Contrairement à ce qu’affirme le succès littéraire d’Alberto Moravia, on ne s’ennuie pas en 1960…, c’est même une période drôlement pétillante. Le nouveau franc fait son entrée dans le porte-monnaie des ménagères. Un vent d’indépendance souffle sur l’Afrique, une ère nouvelle s’ouvre pour de nombreux pays : Cameroun, Sénégal, Togo, Bénin, Niger, Burkina Fasso, Côte d’Ivoire, Tchad, Congo, République Centrafricaine, Mali et Mauritanie exercent le droit fondamental des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ca boume tellement que des essais atomiques sont réalisés dans le Sahara marocain. Cette révolution des mentalités n’est pas encore effective en Algérie minée par une guerre qui n’ose pas dire son nom. L’Algérie est tellement présente dans le cœur des français, que l’accident de la route qui coûte la vie à Albert Camus, prend une signification tout particulière.
1960 oscille entre tristesse et espoir. C’est la peur au ventre que les jeunes appelés français partent pour les 15 départements d’Afrique du Nord. L’Armée perd son sang froid… à Paris les hommes politiques se discréditent, les pieds noirs ne savent pas encore que la baie d’Alger hantera longtemps leurs nuits et le FLN se bat pour récupérer le pouvoir. Les guerres coloniales sont sales, elles finissent aussi salement qu’elles ont commencé. Tous les français ont l’impression d’un immense gâchis, ils se réjouissent pourtant de la mise à flot du Paquebot France qui sort des arsenaux de Saint-Nazaire.
Tante Yvonne inaugure elle-même ce navire devant un million et demi de spectateurs, la France a du panache quand elle construit et innove. Elle a pourtant tremblé en apprenant le rapt du petit Eric Peugeot…, elle respire à nouveau normalement lorsque son père le ramène au domicile familial, 170 avenue Victor Hugo sous les applaudissements et soulagements de la foule.
Les Etats-Unis viennent de choisir un nouveau président John Fitzgerald Kennedy. Il est beau, il est jeune, il est riche, le gendre parfait d’une Amérique dont la jeunesse se déhanche sur les rythmes endiablés du rock’n roll. Le cinéma prend lui aussi un sérieux coup de jeune. Bien sûr, Lino Ventura tient la vedette dans Un taxi pour Tobrouk aux côtés d’un Charles Aznavour piquant et d’un Maurice Biraud nonchalant. Mais la révélation s’appelle Jean-Paul Belmondo dans A bout de souffle de Jean-Luc Godard. Ce fils d’un sculpteur célèbre, adepte des salles de boxe et turbulent élève du Conservatoire est en passe de devenir le sex-symbol de toute une génération. Il n’a pas le physique académique des jeunes premiers, à la manière d’un Gérard Philippe, mais son nez écrasé, son naturel, son détachement, séduisent les cinéphiles.
En Italie, Federico Fellini nous propose une Dolce Vita envoûtante, Anita Ekberg y explose de sensualité dans la fontaine de Trevi et Marcello Mastroianni gagne ses galons de séducteur mondain. C’est doux, frais, amoral, tout l’esprit de l’année 1960 est conditionné dans ce chef d’œuvre. L’Italie n’inspire pas seulement les metteurs en scène. Les constructeurs automobiles puisent aussi dans ce climat propice à la création de nouvelles idées.
1960
En 1960, les jeunes mettaient des costumes pour sortir. Le dimanche, les garçons portaient une tenue spécifique pour se rendre à l’église. Une veste trop serrée et un pantalon en flanelle qui faisait rire les copains et provoquait de douloureuses démangeaisons. Les femmes se parfumaient à la fleur de violette.
Des groupes de demoiselles en robes à fleurs se faisaient remarquer en riant un peu trop fort sur la place du village. La France ronronnait gentiment.
On s’habillait, on pensait, on dansait comme dans les années 50. Le temps s’égrenait sans surprise, les journées avaient la lenteur des dimanches soirs.
On attendait patiemment qu’un incident, minuscule, vienne casser cette belle machine à endormir les consciences et les désirs…, parce qu’ailleurs, ça bougeait sacrément.
De l’autre côté de la Manche, les anglais avaient déjà mis un sérieux coup de pied dans la fourmilière. Nous regardions ce spectacle avec désolation et envie.
C’est la rue qui donnait le tempo à cette agitation, à ce souffle de liberté. Sans le savoir, des milliers de jeunes prolétaires britanniques faisaient à leur façon une véritable révolution culturelle, on les appelait les Mods. Ils écoutaient les Who et les productions du label Tamla Motown, cette soul noire américaine si langoureuse qui distille le chagrin de la triste banlieue londonienne. Ces gamins avaient fière allure au guidon de leurs Lambretta customisées. Ils ne ressemblaient à rien d’existant sur la planète, ils s’inspiraient de la mode américaine, française et italienne. Nés pauvres, ils ne voulaient pas faire pitié.
Bien au contraire, ils avaient la volonté de s’habiller, de se comporter, de vivre avec beaucoup d’élégance et de dignité. Leur tenue fétiche se composait d’un Levi’s 501, d’un polo Fred Perry, d’un Harrington G9 sans oublier aux pieds les indispensables Desert Boot de chez Clarks, ces fameuses chaussures à semelle de crêpe très confortables inventées par les frères Clark, des tanneurs spécialisés dans la fabrication de pantoufles en peau de mouton. Les Desert Boot s’inspiraient des bottes souples que les officiers anglais avaient dénichées dans les bazars du Caire…, leur look fit immédiatement fureur si bien que de nombreuses stars d’Hollywood le récupérèrent à leur compte. Steve McQueen ou Frank Sinatra popularisèrent ce mode de vie décontracté et rebelle.
La Californie va jouer un rôle déterminant dans le développement des tout-terrains. Une nouvelle génération de voitures dites récréatives est née entre San Francisco et San Diego. Les plages sans fin, le soleil de plomb, le surf, la musique des Beach Boys ont fait éclore un art de vivre à l’américaine et surtout l’envie de rouler au grand air ! Le groupe The mamas and the papas entonnait en chœur California Dreamin en 1965…, une chanson qui évoque le mal du pays, le vague à l’âme qui vous emporte lorsque vous avez quitté les plages de Californie. Dans la grisaille de votre studio new-yorkais, vous vous rappelez avec nostalgie de la baie de Monterey, de Santa Barbara, de Santa Monica, de Laguna Beach ou l’atypique ville de Carmel figée dans son décor des années 20. La Californie est une formidable carte postale, les gens y sont bronzés, ils font du surf sur la plage, organisent des fêtes improvisées autour d’un barbecue de fortune et l’esprit hippie se propage sur cette lande de terre sauvage.
Au milieu des années 60, le tourisme n’a pas encore envahi ce territoire béni des dieux. Des milliers de jeunes se retrouvent pour danser au coin du feu et entendre le tube California Girls des Beach Boys. Au même moment, en France, Jean Ferrat célèbre la mutinerie du cuirassé Potemkine. La jeunesse américaine a adopté le Volkswagen Combi pour se déplacer sur les routes ensoleillées de Californie. Mais les Etats-Unis restent un pays d’aventuriers, de découvreurs de nouveaux moyens de locomotion. La démesure est inscrite dans leurs gènes. Des illuminés ont ainsi créé des Dune Buggies à la fin des années 50. Ce sont des engins motorisés qui permettent de dévaler les dunes de sable. Ces véhicules sont très rudimentaires, un châssis, un moteur et des gros pneus. Ces Hot-Rod de plage font le bonheur d’une jeunesse avide de sensations fortes.
