Victress V8…
Ce matin, au sein de ma résidence des Parcs de Saint-Tropez, alors que je me délectais, en bord de piscine, d’un thé vert Japonais aux subtiles fragrances d’une verte prairie après une fine pluie d’automne, je suis brusquement ramené à la réalité du quotidien par les aboiements de Blacky qui pointe son museau sur la télécommande de sécurité qui bipe… Je vois dans l’écran, un hirsute gesticulant derrière la grille du portail, un paquet à la main, faisant de grands gestes désordonnés à la caméra… comme saisi soudainement de cette danse de St Guy décrite depuis le moyen âge et affectant les pauvres hères que l’on croyait atteint de quelques possessions démoniaques.
Je mets le son et j’entends des vociférations et des cris. Méfiant, je reconnais la tenue typique du facteur, mais pas le facteur… Un nouveau sans doute, jamais vu celui-ci ! Peut-être est-il contagieux… je reste coi mais, afin de briser une tension qui commence à se faire peu à peu sentir, je me laisse aller à répondre à ce gueux : « C’est pour le calendrier ? »
« Arghhhh ! Non ! C’est un colis » me réplique-t-il…
Quelque peu étonné et me disant en moi-même que la poste a sûrement recruté de la main d’œuvre étrangère en période de fête, j’appelle la sécurité pour leur demander comment il est possible qu’ils ont laissé passer un tel personnage… Ils m’assurent s’en occuper illico… et je reste regarder le spectacle…
De fait l’homme s’agite de plus belle et lance (toujours à la caméra qui reste inerte) d’une voix angoissée : « Débarrassez-moi vite de ça ! »…
Le « ça » est un petit paquet d’apparence anodine imbibé d’une substance d’un rouge profond qui vient d’entamer une sortie poisseuse sur la main du présupposé préposé aux PTT. La sécurité déboule, 4 castards et deux chiens molosses, il lance (pratiquement) le colis à la figure du plus baraqué, il a juste le temps d’éviter de se faire piéger par le teaser et s’enferme dans sa voiture jaune.
Je me désintéresse de la suite, je viens de voir John Wick Parabellum hier soir et j’ai ma dose… je retourne déjeuner en paix… termine mon thé, fait quelques brasses avec Blacky… et, après le temps de ce furtif moment de plénitude, ma soubrette préférée vient, nue, me remettre le fameux paquet “de la poste” pré-ouvert par la sécurité et muni de la fiche de sécurité CVTD-643-2… me signalant que le porteur initial du paquet a été éjecté des Parcs de St-Tropez… et qu’il y avait curieusement du sang humain sur et dans le paquet qui a été ouvert par sécurité !!!
Encore un qu’on n’est pas près de revoir ! Je me saisis du contenu du paquet à l’apparence ragoutante afin d’en vérifier le contenu… Pas de doute c’est de mon garagiste américain… Deux clefs, chacune muni d’un logo qui évoque en moi un souvenir passé d’il y a 7 ans… Le sourire aux lèvres, je rêvasse tout en avalant une gorgée de thé que ma soubrette favorite vient de me resservir (toujours entièrement nue) …
Je revois ce filou m’arnaquant financièrement en me proposant la restauration d’une épave automobile rarissime nommée Victress que j’ai acquise auprès d’une sorte de SDF… et j’oublie de m’inquiéter du sang sur et dans la boîte d’envoi qui avait, semble-t-il, été écrasée ! Il y a sept ans d’ici que cette affaire a débuté, je n’avais jamais entendu parler de la Victress et de son créateur Doc Boyce-Smith qui en 2013 s’est attelé à la construction d’une œuvre d’art (selon-lui), à une époque où j’avais posé les yeux sur ce roadster inhabituel qui allait s’avérer n’être qu’une pure fumisterie… et je dois admettre que dans le style, j’avais eu affaire à un chef-d’oeuvre…
Le châssis était un travail d’amateur, la carrosserie était un bricolage dantesque de plusieurs morceaux disparates et la voiture devait être reconstruite à partir de zéro… Je m’explique… j’étais en vacances de golf dans l’est de l’Utah/USA et au lieu dit “Vernal”, j’ai remarqué une carrosserie automobile inhabituelle posée sur une remorque avec un panneau “à vendre”. Je l’ai regardée pendant un certain temps et j’ai pensé que c’était une Cobra kit-Car qui avait mal tourné entre les mains d’un Kustomiseur dingue.
J’ai réalisé quelques photos du charriot et de l’épave et, le soir à l’Hilton du coin, je me suis retrouvé comme un gland à chercher sur Google des renseignements sur la marque Victress… et l’une d’elles m’a conduit à M. Geoff Hacker de Bugotten Fibreglass et à son seul client dont l’identification correspondait aux indications manuscrites du panneau “For Sale/A vendre” collé sur la carrosserie ficelée sur la remorque…
J’ai donc téléphoné à ce Cow-Boy qui dans son langage local m’a commenté des points inexplicables… toujours est-il que j’ai ainsi pneu à pneu trouvé réponses à mes questions. Après avoir terminé la construction d’une réplique Cobra de chez Factory Five, ce Cow-Boy issu de l’Amérique profonde “Dieu and Trump forever” cherchait un autre projet à réaliser, quelque chose d’un peu plus difficile. Il s’est adressé à Bugotten Fibreglass, y a acheté un kit, l’a reçu… puis il a tenté de le “monter”… mais a dû abandonner parce que la tâche était gigantesque et le kit incomplet… Nous nous sommes mis d’accord sur un juste prix et le lendemain je suis allé payer tout en faisant remorquer l’ensemble vers un garagiste du Colorado, spécialisé en causes automobiles improbables, la majorité étant les Kit-Cats “à-la-con”...
