Transcendance de la néantisation factuelle de l’existence par l’itération rythmique des tâches et besoins routiniers…
Je ne sais plus quand j’ai pu concevoir cette idée : au lieu de pierres, utiliser 38 vieilles voitures des années ’50 et ’60 et les disposer dans mon jardin, de manière à imiter Stonehenge, un site vieux de 4000 ans, qui se trouve dans la campagne anglaise.
Je ne sais plus, probablement un soir en rentrant tard chez moi…, il devait faire sombre déjà, peut-être gris ; ou bien il pouvait y avoir la lumière orange du couchant portée sur le mur de gauche… et son halo caressant celui du fond, si nu à l’époque.
Et tout cela n’est que mythe, désormais, mais j’ai bien le temps d’imaginer des mythes, pendu là comme je suis. Il me fallait une vie.
Je voyais alentour le temps filer sans accrocher à ma peau, sans rien laisser de gouttes ni de souvenirs sur moi.
Le travail, la famille, les amis formulaires et obligés, les loisirs.
Je ne pouvais guère que contempler les journées et les mois avancer, en cortège sans nom.
Rien d’atroce au demeurant, mais rien, pour le dire en un mot.
Juste un rien.
Il me fallait, au cœur, une justification.
Mais il me la fallait depuis longtemps déjà… et j’avais tenté beaucoup.
A commencer bien sûr par ce que la société m’offrait comme solution toute faite.
Il n’y en eut au fond que d’amusants.
Je me souviens des échecs amusants.
Le premier, très tôt !
Cruel destin.
Je me souviens…
Echecs cuisants sur échecs amusants, ma vie n’avançait guère.
Il me fallait une vie et il me fallait un centre, fût-il théorique ou même temporel, fût-il égotiste et connu de moi seul.
Mais devant le fil des années, le seul destin qui s’imposait, de plus en plus clair à mes yeux, était celui de capots froissés autour d’autres capots froissés…
C’était toutefois étendre la vacuité de mon centre ancien à la totalité du monde, non m’en trouver un tangible.
Pour m’en écarter j’avais quelques obligations… et j’avais ma volonté théorique.
Elle trônait au-dessus de ma tête lorsque je me couchais sur le dos, dans mon jardin, longuement, en attendant le soir puis la nuit, puis que la nuit soit un peu plus avancée, puis encore un peu plus, chaque soir, pensif à rien, tournant autour de mon absence de centre.
J’ai érigé une Cadillac, la première, comme un pense-bête rouge froissé.
Mais chaque soir elle m’aidait.
Je m’arrêtais en revenant de ma routine et je la contemplais avant de passer jusqu’au lendemain et le sommeil avant lui, dans la marge de ma vie.
Peu m’importait le sens et les tenants de l’œuvre pour l’artiste, peu m’importait d’ailleurs l’artiste.
Une carcasse de Jeep Pick-up a suivi, puis une Buick, une Plymouth froissée ; une splendeur détruite et pourtant reconnaissable, exposée comme un objet de contemplation.
Mais j’y avais mon aide-mémoire.
Rien de moral ni d’apotropaïque au fond ; la valeur que je donnais à mon assemblage d’épaves était bien plus pragmatique.
Cela, avait, déjà, été, fait.
Rien d’étonnant ni de nouveau à y voir une œuvre d’art.
Plus nécessaire de le répéter avec d’autres misérables caisses sans gloire, et pas même rouges, non, j’ai tout repeint en gris…
L’ensemble assemblé et exposé en musée était fait, et bien fait.
Elles furent ainsi toutes grisées, qu’on se rende compte, grisées, comme moi par trop de Mojitos, un ludospace gris dans l’esprit de Stonehenge…, un monument d’autos au lieu de pierres, j’étais magicien, pur génie de l’inutile !
La ruine de ma vie, exposée comme telle.
Et c’est la Jeep Pick-Up qui m’illumina, un soir où je passais de la page griffonnée de ma routine sociale, vers la marge blanche et vaine de ma vie associale.
Dépasser la matérialité de cette carcasse de métal, en la plaçant au sommet, enfin, la vérité de la ruine, la ruine existentielle, en m’imposant comme paradigme exposé de la ruine sociétale de mes semblables, moi plus étincelant et plus visiblement ruiné, plus rutilant jadis et plus tragique aujourd’hui, même si très peu de part et d’autre.
Je pouvais alors espérer dépasser cette œuvre-là et me créer en œuvre plus forte.
Hahah, trop bien !
Et trouver, enfin, ma justification.
Je serais, oui, paradigme.
Paradigme, ou rien.
Dieu, s’il existe, sait que j’ai levé les bras, clamé mon exaltation en “ô” vibrant et couru me servir un très prosaïque Mojito, un de plus dans mon océan d’alcool, dans un néanmoins superbe verre unique, avec le regard du connaisseur putassier qui déguste en double-sens.
Il faudrait pouvoir décrire le dispositif mirifique et hautement technique qui fut élaboré de mes mains expertes, du moins encensées expertes par mon propre jugement a priori.
Il le faudrait, mais diantre, quel ennui.
Les rivets, les soudures, les vis, les boulons… et même des clous fichés avec l’énergie sexuelle d’un gorille, pour répondre aux contraintes de force et d’accrochage, avec l’attention et la précision maniaque du cunnilingus de niveau mondial.
Pourtant, j’étais passionné pendant l’acte.
Des armatures solides, mais rendues invisibles, réduites au minimum vital, des carcasses d’automobiles érigées comme des phallus, pardon, phalli, patiemment formés et consolidés de mes mains appliquées.
Il faudrait pouvoir décrire le résultat élancé.
Mais la vie ainsi que le métabolisme humain exigent une détente nerveuse et hormonale, après toute excitation.
Autant dire que je laisserai les spectateurs et surtout spectatrices détailler l’ensemble.
Et moi-même, regardant l’œuvre, assis à même le sol, dans une pose lascive et pensive à la fois, tout habillé en grand costume, les yeux verts grands ouverts sur l’infini du néant de la vie…
L’œuvre que vous découvrez se présente donc comme une continuation de mon moi-même, en tant que moi-même, un ensemble de sexes métalliques automobiles érigés…
Le message véhiculé par cet amoncellement de véhicules, est une transcendance de la néantisation factuelle de l’existence par l’itération rythmique des tâches et besoins routiniers, d’une part, mais aussi d’autre part une critique virulente de l’objet d’art comme phenomenon mort et fixé, de la société de consommation en quelque sorte rendant caduque d’emblée toute œuvre voulue vivante et, en dernière analyse, une autre transcendance, celle de la dichotomie être/faire… et de celle qui oppose l’être et le paraître : paraître être, faire être et être un faire, transcender l’être par un faire exposant le paraître en tant que tel mais habité par le faire et…, piting de piting, c’est n’importe quoi…, en fait c’est un agglomérat d’autos, un ensemble de carcasses…, piting !
Allez vous faire f…, tas de cons, j’ai pas de vie et ma carrière d’artiste est un fiasco, allez tous c…, c’est ma joie, les justifications c’est pour les ceusses qui ont du temps à glander, quand je dors, je dors… et au si haut trône que l’on soit assis, on n’est toujours qu’assis que sur son putain de cul.