Un homme, Bruce Meyers, un ancien de la Navy, observe ce spectacle sur la plage de Pismo. Il est fasciné par ce ballet de buggies sautant d’une dune à l’autre. Il décide de s’intéresser à ce phénomène et crée son propre véhicule. Il utilise une structure monocoque en fibre de verre, une technique issue du nautisme, il y adjoint une mécanique d’origine Volkswagen.
Le Meyers Manx sera une formidable réussite commerciale car il en construira près de 6.000 exemplaires. Son buggy est tellement efficace qu’il remporte la course de côte de Pikes peak et fait des miracles dans la Baja 1000. La folie buggy va s’emparer de la planète quasiment jusqu’à la fin des années 70.
En France, en Italie, en Angleterre, des dizaines de sociétés vont se spécialiser dans cette niche en utilisant très souvent des moteurs Volkswagen mais également Renault. Ce sont généralement des kits à monter qui font d’une vieille Cox un véhicule ludique et branché à peu de frais. Mais le Meyers Manx n’aurait pas connu une telle popularité sans le coup de pouce involontaire donné par Steve McQueen. L’acteur, passionné de compétition, participe à des courses de motocross dans le désert de Mojave au début des années 60. Il court à cette époque sur une Triumph TR6 650 cm3…, son ami Bud Ekins, le cascadeur qui le double dans ses films ( La Grande Evasion, Bullit, Le Kid de Cincinnati, etc…), l’accompagne durant ces longues journées harassantes où la chaleur foudroie souvent les pilotes. Steve McQueen plonge à ce moment-là dans la culture californienne des buggies. Il donnera à cet engin hors norme ses lettres de noblesse dans L’Affaire Thomas Crown en 1968. La séquence où McQueen conduit son buggy ne dure que quelques secondes. Mais pourtant, elle suffit à rendre mythique ce drôle de crapaud sur roues, la magie tient à peu de chose, McQueen en pilote, Faye Dunaway en passagère, la musique de Michel Legrand et un splendide Meyers Manx rouge animé par un moteur de Corvair. Les buggies vont donc déferler sur la planète et faire de n’importe quel automobiliste lambda, un type cool et dans le vent. La Californie sera désormais le terrain de recherche et de jeu des constructeurs qui scrutent les nouvelles tendances “balnéaires“.
1961
Un quarteron de généraux en retraite reprend du service. Un dernier baroud d’honneur pour une Armée à la dérive qui s’est salement comportée dans une sale guerre. C’était le temps où le Général travaillait ses discours comme un acteur de la Comédie Française, ses mots faisaient mouche, il avait du vocabulaire pour un militaire. Quand il parlait d’un pronunciamiento, on imaginait une sorte de rébellion à la mexicaine, quelque chose de joyeux et coloré.
La réalité était moins folklorique, on électrocutait à la gégène, on tranchait les gorges, on violait les femmes et les enfants dans les villages. Les méthodes n’étaient pas sans rappeler les pratiques barbares de la rue Lauriston. L’honneur de la France était bafoué.
A Paris, ce n’était guère mieux, la Préfecture de Police jetait à la Seine des Algériens comme de vulgaires sacs à patates ! Bizarrement, on retrouvait dans ces heures noires, les visages familiers de l’horreur, notamment de sinistre mémoire, un certain Maurice Papon.
1961 restera dans l’histoire comme une année charnière.
C’est le moment où nous avons compris que notre empire colonial n’était qu’un château de cartes, un souffle l’a emporté.
Hemingway a décidé de partir lui aussi…, tandis que Kennedy effectuait sa première visite officielle avec sa jeune femme, née Jacqueline Bouvier, de lointaine ascendance française.
Les ménagères dévorent des yeux ce jeune président si séduisant qui a, parait-il, un succès fou auprès des actrices.
Dans l’automobile, une véritable révolution se prépare.
Renault avait présenté la 4L, l’auto des ménages… la 2CV en prenait un coup… et Citroën a présenté en avril sa nouvelle Ami 6. On doit sa ligne tourmentée avec cette splendide lunette arrière inversée au carrossier italien Flaminio Bertoni. Cette étrangeté de 3 CV séduira plus de un million d’automobilistes en dix ans de carrière. Elle est la preuve qu’une voiture moyenne peut être moche, avant-gardiste, provocante et charmante. Nos routes de campagne avaient de l’allure grâce à ce modèle tout droit sorti d’un musée d’art moderne.
Il y a deux mondes qui s’ignorent en 1961. Chacun dans sa sphère. L’ouvrier se demande comment économiser suffisamment d’argent pour se payer la nouvelle 4 L de Renault qui remplace la Dauphine. Et puis la jet-set qui s’en donne à cœur joie, qui court entre St Tropez, Megève, St Moritz et Deauville.
Les vedettes de l’époque sont les têtes couronnées, les stars du cinéma, les chanteurs de la nouvelle scène musicale et les sportifs capés. Les journaux ne parlent que d’eux. La frénésie people date de cette époque là. On se demande si la relation qu’entretiennent Roger Vadim et Catherine Deneuve est bien raisonnable. C’est déjà un cinéaste confirmé et elle, une gamine de dix-sept ans et demi. La morale en prend un coup dans le nez. Elle en reprendra un autre avec le Président Macron qui se marie avec son institutrice, la tendance d’âge est totalement inversée… En France, pas de milieu, toujours extrème…
Et que dire de cette nuit du Rock’n Roll qui a réuni les vedettes de la chanson au Palais des Sports, notamment un adolescent de dix-sept ans qui vit encore dans sa chambre de Clichy, mais qui déclenche l’hystérie de la jeunesse française avec son jeu de jambes virevoltant. Il s’appelle Johnny Hallyday, les maisons de disques lui offrent un pont d’or pour signer chez elles un contrat d’exclusivité. Sa popularité est telle qu’il ne faut pas moins de 67 agents en uniforme pour éviter tous débordements. Les enfants des années 60 ont les yeux scotchés sur l’émission Age tendre et tête de bois animée par Albert Reisner. On rêve de paillettes, de gloire et d’argent facile. On en profite pour le faire circuler en Caravelle…
Les exploits du toréador Manuel Benitez Perez dit El Cordobès galvanisent la foule des arènes. C’est un dieu vivant, les femmes s’offrent à lui et les hommes louent son courage. Les espagnols se félicitent des fiançailles de Juan Carlos de Bourbon et de Sophie de Grèce. Tout ce qui brille attire, les jeunes filles veulent toutes devenir de grandes actrices…, dans le ballet des débutantes, l’une sort particulièrement du lot en 1961 : Claudia Cardinale est née à Tunis d’un père italien. Son adorable visage a tapé dans l’œil du réalisateur Henri Verneuil, elle a la peau joliment bronzée et une voix cassée qui fait dérailler les garçons. Le prince Rainier essaye de contenir la soif de conquête d’un Armateur grec au nom mystérieux d’Aristote Onasis. Un type de petite taille, décidé qui veut tenir le monde dans sa main. Maria Callas ne résiste pas à sa volonté de tout posséder. Même les hommes politiques se mettent à jouer les playboys.