Le châssis était un agglomérat de ferrailles, horrible… qui semblait être la combinaison de deux châssis de récupération provenant d’automobiles accidentées… un ensemble dangereux à toute vitesse y compris à l’arrêt… La carrosserie était collée à une autre à titre de renforts et le plancher était une gigantesque plaque d’acier d’un centimètre et demi d’épaisseur…. Aucun siège n’y avait jamais été fixé. Il n’y avait pas de transmission d’aucune sorte et, à ce stade, le garagiste spécialisé en restaurations improbables m’a dit qu’il déclinait toute responsabilité mais exigeait une somme colossale équivalente au prix d’une Rolls Royce Phantom avant de débuter… et qu’il devait assurer financièrement de prendre une approche “Restomod” avec un châssis contemporain muni de suspensions sophistiquées et d’un moteur neuf et sa transmission.
Mais, puisque le kit de carrosserie Victress était similaire dans la forme à une Cobra réplique de Factory Five, il m’a proposé de commander ces pièces neuves en adaptant la carrosserie et en utilisant des composants facilement accessibles, utilisables et commercialisés à plus ou moins long terme… Nous avons donc signé une “convention”, j’ai payé un acompte et le garagiste m’a dit qu’il m’informerait de l’avancée du travail…
C’est un bloc V10 de Dodge Viper qui devait être installé, puisque le long capot de la Victress laissait beaucoup d’espace. Mais après quelques recherches sur les mises à niveau de performance et comment on pourrait obtenir des pièces alors que Dodge avait stoppé la fabrication des Viper le garagiste m’a recommandé d’utiliser un Ford Coyote V8 5L0 muni d’un paquet de performances. Je pense toujours que le V10 était plus “Fun” mais le Coyote est difficile à battre aussi bien en prix des pièces qu’en performances…
À cette époque, les firmes JEGS & Summit avaient d’excellentes offres pour les clients à la recherche d’un moteur Ford Coyote complet, y compris toutes les pièces nécessaires pour l’installer dans une réplique Cobra avec une garantie de deux ans. J’ai payé… Les freins à disque de Mustang Shelby GT500 ont également été commandés, payés et installés, de même qu’une transmission manuelle cinq vitesses et un assemblage de pédales suspendues Wilwood avec deux cylindres principaux et une barre de biais réglable. Les sièges baquets choisis ont été des ProCar, et l’habillage de l’habitacle a été réalisé par Duncan&Sons une sellerie située dans les environs “financiers” du garagiste-carrossier…
Cela a été un projet de sept ans… mais le garagiste s’est excusé en prétextant qu’il avait été gêné par trois chirurgies majeures du genou, la restauration totale d’une Opel GT et beaucoup de temps passé pour assurer des soins pour sa mère ! Outre la survie financière du garagiste… la stratégie originale était d’avoir la voiture inspectée pour demander un VIN alors qu’elle était en phase finale avec un manteau de gel blanc.
Le garagiste a obtenu un rendez-vous avec les inspecteurs de l’État du Colorado au début de janvier 2020 pour le 19 Mars 2020. Mais le 17 mars 2020, il a reçu un appel de l’inspecteur en chef disant que tous les rendez-vous avaient été annulés en raison du COVID19. Le 24 mars 2020, l’inspecteur en chef a rappelé le garagiste et lui a dit que les inspections reprenaient à nouveau leur cours ! Mais il a fallu attendre le 21 juillet 2020 pour avoir la pré-confirmation d’un rendez-vous… qui a été remis au 9 août, puis au 20 août 2020 date à laquelle l’inspecteur ayant été très impressionné du travail réalisé, a donné son feu-vert pour l’obtention des documents légaux !
Le lendemain matin, le 21 août, le garagiste est allé à la DMV avec des centaines de documents et reçus ainsi que tous les formulaires nécessaires pour demander un “VIN attribué”… un processus qui prend habituellement quelques mois et parfois plus, mais il a reçu une lettre d’approbation de l’État en seulement 13 jours, et a été mis en attente pour recevoir la plaque VIN envoyée au bureau local de patrouille d’État ! Le garagiste m’a alors dit : “Dès que c’est fait, je vous envoie deux clefs de votre Victress. J’espère que vous les recevrez vite et que vous pourrez venir prendre livraison de votre Victress malgré les restrictions de voyages suite au Coronavirus et que vous conduirez votre voiture avant que la neige frappe le côté désertique du Colorado !”
Voilà… j’ai reçu les clefs… le paquet avait manqué d’être écrasé par une caisse au département DHL de l’aéroport, le préposé se retrouvant avec un doigt arraché, expliquant le sang sur et dans le colis…