à me regarder, seul paysage vivant dans sa chambre.
Les lassitudes qui l’entourent, peuplent l’air d’un brouillard sec, hanté par d’anciennes couleurs du ciel en parure.
Elle a des gerçures aux lèvres d’éreinter les mots gutturaux qu’elle me sert, en monologue astucieux, d’apprivoiser l’air en vastes voyelles, son cul plongé dans la rigueur du manque, ses bras vivants seuls, automate déguisé cherchant dans les pourboires de l’absolu la trace d’elle ; dans ces méandres veineux que sont les rues de la vieille ville d’Eze, qu’elle ira revisiter cent fois pour trouver chez un pourvoyeur maussade la poudre d’amour, masquant, pour la millième fois, ses rancœurs, sa haine.
Un string traîne sur le fauteuil, dentelle qui joue au chat, laissant vibrer dans sa transparence le souvenir d’une fesse… et qui tressaille encore de mes mains.
Et je la vois, buvant son Nescafé maintenant froid, dévier sans cesse vers un cauchemar immense qui délabre peu à peu son corps, sa peau, uniforme des damnés, dernier naufrage en forme de créneaux, d’une forteresse qu’ils se construisent, délaissant les vivants pour la gloire de combattre, seul à seul, le tyran gigantesque qu’ils abritent en eux.
Je suis là, en face d’elle, la table de la cuisine nous sépare, inondé par une fausse lumière qu’elle enrage à me transmettre, accaparée par ses envies lubriques, dénudant ses yeux jusqu’à l’extrême, à scintiller de cette joie se ressassant d’elle-même.
Et je m’enlève de ce soupirail, de cette fausse vertu, m’enlève en décrochant ma veste suspendue à la poignée de la fenêtre, m’extirpe de son monde, de son goutte à goutte de conscience… et marche presque en courant vers la porte miraculeuse qui me délivrera pour un temps de cette monstrueuse obscénité, pour me retrouver dehors, enfin dehors, égaré.
Le Sex-Rod est là, témoin…, je le caresse en le frolant, un sourire moqueur aux lèvres…
Quelle stupidité !
Je marche, mon corps en mouvement, délié des genoux, des jambes, des bras, qui fonctionnent, s’étirent, se convertissent à une nouvelle pensée, d’être la nature en mouvement, théâtre magnifique d’os et d’eau concentrée, de nerfs, muscles, de peau sentant le froid la lécher… et je suis cet homme qui marche, milliards de cellules, portée de vie qui jappe, effleure les senteurs de la rue, le parfum gris des passants.
La vibration, synonyme du verbe, qu’ils cherchent et se transmettent, la vibration énorme, époustouflante, d’une intensité à faire pâlir toutes les consciences du monde ; la vibration de tout, entièrement tout, ultime projet en mouvement, d’où, piètre connaissance, les hommes se croient issus.
La vibration est en nous, sur nous, totalement nous et nouée à l’orée du savoir des savants grêles et courtois, l’alchimie n’a de cesse d’être le parcours idolâtre de soi-même ; chaque particule est un univers en mouvement, totalement libre, totalement fou.
La conscience nous égare, figée dans l’histoire, à croire qu’un soleil luit, qu’un monde s’épanouit, qu’une délivrance est possible dans le grand dédale du temps, piège que l’histoire fabrique à chaque instant, miroir aux alouettes mortes, rôties dans la grande bassine du temps.
Je m’assieds dans un bar, neuf heures du matin.
Des yeux me guettent, éparse compagnie clignant sur les journaux du matin, rumeur de la vie, mille vertiges qui sillonnent le papier, nouvelles de mots, d’âpres luttes, de gais vainqueurs, nouvelles d’ici et d’ailleurs, s’imbriquent à former un carcan d’images, film de la vie qui explique en mots graves et pesés l’éditorial du jour.
Et je suis vide, coquille sans œuf, marivaudage de l’âme devant la senteur d’un café chaud, traversé par de vagues riens, qui sont autant de méfaits dans l’illusoire mécanique, s’appliquant sans désordre à l’éphémère bercement, le tourbillon tranquille de la machine.
Maquillé par ma chair, endolori d’exister, neuf dans la salle du café, je dérobe un silence, une voix qui n’existe pas, un secret de l’âme qui divulguerai l’absence… et je ne retrouve qu’elle, affalée dans ma conscience, me meurtrissant d’exister, d’être, de tirailler des pensées élastiques dans le grand naufrage, l’interminable descente aux enfers, aux portes innombrables, entrebâillées.
Et derrière chaque planche montée sur ses gonds, une agonie céleste, un hymne à la cruauté d’être, perclus de soi, envahi par les fantômes d’un projet terrible, d’un dieu extatique, grommelant l’aube à chaque jour, mâchant la vie, à se moucher avec les morts, dédaignant tous les sacrifices, pour n’être en bout du monde, que le reflet saumâtre d’une terrifiante nature.
Le seul décor est la matière qui m’envenime, me désastre, m’exaspère de n’être que cela, bout de chair à peine chrysalide de ce que sera mon tombeau, flottant alors, je le sens, dans l’incroyable torpeur du renouvellement, de l’extase des demeurés, parfaitement sage d’être le passage, le frottement entre deux mondes, la nécessaire renaissance.