En visite en France, JFK et son épouse Jackie rajeunissent la fonction présidentielle. Les gens veulent du spectacle, de l’esbroufe, des exploits. Les frères Rodriguez, Ricardo et Pedro âgés de 18 et 20 ans, vont leur donner cette dose d’adrénaline. Tout chez eux prend des accents d’exotisme, ils viennent du Mexique, ils sont riches, jeunes et imprudents. Les spectateurs des 24 Heures du Mans leur réservent une ovation pour leur combativité. Toute cette frénésie ne doit pas faire oublier le malheureux incident de la Baie des Cochons à Cuba ou le mur de la honte érigé à Berlin. Les événements dramatiques n’y font rien, le désir de croquer la vie à pleine dent est plus fort. Devant son poste de télévision, l’homme moderne se verrait bien dans la peau de Porfirio Rubirosa, ce diplomate dominicain dont la liste de ses conquêtes a un parfum de scandale : Danielle Darrieux, Kim Novak, Ava Gardner ou encore la sulfureuse Zsa Zsa Gabor.
Pour transporter une clientèle aussi dorée, Facel Vega a présenté en 1958 un splendide coupé de prestige. La HK 500 est un monstre de puissance et d’acier.
Equipée d’un V8 d’origine Chrysler de 5.907 cm3 développant 360 chevaux, la voiture dépasse les 230 km/h. Le pilote belge Paul Frère l’a même chronométré sur l’autoroute à 237,154 km/h…, qui dit mieux ! Au départ, son concepteur Jean Daninos a créé une société spécialisée dans la métallurgie, les Forges et Ateliers de Construction d’Eure et Loir. Rien de très glamour, un prestataire pour l’aviation, mais Jean Daninos a un frère écrivain, célèbre pour le best-seller mondial Les carnets du Major Thompson. Cet auteur a des idées et de l’esprit. Au mot Facel, il va accoler Vega, le nom d’une étoile très brillante de la constellation de la Lyre. Durant une dizaine d’années, les Facel Vega seront le dernier sursaut d’orgueil de l’industrie automobile française. Une lueur éphémère qui a fait croire un temps à la renaissance d’une marque de très grand luxe.
1962
En 1962, ce sont les enfants qui dictent la marche du monde. Sur les écrans de cinéma, Yves Robert fait rire la France entière avec son petit Gibus dans La guerre des boutons. Evidemment, s’il avait su, il ne serait pas venu. Dans un registre plus scandaleux, Stanley Kubrick adapte Lolita, le roman sulfureux de Nabokov. La société ne considère plus les enfants comme des êtres dénués d’intelligence et d’émotion, ils ont été les grands oubliés de l’après-guerre.
Pourtant les industriels de l’agroalimentaire et du divertissement ne pensent plus qu’à eux. Ils deviennent des acteurs économiques au sein de leurs familles.
Même si on les écoute encore d’une oreille distraite, ils influencent le panier de la ménagère. Cette génération va être choyée, les parents se sentent responsables de leur bien être. De retour d’Algérie, leurs grands frères ont le regard vide et la tête remplie d’horreurs. Dans les familles françaises, on veut oublier à tous prix de sacrifier une autre génération. Alors, on lâche un peu la bride. Avec leur argent de poche, ils se ruent chaque semaine sur le magazine Salut les copains. Frank Ténot et Daniel Fillipachi ont eu l’idée géniale de leur consacrer un journal, rien que pour eux. Les adultes regardent un peu circonspects cet intérêt soudain pour des sujets aussi légers, mais ils laissent faire. Comme le dit l’adage populaire, il faut bien que jeunesse se passe.
En couverture du premier numéro, un sujet de fond Pour ou contre Vince Taylor, un reportage sur Johnny Hallyday et une mystérieuse enquête Sylvie en couleurs. Le rock et le twist réchaufferont les corps et les cœurs durant l’hiver rude de l’année 1962. La jeunesse se passionne pour de nouvelles idoles.
Coup dur pour les anciennes gloires du music-hall : Luis Mariano, Maurice Chevalier, Tino Rossi vont bientôt être balayés par cette vague yéyé.
Tous les adolescents écoutent à leur transistor une élève du petit conservatoire de Mireille. Mademoiselle Hardy comme on l’appelle encore, fait sa première apparition à l’ORTF avec son tube Tous les garçons et les filles…, tandis que Danyel Gérard exhorte Le petit Gonzalès à ne pas retrouver la belle Anna sous peine de représailles de la part de son père. Pendant ce temps là, aux Etats-Unis, une autre enfant blessée, fatiguée et meurtrie nous quitte : Marylin Monroe, la petite Norma Jean aura eu un destin foudroyé. Que de soucis avec les enfants ! Ce n’est pas Jean-Paul Belmondo qui nous dira le contraire. Dans Un singe en hiver, il interprète un jeune père qui vient récupérer sa fille, prisonnière d’un orphelinat de la Côte Normande. Quand il arrive à Tigreville, il n’en mène pas large, il rêve de corridas et d’espagnolades… et il noie son chagrin et son courage à coups de Picon bière. Heureusement qu’il trouvera sur son chemin, un ancien fusiller-marin au verbe haut et au cœur tendre.
La littérature enfantine a également trouvé son maître : René Goscinny, dont les histoires fascinent tous les garçons. Avec Uderzo, il a créé le personnage d’Ompah-pah, un indien à la force extraordinaire qui est le grand-père d’Astérix. Ce bourreau de travail et de sensibilité, s’est également associé au dessinateur Jean-Jacques Sempé pour créer le Petit Nicolas. En 1962, sortent Les vacances du Petit-Nicolas. Les enfants se passionnent pour les aventures du garçon et de ses amis aux prénoms magiques d’Alceste, Clotaire, Eudes ou Agnan. L’enfant terrible de la littérature, François Sagan, vient de donner naissance à un garçon. Dans les cours de récréation, on joue aux gendarmes et aux voleurs et on fait semblant de conduire une grosse voiture en bruitant le moteur avec sa bouche. Mais depuis 1959, rouler dans une petite voiture, ce n’est plus le comble du ridicule mais plutôt de la branchitude.
Alec Issigonis a inventé la Mini qui fait rêver les petits et les grands. Elle est compacte, marrante, snobe, délurée, elle symbolise une Angleterre débridée et fantasque, elle est capable de se faufiler sur les grands boulevards et de remporter le Rallye de Monte-Carlo. En clair, elle est le porte-drapeau d’une génération qui veut s’amuser. C’est un formidable jouet d’adultes et un bain de jouvence. Les fils et filles de bonne famille ne jurent que par elle.
Et les parents ne dédaignent pas la conduire…, elle est tellement pratique. Tout le monde en veut une pour arpenter la ville. Mais que faire à la campagne ?
Ses dimensions ne lui permettent pas d’emporter beaucoup de bagages. Les hommes du marketing vont donc imaginer une version break pour gentleman farmer, décorée de panneaux en bois, la Mini Countryman a enfilé sa tenue de chasse pour des week-ends à la campagne très, très distingués.
1963
Le traité de l’Elysée qui scelle l’amitié franco-allemande a été signé entre le Général de Gaulle et Konrad Adenauer. On panse les plaies et le souvenir de la Deuxième Guerre Mondiale se fait plus lointain. L’heure est à la réconciliation européenne en 1963. Les anciens ennemis sont devenus les nouveaux alliés.
Il y a comme un paradoxe, le spectre de la Guerre s’éloigne et pourtant, les populations n’ont jamais eu autant besoin de héros. C’est le cinéma qui va leur apporter ces idoles, ces nouvelles figures du courage sur grand écran. A chacun son style. Les français courent voir Les tontons flingueurs, le polar comique de Georges Lautner. Les enfants raffolent de la boîte à mandales de Lino Ventura tandis que les plus grands savourent les dialogues de Michel Audiard où il est question de puzzle, d’alcool de contrebande et d’un certain mexicain. Dans le registre gastronomique, Fernandel et Bourvil s’affrontent dans La cuisine au beurre. Tout ça est plutôt bon enfant comme l’annonce des fiançailles entre Johnny et Sylvie.
Le cinéma américain invente un autre genre de héros intouchable, impénétrable et porté sur la gaudriole : James Bond contre Dr No… sorti fin 62 aux Etats-Unis arrive début 63 dans les salles de l’hexagone. Les filles vont toutes tomber sous le charme de Sean Connery, cet acteur écossais qui incarne un agent secret de sa Majesté la Reine d’Angleterre. Quoi qu’il arrive, cet espion se révèle impeccable. En short ou en smoking, il a une classe folle. Il a pourtant des habitudes de vieux garçon, il boit toujours sa Vodka-Martini au shaker, se présente toujours de la même façon et reluque les filles en maillot de bain. Pour l’instant, il roule en Sunbeam Alpine, c’est à partir de Goldfinger qu’il adoptera définitivement une Aston Martin DB5. Ce premier opus d’une longue série marque surtout les esprits des cinéphiles masculins pour une apparition féérique, celle d’Ursula Andress en bikini blanc sur une plage déserte.
Elle sort de l’eau, le corps ruisselant, la démarche chaloupée, un coquillage à la main et un couteau sur la hanche gauche. Cette première James Bond girl est un choc à une époque où les femmes portent encore d’affreuses gaines en élastomère. Ursula est le véritable symbole, le signe de la liberté retrouvée.
Dans la vraie vie, elle fera un joli couple avec Jean-Paul Belmondo pendant une petite dizaine d’années. Sean Connery a de la concurrence en 1963, il doit faire face à un jeune acteur qui a triomphé à la télévision dans la série Au nom de la loi, interprétant Josh Randall, un chasseur de primes qui utilise une Winchester à canon raccourci.
Steve McQueen est un garçon turbulent, un gosse des rues devenu une star de cinéma. Il impressionne dans La grande évasion par son habileté à s’envoler au guidon de sa Triumph T110. Il n’est qu’au début de ses acrobaties routières. Il n’hésitera pas à payer de sa personne…, des rues de San Francisco jusqu’au circuit de la Sarthe, il cherchera toute sa vie à abattre des chronos. Le monde recherche des héros, des types capables de le protéger, on ne sait jamais si tout recommençait, si la folie des hommes repartait.
Alors on se rassure, avec des gars comme Bond ou Josh Randall, deux types qui ont le permis de tuer, nos enfants seront toujours protégés. Pourtant ces surhommes ne sont pas immortels, les américains en font la triste constatation. Leur président JFK est assassiné à Dallas. Il portait en lui l’espoir d’un monde nouveau. D’autres comme James Dean sont partis si jeunes. Déjà huit ans qu’il s’est tué au volant de sa Porsche 550 Spyder et pourtant sa légende n’a jamais été aussi forte. Des millions d’hommes à travers le monde ont adopté sa tenue : un simple tee-shirt blanc et un blue-jean. James Dean fut l’une des premières stars d’Hollywood à craquer pour la marque allemande Porsche. En mars 1955, alors qu’il se promène, il tombe sous le charme d’une Pré-A Speedster 1500 Super. Elle lui plaît tellement qu’il s’engage dans des courses pour amateurs organisées par le California Sports Car Club. Il se débrouille même plutôt bien lors de sa première épreuve à Palm Springs. Il faut dire que Porsche est train de conquérir le cœur des américains. La 356 fait même office de pacificatrice, elle est la meilleure ambassadrice allemande. L’homme d’affaires Max Hoffman qui distribue les marques européennes aux Etats-Unis négocie directement avec les constructeurs allemands pour qu’ils adaptent leurs modèles au marché américain. Il leur demande plus de glamour et d’élégance. Naîtront ainsi les versions Speedster chez Porsche mais aussi la Mercedes 300 SL Roadster.
En 1963, la 911, se profile, à sa façon, elle va devenir une héroïne d’Hollywood, gracieuse et fragile comme une actrice. La même année, sort l’anti-Porsche par excellence, tout sépare ces deux automobiles, l’emplacement du moteur, le nombre de cylindres, la conception, l’esprit, le style, l’usage… et surtout la clientèle de l’une et l’autre… Pour tenter de redresser les ventes et l’image de la marque, Sherwood Egbert, le patron de Studebaker, demande à Brook Stevens de créer des voitures extraordinaires qui seraient exposées dans divers shows automobiles. Le designer américain s’inspire de sa Mercedes SSK de 1928 pour imaginer son premier concept-car. Ce modèle est construit au départ du châssis modifié (raccourci) d’une Studebaker Lark Daytona convertible et motorisée par son V-8. Le prototype, dénommé “Mercebaker” est refusé par la direction de Studebacker qui préfère tirer ses dernières cartouches financières avec l’Avanti dessinée par Raymond Loewy. Furieux et dépité, Brook Stevens loue un emplacement au show automobile de Détroit de 1963 pour y exposer sa “Mercebaker“. La direction du show le relègue juste à coté des toilettes…, mais malgré cela, deux des personnalités “Hollywoodiennes” de l’époque : Steve Mc Queen et John Wayne commandent chacun une “Mercebaker“…, tandis que la presse automobile présente cette voiture comme “LA” voiture du salon automobile de l’année !!! Excalibur…
1964
La vieille Europe a repris des forces. Oubliés les tickets de rationnement et les privations. En vingt ans, le visage de la France s’est transformé, la jeunesse attend son heure de gloire, elle n’est pas encore tout à fait arrivée, il faut être patient. François Mitterrand publie en 1964 son essai Le coup d’état permanent, une attaque en règle contre le régime gaulliste. Lui aussi devra être très patient, il n’est qu’aux prémices de son ascension, il a pourtant déjà quarante-huit ans. Nos jeunes athlètes se sentent pousser des ailes. Les sœurs Goitschel font des miracles sur des skis et la belle Kiki Caron aligne les longueurs de bassin avec la régularité d’un métronome. Cette nouvelle génération est un bol d’air frais dans le sport français. Certains font de la résistance comme le cavalier Pierre Jonquères d’Oriola qui remporte la médaille d’or en saut d’obstacles aux Jeux Olympique de Tokyo…, il a quarante quatre ans et sauve l’honneur de la France ! Aux Etats-Unis, c’est un jeune boxeur au nom d’empereur romain, Cassius Clay qui foudroie Sonny Liston. Son punch est démoniaque et son jeu de jambes infatigable, il est monté sur ressort, il sautille, il bouge, il esquive et il frappe avec la force d’un escadron de la mort. Au cinéma, c’est également le vieux débat entre modernes et anciens. D’un côté, Jean-Paul Belmondo nous épuise dans L’homme de Rio, on peine à le suivre dans cette course-poursuite infernale qui le mène de Paris à Brasilia. Et de l’autre côté, Louis de Funès triomphe dans Le Gendarme de St Tropez. Deux comédies, deux rythmes différents.
Dans un registre encore plus audacieux, Jacques Demy réalise la comédie musicale Les parapluies de Cherbourg avec Catherine Deneuve. Les enfants tremblent devant le masque terrifiant de Fantômas et se marrent quand le commissaire Juve joue les fins limiers.