Et je suis enfant de haut vertige, d’acclamer au pic de ma vision, la belle industrie des atomes se multipliant sans cesse dans un chant de cris, parcouru de clameur et frayant avec l’aube, chaque jour enfante un nouveau visage.
Et je suis de mille formes à enfanter des sourires d’eau usée, des vasques d’où bondissent mille regards, mille étreintes de bras immenses et morts, de mille visages méconnaissables, d’où surgit la même frayeur, la même question, écho de mille nuits de lumière envahi par les autres, scrutateur infini des races semblables, de ces rares indiens d’Amérique qui nous réveillent la nuit et nous demandent, leurs poignards posés sur leurs genoux, de voir l’autre côté du miroir.
Je regarde, presqu’île de connivence à l’autre bout d’Eze, celle que les autres ne regardent pas, village hâtif, multipliant ses excès de tourisme jusqu’à les rythmer dans une convenable décence d’odeurs mêlées, striures mornes sur le parvis du temple des parfums, d’âcres senteurs de consciences volées par les trépidations incessantes d’une course muette, d’un saut splendide vers un autre demain, entretenu par de terribles espoirs.
Mes rêves ont de la peau, mugissante, âpre et collée sur la peau moite et parfumée des passants.
Mes rêves sont dans mes yeux des langueurs qui s’affalent sur leurs dos.
Ils sont tous les autres, sauf moi, immobile et servant d’une méconnaissance, d’un reflet pâle et louvoyant, chaloupant sur des horizons morts.
Les mots me servent d’armure sur le rebord de la table marbrée, à peine occupée par la tasse vide et le sursaut de noir au fond, arôme de mes ténèbres que je regarde évasivement en pensant à elle.
Le silence se meurt d’un bruit, cuillère qui tombe, renversé par mon bras énervé, catalysé par de sombres remords ; l’intouchable vérité qui surgit de la savoir, là-bas, dans la chambre verte, dodelinant sa frénésie vers de nouveaux arrivages, bateau de poudre blanche qu’elle précise en dilatant ses yeux.
Je regarde autour de moi, marmonnant de l’œil un recoin de l’ombre dans la salle, conservatoire de muets qui babillent d’étranges mélopées venant d’autres cieux et navires, de caves profondes et enivrées, jouant des bras parfois, à pourfendre les mots qu’ils se disent, armatures de leurs blessures, signant d’un geste la mélancolie sage de leurs désirs blessés.
Ils sont d’autres musiciens, portés par le vent, dégaine de sable aux yeux brûlés, nervures de leurs mains appâtées par les danses qu’ils ont connus, tournoyant dans leurs mères.
Le ciel est socle de ma mémoire, enfantant des remous d’anciens nuages, de grandes prières, de terribles naufrages.
Il est ancré dans ma main, posé sur le rebord de la table ronde, atteignant le cercle sans jamais le déchirer, main de guerre ou d’enfant tambourinant à la face du soleil, des vertiges issus de mille lanières de nerfs.
Le siècle est posé là, décor de marchandage dans la grande salle du café, enivré de formica, de rumeurs exquises dans le havre somnolent, d’une mère aux portes vitrées.
Sortir au dehors, se sentir peau dressée, à l’affût des sens, des odeurs de légumes frais dans le cabas des ménagères, des voitures qui dressent un écheveau de lignes dans la rue droite et fascinante de couleurs éparpillées.
Des mots me viennent, armée de langage dérivant avec les nuages vers d’autres contrées villageoises, peu importe ; des mots de traîne ou de rut, de mare ou viennent s’abreuver tous les rêves permis.
Des mots qui planent le long des gouttières, qui font semblant d’être des lianes, s’immisçant entre les pierres d’un château très ancien, aux murs recouverts d’or, mouillé par les baisers d’une femme.
Des mots enfin de tous les jours, avec un paquetage d’os et de chair liés.
Des mots recouvert d’arbres, herbe sifflante ou l’ingénue fait le verbe creux aux sauterelles ; des mots par milliers qui s’assemblent et forment, d’une matière nouvelle, le ciel égaré glissant des nombres vers d’étranges cités.
Et je suis là, entouré du monde, ensemencé, à la proue d’un bateau de nulle part, traînant l’abîme aux pieds, guttural et raisonné, d’âpres servitudes, capitaine de papier aux nerfs élagués, déroutant mon navire vers d’autres ports, assoiffé d’ombre et de nuages, gaufrés de pluie, étincelles de néant coulant en froides ravines sur mon visage.
Un alphabet de connivence inscrit dans le monde…, désarmé d’écrire dans la chambre verte, halluciné par le même voyage, la même envie de s’enfuir, de partir au loin d’être prisonnier de son corps, sa nonchalance feinte.
Elle est serpent de ses méandres, de ses bras allongés, araignée de haut vol, négligeant mon esprit pour s’inscrire dans mon corps, infusé son odeur au plus profond de moi, libérer son étreinte qui m’envahit peu à peu, descendant jusqu’aux pires remous…
Stop !
– Auf Wiedersehen, für immer, Angela…Taxi…
Retour à la case départ…, avec la vision souvenir d’un cul en poussant un autre…, oui, mais lequel ?