1964 marque également les grands débuts radiophoniques du duo Jacques Martin et Jean Yanne, les deux trublions à l’humour potache font rire les auditeurs de RTL. En Angleterre, l’émission Top of the Pops révolutionne l’industrie du disque en affichant les classements des ventes. La Beatlemania va déferler sur le monde. En France, Johnny reprend Le pénitencier, une ballade folk qui a pour titre original The house of the rising sun dont la version du groupe The Animals a été un grand succès. Plus classique, Gilbert Bécaud rêve de boire un chocolat chaud au café Pouchkine avec Nathalie, une jolie guide rencontrée sur la Place Rouge.
1964 est une période charnière où l’on hésite à basculer franchement dans le futur. Les jeunes sont attirés par la société de consommation et en même temps ils n’ont pas complètement effacé de leurs mémoires les hivers longs et rigoureux. Ils sont à la croisée des chemins.
Les départements de la Seine et de la Seine et Oise viennent d’être supprimés. En matière automobile, un rêve va tourner au cauchemar aux Etats-Unis…
La Cheetah a été imaginée et construite par Bill Thomas dans sa compagnie, Bill Thomas Race Cars. Grâce à ses nombreuses relations chez Chevrolet, les plus récents éléments mécaniques provenant de la Corvette ont pu être employés. Grand supporter du clan Corvette, Thomas voyait clairement à l’aube de la saison 1963 que les Cobra de Carroll Shelby ne feraient qu’une bouchée des Chevrolet Corvette. Il proposa donc à la G.M de construire lui-même une voiture basée sur la mécanique Chevrolet qui pourrait ainsi battre le clan Ford sans violer la position officielle de la marque de non-participation aux courses. Chevrolet fut dans un premier temps intéressé et un projet fut mit en place consistant à construire 100 exemplaires d’une nouvelle voiture construite par Thomas et nommée Cheetah. Elle serait ensuite commercialisée par quelques concessionnaires triés sur le volet. La Cheetah fut cependant conçue dans le principal but de battre les Cobra. Thomas avait l’avantage de partir d’une feuille blanche et de pouvoir dessiner une voiture entièrement destinée à la course, alors que les Shelby traînaient le handicap de leur origine AC de voiture de route. La construction débuta en 1964, la première voiture terminée pesait 750 kg, soit moins qu’une Cobra et moitié moins qu’une Corvette. Malheureusement l’usine ne pu jamais construite les 100 exemplaires requis pour l’homologation de la voiture en catégorie GT où elle était destinée pour se mesurer aux Cobra de Shelby… Un incendie détruisit la chaîne de montage…, ce qui provoqua l’abandon du soutient de Chevrolet et l’abandon de la Cheetah… Ne vous inquiétez pas pour elle, une petite usine en a recommencé la fabrication début 2001.
Une autre marque va par contre obtenir tous les suffrages en réconciliant les jeunes et les moins jeunes. Ford présente à New-York la sportive de sa gamme : la Mustang. Elle porte le nom d’un cheval sauvage, elle est destinée prioritairement aux jeunes mais conquiert tous les américains et rapidement les européens. Aux Etats-Unis, cette pony car est née de la volonté d’un jeune designer à l’ambition débordante : Lee Iacocca, futur patron de Chrysler dans les années 70/80, a des idées simples et réussit à les imposer. Pourtant, la Mustang n’a rien de révolutionnaire, techniquement, elle reprend les principes déjà connus sur la berline Falcon…, rien de sensationnel si ce n’est sa ligne. En coupé, cabriolet ou fastback, cette Mustang est compacte, elle respire la vivacité.
Habillée de chromes scintillant, elle déclenche un véritable engouement. Elle donne envie de changer de voiture avec son gros moteur sous le capot, des dimensions raisonnables et une allure de tombeuse. Le premier jour où elle fut présentée, 22.000 américains passèrent commande. Bien sûr sa tenue de route n’est pas exempte de tous reproches, mais à son volant, on se prend pour James Dean et bientôt, quand sortira “Bullit “, tous les hommes voudront conduire une Mustang comme Steve McQueen…. même si son bruit, ses accélérations, sa gueule… font oublier qu’il faut franchement décélérer à l’entrée d’une courbe. Dommage par contre qu’en Europe, elle affiche des tarifs nettement moins attractifs qu’outre Atlantique. L’un de ses premiers clients célèbres fut le niçois Dick Rivers, un chat sauvage qui sortait ses griffes sur les corniches de la Riviera.
En 1965, c’est la perte totale des valeurs. La mode unisexe fait son apparition. André Courrèges popularise la minijupe, les jambes des femmes se découvrent, les jupes raccourcissent et les collants n’ont jamais été aussi colorés. Yves Saint Laurent s’inspire du roi de l’abstraction, l’artiste Mondrian pour créer une robe de cocktail à motifs géométriques. La rue est devenue un perpétuel défilé de mode où les tenues les plus extravagantes sont portées sans honte, l’atmosphère est à la débauche. Hervé Vilard peut bien hurler que Capri, c’est fini ou Christophe appeler sans cesse cette Aline pour qu’elle revienne…, rien n’y fera, c’est terminé. Le grand amour, toutes ces belles histoires de princes et princesses ont fait leurs temps.
L’heure est à la libération sexuelle. Même dans la politique, les choses bougent. Pour la première fois, les français élisent au suffrage universel direct leur président de la République. Ce qui devait être une formalité pour le Général, devient un traquenard. Il est mis en ballotage par François Mitterrand.
Les français sont des veaux qui aiment bien brouiller les cartes. En 1965, plus rien n’est assuré en politique comme en amour. Dans les églises de France, la messe ne sera plus dite en latin. Godard remporte un succès phénoménal avec Pierrot le fou. En comparaison, Le Corniaud de Gérard Oury semble nettement plus consensuel. Il n’en demeure pas moins une farce comique de très belle facture et une ode à l’automobile. Mais il va falloir s’habituer à une nouvelle génération de réalisateurs qui bouscule tout sur leur passage.
En 1965, Patrice a 16 ans, l’âge légal pour rouler en motorette de moins de 50cc. Avec l’assistance (pièces, main-d’oeuvre et finances) de son grand-père, Paul Imbert, “Pépé “, Patrice co-fabrique son premier engin, l’ancienne FN du curé de quartier, équipée d’un 47cc Sachs (si, si, le mec de Brigitte Bardot, le nom du moteur, pas le curé…), puis, quelques mois plus tard co-fabrique une sorte de mini-clone d’Harley-Davidson… L’antenne avec les drapeaux sur le porte-bagage ainsi que les accessoires de mauvais goût sont d’époque…, mais c’était une belle époque… à fond de poignée dans des courses débiles entre copains entre le bitza de Patrice et des Flandria, Atom et Royal-Nord…
Le monde anglo-saxon (tout comme Patrice et le reste du monde)… a lui aussi perdu ses repères. Sir Winston Churchill n’est plus là. Il n’égayera plus la vie politique de ses coups d’éclat…, ses frasques sexuelles et son cigare donnaient de l’originalité aux dirigeants britanniques. Aux Etats-Unis, c’est la chienlit, la guerre du Vietnam bat son plein détruisant les idéaux et la vie de milliers de jeunes américains. Le leader Malcom X est assassiné. La société de consommation est remise en cause dans le livre les choses de George Pérec. En sport automobile, un nouveau venu dans la course, Honda décroche sa première victoire en Formule1. Alors quand Rolls Royce dévoile sa nouvelle limousine…, les anglais sont inquiets. Le temple du luxe mondial renierait-il lui aussi ses valeurs ? Mettrait-il un terme à soixante ans de prestige, de cortèges officiels, de tapis rouges et de royautés ? Braderait-il un héritage, un patrimoine où le savoir-faire artisanal prime sur l’automatisation des tâches ? On parle d’une voiture qui coûterait moins de 100.000 francs en 1965, une hérésie ! A ce prix-là, des gueux rouleront bientôt en Rolls, c’est tout bonnement inadmissible. Lorsque la Silver Shadow a été présentée, certains se sont offusqués préférant encore rouler dans leurs vieilles Phantom ou Silver Cloud que de se salir les fesses dans une voiture de roturier. Excepté ces quelques extrémistes de la chose automobile, ces ayatollahs de la pureté, de nombreux clients ont été emballés par la nouvelle Shadow. Plus dynamique, plus moderne effectivement, mais surtout plus facile à conduire dans la circulation moderne. La marque ouvre ses portes à une plus large clientèle. Une Rolls, cet objet inaccessible, est désormais à la portée de bourses bien remplies. En clair, il n’est plus nécessaire d’avoir un chauffeur pour conduire sa Rolls. Pour la première fois de son histoire, un propriétaire de Rolls peut prendre le volant de sa voiture tout seul comme un grand, n’est-ce pas le signe d’une certaine émancipation ? Mais Rolls n’échappera par à sa part de snobisme et d’élitisme. Si certains ont pu s’accommoder de la berline, d’autres plus raffinés ont préféré se jeter sur les versions coupés et cabriolets, encore plus exclusives. Le vrai luxe est alors de posséder une Rolls Corniche et de profiter de sa situation de privilégiés à ciel découvert. Encore une façon de se démarquer et d’agacer la majorité !
1966
C’est l’année de l’amour. Un hymne au couple, au bonheur partagé et à la fête. Claude Lelouch reçoit la palme d’or à Cannes pour son film Un homme et une femme. Qui n’a pas rêvé de remplacer Jean-Louis Trintignant ? De remporter le Rallye de Monte-Carlo, de remonter jusqu’à Deauville tambour battant, de serrer le volant de sa Ford Mustang et de tomber dans les bras d’Anouck Aimée sous le crachin normand ? L’amour est parfois si simple.
Pascal Danel ne chante-t-il pas La plage aux romantiques cette année-là ? Les idylles entre stars fleurissent au printemps. Brigitte Bardot et le milliardaire allemand Gunther Sachs se marient à Las Vegas. L’homme a du goût et des manières…, survolant la Madrague en hélicoptère, il n’hésite pas à inonder sa bien-aimée d’une pluie de pétales de roses. Dans un autre registre, un couple assez dépareillé fait sensation dans le milieu du cinéma : le réalisateur Jean-Luc Godard est marié à Anna Karina…, la rencontre improbable entre une belle danoise énigmatique et un suisse qui perd ses cheveux, porte des verres teintés et révolutionne le septième art. Dans la mode, de jeunes créateurs changent les codes : Yves Saint Laurent présente sa collection Pop Art aux couleurs acidulées et réjouissantes. Au même moment, un basque fier ouvre les portes de sa maison de couture, il s’appelle Paco Rabanne et rend sexy les femmes en combinaisons de maille de fer. Il triture aussi le plastique et le cuir… La tendance vient de Londres : le 15 avril 1966, Time Magazine titre en couverture London : the swinging city…, un dessin de Geoffrey Dickinson montre une société anglaise en pleine ébullition. Les stars sont Mary Quant, le mannequin Twigy, Marianne Faithfull, les Beatles, les Rolling Stones, les Who, Big Ben, les Mini qui affichent l’Union jack sur leur toit ou les cuissardes en vinyles. John Lenon aura cette formule merveilleuse d’innocence et de béatitude : Nous sommes plus populaires que le Christ. Alors qu’à Londres, on fait la fête nuit et jour, à Paris, le Général décide de retirer le pays de l’OTAN. Les français rêvent pourtant de longues nuits qui n’en finissent plus, de rencontres magiques et de soleil qui brûle les corps. Pour son premier roman, Edmonde Charles Roux décroche le Goncourt avec Oublier Palerme, un hymne croisé à la frénésie New Yorkaise et à la quiétude des paysages de Sicile. Mais comment profiter de la vie, se sentir libre et vibrer à chaque instant ? Alfa Romeo a trouvé la solution en lançant son nouveau spider Duetto, un cabriolet qui ne se partage pas en famille mais exclusivement en amoureux. Deux places, le ciel ouvert, une ligne gracieuse et la route qui défile devant soi. En 1967, le roadster débute une carrière internationale grâce à sa prestation remarquée dans le film The Graduate…, tous les américains veulent exactement la même voiture qu’utilise Dustin Hoffman. Cette Duetto qui lui sert à reconquérir le cœur d’Elaine Robinson après avoir couché avec sa mère incarnée par la sulfureuse Anne Bancroft. La mission n’était pas gagnée d’avance car le nouveau spider d’Alfa Romeo doit succéder à une autre légende de la Dolce Vita, la Giulietta. La Duetto est radicalement différente, sa carrosserie qui ressemble à un os de seiche est un modèle de simplicité, d’harmonie et de pureté. Comme souvent, le premier coup de crayon a été le bon, il a su sublimer son caractère latin fanfaron et mystérieux.
Evidemment, produit jusqu’en 1993, la Duetto a évolué, sa carrosserie a pris de l’embonpoint, de disgracieux ajouts en plastique l’ont peu à peu défigurée.
La belle italienne a perdu l’éclat de sa jeunesse, elle s’est empâtée, elle a eu besoin de mettre toujours plus de maquillage pour masquer ses rides et la passion qu’elle entretenait avec les automobilistes, s’est étiolée. La Duetto, c’est l’histoire d’un vieux couple qui ne s’aime plus, qui ne se regarde plus. D’un coup de foudre qui s’est transformé en rancune tenace. De virées en Toscane endiablées à des week-ends devant le poste de télévision. Du plaisir de rigoler aux mêmes blagues à une indifférence crasse… C’est la Corvette C2 Sting Ray qui marque les années 1963, 1964, 1965, 1966 et 1967. Superbe et techniquement très évoluée pour son époque, affichant de grandes qualités routières, la Corvette C2, alias “Sting Ray “, apparue en 1963 et qui perdurera jusqu’en 1967, est “LA ” Corvette par excellence. Forte d’un réel prestige et d’une immense cote d’amour, la Corvette C2, à l’instar de la Porsche 911, est devenue une légende automobile : 1965 Corvette C2 Cabriolet 327ci… Préparation Lingenfelter 575cv !!!
1967
Les américains sont embourbés dans les rizières du Viêt-Nam. Les GI’s tombent sur la colline des anges qui porte mal son nom. Les pacifistes défilent à New-York. L’époque est psychédélique. Une jeunesse sous l’emprise du LSD rejette la société de consommation. Un autre monde est possible. C’est ce que pense Patrice qui vient d’avoir 18 ans… Il pense aussi qu’il devrait s’acheter une petite auto pour remplacer sa motorette qui commence à dater, surtout pour aller à Saint-Luc Ramegnies-Chin (Tournai) suivre ses études d’architecture… L’idéal serait d’avoir un job qui paye bien durant les vacances… Au culot, il parvient à se faire engager pour les 2 mois de vacances ’67 à Zeebrugge à “La barq’à’Jac“, propriété de Marc Aryan (Oh Cathy, cathy)…
En France, Jacques Chirac, déjà en retard d’une génération, pose pour Paris-Match sous le capot ouvert de sa 403 gonflée qui lui permet d’atteindre 180 km/h. Député de Corrèze, Secrétaire d’état à l’emploi, cet énarque de 35 ans ressemble à un parlementaire de IVème République. Il en a les mêmes tics avec l’énergie en plus. La France s’asphyxie. Les filles et les garçons pleurent la mort de Françoise Dorléac. En quittant “la Messardière” de St Tropez, sur la route qui doit l’amener jusqu’à l’aérodrome de Nice, sa voiture s’embrase. Françoise Durr remporte le tournoi de Roland-Garros face à une accrocheuse australienne, Lesley Bowrey. Le coureur cycliste Tom Simpson chute, inanimé à 2 km du Mont Ventoux…, le Tour est en deuil. La France se cherche.
La production automobile ronronne gentiment. Les bons pères de famille roulent dans de classiques 404 Superluxe Injection (12.900 francs) ou de confortables DS 21 (17.000 francs). Les foyers plus modestes se contentent d’une Fiat 124 élue voiture de l’année 1967 devant la BMW 1600 et la Jensen FF. A la campagne, on pense à remplacer sa 2CV par la nouvelle Citroën Dyane (6.000 francs). Dans le haut de gamme, Mercedes dévoile la 280 SL, version ultime de sa Pagode. Les américains s’entichent de la Duetto après avoir vu Dustin Hoffman à son volant dans Le lauréat tandis que les européens sont tombés fous amoureux de la Ford Mustang qu’ils considèrent comme l’archétype de la sportive moderne. Johnny Hallyday n’hésite pas prendre le départ du Rallye de Monte-Carlo à son bord.
Les anglais capitalisent toujours sur leur Type E qui a pris un sérieux coup de vieux. Un vent d’insolence va balayer tout ce petit monde et imposer de nouvelles références. En présentant la 911 S, Porsche révolutionne le marché de l’automobile. Le constructeur assomme ses rares concurrents à coups d’arguments techniques. En 1967, les marques font office de professeurs de mathématiques. La réalité scientifique doit convaincre les plus récalcitrants de la supériorité de leurs productions. Sonauto France égrène sur ses affiches publicitaires les qualités numériques de sa 911 : 160 ch, flat six 2 litres, 0 à 160 km/h en 15 secondes, 2 arbres à came, 2 carburateurs Weber triple corps, en cinquième, 225 km/h. Dans cet inventaire à la Prévert, les futurs acheteurs sont rassurés. Mais qui peut bien s’offrir un véhicule affiché à 45.500 francs alors qu’un ouvrier en gagne à peine 500 par mois ?
Des acteurs en vue à Hollywood, des stars de la chanson, des hommes d’affaires avisés, des playboys pressés, de riches médecins ou avocats ?
La 911 S est chère, même très chère, aussi onéreuse qu’une Jaguar Type E, l’équivalent de trois Renault 8 Gordini ou de trois Citroën ID. Seules les voitures de très grand luxe, Maserati Ghibli, Ferrari 275 GTB ou Rolls-Royce Silver Shadow flirtent à des sommets tarifaires encore plus hauts, souvent au-delà des 100.000 francs. Si la 911 S n’a pas démocratisé la voiture de sport au contraire d’une Alpine Berlinette, elle a rendu de très grands services à leurs propriétaires. Par miracle, ils sont devenus cools…, cette fameuse cool attitude à la Steve McQueen, ce mélange de désinvolture et de force sera désormais la caractéristique principale de l’heureux acheteur d’une 911 S. Un type qui assume rouler plus vite et gagner plus d’argent que les autres mais qui n’oublie pas d’avoir l’esprit ouvert. En somme, la rencontre d’idées libérales et d’un portefeuille bien rempli. Un rentier sous les traits de Jimi Hendrix.
Le genre d’hommes qui peut laisser trainer sur la banquette arrière de son coupé, une édition américaine de Playboy, le magazine créé par Hugh Hefner qui ose dénuder une fille en trois parties à l’époque où l’autorité parentale des femmes n’est pas encore l’égale des hommes. La seule revue au monde à dévoiler le fruit défendu et à interviewer Fidel Castro en janvier 1967. La 911 S est rapidement devenue l’accessoire indispensable pour cruiser sur la côte californienne ou la riviera française. Et pour les plus téméraires, un week-end à Gstaad ou à Megève pouvait procurer des sueurs aussi froides que la ligne droite des Hunaudières.
Une Porsche de la fin des années 60 est une rebelle qui permet d’abattre un Paris-St Tropez en cinq petites heures. Un instrument fait pour les mélomanes de la route dans une société qui prône la liberté.
1968
L’année débute par une série de grèves en janvier et en février. Employés de banques, personnel d’Air Inter, cheminots, le millésime s’annonce animé.Il y a comme un petit vent de révolte dans l’air. Des incidents se multiplient à Nanterre, foyer de la contestation estudiantine. L’époque est à la diatribe, à la remise en cause de la société, le vieux monde est mort comme l’affirme la jeunesse. Puis, c’est l’embrasement. La confusion est totale. La rue Gay-Lussac est dépavée, on affronte les forces de l’ordre. Ca frite sévère autour de la Sorbonne, les coups de matraques pleuvent, les gaz lacrimos embrument l’atmosphère et des dizaines de carcasses de voitures retournées flambent. Résultat : plus de 10 millions de grévistes, l’essence se fait rare, l’économie tourne au ralenti et le gouvernement se décide enfin à négocier. On s’y perd entre maoïstes, trotskistes, marxistes-léninistes, guévaristes et anarchistes. Une chose est sûre, les jeunes en ont marre d’être corsetés, ils aspirent à vivre plus librement.
Et l’automobile dans tout ça va-t-elle rester insensible à cette grande pagaille générale ? Les constructeurs ont-ils pris conscience que dorénavant plus rien ne sera pareil ? La jeunesse lit La cause du peuple, regarde Les Shadocks sur l’ORTF et écoute Mrs Robinson de Simon & Garfunkel. La comédie musicale Hair fait scandale à Broadway. Même le festival de Cannes n’a pas rendu son palmarès sous la pression d’une bande de jeunes réalisateurs en colère (Truffaut, Godard, Lelouch, Malle, etc…). A Mexico, la colère gronde aussi. Sur le podium du 200 mètres, Tommie Smith et John Carlos lèvent leurs poings gantés de noir et baissent les yeux. De façon un peu disparate, les marques prennent conscience du changement de cap de la société et vont tenter de renouveler le genre automobile.
Certaines productions de l’année 1968 marquent en effet une vraie rupture avec la voiture de grand-papa. Dans un autre registre, l’allemand Mercedes-Benz dévoile sa puissante 300 SEL 6,3. Les grosses berlines ne seront plus jamais de poussifs tacots. A sa sortie en mars 1968, le magazine allemand Auto, Motor und Sport se demande comment vont réagir les possesseurs de Porsche 911 S. Désormais, ils ne seront plus les rois de l’autobahn. Cette luxueuse Mercedes dessinée par le français Paul Bracq a hérité du moteur V8 et de la transmission automatique de l’imposante 600.
Le comportement de la placide limousine est transfiguré…, avec une mécanique de 250 ch, un couple de 51 mkg, il ne lui faut que 8 secondes pour passer de 0 à 100 km/h et sa vitesse de pointe affiche 221 km/h ! Bien sûr, cette version 6.3 coûte 10.000 Deutsche marks de plus qu’une banale 300 SEL et le prix de deux 280 SE, déjà réputée inabordable pour la très grande majorité des automobilistes français. A bien y réfléchir, cette limousine survitaminée s’inspire de l’atmosphère permissive de la fin des années 60…, le raisonnement de Mercedes n’est pas idiot. Les patrons de demain sont aujourd’hui des étudiants hirsutes qui défilent des pancartes à la main. Lorsqu’ils auront réussi, ils voudront à leur tour profiter des attributs du succès mais avec une dose d’adrénaline en plus. La vitesse leur procurera ce supplément d’âme. Quarante ans plus tard, le marché du haut de gamme verra s’affronter des berlines toujours plus luxueuses et motorisées comme des Supercars ! Patrice n’en est pas là, il compte ses sous… En sus de l’argent (bien gagné) à “La Barq’à’Jac” l’année précédente et celle-ci (’67 et ’68), il a de quoi se payer une petite voiture… Il revend ses deux motorettes (ce qu’il regrettera toujours, on ne doit jamais bazarder ses créations), et achète une Dauphine d’occasion de 1960, blanc-crème, intérieur bordeaux…, la classe !
Cette année 1968 foisonne décidément d’idées nouvelles… Regardez plutôt du côté de Lamborghini qui dévoile à Genève son Espada dérivée du concept-car Marzal, œuvre de Nuccio Bertone. Cette Espada ne ressemble à rien de connu. Ce grand coupé offrant quatre places et une ligne ahurissante que l’on doit à Marcello Gandini semble tout droit sorti d’un roman de science-fiction. Cette voiture est presque irréelle. Fuselée comme un avion de chasse, habitable comme une berline, rapide comme une GT, l’Espada ouvre des perspectives nouvelles en matière de design et de mélange des genres. Il aura fallu, là aussi, près de quarante ans pour que les constructeurs reprennent à leur compte cette fameuse idée de Crossover, en clair combiner les carrosseries entre elles : un coupé à la fois berline et break de chasse ! Les exemples qui prouvent que l’année 1968 a déclenché une nouvelle vision de l’automobile sont nombreux.
Dans le segment des citadines, Honda a lancé la N600 dans la foulée des Mini et autres Fiat 500. Cette micro-car facilite la vie des urbains dans la circulation encombrée des mégalopoles. Bien avant la crise du pétrole, l’idée de se déplacer dans un moyen de locomotion moins polluant et compact fait son chemin dans la tête des automobilistes. Cette Honda N600 est l’ancêtre des Smart Fortwo et des Toyota iQ. 1968 réserve encore bien des surprises, le Dodge Sportsman ne préfigure-t-il pas l’arrivée des monospaces des années 80 ? Et que dire de la Ferrari Daytona dont la ligne n’a pas pris une ride et inspire toujours le monde des GT. L’esprit de Mai n’est donc pas prêt de mourir…
1969
C’est l’année des exploits, des découvertes fantastiques. Le 21 juillet à 3 h 56 mn, Neil Armstrong a marché sur la Lune (Objectif Lune !). Le prototype du Concorde effectue son premier vol test. La vitesse est la nouvelle drogue des sociétés développées. Justement, Jacques Chaban-Delmas, nommé premier ministre invente un autre concept celui de la nouvelle société…, une nouvelle voie intermédiaire que les français ne sont pas décidés à suivre. Un an après les événements de mai 1968, les vertus du centrisme ne font guère recette. Tout va pourtant s’accélérer après la démission du Général de Gaulle. Le référendum sur la régionalisation et le sénat lui aura été fatal. Fatigué, vieilli, il se retire de la vie politique. Une page de l’Histoire se tourne.
La jeunesse clôt officiellement le chapitre de la Seconde Guerre Mondiale. Dans Il était une fois dans l’Ouest, Sergio Léone revisite la conquête du nouveau monde. Les américains n’apprécient pas beaucoup, ils sont patriotes et fiers. C’est un italien provocateur qui ose écrire une partie de leur histoire.
Dans la même lignée, Easy rider de Dennis Hopper primé à Cannes montre un autre visage méconnu de l’Amérique qui cherche trop souvent à laver plus blanc que blanc. Trois solitaires traversent le pays sur leurs motos. Ils croisent sur leur route des bandes de hippies, des paysages désolés, enfin une jeune nation à la dérive qui patauge dans ses contradictions et ses excès. Paf ! Le choc !
Patrice qui a fait le trajet Tournai-Bruxelles pour aller voir ce film dans une petite salle de la périphérie, se jure d’acheter une Harley. En sus de ses études d’architecte, il commercialise des posters qu’il a fait imprimer sur base d’un savant mélange de ses dessins et photos… En fait de commercialisation, il passe de commerce en commerce après les cours (une fenêtre entre 16h et 18h) pour vendre ses créations… et en ces temps lointains ça marche, tellement bien qu’il en vend même à Lille, Ostende et La Panne… Il réunit donc la somme nécessaire pour acquérir dans un garage Harley de la chaussée de Haecht à Bruxelles, une antique Harley Davidson de la gendarmerie belge… La classe !
Moins sulfureux, finalement que Patrice…, Belmondo, Bourvil et David Niven font un remake de l’attaque du train postal Glasgow-Londres de 1963. Joe Dassin chante les Champs-Elysées et Jacques Brel préfère aller voir Vierzon et Vesoul. La comédie musicale Hair triomphe à la Porte Saint-Ouen.
Jean-Edern Hallier sort le premier numéro de “L’idiot international“. 800.000 personnes se réunissent à Woodstock célébrer la paix et écouter l’hymne américain joué à la guitare électrique par Jimi Hendrix. Ce sont des gamins qui ont pour la plupart moins de vingt ans, ils sont la génération peace and love.
Sans le savoir, Ferrari a créé la Dino pour eux et leurs enfants. L’époque n’est plus aux gros douze cylindres, à ces objets d’exception, à ces sculptures mécaniques sur lesqelles on doit s’incliner. Il faut s’inspirer de la réussite de Porsche, quitte à sacrifier une part de la légende. C’est pourquoi la Dino ne portera jamais officiellement le nom de Ferrari. Elle ne portera pas non plus les armoiries de la maison, c’est-à-dire le cheval cabré sur son capot.
Le Commendatore ne l’aurait jamais accepté. Cette Baby Ferrari est en effet motorisée par un modeste V6 qui lui permettait tout de même de flirter avec les 240 km/h. Elle n’a peut-être pas le pedigree des 250 qui se sont illustrées sur tous les circuits du monde, mais elle est attachante, belle et rapide. C’est une Ferrari de tous les jours comme le seront après elle, les 308 et 328. Enzo Ferrari ne s’y était pas trompé en choisissant le prénom de son fils disparu : Dino, pour la nommer. C’est toutefois une bâtarde, une Ferrari du pauvre motorisée par un 6 cylindres Fiat ! Les clients se font rares, la santé financière du constructeur ne peut reposer uniquement sur quelques Happy few, une poignée d’hommes capables de débourser des sommes faramineuses pour rouler dans une Ferrari. Le très haut de gamme sportif paraît condamné, il n’y a plus d’avenir pour une voiture de sport élégante, racée et efficace.
La Dino aura toutefois son heure de gloire télévisée grâce à sa participation dans la série The Persuaders (Amicalement Vôtre en français).
Elle est le fidèle destrier de Tony Curtis qui incarne Dany Wilde, un self-made man qui a fait fortune dans l’exploitation de puits de pétrole.
Tout le sel de cette série repose sur le contraste entre le style décontracté, américain, de Wilde et le personnage guindé, suranné de Brett Sinclair.
L’un roule en Dino et l’autre en Aston Martin DBS. Les dés sont jetés. La Ferrari Dino est le symbole du panache et de l’aventure…, une décennie est passée !